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CHRONIQUES DE LOUIS XII
PAR
JEAN D'AUTON
IMPRIMERIE DAUPELEY-GOUVERNEUR
A NOGENT-LE-ROTROU.
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CHRONIQUES
DE LOUIS XIl
PAR
JEAN D'AUTON
EDITION PUBLIEE POUR LA SOCIETE DE L HISTOIRE DE FRANCE
PAR R. DE MAULDE LA GLAVIÈRE
TOME QUATRIÈME
A PARIS
LIBRAIRIE RENOUARD
H. LAURENS, SUCCESSEUR
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE l'hISTOIRE DE FRANCE
RUE DE TOURNON, N» 6
M DCCC XCV
273
EXTRAIT DU REGLEMENT.
Art. i4. — Le Conseil désigne les ouvrages à publier, et
choisit les personnes les plus capables d'en préparer et d'en
suivre la publication.
Il nomme, pour chaque ouvrage à publier, un Commissaire
responsable, chargé d'en surveiller l'exécution.
Le nom de l'éditeur sera placé en tête de chaque volume.
Aucun volume ne pourra paraître sous le nom de la Société
sans l'autorisation du Conseil, et s'il n'est accompagné d'une
déclaration du Commissaire responsable, portant que le travail
lui a paru mériter d'être publié.
Le Commissaire responsable soussigné déclare que le tome IV
de Védition des Chroniqdes de Louis XII par Jean d'Auton,
préparé par M. R. de Maulde la Clavière, lui a paru digne
d'être publié par la Société' de l'Histoire de France.
Fait à Paris, le ^ 0 avril i 895.
Signé : BAGUENAULT DE PUGHESSE.
Certifié :
Le Secrétaire de la Société de l'Histoire de France,
A. DE BOISLISLE.
Ce volume contient la Notice sur Jean d'Auton,
qui doit être placée en tête du tome /*"".
NOTICE
SUR
JEAN D'AUTON
Le règne de Louis XII a pour caractéristique, comme on
sait, une sorte de fièvre littéraire. Le mouvement part d'en
haut. Depuis le plus modeste conseiller au Parlement jus-
qu'au cardinal d'Amboise, chacun tient à honneur déjouer
au Mécène : les dédicaces d'Andrelin, deChampier, de Josse
Bade et tant d'autres le démontrent abondamment^ Bouchet
était au service de Louis de la Trémoille^ : MorviUiers^,
1. Bornons-nous à citer les Epistres de Bouchet; les vers insé-
rés'àla suite de Guillermi Piellei, Turonensis, de Anglorum ex Gai-
liis fuga et Hispanorum ex Navarra expulsione (plaq. de 1512-1513,
chez Ant. Bonnemère).
2. Voici une lettre relative à son service :
« Très cher seigneur, je me recommande a vostre bonne grâce
tant de bon cueur que je puis. Vous poursuivez par delà un pro-
cès de criées pour monseigneur de la Tremoille notre maistre
contre Jehan Giffart. Il a paie a l'acquit de'mondit seigneur cent
livres en quelque lieu ou ladite somme estoit deue, au moyen de
quoy on luy a donné terme du demourant jusques a Pasques, et,
s'il ne paie dedans ledit terme, on pourra poursuir lesdites criées
comme auparavant. Dont je vous advertiz, affin que supercedez la
poursuite jusques audit terme. Et, a tant, je pry nostre seigneur
qui vous doint ce que desirez. A Poictiers, ce vn^ jour de février.
« Le tout vostre serviteur,
« Jehan Bouchet. »
(Orig. autogr. Archives de M. le duc de la Trémoïlle. Sur
papier; écriture fine, très lisible, de procureur.)
3. Valerand de Varanis appelle Raoul de Lannoy : « Dulcis mî
Mecena » [Carmen de expugnatione genuensi}, etc.
IV a
ij NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
Ligny, Gié, TrivulceS par exemple, se constituaient pro-
tecteurs des arts ou des lettres 2. Marguerite d'Autriche,
Anne de France^ Louise de Savoie tenaient de véritables
cours intellectuelles^. On se faisait honneur, non seulement
de soutenir, mais de pratiquer les choses de ^esprit^
La cour royale tenait la tête de ce courant. La reine Anne
de Bretagne usait royalement des gros revenus de son duché
personnel et de son douaire; et, comme elle ne redoutait
point le luxe ni la flatterie, les lettres, l'art, les industries
artistiques trouvèrent auprès d'elle un accueil sans rival.
Quant au roi, il dépensait moins largement, parce qu'il se
considérait comme un économe du denier populaire, mais il
encouragea spécialement l'histoire, qu'il s'agît d'histoire
ancienne ou moderne, des origines fabuleuses delà dynastie
ou des faits contemporains*'. D'abord, il hérita des protégés
1. Bibl. Trivulziana, à Milan, cod. 2062 : recueil de poésies de
Grassus, Scaurus, Nagonius et autres.
2. Cf. t. IV, p. 379 et 380, notes.
3. La Bibliothèque nationale a récemment recouvré, par les
soins de M. Léopold Delisle, l'exemplaire de l'Abrégé des Chro-
niques de France, par Regnault Havart, offert par l'auteur à Anne
de France, vers 1500 (voy. Notice d'un choix de manuscrits des
fonds Lihri et Barrais exposés dans la salle du Parnasse français,
par M. Delisle. Paris, 1888, p. 30, n» 120).
4. V. notre livre Louise de Savoie et François I<"\ trente ans de
jeunesse. Cf. Quentin-Bauchart, les Femmes bibliophiles de France.
Paris, Morgand, 1886, 2 vol. ia-4o.
5. II était de bon ton de « fuir l'oisiveté » et de cultiver person-
nellement les lettres. Jean Bouchât rapporte que le prince de
Talmont,
« Par passetemps, rondeaux faisoit
Et composoit... »
[Le Temple de bonne renommée, éd. de 1517, fol. ix.) Le duc
Charles de Bourbon appartenait à cette môme école. Aune de
Graviile était une femme de lettres, etc.
6. Nous avons indiqué, dans la Revue de l'Art français, 3" année,
NOTICE SUR JEAN DAUTON. iij
de son prédécesseur, des « Paulus ^milius, » des « Nago-
nius, » des Simon « Nanquerius^ ; » il en acquit d'autres en
Italie; lorsqu'il entre à Milan en 1499, il agrée l'hommage
de la Genealogia Vicecomitum, de Tristano Calco, ce
serviteur des Sforza^. A Pavie, en 1507, il demandait insi-
dieusement à Jason Maino pourquoi, célèbre professeur, il
ne s'était pas marié, et Maino de répliquer très hardiment :
Ut, te commendante , Julius pontifex ad purpureum
galerum gestandum me habilem sciat^. En 1510,
Louis XII recommande même au pape pour des bénéfices le
célèbre Pierre Martyr d'Anghera^ pourtant son adver-
saire. . .
On voit ainsi comment se récompensaient les mérites litté-
raires, non par de l'argent, mais par des charges. Aussi la
plupart des écrivains, comme Gaguin, Antoine du Four, Ni-
cole Gilles, Michel Riz, Amaury Bouchard, Laurent Bureau,
Claude de Seyssel, Jean Lascaris, Louis Hélien, Guillaume
Budé, Charpentier, Villebresme, Octovien de Saint-Gelais,
Jean de Saint-Gelais et autres occupèrent des charges de
cour ou des fonctions publiques, et on connaît leur vie lors-
qu'elle s'est trouvée mêlée à des aventures retentissantes,
comme celle des Saint-Gelais, ou à des missions impor-
tantes, comme il advint à Riz, à Hélien, à Seyssel...; autre-
janvier 1886, p. 2, les motifs qui paraissent reculer au règne de
Louis Xn la date de la rédaction des précieux Mémoires de Fenin,
publiés par M"e Dupont pour la Société de l'histoire de France.
Cf. fr. 25295.
1. Les poésies de celui-ci ont été publiées en 1606, à Paris,
in-B", sous ce titre : Opusculum de funere Caroli VIII, cum com-
mentario. Elles contiennent des vers à Ghr. de Billy, à Gaguin, à
Faustus Andrelinus. Cf. Bibl. nat., ms. nouv. acq. lat. 169, fol. 80.
2. Trivulziaua, ms. 1436, p. 445-453.
3. P. Jove, Vie de Jason Maino.
4. Voy. notre Diplomatie au temps de Machiavel, t. III, Pièces
justificatives.
iv NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
ment, elle échapperait, et l'on ne sait rien de ceux qui,
volontairement modestes, se sont dérobés au bruit. Nous
connaissons Jaligny comme secrétaire du duc de Bourbon",
Nicole Gilles comme secrétaire du roi^; le Sala, qui a
écrit Fables et emblèmes en vers, traduit le roman
de Tristan, décrit les Prouesses des princes, par des
mentions administratives^. Cependant, sur une requête de
Nicole Gilles, le roi lui accorde une pension de cent livres
et une patente où il énumère ses services ^ Un peu plus
tard, Humbert « Velay », d'Aix en Savoie, louangeur de
Georges d'Amboise"* et historien de Louis XII, écrira aussi
pour réclamer des honoraires ^.
Jean d'Auton appartient à la catégorie des âmes simples,
dont on ne sait rien. On a été jusqu'à présent réduit aux
conjectures pour retracer son existence.
L'on n'a pas même pu se mettre d'accord sur son origine,
1. X<a 9320, 62; lettre de Charles VIII au Parlement. Il lui
envoie Nicole Gilles, son secrétaire, contrôleur du trésor à Paris,
pour parler de certaines affaires. Moulins, 15 février (1490). — Nicole
Gilles, notaire et secrétaire du roi, clerc et contrôleur de son trésor,
fit de ses deniers bâtir la chapelle Saint-Louis à l'église Saint-
Paul à Paris. Il y fut enterré. Il mourut le 10 juillet 1503; son
épitaphe est rapportée ms. fr. 5527, année 1503.
2. Fr. 26110, 729. 15 déc. 1506. Distribution de sel ordonnée
pour dépenses de maison, en payant le droit du marchand seule-
ment : Les deux élus du Lyonnais, à chacun six "îjuintaux; à des
receveurs, contrôleurs;... « à la poste Estienne Neel, im quin-
taulx; à la garde dez mignes Jehan Sala, iiii q.; à l'escuyer Sala,
son frère, nii q.; » à des magistrats, religieux, fonctionnaires
administratifs... — Un Jean Salât était maître des requêtes du
duc d'Orléans en 1491. Pierre Sala était valet de chambre de Fran-
çois I^r (fr. 21449).
*" 3. Fr. 25717, fol. 147.
4. Vers latins pour le tombeau de G. d'Amboise : « Humbertus
Vellietus Acquensis Allobrox dicavit » (ms. Clair. 943, fol. 126).
5. Lettre d'Humbert Yelliet au chancelier : Ghambéry, jeudi
(J. 967).
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. v
ni sur la simple orthographe de son nom. On l'a appelé par-
fois « d'Anton, Danton » ou « Danthon*. » Laissons de côté
l'apostrophe et 1'^, qui ne constituent que des variantes sans
importance; reste à savoir s'il faut lire un u ou un n,
« Anton » ou « Auton. »
Nous ne croyons pas qu'il puisse à cet égard subsister de
doute sérieux ; la leçon Anton appartient à des copies secon-
daires^ ou à des textes imprimés^; or, de tout temps, mais
surtout au commencement du xvi^ siècle, il faut se défier
des compositeurs d'imprimerie et des copistes^. Dans d'autres
textes, le scribe ou l'imprimeur nous donne Auton^; par-
fois même, l'une et l'autre version se suivent ou s'alternent®.
1. La leçon Anton dans Roman, Chronique du Loyal serviteur;
Dupuy, Traité des droits du Roy, p. 20.
2. Ms. fr. 1953, fol. 23 : « Jehan Danthon. »
3. L'Exil de Gennes, à la suite de les Triumphes de France, plaq.
goth. de 1508 (« Jehan Danton s); les Espistres envoyées au Roy,
plaq. goth. de 1509 (quatre fois : « Danton ») ; J. Le Maire, Plaincte
sur le trespas de feu messire de Ryssipat (« Abbé Danton »); Le
Maire, Illustrations de Gaule, 3^ partie, l''^ éd. (« l'abbé Dange en
Poitou, damp Jehan Danton »). M. Picot pense qu'on prononçait
« Dauton » même en écrivant « Danton » [Revue d'histoire litté-
raire de la France, n° 2, p. 146, note).
4. Dans son Epistre aux imprimeurs, Jean Bouchet les exhorte
à publier désormais ses œuvres plus correctement (Epistres morales
et familières du Traverseur. Poitiers, 1545).
5. Fr. 1716, fol. 6 : « Jehan Dauton; » fr. 5087 : « J. d'Authon; »
fr. 1952 : « frère Jehan d'Authon; » Epistres familières de Jean
Bouchet, éd. de 1545 (épîtres 57, 67) : a Jehan Dauthon; » Épîtres
insérées en tête du Panégyrique de Jean Bouchet, l'^e éd. : « Jehan
Dauthon. »
. 6. Le ms. 23988 de la Plainte du désiré, par Le Maire de Belges,
porte « Dauton; » le ms. 1683 de la même Plainte : « Danton. »
Le bibliophile Jacob fait remarquer que, dans la 67« épitre fami-
lière de Jean Bouchet, « Jean d'Authon » rime avec « haut ton, »
mais que d'autre part, dans l'Épître de Crétin à Macé de Ville-
bresme, il rime avec « en ton. » Nous devons toutefois observer
vj NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
Mais nous possédons les textes officiels et authentiques des
Chroniques de Jean d'Auton ; ces manuscrits portent tous
Auton. M. Richard, archiviste de la Vienne, a découvert*
aussi et a bien voulu nous communiquer un bail notarié, où
notre auteur comparaît comme abbé d'Angle le 27 avril et
le 28 août 1522, et, dans cet acte, le notaire a écrit « Jean
Dauton. » Le rôle officiel des Officiers de Vostel du Roy
l'appelle également « Dauton ^ » Denis et Théodore Gode-
froy, le bibliophile Jacob ont donc eu raison de conserver le
nom, traditionnellement accepté, à'Auton^.
Ce premier point fixé, il reste à rechercher le pays d'ori-
gine de Jean d'Auton, question qui présente d'ailleurs un
intérêt médiocre pour la critique, car il est très clair que
l'écrivain, écho de certaines inspirations, fait abstraction de
sa personnalité dans la rédaction de ses Chroniques, et ne
se laisse guider par aucune considération locale. Trois
indices nous permettent cependant de l'éclaircir : 1° Jean
d'Auton a l'habitude personnelle de commencer l'année au
25 mars"*; 2° il s'étend, avec beaucoup de complaisance,
avec une bienveillance anormale et des détails de première
main, sur les faits et gestes d'un certain Antoine d'Auton,
pour lequel il éprouve évidemment une sympathie particu-
lières et dont il connaît fort bien le pays; 3" il appartenait
que, dans le ms. fr. 1711, fol. 13 v% de cette épître, le nom est
écrit « Dauton. » L'Exil de Gennes, imprimé en 1508 pour Guil-
laume Eustace, à la suite des Triumphes de France de J. d'Ivry,
est a faict par frère Jehan Danton, » mais la table des matières
porte « Dauton. »
1. Archives de la Vienne, abbaye d'Angle.
2. Ms. fr. 3087, fol. 39.
3. Ainsi que Brunet, Grœsse, etc.
4. T. I, p. 241, n. 2.
5. Ce d'Auton avait pour ami et compagnon un seigneur
d'Aunis, Jean Ghappcron, que, dans tout le cours de ses Ghro-
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. vij
à une famille seigneuriales car Bouchet le déclare, dans son
Épitaphe, « un bon seigneur,... noble de sang,... noble
des deux côtés^. » Ainsi, Jean d'Auton appartenait à une
X famille des seigneurs d'Auton ; sa seigneurie se trouvait dans
un pays de comput dit florentin, et il ne paraît pas étranger
à Antoine d'Auton.
A cette époque^, il y a une seigneurie d'Auton dans le
ressort de Châteaudun S qui ne peut nous arrêter, puisqu'elle
se trouvait dans un pays de style de Pâques et qu'elle appar-
tenait à la maison d'Armagnac ^ A défaut de celle-là,
niques, Jean d'Auton met constamment en relief, sous les plus
minces prétextes (voy. Table des matières, v° Ghapperon).
1. On peut, à ce sujet, remarquer aussi son plaidoyer en faveur
de la chasse (t. III, p. 102), bien qu'au dire de Bouchet il n'en
usât pas personnellement.
2. Cette déclaration écarte de suite un grand nombre de syno-
nymes, les noms de Dauton, Danton ou équivalents étant extrê-
mement répandus. Ainsi nous trouvons des Danton bourgeois de
Rouen (Pièces orig., G. des T., t. 973, n» 21530; t. 980, n» 21865);
bourgeois d'Aubusson (l'un d'eux, à la fin du xvi« siècle, s'appelle
même Jean Dauthon ou Danthon. Ibid., t. 973, n" 21533); des
Dautan laboureurs à Vincennes, à Montreuil près Paris (Ibid.,
t. 980, n° 21862). Un faux monnayeur picard s'appelle Nicolas
d'Auton (ou Dautun. JJ. 234, 83).
3. Il y a actuellement : Authon (Basseg- Alpes), 201 hab., arr.
de Sisteron; Authon (Charente-Inférieure), 690 hab., arr. de Saint-
Jean-d'Angély ; Authon (Eure-et-Loir), 1,427 hab., arr. de Nogent-
le-Rotrou; Authon (Loir-et-Cher), 1,016 hab., arr. de Vendôme;
Authon-la-Plaine (Seine-et-Oise), 655 hab., arr. de Rambouillet;
Anthon (Isère), 356 hab., arr. de Vienne.
4. Ms. Moreau 365, p. 56 (mention).
5. Auton ou Anthon. Inventaire des titres de la maison de Bour-
bon, II, p. 436. Cf. R^ 580, 32. Procès entre la duchesse d'Orléans
et le comte du Maine. Arrêts du Parlement du 8 mai 1470; ordon-
nance du conseiller Briçonnet, commis le 22 septembre 1471;
procès-verbal du même, 15 juillet 1471, pour AUuye, Authon,
Montmirail, Bazoche... Briçonnet, du consentement des officiers
viij NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
devons-nous rattacher Jean d' Anton au Dauphiné ou à la
Saintonge, deux provinces où l'on commençait l'année au
25 mars *■ ?
On a quelquefois voulu faire de Jean d'Auton un dauphi-
nois, et, à l'appui de cette opinion, on pourrait observer qu'il
emploie souvent une expression provinciale, mais surtout
lyonnaise et dauphinoise^ « aller de Lyon en France ^ »
Aubert du Rousset, gentilhomme dauphinois, commandait
une compagnie d'hommes d'armes, composée, au dire d'Ay-
mar de Rivail, de dauphinois, et, dans cette compagnie,
nous trouvons un Cyprien d'Auton homme d'armes, peut-
être dauphinoise Enfin, Jean d'Auton ne s'exprime pas en
poitevin quand il appelle^ Cytran Gilbert des Serpens, sei-
gneur de Châtain en Poitou^.
Mais, d'autre part, sous le fatras conventionnel du
langage savant de ce temps, Jean d'Auton laisse percer
des traces du langage poitevin et saintongeais. Ainsi, il
du comte, leur enjoint de ressortir du gouverneur du duché d'Or-
léans et d'Ienville (Janville).
1. « Le XXV de mars, jour de Nostre Dame, auquel l'église gal-
licane commençoit a compter mil cinq cens et xn..., » dit Jean
Thenaud, cordelier d'Augoulême [le Voyage d'outremer, publ. par
M. Schefer, p. 35).
2. En tout cas, elle exclut l'idée de rattacher Jean d'Auton au
Perche ou au Dunois; elle était d'ailleurs conforme à la coutume.
Ainsi Jean d'Auton dira de même : « gascon, françoys, savoizien »
(III, 129), pour distinguer trois personnes diverses.
3. T. I, p. 312.
4. T. I, p. 212.
5. T. I, p. 24.
6. Nous devons observer sur ce point que le nom de Chitain
subit les plus nombreuses variantes. Dos Serpens lui-même signe
« Ghitan » (ms. Dupuy 2G1, fol. 191), « Chitain » (Titres orig.,
n» 7 : reconnaissance de son beau-frère Gaspard de Goligny ; n* 8).
Gf. fr. 21449, passim. Jean des Serpens s'intitulait, en 1488,
« Gytain » (ibid., n° 5), etc.
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. ix
dira : « Entour la feste sainct HylaireS » en bon poite-
vin. Il prononce et écrit « cheulz » (chez), « fayerye »
(féerie) ^.. Enfin, ses relations personnelles sont poitevines.
Son protégé et sou meilleur ami est Jean Bouchet, qui lui a
adressé des épîtres, qui a confectionné son épitaphe et qui
se fait gloire de suivre ses préceptes. Avec Jean Bouchet,
Jean d'Auton trouve encore un prôneur, plus exclusivement
poitevin, s'il se peut, dans la personne de Pierre Gervaise,
poète fort obscur de Poitiers, connu par une épître, conser-
vée dans les œuvres de Bouchet, où il exalte Jean d'Auton ^.
Ainsi, notre auteur nous apparaît comme le patron naturel
des poitevins qui aspiraient aux bienfaits de la cour et aux
honneurs du beau langage^. On objectera qu'il se rattachait
au Poitou comme abbé d'Angle ; mais Jean d'Auton, selon
l'usage du temps, ne résida point dans son abbaye, si ce
n'est à la fin de sa vie ; il ne pouvait même pas y résider,
puisqu'il suivit professionnellement la cour. Il fut également
prieur de Clermont-Lodève , et, de ce côté-là, on ne lui
trouve aucunes relations semblables. Enfin, et surtout,
observons que Jean Bouchet fut l'élève de Jean d'Auton ; il
le dit à plusieurs reprises s; or, Bouchet fit ses débuts à la
cour un peu avant la mort de Charles VIII ^ ; d'Auton reçut
son abbaye de Louis XII, et ainsi il faut supposer des rap-
ports antérieurs.
i. T. m, p. 103.
2. « Queurée, » pour curée (III, 102).
3. Bouchet, Épîtres familières, ép. 22, fol. 22 v°.
4. L'abbé Goujet va même jusqu'à dire qu'il était de Poitiers.
Bayle, Dreux du Radier, Rainguet {Biographie saintongeaise.
Saintes, 1851) le rattachent sans hé^tation à la Saintonge.
5. "Voy. ci-après.
6. Florimond Robertet voulut bien présenter à Charles VIII un
échantillon de ses vers (J. Bouchet, Panégyrique, Dédicace à
Robertet).
X NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
Quant aux autres indices en faveur du Dauphiné, ils
cèdent devant le fait que la baronnie d'Anton (avec un n'), en
Dauphiné, appartenait au sire du Bouchage^, qui en portait
le titre ^, et avec lequel Jean d'Auton n'a incontestablement
aucun rapport. La circonstance que Jean d'Auton connais-
sait bien Lyon et qu'il a pu employer une locution dauphi-
noise ou lyonnaise ne prouve rien, attendu qu'il fit à Lyon
avec la cour des séjours fréquents et prolongés; il connaît
Lyon beaucoup mieux que Paris^
Au contraire, la baronnie d'Auton^, en Saintonge, appar-
tenait à une famille d'Auton, peu célèbre, mais dont nous
rencontrons çà et là des traces dans l'histoire^. Un Loyset
1. Échange entre le dauphin de Viennois et les seigneurs
d'Anthon confirmés par Louis XH, oct. 1498; fr. 2900, fol. 39.
2. Imbert de Batarnay, chevalier, baron d'Anthon et du Bou-
chage; fr. 2919, fol. 63, acte de 1497. Lettre de d'Aumont à
M"e d'Anthon, sa nièce. Amboise, 3 oct.; fr. 2965, fol. 64. Cf.
t. II, p. 146, n. 3.
3. Voy. t. m, p. 347.
4. Il connaît même très peu Paris (t. U, p. 221).
5. Actuellement Authon, cant. deSaint-Hilaire-de-Villefranche,
arr. de Saint-Jean-dAngély (Charente-Inférieure).
6. D'après Beauchet-Filleau et de Ghergé (Dictionnaire
des familles de l'ancien Poitou. Poitiers, 1841, t. I, p. 156), la
famille d'Authon, d'Auton ou d'Aulthon, comptait un grand
nombre de membres au xv^ siècle; ces auteurs citent : Jean,
écuyer, seigneur de Béruges, en '1424; Jacques et Louis, brigan-
diniers du sire de Bressuire, 1467 ; un bâtard, archer, en 1485-1491 ;
Ythier, habitant près de Givray, 1491-92; Ythier, seigneur de
Vausay, archer, 1492; Jean (de Ghampault), archer, 1491-92;
Antoine, homme d'armes, 1506; Charles, homme d'armes delà
compagnie La Trémoille, 1517, 1519; divers des xvi« et xvii« siè-
cles. Les armes sont : de gueules, à aigle éployé, couronné d'or.
— La nouvelle édition de Beauchet-Filleau (I, 188) donne la filia-
tion suivante : Jean d'Authon, écuyer du duc de Guyenne (1472),
épousa Marguerite de Mareuil, dont il eut : 1« Nicolas, qui épousa
Isabeau Flament de Bruzac (sans postérité) ; 2° Pierre (aveu en
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. xj
Dauton, écuyer, était même homme d'armes de la compa-
gnie personnelle de Louis XII avant son avènement, et
reçoit de lui une gratification de quarante livres, par le minis-
tère de Jacques Hurault, le 6 mai 1485* ; notre chroniqueur
put donc trouver à la cour des voies préparées. Ajoutons
que la famille d'Auton tint par la suite un rôle de plus en
plus brillant en Saintonge. « Seguin Dauton, seigneur baron
.dudit lieu, » était en 1610 sénéchal de la province^ De
1487 au seigneur de Taillebourg), qui épousa Souveraine Flament
de Bruzac, dont il eut : 1» Antoine; 2° Isabeau (qui épousa,
le 30 septembre 1500, Georges Guy); 3" Marie (qui épousa, le
6 mars 1504, Ant. Goulard, s. de la Boulidière). Antoine, homme
d'armes, à qui on rapporte les aventures d Antoine d'Auton
décrites dans Jean d'Auton, épousa vers 1500 Anne de Saint-
Gelais, de la branche de Séligny, et en eut plusieurs enfants.
Mais cette filiation est inexacte ou incomplète, car elle n'établit
rien pour notre Jean d'Auton, ni pour un autre Jean d'Authon,
écuyer du duc de Guyenne, qui nous est connu par une quittance
de ses gages, d'avril 1472 (fr. 6990, fol. 200). Un Chariot d'Auton,
gentilhomme saintongeais, et certainement proche parent d'An-
toine, figure aussi à la fin du xv^ siècle, dans une assez fâcheuse
affaire, l'enlèvement d'une jeune fille (JJ. 233, fol. 112 et suiv.).
Les Roolles des bans et arrière bans de la 'province de Poictou...
(extraits des originaux estans par devers Pierre de Savezay,
escuyer, sieur de Bois-Ferrand. Poitiers, 1667, in -4°) citent
encore : Daulton Jacques, Daulton Louys, brigandiniers du sire
de Bressuire en 1467 (p. 17); et, en 1491, dans l'arrière-ban, Daul-
ton Ytier (de Civray), pour son père, qui est vieux de soixante-
quinze ans (p. 41), le même Daulton Ytier, pour son père, s. de
Vansay (p. 69); le môme, en archer : on lui enjoint d'avoir des
gantelets; Dauthon Jean (p. 57), en archer (de Ghampault, contrée
de Niort). Cf. ms. Clairambault 3, cl. 5, n» 90, une quittance de
Hugues Dauton, chevalier, en Saintonge (1337). Enfin un sceau
d'un Guillaume d'Auton, au xm^ siècle (Hist. du Languedoc, V,
pi. 5, no 63), difi'ère tout à fait de celui décrit par M. Beauchet-
Filleau. On manque donc, en résumé, de données précises.
1. Cabinet des titres, Pièces orig., t. 77, n" 1549.
2. Quittance d'un quartier de gages, 24 mai 1610. Cabinet des
titres, Pièces orig., t. 973, n» 21539.
xij NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
plus, Jean d'Auton qualifie expressément de Saintongeals le
seigneur d'Auton dont il parle.
Jean d'Auton naquit donc en Saintonge, et en 1466 ou
1467, puisqu'il mourut en janvier 1528, âgé, selon son épi-
taphe, de soixante ans <^ ou plus. » Il était religieux de
l'ordre de Saint-Benoît^. Nous ne savons rien de ses œuvres
avant l'année 1499, à moins que l'on ne veuille reporter à
cette première période de sa vie une traduction des Méta-
morphoses d'Ovide, que nous ne connaissons que par une
citation de Jean Bouchet^ ; mais cette hypothèse nous paraît
peu vraisemblable ; ses œuvres proprement littéraires appar-
tiennent à la fin de sa carrière ; nous pouvons établir la date
de toutes les autres, et nous serions porté à assigner aux
Métamorphoses une date analogue^. Sans doute, Ovide se
trouvait fort à la mode sous le règne de Charles VIII, et
l'évêque d'Angoulême, Octovien de Saint-Gelais, lui dut
alors une partie de sa faveur; mais, sous Charles VIII,
personne ne connaissait encore Jean d'Auton ^ Tout d'un
1. Godefroy dit, par lapsus, de l'ordre de Saint-Augustin. Cette
erreur vient de Jean Bouchet, dans une épître adressée à Jean
d'Auton lui-même (en tête du Panégyrique).
2. 67e épître, à la fin (éd. de 1545) : épître à « Révérend père
en Dieu frère Jehan Dauthon, abbé d'Angle et croniqueur du feu
Roy Loys XII, faisant mention du jeu du monde; » et « Res-
ponce faicte par ledict révérend abbé d'Angle... »
3. Bien que Jean Bouchet, lors de la mort de Jean d'Auton,
cite les Métamorphoses comme une œuvre d' « autrefois. »
4. Le bibliophile Jacob, qui cite les vers suivants de Gervaise :
«... Que [Jean d'Auton] vis jadis en son saint hermitage
De l'origine composer maints beaux faits..., »
est porté à interpréter ces expressions ambiguës dans le sens d'un
commencement de Chronique, qui devait remonter à l'origine des
Français. Nous croirions plutôt, mais sans pouvoir rien affirmer,
que Gervaise fait allusion à quelque œuvre de début; probable-
ment, Jean d'Auton avait dû composer d'abord, au fond de son
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. xiij
coup, ce personnage sans ambition, jeune, modeste, peu
remuant, conçoit et exécute le projet d'écrire une relation
presque officielle de la campagne de Milan, avec un poème
solennel, redondant et insipide, mais de circonstance, les
Alarmes de Mars. Il prend la peine d'aller à Milan. Il
présente son œuvre sans la signer, mais le bibliophile Jacob
a parfaitement eu raison d'y suppléer sa signature*. D'où
put lui venir cette brusque ambition de se faire l'historio-
graphe de la cour? Qui donc tira Jean d'Auton de son cou-
vent pour lui inspirer un acte aussi officiel^? qui lui en
donna les moyens? qui lui fit espérer le succès? Ici, nous
n'avons guère de doute : c'est la reine Anne de Bretagne.
Outre que nous reconnaissons là le procédé de la reine Anne,
Jean d'Auton, à plusieurs reprises, s'avoue son protégé; le
début de cette protection se rapporte précisément à la prise
de possession par Anne de Bretagne de son douaire. Malgré
son mariage avec le nouveau roi Louis XII, la reine con-
serva, avec une administration à elle, sa très opulente dota-
tion de reine douairière, comme veuve de Charles VIII ; les
vastes domaines qui lui furent ainsi attribués s'étendaient
surtout en Saintonge, autour de la Rochelle et de Saint-
cloître, un roman de « beaux faits, » selon la mode du temps.
Rien, dans sa Chronique, n'annonce un préambule ambitieux ni
même un préambule quelconque, au contraire.
1. Avant lui, Th. Godefroy s'était aperçu que le récit de 1499
était de Jean d'Auton et l'avait réuni à la Chronique de 1501-
1506, dans une copie actuellement à la bibliothèque de l'Institut
(ms. Godefroy 228).
2. Jean d'Auton ne rédigea qu'en 1500 la chronique de 1499
(t. I, p. 90, n. 2), mais il agit dès 1499 avec des allures officielles,
voyant par lui-même une partie des choses (il fit le voyage de
Milan) et s'informant des autres par enquêtes (t. I, p. 4, n. 1; 87,
n. 2), et déjà alors il se plaint de la difficulté de se montrer exact
et impartial (p. 109).
xiv NOTICE SUR JEAN D'âUTON.
Jean-d'Angély, qui y étaient compris ; le douaire compor-
tait aussi des domaines en Languedoc, près de Montpellier.
Or, par une coïncidence digne de remarque, le moine que
nous croyons saintongeais débute à la cour au moment de
la constitution du douaire, et il va, en récompense de ses
travaux, recevoir des bénéfices en Poitou, puis près de
Lodève.
Cette remarque est fort importante pour la critique des
Chroniques. La reine, dont on sait l'esprit volontaire, joua
un grand rôle dans les faits que rapporte Jean d'Auton ;
c'est elle qui, passionnée pour l'indépendance de la Bretagne,
poursuivit une lutte ardente et opiniâtre en vue de marier
sa fille Claude au fils de l'archiduc, en lui donnant comme
dot une partie de la France. On connaît ces mémorables
événements, couronnés par le procès du maréchal de Gié,
par la brouille du roi et de la reine, par le mariage de
Claude avec le comte d'Angoulême. Or, dès le début de ses
Chroniques (et c'est le plus grave reproche qu'on puisse
leur adresser) , Jean d'Auton s'inspire manifestement des
goûts, des idées et, pour tout dire, de ïécole de la reine.
Cette tendance, dont il faut tenir compte en utilisant son
récit, est sensible sur bien des points et l'entraîne jusqu'à
contrecarrer même dans certaines circonstances les idées du
roi et du cardinal d'Amboise. Ainsi, une dépêche du résident
vénitien Dandolo, du 18 février 1502 (anc. st.)^ expose que
César Borgia se soutient à la cour par l'appui politique du
cardinal d'Amboise et qu'il a contre lui une grande influence,
la reine; en l'absence du cardinal, le parti de la reine ne se
gênait pas, dit l'ambassadeur, pour murmurer, pour accuser
le roi de laisser le Valentinois trop lever la crête et deve-
1. Archives de Venise.
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. XV
nir dangereux; le roi se borne à hocher la tête, en disant
qu'il ne laissera pas dépasser les bornes... Eh bien, Jean
d'Auton, dans ses écrits officiels, n'imite point la réserve
du roi; il témoigne au Valentinois une haine profonde ^
Bien plus ! on dirait qu'il craint de le nommer ou de
le qualifier; il recourt à des subterfuges amusants; il
appelle César « nepveu du frère du pape-, » pour dire
« fils du pape » sans le dire. Cyprien d'Auton servait
dans la compagnie Valentinois, dont Aubert du Rousset
était lieutenant ; Jean d'Auton appelle cette compagnie Du
Rousset.
Pourtant, lorsque le rôle antipatriotique de la reine s'ac-
centue et aboutit à un éclat, Jean d'Auton commence à
éprouver un certain malaise et modifie légèrement son
accent. Il parle encore du procès du maréchal de Gié comme
on le faisait dans l'entourage de la reine, mais déjà il donne
à son récit un préambule d'étonnement et de philosophie. Il
applaudit néanmoins à la chute du maréchal, et il obtient
aussitôt après de l'avancement. L'influence de la reine se
fait encore jour dans le récit du mariage de Claude de
France et dans la longue mention accordée à Antoine
Duprat, cet astre naissante Le chroniqueur pousse même la
conscience jusqu'à déclarer « très belle » la pauvre Claude
de France, qui était si laide. Mais peu à peu l'inspiration
de la reine décroît. Le consciencieux chroniqueur a pris au
sérieux son rôle officiel ; il cherche à plaire au roi, auquel
il offre des poésies ; il se débat contre les influences avec un
véritable souci d'indépendance. Aussi sommes-nous fondé à
croire que son étoile pâlit près de la reine. Nous le voyons
4. Voy. notamment t. U, p. 87.
2. T. n, p. 12.
3. T. IV.
xvj NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
supplanté par d'autres dans les faveurs d'une princesse
bonne, mais exigeante ; Jean Marot écrit, pour la reine, le
récit de l'expédition de 1507; il l'écrit en vers, avec un
accompagnement de miniatures fort soignées; la reine le
prend pour poète, et, peu après, elle prend Jean Le Maire
pour son historiographe. A ce moment, Jean d'Auton,
comme nous allons le dire, abandonne la plume de l'histo-
rien et se réfugie dans la poésie. On peut supposer à ces
divers événements un certain lien, nécessairement tout
moral, et il ne serait pas surprenant que la reine, après
avoir valu à Jean d'Auton sa carrière, ait contribué ensuite
à son éloignement.
Jean d'Auton intitule simplement Conqueste de Millan
sa première chronique, non officielle. Il appelle déjà la
seconde Chronique du roy Loys XIF, et la troisième
devient Chronique de France. L'auteur prend alors le
titre d' Historiographe du Roy^. Au début, il suivait son
propre comput, le 25 mars ; il adopte à partir de 1501 le
comput rojal de Pâques ^
A mesure que son caractère officiel s'affirme, sa narration
change de ton; elle devient plus prolixe, plus diffuse, plus
consciencieuse, si l'on veut, et en même temps plus hâtive.
En maint endroit, il proteste de son soin et de son loyal
désir d'impartialité^; il nous renseigne sur sa manière de
1. Le récit de 1499 est un récit abrégé, fait évidemment en vue
d'appeler l'attention du prince. Jean d'Auton dit lui-même qu'il
le fait dans du temps dérobé à d'autres occupations. Le récit de
1500 forme déjà un tout plus vaste et plus complet. Le récit de
1501-1506 forme un volume tout à fait officiel.
2. T. n, p. 3.
3. Voy. t. III, p. 158. Il insiste sur son extrême désintéresse-
ment. Il ne prend la plume, dit-il, que parce qu'il ne peut tenir
l'épée, par haine de l'oisiveté, qui engendre la volupté (ibid., et I,
3, 109, 117).
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. xvij
composer*, et, plus il va, plus il multiplie ces affirmations 2.
Il suit partout la cour; il accompagne le roi dans ses expé-
ditions en Italie^; il fraie avec les capitaines, avec les
hommes d'armes de tout grade ; il ne craint pas de boire
et de manger avec eux^, d'aller sur le champ de bataille^,
lui, religieux des plus paisibles, pour se faire une idée
de l'art de la guerre et recueillir sur l'artillerie, sur les
bandes, sur les exploits de tel personnage, des renseigne-
ments précis, authentiques. Déjà, sous Charles VIII, An-
dré de la Vigne, commis « à mettre par écrit ce présent
voyage, » avait accompagné le roi à Naples, en lui présen-
tant çà et là quelque rondeau de circonstance pour le diver-
tir^. Jean d'Auton fait de même, mais son œuvre est plus
complexe, plus difficile. Il va partout, le calepin à la main,
comme un journaliste de nos jours ', et il lui faut composer sa
1. Il aime surtout parler de ce qu'il a vu (t. I, p. 4, n. i; II, 107)
ou invoquer au moins des témoignages oculaires (III, 164, 166).
En célébrant, sur l'ordre du roi, l'histoire invraisemblable de la
mort de Thomassine Spinola, il a soin de laisser la responsabilité
du récit à Germain de Bonneval (IV, 12), connu alors comme con-
teur de Nouvelles (IV, 361).
2. T. m et IV. Voy. notamment III, 230, 239, 317.
3. Il va à Milan en 1499 (I, 87, n. 2), à Gênes et à Milan en
1502 (II, 245; III, 29, 75), à Gênes en 1507 (IV, passim); il vit à
la cour à Lyon (II, 106; III, 96),àBlois : « ... Vostre abbé d'Angle,
écrit Jean Bouchet à Louis XII,
Lequel vous suit souvent en robbe sangle
Pour mettre au vray par escrit vos haults faits. »
4. Il fait même souper à ses frais et chez lui des gens d'armes
pour en tirer des récits exacts (III, 317).
5. A Gênes, en 1507, il prend ses renseignements sur le
champ de bataille et de visu (III, p. 229; IV, p. 12).
6. Godefroy, Hist. de Charles VIII, p. 189.
7. Notamment t. III, p. 315. — 11 est en cour, « aux escoutes, »
dit-il (III, 339).
IV h
xviij NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
Chronique sur-le-champ, afin de la remettre au roi sans trop
de délai ' . Ajoutons que la Chronique, aussitôt livrée en pâture
à un certain public, valait à son auteur une grande répu-
tation^ et bien des critiques. Gratifié, en 1505, par le cardi-
nal-légat d'Amboise du prieuré de Clermont-Lodève, où il
se trouvait dans la dépendance directe du cardinal de Nar-
bonne, neveu du légat, Jean d'Auton est à la fois satisfait ^
et gêné. Il n'aimait point la lutte ; il écrivait par goût, pour
éviter l'oisiveté , pour exalter les bons et réprouver les
méchants. Quand il vit qu'une si noble mission lui attirait des
attaques et des dégoûts (à propos desquels il s'exprime avec
une certaine amertume dès 1503^), son découragement sur
{. T. III, p. 289, il dit que César Borgia, arrêté en 1504, pas-
sera probablement le reste de sa vie en prison. Sa chronique de
1499 fut rédigée en 1500, celle de 1500 en 1502 (I, 318).
2. m, 317. Dès 1503, évoquant la Rhétorique sur la tombe du
comte de Ligny, Jean Le Maire de Belges met les vers suivants
dans la bouche de cette dame :
« Encores est hors de ce mondain fabricque
Ung mien privé Robertet magnificque,
Qui mon feu George en grant pleur honnoura;
Et Sainct Gelais, coulourant maint canticque,
Pleurant son Roy plus cler que nulle antique,
Les a suivy; si croy que Rhetoricque
Finablement avec eulx se mourra.
Ung bien y a que encor me reste et dure :
Mon Molinet, moulant fleur et verdure,
Dont le hault bruyt jamais ne périra;
Et ung Crétin, tout plain de flouriture,
Qui le conserve en vigueur et nature;
Et toy, Dauton, car la sienne escripture
Et ta Cronicque a tousjours flourira. »
Le Maire cite ensuite le second Robertet, et les musiciens
Josquin de Prez, Hilaire Évrart.
3. IV, 27.
4. En tête : ch. xxiv; fin du ch. xxir; t. III, p. 317. Dès 1499,
il commençait à se plaindre (I, 109).
NOTICE SUR JEAN DAUTON. xix
l'impossibilité de satisfaire tout le monde s'accentue de plus
en plus et finit certainement par lui inspirer le désir de
laisser là son rôle et de rentrer dans la paix.
Pour rédiger ses Chroniques, Jean d' Au ton ne devait d'ail-
leurs consulter que ses propres forces ; on ne lui prêtait aucun
appui officiel'. Aussi a-t-il rarement un document entre les
mains 2 et ignore-t-il des faits très importants, notamment
les négociations, et il l'avoue 3.
Il raconte les faits extérieurs, ce qui se sait à la cour,
et cela sans parti pris; il représente ordinairement l'opi-
nion moyenne. C'est un excellent homme, d'esprit peu
distingué, plein de bonne volonté et de bienveillance,
sincère et honnêtement naïf. Soit réserve, soit éloignement
naturel ou professionnel pour les intrigues, on s'aperçoit
qu'il ne connaît pas à fond le personnel de la cour, parce
qu'il commet de petites méprises d'appellation'*. Plusieurs
1. Il se plaint amèrement qu'on ne lui dise rien et rejette sur ce
silence les lacunes qui peuvent se trouver dans ses récits (UI, 317).
2. Cependant il donne le texte d'une trêve et le texte des dis-
cours de Gênes en 1507. Il invoque aussi (t. III, p. 167) un rap-
port officiel ennemi. A la même époque, la Chronique rédigée
par Haneton, premier secrétaire du roi de Castille, ne comprend
presque, à l'inverse, que des documents.
3. II, 213; t. III, négociations de 1504; k IV, p. 343, négocia-
tions de Savone; négociations de 1505 (« a porte cloze, quant a
moy. ï m, 358).
4. Ainsi il appelle Gaspard de Goursinges « Menna j (t. I),
« Aymer » (t. Il, p. 12, 278); Charles de Bourbon, comte de
Roussillon, « Jacques » (II, 189), ou « Louis » (II, 21); Etienne
Poncher, évèque de Paris, « Jean » (passvn); Louis de Gastelba-
jac, « Bertrand » (II, 21); Jacques de la TrémoïUe, seigneur de
Mauléon, « François s (II, 12); le marquis Louis de Saluces,
« François; » Louis de Bigars, seigneur de la Lande, tantôt « Jean
de la Lande » (II, 13, 278), tantôt « Pierre de la Lande » (II, 287,
290) ; le sire de Rohan, « vicomte de Rohan » (I, 73) ; Antoine
Duprat « Jean Du Prat » (III, 230).
XX NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
de ces confusions sont d'ailleurs imputables à la hâte de la
rédaction*.
De même, il a quelquefois erré, soit sur des faits d'his-
toire^ soit sur des détails de géographie^ En général, ces
légers lapsus ne présentent pas de gravité (comme on peut
le voir par les spécimens que nous citons) ; il appartient
à l'éditeur de les reviser, d'unifier par une table des
matières les variations , et on ne saurait tenir rigueur à
l'auteur, qui, évidemment, recherchait ses renseignements
avec beaucoup de soin, qui les a pris à bonne source^ et
les fournit habituellement fort exacts^. Sous cette réserve,
nous n'avons pas ménagé, dans notre annotation, les petites
chicanes de détail^.
\ . Il lui arrive d'appeler « Jean de Rohan » Pierre de Rohan,
maréchal de Gié, personnage connu de la France entière ; il con-
fond, à un moment, Roquebertin avec Roquemartin, qui fut
ambassadeur en Espagne (II, 117); il donne ici son vrai nom à
James, infant de Navarre (II, 155), et quelques pages plus loin il
le nomme infant de Foix (II, 189, 198); il appelle successivement
le même homme d'armes Marc du Fresne (II, 287) et Marc du
Chesne (II, 290); Jean de Dinteville ou de Tinteville (II, 21, 74,
etc.; cette variante autorisée par l'usage).
2. Il dit (I, 6) que Charles d'Orléans a été hostage en Angleterre;
c'est Jean, frère de Charles.
3. Il place en Fouille Lecce, qui est dans la terre d'Otrante (II,
204); il appelle Ghiavenna tantôt « Glavene, » tantôt Chavannes...
4. Voy. les renseignements fournis par Bayard (III, 108), par le
cardinal de Prie, par Gabriel de la Châtre (III, 96), par d'Aubi-
gny, La Palisse et autres capitaines (III, 314), par Antoine de
Gonflans (II, 158), etc.
5. Voy. t. n, 13; I, 226.
6. Voy. 1. 1, 5 n. 2, 7 n. 1, 12, 18 n. 2, 47 n. 1, 50 n. 1, 63 n. I,
78 n. 3, 79 n. 3, 81 n. 1, 91 n. 4, 108 n. 5, 120 n. 1, 123 n. 1,
124 n. 3, 135 n. 4, 148 n. 1 et 2, 150 n. 2, 164 n. 2, 195 n. 1, 197
n. 1, 265 n. 2, 282 n. 2, 307, 314 n. 3; t. II, p. 14, 33, 36, 71, 73
n. 2, 87 n. 1, 91 n. 1, 93 n. 1 et 2, 97, 99, 113, 141 n. 2 et 3, 155
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. xxj
Outre cette critique intrinsèque, nous devons constater
que, dans sa manière générale de narrer et d'apprécier les
faits, Jean d'Auton est tout simplement l'homme de son
temps. Il est superstitieux* ; la légende médiéyale de Vir-
gile magicien trouve en lui un de ses plus chauds adeptes.
Il croit fort aux esprits ^ et aux prodiges; mais il admet
parfaitement, en matière de merveilleux, la vérification et
la controverse 2. Il se montre constamment simple, droit^
bon^, doux^, très franc', tolérant^ et essentiellement mo-
deste^. Il ne cherche à faire valoir ni lui ni même ses amis*"^.
Donne- 1- il la liste nominative des officiers de cour qui
accompagnent Louis XII à Gênes en 1507, il s'y omet.
Sa bienveillance native le porte plutôt à excuser les
faiblesses ou à les atténuer, à moins que son indignation
n'éclate sur un fait majeur. En y regardant de près, on s'aper-
çoit que, si quelqu'un se conduit mal, rend une place, etc.,
n. 2, 174, 189, 209 n. 1, 210 n. 7, 213 n. 2, 216 n. 1, 218 n. 1, 219
n. 1 et 2, 245, 254, etc.
1. T. m, p. 281-282.
2. Voy. l'histoire de l'esprit pythonîque à Lyon fil, 104).
3. "Voy. ses récits de miracles (au siège de Pise; à Novare, un
archer guéri instantanément par l'intercession de Notre-Dame de
Hautefaye). Cf. t. m, p. 75, 96.
4. « De conscience il estoit fort doubfeux;
Il fut droit homme et de grant amitié. »
(Bouchet, ép. 57.)
5. « Le bon Danton » (épître de Crétin).
6. Voy. t. II, p. 222.
7. Voy. t. n, p. 138; m, 295.
8. T. n, p. 25.
9. T. I, p. 117.
10. Le poète Macé de Villebresme, valet de chambre du roi, était
un ami et admirateur de J. d'Auton, puisque Crétin lui écrit à
cet égard en termes lyriques. Cependant J. d'Auton en parle peu.
Lorsqu'il le cite, comme ambassadeur ft. III, p. 263), il dit : « Ung
sien (du roi) valet de chambre, nommé Mascé de Villebreme... »
xxij NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
Jean d'Auton le nomme le moins possible, mais qu'au con-
traire il exalte' l'exploit du moindre homme d'armes, avec un
véritable souci de ne pas oublier les petits. Il exaltera égale-
ment l'ennemi : dans les discours un peu pompeux qu'il produit
de temps en temps, il aime à mettre dans la bouche de l'orateur
un hommage rendu aux adversaires. Un vif sentiment du
devoir, de l'honneur, de la patrie, brille à chaque page ; les
questions d'argent n'y tiennent aucune place. Parfois,
quelques physionomies de femme le font sourire (et il le faut
bien) ; il voit sans déplaisir les dames italiennes, mais il se
ravise aussitôt, en moine pieux et vertueux.
On ne sera pas surpris qu'à ces bons sentiments il ajoute
un grand fond d'humanité; la mort de vingt-cinq ou trente
hommes d'armes sur un champ de bataille le met hors de
lui^ Que dirait-il des épopées modernes! Il est vrai qu'il
expose sans sourciller, et comme une loi fatale de la guerre,
les horribles massacres de garnisons emportées d'assaut,
massacres destinés à répandre une terreur salutaire, et
même, selon les vainqueurs, à économiser beaucoup de
sang.
Enfin, il rapporte les faits, si complexes, de son époque,
avec un esprit sincèrement chrétien^. Certes, il se croirait
déshonoré s'il ne révélait pas sa science des Grecs et des
Romains^ en invoquant convenablement Mars, Vulcain,
Neptune, Phébus... Ce travers ne l'empêche pas de recourir
bravement au Dieu unique, auteur de toute grâce et de tout
1. Voy. notamment t. III, p. 238.
2. Voy. son éloge de la mort des croisés (II, 179). Il se fait
volontiers moraliste (III, 167). Cf. HI, 70, 65, 298.
3. Il cite Pline (II, 188), Sénèque... Il rend hautement justice
aux Grecs et aux Romains, tout en les qualiflant de barbares (lU,
317). Il cite volontiers les héros anciens (non sans quelques con-
fusions) et leur joint les preux de la Table-Ronde (III, 144).
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. xxiij
bien. Tout ce que la terre produit de beau porte, à ses yeux,
l'empreinte du Paradis : il concède à l'Enfer une couleur
exclusivement païenne; on trouve là tant qu'on veut les
Parques, les Furies, Proserpine, Pluton... et Eurydice.
Du reste, comme tous ses contemporains, et surtout comme
le cardinal d'Amboise, il ne nourrit aucune illusion sur la
situation religieuse de son temps. Il évite de s'étendre sur le
compte d'Alexandre VI ; mais, une fois, il lui arrive d'entrer
nettement dans le sujet, car le tonnerre est tombé dans la
chambre du pape, par un accident qui pourrait être une
vengeance céleste; et alors, malgré le profond respect avec
lequel le bon d'Auton parle du Père des fidèles, on sent bien
qu'il penche pour la vengeance; il conclut parles pronostics
les plus noirs ; il croit à la prochaine dispersion des fidèles ^
Mais ce sont là des nuances personnelles discrètement
exprimées.
Ce qui donne à l'œuvre de Jean d'Auton une portée
unique, c'est que Louis XII agréa les chroniques de son his-
toriographe et les mit à une place d'honneur dans la biblio-
thèque de Blois^; or, Louis XII s'occupait personnellement
de sa bibliothèque ='. C'est donc une œuvre officielle.
1. T. I, p. 296. Cf. t. m, p. 201.
2. « Item, ung aultre livre en parchemin, historié et illuminé,
contenant la Gronicque du Roy Loys XII^ de ce nom, couvert de
veloux noir... « Item, ung aultre livre en parchemin, contenant
les Alarmes de Mars sur le voyage de Milan, en ryme, avec la
conqueste et entrée d'icelle, en prose, couvert de veloux noir...
(Chronique deik99). « Item, les Cronicques du feu royLoysXII^,
en parchemin, couverte de velours noir, a fermans d'argent : »
parmi les livres « aux armaires, soubz le pulpitre de la cronicque
de Angleterre et de la Toison » (Michelant, Catalogue de la biblio-
thèque de François /" à Blois, en 1518, p. 39, 40).
3. Voy. M. Delisle, le Cabinet des manuscrits, t. IV ; notre livre
Louise de Savoie et François I^^. Ghampier, dans son Tropheum
xxvj NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
avancent, le style trahit la fatigue^ ; que, d'autre part, les
difficultés avec la reine, avec les personnalités politiques ou
militaires troublaient la sérénité, l'indépendance de l'hon-
nête écrivain et le dégoûtaient de sa mission. Après avoir
longuement narré les exploits d'Antoine d'Auton , qui dé-
plurent fort à la cour et au roi, il cesse brusquement son
récit. Nous n'en sommes point surpris^. Et le catalogue delà
Bibliothèque du roi en 151 8 3, l'année même où Jean d'Au-
ton se retira du monde , nous montre qu'aucune suite des
Chroniques n'avait été déposée. Dès 1511, Le Maire de
Belges ^ en offrant à Louis XII la Différence des scismes,
se présente comme historiographe officiel^ (bien qu'étran-
ger), et se dit encouragé par « ung de voz bons serviteurs
et varletz de chambre ordinaire^, » et, le 1^"" mai 1512, il
signe le Tiers livre des Illustrations de France, « indi-
1. Il y a même quelques rabâchages (voy. t. Il, p. 135).
2. Jean Le Maire de Belges, qui se tenait aux aguets à Lyon
en 1509, raconte, dans une de ses lettres, qu'il vient de voir
d'Auton, « illustrateur des croniques de France. » Jean d'Auton
arrive d'Italie ; mais, au lieu de suivre pas à pas la cour, un cale-
pin à la main, discrètement, d'Auton la précède, narrant les
exploits de vive voix à qui veut les entendre, en héraut, en poète,
en bon serviteur, non plus en historien prudent, consciencieux,
timoré comme autrefois (lettre du 12 août 1509, insérée à la suite
de la Légende des Vénitiens).
3. Cité ci-dessus, p. xxni, n. 2.
4. Le Maire de Belges, neveu de Jean Molinet (fr. 1717, fol. 96),
était auparavant attaché à Marguerite, régente des Pays-Bas.
5. « Gomme le droicturier office et debvoir de tous bons indi-
ciaires, cronicqueurs et historiographes soit de monstrer par escrip-
tures et raisons apparentes et notiffier a la gent populaire les vrayes
et non flateuses louenges et mérites de leurs princes et bonnes et
justes querelles d'iceulx... A ceste cause, je, qui suis le moindre
et le plus jeune de la vocation des dessusnommez indiciaires et
historiographes... » (Le Maire de Belges, Prologue de la Différence
des scismes).
6. Jean de Paris.
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. xxvij
ciaire et hystoriographe de la Royne^ » Jusqu'à la mort de
Louis XII, auquel son caractère devait plaire, Jean d'Au-
ton ne conserva donc que le titre d'historiographe et la
faveur personnelle du prince^.
En abandonnant le rôle ingrat de chroniqueur, il s'at-
tacha à la poésie, il s'affirma comme littérateur et comme
poète. La poésie, dans ce moment, menait plus commodé-
ment à tout que l'histoire. Déjà, J. d'Auton s'en était réclamé :
nous avons mentionné les Métamorphoses, les Alarmes de
Mars. Il offrit sans doute au roi les pièces de vers insérées
dans sa Chronique de 1500 et 1501 ; nous savons par lui
qu'en 1502 il remit un rondeau à la reine de Hongrie Anne
de Foix^ ; qu'en 1503, à Mâcon, il gratifia le roi de conso-
lations et de conseils en forme de ballade avec rondeau^; il
écrivit, en 1504, le Deffault du Garillant^ ; il offrit au roi,
en 1505, son élégie sur Thomassine Spinola^; en 1507, à
Asti, son Exil de Gennes la Superbe"^. Au camp devant
Gênes, en 1507, il composa deux ballades et deux rondeaux
contre les Génois 8, et ensuite la pièce insérée dans la
Chronique. Au même moment, il translatait de latin en
1. Audré de la Vigne était secrétaire de la reine. Ajoutons que
le poète Guill. Crétin était, à la même époque, trésorier de Vin-
cennes et chapelain ordinaire du roi (Le Maire, Illustrations de
Gaule, épître en tète du IIP livre).
2. J. Bouchet, épitre 57. Jean Le Maire, Epistre responsive du
Roy... a celle de... damp Jehan Danton, chroniqueur du Roy très
crestien Loys douziesme (1512; impr, en 1515).
3. Inséré, t. II, p. 245.
4. Insérée, t. III, p. 217. Imprimée dans les Excellentes vaillances,
vers 1509; sans le rondeau de la fin.
5. T. m, p. 340. Imprimé dans les Excellentes vaillances.
6. T. IV. Gomme nous l'avons observé, un certain nombre
d'exemplaires de cette Gomplainta furent distribués à la cour.
7. T. IV.
8. Ibid.
xxviij NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
vers français l'épitaphe de Guy de Rochefort, chancelier de
France 1. Après la cessation des Chroniques, il resta poète.
C'est vraisemblahlement dans cette période qu'il composa
pour le jour de l'an du roi^ en guise de cadeau, une petite
ballade dont nous donnons le texte en note 3.
1. Cette traduction, ainsi que l'Exil de Gennes, fut imprimée en
1508, à la suite des Triumphes de France de Jean d'Ivry (chez
Guill. Eustace, plaq. goth.).
2. L'usage païen du jour de l'an s'était perpétué au l^r janvier.
Un critique de la Revue des Questions historiques s'étant mépris sur
cette assertion, que nous avions formulée sans détail dans l'His-
toire de Louis XII, et la Revue ayant refusé d'insérer notre recti-
fication à cet égard, ainsi que sur d'autres erreurs du même cri-
tique, nous avons donné quelques preuves à cet égard dans la
Diplomatie au temps de Machiavel, t. III, p. 129, n. 3. Les poètes
envoyaient volontiers une poésie pour les étrennes des grands per-
sonnages. Ainsi Bouchet [Epistres familières, ép. 15) adresse à
François du Fou, pour le jour de l'an, une épître
« Escript le jour qu'on donne les estreines. »
3. Ms. fr. 1953, fol. 23. — « Ensuyt une balade composée par
frère Jehan danthon {sic)^ abbé dangle et historiographe du Roy
Loys XII«, et audict seigneur présentée par icelluy abbé ensemble
ladite epistre a ung premier jour de l'an :
« A ce bon jour, Sire, que chascun donne
Nouveaulx presens et qu'on y abandonne
Divers joyaulx pour l'un l'aultre estrener,
Comme le temps se dispose et adonne,
Selon coustume et l'escript qui ordonne
Qu'a cestuy la qui donne il fault donner,
Voulant pour vous quelque don assigner
A mon souhait, soit par cueur ou par lettre.
Tout au premier vous vais ores transmettre
Bon jour, bon an, des milliers plus de dix
Et de bon cueur ce qu'on y pourroit mettre,
Santé, jeunesse, long vivre et paradis ;
« Fortune a gré, prospérité si bonne
Que vous puissiez porter ceptre et couronne
Sur tout le monde et en paix y régner;
N'avoir jamais auprès de vous personne
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. xxix
En 1509, il rima des pièces de circonstance, qui furent
imprimées à Lyon, cette année même, en un petit volume,
par Claude de Troys pour la librairie Noël Abraham. Le
volume se compose essentiellement d'un petit poème, les
Espitres envoyées au Roy très chrestien delà les
montzpar les Estatz de France^, que Jean Bouchet appelle
Qui vous ennuyé ou voix qui mot vous sonne
Dont vous deussiez marrir ou indigner;
Bon appétit a l'heure de disner
Et au soupper bon goust et bien repaistre,
Dormir au lict a dextre et a senestre,
De beaulx enfans avoir preux et hardis,
De joye tant qu'il n'y faille a remettre,
Santé, jeunesse, long vivre et paradis ;
« N'avoir le froit yver n'obscur autonne,
Pluye, ne vent, ne tempeste qui tonne,
N'autre saison subiette a yverner,
Mais doulx printemps qui les fleurs assaisonne,
Herbes et fruictz produit et affoisonne
Et terre fait embellir et orner ;
Vivre a plaisir, en honneur sesjourner,
Avoir, pour myeulx demeurer en seur estre,
Amys parfaictz, les ennemys submettre,
Nom florissant sur tous ceulx de jadis,
Tous voz désirs acomplir, sans obmettre
Santé, jeunesse, long vivre et paradis ;
Envoy.
« Prince, beaulx faictz veoir en prose ou en mètre,
Doulce musicque ouyr soubz voix de maistre,
Comptes plaisans entendre et joyeux dictz,
Scavoir tout ce qui est et qui doibt estre,
Avoir tout l'or de la myne terrestre,
Santé, jeunesse, long vivre et paradis. »
1. Les espitres envoyées au Boy très chrestien delà les montz, par
les estatz de France, composées par frère Jehan Danton, historio-
graphe du dict seigneur, avec certaines ballades et rondeaulx par
ledict Danton sur le faict de la guerre de Venise composées (sur la
première page, marque à l'écu royal). Petit in-4o. — Au même
moment, on imprima le petit recueil : les Excellentes vaillances^
XXX NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
Trois épîtres « moult belles, des trois Etats contenant les
querelles. » En réalité, ce sont trois harangues de chacun
dés États, avec un prologue. U Eglise rappelle les services
des rois très chrétiens envers la foi, et toute l'histoire de
Louis XII : ses aventures de jeunesse en Bretagne, qu'elle
exalte; le siège de Novare (1495), à propos duquel elle le
compare à Hercule et à Hector (selon le langage ecclésias-
tique du temps) ; puis les conquêtes de Milan, de Naples, de
Gênes, enfin Agnadel. La Noblesse, que le roi maintient et
ennoblit, dépeint le départ du prince,
Dont la Royne qui se plainct a bon droict,
Et qui tousjours près d'elle te vouldroit,
et les exploits de la bataille. Labeur, enfin, se congratule.
Après ce poème viennent une ballade et un rondeau, fan-
fares d'encouragement martial, composées avant la bataille
d' Agnadel ; une ballade et un rondeau d'enthousiasme après
la bataille ; une ballade et un rondeau très humains sur les
malheurs de la guerre, enfin une petite épître de neuf vers
sur les vainqueurs de Venise. Toutes ces poésies sont expres-
sément signées de Jean d'Auton et sufiSraient à prouver
que leur auteur suivit encore le roi dans cette glorieuse
campagne. L'évocation des Etats ne nous étonne point
sous la plume de Jean d'Auton : il s'applique toujours à
faire remarquer avec quel soin Louis XII tenait à la régu-
larité des Etats ; libéral, comme le roi, ce qu'on appellerait
aujourd'hui parlementaire, il relevait de ce parti des
Etats, que, depuis 1484, le roi avait personnifié comme
duc d'Orléans, qui gardait en France de profondes racines.
batailles et conquestes du Roy delà les inons, composées par plusieurs
orateurs, plaq. goth. s. d. Ce recueil contient, sans nom d'auteur,
avec la ballade offerte de 1503 et le DeffauU du Qarrillan, un frag-
ment des Alarmes de Mars.
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. xxxj
et auquel la poésie fait souvent allusion*; une autre Com-
plainte de France sur le départ de Charles VIII pour l'Ita-
lie pourrait servir de pendant à l'œuvre de Jean d'Auton,
sauf que, là, c'était la France, qui, au lieu d'être haranguée,
haranguait successivement Eglise, Noblesse et Labeur 2.
Sur la foi d'un titre hasardeux, le Bibliophile Jacob a fait
encore honneur à Jean d'Auton d'un certain nombre de
pièces de vers contemporaines, réunies dans deux manus-
crits de la bibliothèque de Colbert, cotés aujourd'hui à la
Bibliothèque nationale mss. fr. 1952 et 1953^. Plusieurs de
ces pièces appartiennent à Crétin et à Jean Marot; on ne
peut attribuer sûrement à Jean d'Auton que celles qui portent
nommément sa signature ; la ballade offerte au roi pour un
jour de l'an (fr. 1953, fol. 23) et la pièce qui ouvre le pre-
mier volume : « l'Epistre du preux Hector » (fr. 1952,
fol. 1). La donnée héroïque de la seconde pièce n'est pas
neuve; elle peut remonter, pour le moins, à la fameuse épître
d'Othéa à Hector, écrite par Christine de Pisan pour Louis 1"
d'Orléans, et dont de nombreuses transcriptions prouvent la
popularité persistante. L'œuvre de Jean d'Auton obtint elle-
même un grand succès; elle paraît dater de 1511. Jean Le
Maire composa, sous le nom du roi, une Epistre respon-
sive*, qui trouva place, avec les Espistres des Estais,
1. Montaiglon et Rothschild, Anciennes poésies françaises, t. III,
p, 247-260, la Déploration des États sur l'entreprise des Anglais
et Suisses (impr. en 1513); p. 80 et suiv., l'Apostrophe à l'ÉgUse,
Noblesse, Labeur; p. 97, les Complaintes de dame Crestienté et
des trois États.
2. Montaiglon et Rothschild, t. VUI, p. 74.
3. Deux volumes reliés aux armes de Colbert, avec le titre
inexact de Poésies d'Authon.
4. Epistre responsive du Boy très chrestien. Le Maire dit qu'Hec-
tor parle une langue « de lait et de miel : »
« Certes tu as ung truchement bien dextre, »
xxxij NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
dans une des productions de l'art contemporain, le recueil
de poésies, vraisemblablement fait pour la reine, qui
se trouve à la Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg*.
Le même recueil contient encore deux morceaux de Jean
d'Auton, une traduction d'une épître au roi de Jean-Fran-
cisque Soardi, auteur italien (de Bergame) qui produi-
sit aussi un éloge de Louis XII, et surtout YEpistre
elegiaque pour l'Eglise militante, de Jean d'Auton,
« historiographe, » allusion aux démêlés avec Jules II;
cette pièce est ornée de la célèbre miniature, reproduite
par dom Bernard de Montfaucon, qui représente une femme
désolée (l'Eglise) assise dans une basilique, dont Dissolu-
tion, coiffée de la tiare, ébranle une colonne et fait tomber
la voûte ; une troisième figure. Charité, tout en embrassant
de la main gauche une autre colonne, pour la soutenir, pose
la main droite sur un chevalier en cotte d'armes fleurdelisée
(le roi de France), qui semble venir au secours^.
Jean Bouchet mentionne encore une autre œuvre de Jean
ajoute-t-il (épître publiée en tète du ni» livre des Illustrations de
Gaule, éd. de 1515). UEpistre d'Henri VII à Henri VIII, par Jean
Bouchet (1512) fait aussi un grand éloge de l'Épître de J. d'Auton
(Montaiglon et Rothschild, Anciennes poésies, III, p. 26 ; J. Bouchet,
Epistres familières du Traverseur, ép. 1).
1. Poésie, in- fol., vélin, 8 D, ms. de 112 feuillets et 11 minia-
tures. Voy. la Notice sur le Musée de l'Ermitage, publiée en 1860,
p. 93 (l'auteur attribue au ms. une date erronée, 1509). Ce ms.,
provenant des bibliothèques Séguier, de Harlay, Coislin évêque
de Metz, Saint-Germaia-des-Prés, fut pillé sous la Révolution et,
alors, acheté à vil prix par M. Dombrowsky, attaché à l'ambas-
sade de Russie, qui le revendit, en 1805, au tzar. Deux de ses
miniatures ont été reproduites dans l'ouvrage de M. Bancel sur
Jean Perréal, une autre dans Mœurs, usages et costumes au moyen
âge, par Paul Lacroix, p. 87.
2. Ce factum (que nous n'avons pu voir encore) a beaucoup de simi-
laires à cette époque. Il y a toute une littérature consacrée à exposer
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. xxxiij
d'Auton, dont il ne nous donne pas la date : une Ballade
des Dix vertus^.
Ces poésies mirent le comble à la renommée littéraire de
Jean d'Auton parmi ses amis et dans le monde officiel. Cré-
tin, s'adressant à Macé de Villebresme, valet de chambre de
Louis XII, traite leur auteur d' « armonieulx, suave et
doux^. » Jean Le Maire, le nouvel historiographe, veut
bien admettre Jean d'Auton comme son égaP. Jean Bouchet
les vices de l'Église et l'urgence d'une réforme. On peut en rappro-
cher notamment l'amer poème de Jean Bouchet : la Défloration
de l'Eglise militante, imprimé chez Guill. Eustace, le 15 mai 1512.
1. Thème classique que Jean Perréal développa sur le tombeau
de François II à Nantes. L'œuvre de Jean d'Auton date peut-être
de 1506.""
2. « Il te plaira supporter les defFaulx,
Et si l'escript, comme on le voit yssu
De moy, n'est tel que se l'avoit tissu
Ce révérend abbé le bon Dauton,
Merveille n'est, car il abonde en ton
D'armonieulx, suave et doulx langage.
Et ne scauroys y mectre de l'an gage
Correspondant, mais me fault soubz luy taire
Pour demourer remys et solitaire
Gomme recluz en ce boys de Vincennes. »
(Fr. 1711, fol. 13 v°. Épître de Crétin à Macé de
Villebresme.) . ,
3. « Abbé Danton et maistre Jean Le Maire,
Qui en nostre art estes des plus expers.
Ouvrez l'archet de vostre riche aumaire
Et composez quelque plaincte sommaire...
... Secourez moy, Bigne et Villebresme,
Jehan de Paris, Marot et de la Vigne. »
(Plaincte sur le trespas de feu messire Guillaume
de Byssipat.)
De la Bigne, cité ici, était un écuyer du roi et du duc de Bour-
bon, auteur du récit de la mort de Pierre de Bourbon ; Macé de
Villebresme, valet de chambre du roi, poète, correspondant de
Crétin ; Jean de Paris n'est sans doute pas le peintre de ce nom,
valet de chambre du roi, mais plutôt un Jean Le Roy de Paris,
IV c
xxxiv NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
se distingue par un lyrisme extrêmement chaud et affec-
tueux ; il vante surtout le prosateur, l'historien ^
nommé par Le Maire, et qui, pour le dire en passant, pourrait bien
être l'auteur, encore inconnu, du célèbre roman : « Jehan de Paris.
Sensuyt ung très beau et excellent romant nommé Jehan de Paris,
roy de France..., imprimé à Lyon, par Pierre de Saincte Lucie, dict
le Prince, près Nostre Dame de Confort, » s. d., in-4°.
1. Dans le Temple de bonne renommée, publié en 1517, passant
en revue les gloires littéraires de la France, il écrit :
« Si le françois aussi beau que latin
Voulez savoir, allez devers Crétin,
Semblablement devers l'abbé Danthon,
Qui tant a fait de livres (ce dit-on),
Desquelz partie ay veu... »
Cf. Epistres familières. Dans l'épître 57, sur la mort de Jean
d'Auton, il écrit :
« Ou est celuy qui en langue vulgaire
Ait mieulx escript pour les lecteurs attraire,
Qui proposa plus que luy doulcement,
Qui prouva mieulx et plus subtillement,
Qui excita par plus grand'vebemence,
Ne qui tempta par plus doulce éloquence?
En grave prose il coucboit tous ses vers
Sans rien contraindre, a l'endroit ou envers ;
Il estoit brief, ressemblant a Salluste,
Bref florissant, aucunes fois aduste,
Fort abondant, comme Pline second,
Et coppieux comme Tulle et facond.
Il estoit grave en parolle et facile.
Et Sainct Gelaiz et luy n'avoient qu'un style.
... Oncq' n'en congneu de plus doulce élégance,
Mieulx escripvant, sans tache d'arrogance. »
Bouchet cite ensuite sa traduction des Métamorphoses, traduction
d' « autrefois, » qu'il dit exquise ; sa Ballade des Dix vertus :
« En si hault style et beau que les malades
Se gueriroient en icelles lisant... »
Il vante : « son esprit tant subtil.
Tant inventif, tant bening, tant fertil. »
Dans l'épître 61, à Fr. Thibault, avocat à Poitiers, il dit :
« Priant a Dieu qu'il te donne le style
Des deux Grebans, dont grant doulceur distille,
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. xxxv
Nous ne pouvons pas nous associer sans réserve à ces
éloges amicaux. Nous avons loué l'annaliste. Mais, comme
littérateur, Jean d'Auton débuta mal ; il a une connaissance
superficielle de la littérature ancienne, dont il n'a point tiré
le suc, et qu'il étale avec un pédantisrae intolérable \ encore
que mitigé. Ses premières œuvres particulièrement con-
finent au ])}ir pathos. Comme historien, il lui arrive, hélas,
de viser à l'éloquence académique, mais jamais de s'élever
au-dessus de ce qu'il a vu ; il a l'esprit vulgaire, la philo-
sophie banale; il ne peint pas, il photographie avec
quelques lourdes retouches ; aucun de ces traits qui font
valoir un personnage , qui illuminent une physionomie !
D'ailleurs, comme historien ofiîciel, il ne pouvait guère se
les permettre, et par cela même qu'il ne prétend pas, comme
Commines, démêler, pénétrer profondément les affaires, il pré-
sente pour nous l'immense avantagedu désintéressement, delà
sincérité. Il n'a pas non plus le style piquant de Jean de Saint-
Gelais, la phrase pure, fine et spirituelle de Seyssel, deux
écrivains qui écrivent pour eux-mêmes; lui, il écrit offi-
ciellement, et le genre pompeux lui paraît le seul à la hauteur
de ses fonctions. Aussi, dans ses Chroniques, demeure-t-il
presque invariablement lourd et boursouflé. Certes, il
recherche parfois la couleur, mais alors U la prodigue ; tire-
Et de Gastel l'invention des laiz,
De Georges l'art, la veine Sainct Gelaiz,
De Charretier la prose, et le vulgaire
De l'abbé d'Angle et maistre Jan Le Maire,
Le facil art de maistre Jehan Marot
Et le moral tant bon de Meschinot. »
Dans l'épître 67, à Germain Colin :
« Georges avoit une veine élégante,
Grave et hardie, et frère Jehan d'Authon
Doulce et venuste, et Le Maire abondante. »
1. Voy. Hist. du XVI' siècle, III, 318.
xxxvj NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
t-on un coup de canon, il embouche la trompette épique, il pro-
clame que la terre tremble, que les eaux refluent, qu'un tour-
billon voragineux enveloppe l'univers. D'après le Bibliophile
Jacob, Jean d'Auton serait l'inventeur de ce genre, et il fau-
drait le rendre responsable de tous les défauts de goût faciles à
constater chez ses contemporains Le Maire, Bouche t, Cham-
pier, d'Ivry... C'est, croyons-nous, lui faire trop d'honneur;
il n'exerça certainement aucune influence ni sur Le Maire,
ni sur Champier, ni sur d'Ivry. Il y a, à cette époque, deux
écoles; celle des écrivains non professionnels, hommes poli-
tiques ou hommes d'action, qui écrivent dans un but extra-
littéraire, simplement pour dire ce qu'ils ont à dire. Ceux-là,
surtout s'ils touchent à la cour, parlent une langue claire
et exquise; mais ils sont peu nombreux. Et puis, il y a
l'école des écrivains de profession, qui ont fait leur rhéto-
rique et connaissent leur Olympe; ceux-ci se soucient
peu du sens, ils cultivent la phrase, et quelle phrase!
Loin de se faire le chef de cette école, Jean d'Auton, qui
arrivait, par elle, du fond de sa province, en sentit les
défauts ; à partir de son séjour à la cour, son style, comme
poète, s'épure sensiblement et surtout se simplifie. Il suffit,
pour s'en rendre compte, de comparer ses dernières œuvres
poétiques aux Alarmes de Mars.
Ce bon et pieux personnage, dépourvu d'intrigue et de
brillant, ne pouvait réussir à la cour de François I". Aussitôt
la mort de Louis XII, il perdit tout crédita Ses moines en
profitèrent pour lui intenter un procès, bien probablement
injuste, mais qui ne lui en coûta pas moins beaucoup d'argent
et surtout de gros ennuis^. Il quitta la cour en 1518 et s'en
1. Il ne figure pas dans la chapelle du nouveau roi (fr. 21446).
2. « Quelquun des siens de secte monachalle,
Bientost après, par fureur Megeralle,
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. xxxvij
alla finir sa vie dans une retraite toute monacale. A sa louange
et à celle de ses amis, nous devons dire que, malgré sa dispa-
rition, les amitiés de la cour lui demeurèrent fidèles. Jean
Bouchet, alors triomphant, lui fit parvenir dans son abbaye
d'Angle des épîtres, dont l'une est imprimée à la suite du
Labyrinthe de Fortune^. Se rappelant que Jean d'Auton
lui a appris à boire à la fons Castallie, il lui soumet, avec
une rare modestie, quelques vers. L'abbé répond par une
poésie encore plus modeste : « Tout grossement, selon mon
rude stille,... scelon mon petit savoir, » il exalte Bouchet et
s'excuse de la mission que le poète veut bien lui confier. Son
ami Bouchet, dit-il, est l'élève direct de Démosthènes, de
Cicéron, de Quintilien : lui, d'Auton, moins hasardeux que
jamais, il compare les hommes de la génération nouvelle qui
Voulut brouiller cest abbé par procès,
Ou furent fais quelques legiers excès ;
Dont cest abbé, qui ne les feit onc faire,
Eut a grant tort par long temps de l'affaire.
Il en sortit, non sans mise et douleur,
Victorieux a son très grant honneur. »
(J. Bouchet, ép, 57.)
1. Jean Bouchet, dans ses Epistres familières, a inséré (ép. 22)
une épître que lui adressa, vers la même époque, Jean Gervaise ;
Gervaise, après un pompeux éloge de BoucUet, cite Jean Gerson,
Jean Michel, évêque d'Angers, Octovien de Saint-Gelais,
« Dont a jamais en sera mention. »
Il ajoute ;
« Voy tu pas la le très humble abbé d'Angle,
Qui est musse dedans ce coing ou angle.
Qui du feu Roy Loys fut croniqueur,
Ouquel mon art florist, par grant liqueur,
Tant doulcement, par brief et doulx langage.
Que veis jadis, en son sainct hermitage,
De l'origine composer maints beaulx faictz
Qu'il a laissez comme tous imperfaictz. »
Il cite ensuite Pierre Rivière (traducteur de la Nef des folz),
Pierre Blancbet (pour ses satires, farces), Guill. Crétin.
c*
xxxviij NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
veulent tout voir, tout savoir,... à l'indiscret Actéon. Il ter-
mine ainsi :
Escript et faict en ung petit bout d'angle
De cabinet, en l'abbaye d'Angle.
En 1525, après le désastre de Pavie, Jean Bouchet
adresse encore à l'ancien chroniqueur de Louis XII une
longue épître mélancolique, où il le prie de reprendre son
excellente plume des Chroniques afin de relever les esprits
abattus et de chanter la gloire des preux chevaliers de
Louis XII disparus dans cette folle tourmente*. L'abbé
d'Angle répond par une pièce où il déplore la catastrophe,
en style libre et simple. L'épître et la réponse furent publiées
par Jean Bouchet lui-même en tête du Panégyrique ou Vie
de Louis de la Trémoille^.
Dans sa retraite, Jean d'Auton vivait comme le dernier
de ses religieux : austère, solitaire, dormant à la dure, précé-
1 . « A ce regard orateur excellent,
De bien escripre et parler opulent.
Qui du feu roy les triumphes et gestes
Mis par escript en parolles digestes,
Je te supplye employer ton esprit
Et ta main doulce a mettre par escript
Les nobles faictz et proesses louables
De ces seigneurs qu'on veit insuperables. »
2. Épître de Jean Bouchet « à l'abbé d'Angle, » sur Pavie, et la
variation de Fortune, et Epistre dudit abbé d'Angle a l'acteur, fai-
sant mencion de la perte d^aucuns princes et aultres gens occis a
ladicte journée. La première est adressée « a révérend père en
Dieu Jehan Dauthon, abbé d'Angle, de l'ordre sainct Augustin. »
Dans sa réponse {Epistre dudict Dauthon, abbé dangle, audit Bou-
chet)., Jean d'Auton déplore la bataille et les morts; il prend la
plume, dit-il, sur le désir de Bouchet :
« Car c'est la fleur de la chevalerie
De France, helas ! qui est morte et perie. »
Il signe :
« Le tien amy et frère l'abbé d'Angle,
Qui pour l'esté a prins sa robe sangle. »
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. xxxix
dant tout le couvent à matines, sans suite ni maison , méprisant
le monde, n'aimant ni le plaisir ni la chasse. Il passa ainsi
dix ans et mourut en bon chrétien dans son abbaye, au mois
de janvier 1528 ; il y fut enterré. Jean Bouchet, qui lui con-
sacra une épitaphe chaleureuse, insérée dans le recueil Les
Généalogies, effigies et épitaphes des rois de France^
1. 1545, in- fol. Au fol. 79 v° (épitaphe 60). Voici le texte de cette
épitaphe, que nous avons citée plusieurs fois :
a Gy dessoubz gist, en ce bien estroict angle,
Ung bon seigneur, aultreffoiz abbé d'Angle,
Religieux : c'est frère Jehan Dauthon,
Noble de sang, qui vescuit, ce dist on,
Par soixante ans et plus en bon estime;
Grand orateur, tant en prose qu'en ritme.
Il ordonnoit comme en prose ces vers.
Sans rien contraindre, a l'endroict ou envers;
Il estoit grave en son mètre et facille;
Brief, onc ne vy de plus grand style.
a Plusieurs traictez en ritme composa,
Ou le sien sens et scavoir exposa;
Du Roy Loys, de ce nom le douziesme,
Tant qu'il porta le Royal diadesme,
Fut croniqueur, et en prose a escript
Ses nobles faictz, ou monstra son esprit.
« En ritme a fait trois epistres moult belles,
Des trois Estatz contenans les querelles;
Et ce bon Roy, voyant que moyne estoit
Et que très bien estre abbé meritoit,
Le fit pourvoir de ceste prelature
En attendant plus féconde avanture;
Car il eust eu chose de plus hault prix.
Si fiere mort n'eust ce bon Roy surpris.
« Dix ans avant que mourust ce bon père,
Austère vie il tint on monastère.
En mesprisant, par merveilleux desdaing,
Les gens du monde et tout honneur mondain ;
Il ne dormoit en mol lict, soubz courtines,
Tousjours estoit le premier a matines;
Il se rendoit si très humble et abject
xl NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
célébra pathétiquement sa mort dans une longue épître à
l'abbé de la Fontaine-le-Gomte % et continua encore par la
suite à vénérer sa mémoire.
Cependant, Jean d' Auton fut vite oublié. Pierre Grognet,
dans la Louange et excellence des bons facteurs qui
ont bien composé en 7'ime^, où il cite des poètes bien peu
connus, ne le nomme même pas : André Du Chesne, dans la
Séries auctorum omnium^ qu'il voulait publier, indique
Seyssel, Barthélémy de Loches (sans le nommer), Ben. da
Portu, Champier, Flori, Riz, Gaguin, Paul Emile, A. Per-
ron, Papire Masson...; d' Auton, point. Le P. Nicéron ne le
mentionne pas dans les Mémoires des hommes illustres.
Un siècle environ après la mort de Jean d' Auton, grâce
aux savants Godefroy, les Chroniques sortirent delà tombe.
Théodore Godefroy en donna des fragments dans les Entre-
Qu'll ne sembloit estre abbé, mais subject,
Et tellement qu'on ne l'eust peu congnoistre
Entre les siens religieux on cloistre.
« Par luy estoient grans boubans reboutez,
Combien qu'il fust noble des deux coustez ;
Il ne vouloit chasse ne vénerie,
Riches habitz ne pompeuse escuerie;
En solitude il vivoit tout seulet,
Se contantant d'un prebstre et d'un varlet;
Il ne Youloit compaignée pompeuse,
De conscience estoit fort timoreuse.
« Puis, en janvier mil cinq cens vingt et sept (1528),
Il trespassa, disant maint beau verset.
Le corps duquel repose soubz la lame :
Priez a Dieu que pardon face a l'ame. »
1. Épître 57. Il appelle Jean d'Auton « ung de noz amys; » il
se dit son élève et donne sur lui de nombreux détails. Cette épître
de deuil fut écrite le 28 janvier 1527 (1528), « un jour de janvier
palle et blesme. » Dans des épîtres postérieures, Bouchet vante
encore très vivement son ami.
2. Montaiglon, Anciennes poésies, VII, 1 et suiv.
3. Paris, 1633, in-fol.
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. xlj
veues de Charles IV, de son fils Vuenceslaus, Roy des
Romains, et de Charles V, Roy de France, a Paris,
l'an 1378, et de Louys XII, Roy de France, et de Fer-
dinand, Roy d'Arragon, a Savonne, l'an 1507 (1612)^
Il publia aussi, avec des coupures, la plus grande partie
des Chroniques : c'est-à-dire, en 1605 ^ la Chronique de
1506-1508 comprise dans notre tome IV; en 1620, les
Chroniques de 1500-1501^ et de 1502^ celles-ci en deux
volumes séparés. Il ne donna pas celle de 1499, ni celles de
1503 et 1504.
Plus tard, dans le Cérémonial françois, Denis Gode-
froy a publié de nouveau le remarquable récit de l'entrevue
de Savone en 1507^ et renvoyé à Jean d'Auton pour la
réception de l'archiduc en 1501 ^.
1. Paris, 1612, in-4% p. 1-46. L'extrait est anonyme. L'ouvrage
de Godefroy a été réimprimé deux fois.
2. Histoire de Louys XII, roy de France, père du peuple, et des
choses mémorables advenues de son règne dès l'an MDVI jusques en
l'an MDVIII, par Jean d'Auton, son historiographe et abbé d'Angle,
de l'ordre Sainct Augustin. Extraicte de la Bibliothecque du Roy et
mise en lumière par Théodore Godefroy, advocat au Parlement de
Paris. A Paris, chez Abraham Pacard, rué Sainct Jacques, a l'Es-
toille d'or. M D CXV (ia-4° de 388 p., plus la table).
3. Histoire de Louys XII, roy de France, père du peuple, et des
choses mémorables advenues de son règne fs années lk99, 1500 et
1501, tant en France que au recouvrement du duché de Milan, en
la conqueste du royaume de Naples et autres lieux. Par Jean d'Au-
ton, son historiographe. Tirée de la Bibliothecque du Roy et nouvel-
lement mise en lumière par Théodore Godefroy, advocat au Parlement
de Paris. A Paris, chez Abraham Pacard, rue Sainct Jacques, au
Sacrifice d'Abraham. MDGXX (in-40, 356 p.).
4. Histoire de Louys XII, roy de France, père du peuple, et des
choses mémorables advenues de son règne, tant en France, Italie que
autres lieux, en l'année M D II, par Jean d'Auton, son historiographe
et abbé d'Angle, de l'ordre de Sainct Augustin. Tirée... (le reste
comme au volume précédent. In-4o, 188 p.).
5. T. I, p. 715.
6. T. II, p. 735. Wulson de la Golombière emprunta également
xlij NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
Dreux du Radier, dans la Bibliothèque histotHque et
critique du Poitou (Poitiers, 1842, in-8% t. I, p. 99 et
suiv.), a fait connaître certains morceaux de la partie lais-
sée inédite par les Godefroy. Cimber a encore publié le récit
de SavoneS Leroux de Lincy la Ballade sur la Prise de
Gênes 2, ou Eœil de Gennes la Superbe^.
Enfin, le Bibliophile Jacob (M.Paul Lacroix) a donné une
édition complète des Chroniques, avec l'histoire d'Humbert
Velay en appendice (4 volumes in-S"). Dans cette édition,
qui a rendu un véritable service à la science, l'éditeur s'est
malheureusement cru autorisé à moderniser Jean d'Auton ,
ou plutôt à le modifier ; il a abandonné l'usage orthogra-
phique du temps de Louis XII ; parfois, il a corrigé les mots
eux-mêmes, pour en tirer une sorte de néo-vieux français,
qui n'est ni notre langue courante ni celle du xvii* siècle,
encore moins celle du xvi". Par certains détails, il vieillit
même Jean d'Auton; ainsi, il transforme « à la fin » en « a
la parfin. » Ces corrections, imparfaitement systématiques,
ont altéré la couleur du récit et çà et là le sens. De plus, le
Bibliophile Jacob s'est permis de corriger, sans en avertir le
lecteur, certaines erreurs. A un point où Jean d'Auton parle
de 100,000 hommes (ce qui est exagéré), l'éditeur met
à Jean d'Auton d'importants détails sur les tournois, dans son
Théâtre d'honneur.
1. Archives curieuses, t. II, p. 27 et suiv.
2. Chants historiques français, t. II, p. 37.
3. M. le D"- Knuth a publié sur Jean d'Auton une note qui n'ap-
porte aucun nouveau détail, sous le titre suivant : Beitràge zur
Kritik des Geschichtsschreibers Jean d'Auton, Hofhistoriographen des
Kônigs Louis XII von Frankreich. Inaugural-Dissertation der hohen
philosophischen Fahultât der Universitât Greifsioakl zur Erlangung
der Doktorwûrde vorgelegt und nebst den beigefiigten Thesen, Mitt-
woch, den 5 november 1890, nachmittags 3 Uhr, ôffentlich vertei-
digt, von Garl Knuth, aus Stettin. Greifswald, Druck von Julius
Abel, 1889, in-8», 46 p.
NOTICE SUR JEAN D'AUTON. xliij
« 30,000, » chiffre qu'il estime sans doute convenable. Cette
édition ne pouvait donc passer pour définitive.
Quant au sobre commentaire dont le Bibliophile Jacob l'a
entourée, quelques erreurs s'y sont glissées ^
Il existe un certain nombre de transcriptions des Chro-
niques^ et des Œuvres* de Jean d' Au ton. Mais nous n'avons
pas à nous en occuper, puisque nous possédons l'exemplaire
original des Chroniques, de 1500 à 1507, fait pour Louis XII,
et conservé depuis lors dans la Bibliothèque du roi, à Blois,
à Fontainebleau, puis à Paris. Cet exemplaire forme trois
volumes, actuellement cotés mss. fr. 5081, 5082, 5083,
reliés en maroquin rouge au xvii® siècle^.
Pour la Conqueste de Milan (Chronique de 1499), la
Bibliothèque nationale de Paris possède également l'exem-
plaire de Louis XII. Ce ms., in-4°, coté autrefois 9707,
actuellement fr. 5089, est un volume de 53 feuillets, à
1. Nous n'en indiquerons que quelques-unes à titre de spécimen,
sans insister autrement : t. I, sur la p. 89, Jean de Polignac, sei-
gneur de Beaumont, pris pour Claude de Beaumont, seigneur de
Pélafol; p. 97, Godebert Carre et Poquedenare pris pour une même
personne; p. 132, François de Rochechouart, seigneur de Champ-
deniers, pris pour le sieur de Chandée, etc. Quelques identifica-
tions géographiques, quelques explications linguistiques sont con-
testables ou erronées.
2. Ms. de la Conqueste de Milan, fr. 5089, fr. 5090; des copies
plus modernes dans la coll. Dupuy; ms. fr. 17519, fol. 256 à 312;
une copie des chroniques de 1499 et de 1501-1506, pour les Gode-
froy, à la bibl. de l'Institut, ms. Godefroy 238; fr. 17522 (chro-
nique de 1500); fr. 10155 (chron. de 1501-1506); fr. 4055, fol. 87
(extraits).
3. Citons encore, outre les mss. déjà indiqués, des exemplaires
du XYi« siècle de l'Exil de Gennes (ms. fr. 1716, fol. 9); du poème
sur le Garillan (ms. fr. 5087).
4. Nous donnons la description de chacun de ces manuscrits en
son heu. Voy. t. I, p. 113 (ms. 5081); t. II, p. 1 (ms. 5082); t. IV
(ms. 5083).
xliv NOTICE SUR JEAN D'AUTON.
reliure moderne, intitulé : les Alar7nes de Mars sur le
voyage de Milan, avecques la conqueste et entrée
dHcelle. On lit encore sur la garde : « Cest livre appartient
au Roy Loys XIF. » Il porte en tête une belle miniature :
le Triomphe de MarsK Les yingt-cinq premiers feuillets
sont occupés parle poème les Alarmes de Mars^. A la fin
se trouve une plaisanterie dans le goût du temps, de pseudo-
vers latins, qu'il faut lire en français^.
1. Cette miniature présente une particularité digne de remarque.
Elle paraît issue d'une miniature représentant le même sujet et
exécutée par 1' « enlumineur » Robinet Testard pour le comte
Charles d'Angoulême, vers 1490-1495 (ms. des Échecs amoureux,
fr. 143, fol. 36) ; il y a même une sorte de parenté entre l'écriture
des Échecs, exécutée par l'écrivain Michel, et la transcription du
manuscrit de Jean d'Auton. En 1499, Louise de Savoie, fort mal
vue du roi, vit un moment sa pension diminuée et licencia une partie
de son personnel : Michel ne fit plus partie de la maison et Tes-
tard n'y recevait qu'un émolument fort modeste. Il se pourrait que
ces deux personnages, habitués aux travaux de cour, eussent
encouragé Jean d'Auton à profiter de la constitution du douaire de
la reine, comme nous l'avons dit. Mais, bien entendu, c'est là une
pure hypothèse. D'un autre côté, Vérard, qui se rendit plusieurs
fois en 1497 à la cour de Cognac, a donné dans son édition de
la Généalogie des Dieux, de Boccace, en 1498, une gravure de Mars
qui rappelle singulièrement la composition de Testard : guidé par
une étoile, Mars s'avance sur un char, le fléau à la main (fol. ccxx,
chap. xxvii, de Thoas et Euneus, filz de Jason).
2. Voy. t. I, p. 1, n. 1.
3. T. I, p. 2, note.
CY COMMANCE
LA CRONICQUE DE FRANCE
DE L'AN MILLE CINCQ CENS ET CINCQ.
I.
Parlant, au premier, d'une grief ve maladye
DONT LE Roy fut lors durement actainct.
En l'entrant du moys d'apvril, en l'an mille cincq cens
et cincq, le Roy, de rechief, se trouva tout debille et
fort mallade, et tant que ses médecins ne savoyent
bonnement par quel régime y remédier, dont eurent
grant doubte en son affaire, car de fieuvre continue et
chault mal fut tant espris que, plusieurs jours, le
boyre, le manger et le dormir perdit, si que chascun
pencoit qu'il en fust faict*. La Roy ne, qui plus en son
mal se sentoit intéressée et qui l'amoit comme soy
mesmes, estoit nuyt et jour en place pour le servir de
ce qu'elle pouvoit et le secourir de ce que mestier luy
estoit, et, pour le rejouyr, devant luy monstroit visage
riant, et luy usoit de joyeuses parolles ; mais, a part,
1. L'Ystore Anthonine, écrite en 1507, dit (fr. 1371, fol. 294 vo) :
« Endit an M Vc et V, le Roy oit une griefve maladie ou il sous-
tint une si grant passion qu'il perdi long temps la parole, tant
qu'on n'y attendoit que la mort. »
IV 1
2 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril-Mai 1505
toute couverte de larmes, se doulloit si très amèrement
que nul la veoyoit qui de pitié ne plorast : nul entroit
en sa chambre, reservez ceulx qui estoyent ordonnez
pour le service, desquelz furent : Françoys d'Orléans,
conte de Dunoys*; messire Loys de la Trimoille,
premier chamberlant; maistre Florimond Robertet;
l'evesque de Perigueulx, son aumosnier, et frère Jehan
Clairée, son confesseur, lequel l'enhortoit moult bien
de son salut. Ausi de luy se monstra très cathohcque
prince, car il se confessa reverentement, et les divins
sacremens de l'Eglize très dévotement receupt, et, en
la présence de messire Guy de Rochefort, son chan-
cellier, et de Florimont Robertet, fist son testament 2.
1. Nommé grand chambellan par patentes de Blois, 7 juillet
1504 (A. Du Chesne, Histoire des chanceliers, p. 542).
2. Louis XII, par son testament, donnait entièrement raison
aux prévisions du maréchal de Gié contre la reine ; il ordonnait
que sa fille épousât François d'Angoulême. Ce testament, ampli-
fié le 31 mai, constituait la reine tutrice personnelle, avec un
conseil de régence et de gouvernement, composé de la reine, de
Louise de Savoie, du cardinal d'Amboise, du comte de Nevers,
du chancelier, de la TrémoïUe et de Robertet ; le roi interdisait
à sa fille de sortir de France jusqu'à son mariage avec le duc de
Valois et lui léguait tous les biens de la maison d'Orléans, y
compris Blois, Gênes et le Milanais (fr. 2831 ; fr. 3911 ; Dupuy 85).
Par un codicille séparé de la même date, il ordonnait que sa fille
épousât le plus tôt possible le duc de Valois, malgré les enga-
gements pris avec le duc de Luxembourg, engagements con-
traires au serment du sacre, puisqu'ils préjudicient au royaume,
et dont, d'ailleurs, nous sommes « deuement et légitimement
dispensez » par le cardinal d'Amboise, légat apostolique dans le
royaume (originaux du testament et du codicille, J. 951, u°^ 4, 6.
Cf. Musée des Archives, n° 546). La reine fut obligée, bien à contre-
cœur, de se réconcilier avec Louise de Savoie et de jurer avec
elle, sur la vraie croix, l'exécution du testament. Jean d'Auton
passe légèrement sur ces dispositions, qui atteignaient si vive-
Avril-Mai 1505] D'UNE GRIEFVEMALADYE DONT LE ROY, ETC. 3
Or avoit il singulière fience en Dieu et souveraine envye
de guérir, qui sont deux choses qui de mort a vie
souvant rameinent les humains; dont luy, estant en
son grabat, se voua a la saincte hostie de Disjon, ou
tousjours avoit eu entière devocion et souveraine révé-
rence^.
Durant ceste maladie, aux evesques et seigneurs de
l'Eglize du Royaume de France, et par tous les pays du
Roy, fut commandé de faire processions et prières
pour sa sancté; ce qui fut faict par plusieurs jours
ou le clergié et les nobles se assemblèrent de toutes
pars, faisans leurs dévotes oraisons envers le Consola-
teur des désolez pour la guerison de leur bon prince ;
a ce ne faillit le pauvre peuple de France, qui mist
lors son labeur en oubly pour y accourir a troupeaulx,
les maintz joinctes et les yeulx tendus a mont, criant
a haulte voix : « Helas! vray Dieu, salut des esperens
en toy, gecte sur nous les yeulx de ta miséricorde, et
nous estans la main de ta grâce et regarde en pitié
Testât du Royaume de France, que des armes célestes
tu as ennobly et enrichi de ta foy crestienne, ouquel
ment la reine. Cependant, tout cela était si public que, dès le
29 mai, l'ambassadeur vénitien signalait la présence du duc de
Valois à la cour comme héritier du royaume et la décision de
son mariage avec Claude (Sanuto, VI, 179).
1. h'Ystore Anthonine dit, de son côté : « En laquelle passion
portant, il oit une affectée devocion au saint sacrement de
l'autel, qu'il promist en son courage que, s'il retournoit a con-
valescence, qu'il feroit par tout son royaume une autreffoys
la solennité et procession dudit sacrement et impetreroit du
saint père pardon gênerai a tous ceulx qui y assisteroient. » Il
guérit, obtint une bulle et fit une procession le jeudi après la
Saint-Jean-Baptiste (fr. 1371).
4 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril-Mai 1505
ton nom divin est haultement honnoré et ta saincte foy
dignement exhaulcée. Ore y avoit ta bonté mys ung
prince de florissant bruyt, renommé, loué de toutes
vertus, sur les requys le plus exquis et entre les bons
le meilleur : helas! Fortune, ennemye de prospérité
et marrastre d'umaine gloire, le tient ores languissant
en la couche de maladye, de qui la main tenoit jadis
en craincte ses ennemys et ses subgectz en repos.
Regarde, Dieu, regarde a la playe de nostre chief, tant
griefve que nous, ses pauvres menbres, en commain-
çons a sentir l'amere douleur, et ne nous lesse comme
peuple sans ducteur ou brebis sans pasteur : escoute
les piteuses clameurs de ton pauvre peuple, sire Dieu,
et ne mectz le cry de la commune gent a despris, car
l'oreille de ta doulceur a tousjours sa voix ouye et sa
prière exaulcée ; si, te suplions, nostre père Dieu, que
a ceste oraison nous soyes enclin, et a ceste requeste
propice, en donnant prompte santé et longue vye a
nostre Roy très crestien. j>
Ainsi faisoit le peuple de France piteuse conplaincte
pour la maladye du Roy^ et dévote oraison pour sa
santé; avecques ce, la Royne transmist hastives postes
devers le Père Sainct pour avoir pardons et indul-
gences a tous ceulx qui dévotement vouldroyent prier
1. Les poètes s'en mêlèrent. Dardanus écrivit :
« Pro valitudine regia.
Surge, pater Mavors, tua si[n]t tibi prelia cordi,
Si te tangit amor militieque decus.
Improba letiferis pharetram mors plena sagittis
Ecce parât régi, fata suprema, suo.
... Si cadet ille, cadet tune quoque martis honos... »
[Dardant, poète laureati, Epigramma, fr. 1717, fol. 88.)
Avril-Mai i 505] D'UNE GRIEFVE MALADYE DONT LE ROY, ETC. 5
Dieu pour sa guerison et prospérité; dont ledit Sainct
Père le pape y eslargist tant du trésor divin et aposto-
licque grâce que, en tout le Royaume de France et par
tous les pays du Roy deçà et delà les mons, envoya le
jubillé et, affin que chascun fust plus enclin de prier
Dieu pour le bon prince, ordonna, ledit Père Sainct,
que, au xv® jour du moys de juillet ensuy vant, seroient
faictes processions generalles et porté le corps sacré
de Jhesu Grist comme au jour de sa feste^ et que tous
confex et repentens, en priant Dieu pour le Roy et sa
santé, gaigneroyent les grans pardons, comme en l'an
du jubillé a Romme^.
Le cardinal d'Amboise, légat susdit, s'en retournoit
Fauste Andrelin publia une poésie dont nous détachons les vers
suivants :
« Fausti, poète laureati, pro valitudine regia, carmen.
... Aime Deus, cuncta est cui summa in secla potestas,
Qui prono effusas suscipis ore preces,
Aspice jam raptum suprema in funera regem
Et grate optatam ferto salutis opem..
Innumera ex una dependet vita salute,
Mox aut infœlix, si cadet ille, cadet.
Fac tua, fac cœlo pietas descendat ab alto,
Fac sit ad instantes reddita vita preces,
Ecce gemens soli francus tibi supplicat orbis!... »
(Fr. 1717, fol. 92; cf. Sanuto, VI, 178.)
1. Cf. Saint-Gelais (p. 177), qui emploie les mêmes expressions
et dépeint vivement l'angoisse de la France.
2. La bulle d'indulgence du 17 mai 1505 déclare que Louis XII,
« nuper gravi et periculosa segritudine... quasi in mortis articulo
constitutus, veto Altissimo facto per virtutem sacratissimi Cor-
poris Domini nostri Jesu Ghristi, quod pientissime veneratur,
statim dolore quo premebatur levatum se et pristine sauitati sen-
serit restitutum. » Louis XII désire voir, en souvenir de cet évé-
nement, instituer des prières dans l'octave du Corpus Ghristi.
Gomme sa vie importe fort à l'action de la chrétienté contre les
6 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril-Mai 1505
lors de son voyage d'AlIemaigne^ qui, parles postes
courans de lieu en autre, sceut les piteuses nouvelles
de ceste griefve maladye ; s'il fist lors mauvaise chère,
non sans cause ; car il, a l'effort de ce malleur, veyoit
Turcs et qu'il est « S. R. E. pientissimus et observatissimus
filius, » le pape institue en effet une procession pour le 26 juin
prochain, avec transport du saint sacrement (Archives du Vati-
can, Juin H Regesta sécréta, reg. 984, fol. 209).
1. Le cardinal d'Amboise venait de recevoir àflaguenau, pour
Louis XII, l'investiture impériale du duché de Milan. L'investi-
ture lui fut accordée par diplôme du 5 avril (J. 506, n» 12 bis).
Procès -verbal de son hommage fut dressé et coUationné en
chancellerie le 6 avril (J. 506, n° 12; bibl. de l'Institut, ms. Gode-
froy 129, fol. 76). Il avait été convenu que, pour cette investiture,
le roi verserait 100,000 livres. 11 y eut à ce sujet des difficultés
préalables, parce que le roi avait déjà remis aux ambassadeurs
allemands 3,500 livres sous diverses formes et que, par suite, il
avait prétendu s'acquitter en mandatant, le 24 février 1504 (anc.
st.), 96,500 livres seulement (ms. Glairambault 224, fol. 413), Il
fallut s'exécuter, et le cardinal reçut, le 15 avril, quittance de
100,000 livres (fr. 10433, fol. 171 v»). Le cardinal dut, en outre,
répandre à la cour diverses libéralités, dont nous avons le
curieux état (ms. Glairambault 16, p. 1053) : Gyprian Gertaine,
chancelier de la comté de Tyrol, pour les « officiers, commen-
saulx, secrétaires et autres, » reçut 1,400 livres tournois; et
encore, pour lui-même, la même somme, « tant en faveur des
services qu'il a faiz au Roy nostredit seigneur, en traictant
la paix d'entre lui et les Roys des Rommains et de Gastille, que
a cause de l'investiture du duché de Milan, et aussi afin qu'il
soit plus enclin faire service audit s'" le temps a venir. » Phil-
bert Naturel, conseiller, prévôt d'Utrecht, même somme, mêmes
motifs; Mathieu Lenque, conseiller, coadjuteur de Giirck, de
même ; Paul d'Estain, chevalier, conseiller, maréchal de Saint-
Pryam, de même; Paulus Bris, Bonyral deela Rien(?) et Hans
von Schaullemberg, capitaines de gens d'armes à Trêves, 70 liv.
tournois, pour avoir accompagné le légat avec douze de leurs
hommes, de Trêves à Haguenau, « pour la seurté des chemyns,
qui estoient dangereux ; » Baltazart de Dobenburgk, gentilhomme
de Bohême, serviteur du roi des Romains, pour avoir accompagné
Avril-Mai 1505] D'UNE GRIEFVE MALADYE DONT LE ROY, ETC. 7
la chaire de son auctorité esbranlée et l'appuy de sa
prospérité froissée et tout le Royaume de France en
chemin perileux et dangereulx hazart, ce qui luy
ramplist le cueur d'ennuyeulx suspirs, et les yeulx
d'angoisseuses larmes, et, pour avoir extrême reffuge
au souverain remède, tendit les mains aux cyeulx et
la pencée envers Dieu, a qui fîst très humble prière et
dévote oraison pour l'alegement du mal de son bon
prince et souverain seigneur le Roy ; puis adressa sa
requeste a la glorieuse mère de Dieu, advocate des
humains, et, le plus tost qu'il peut, s'en vint a Glery,
ou, devant l'ymage de la Vierge Marie, célébra t[rjes
dévotement et fist ses oblacions et prières d'intencion
pure et bonne volunté, et puys s'en revint devers le
le légat par les pays d'Allemagne « et l'avoir servy de truchement
durant ledit veaige, » 28 livres tournois ; Simon, bastard de Bisse,
capitaine, pour avoir accompagné le légat par l'Allemagne « avec
ung nombre de gens de guerre, » 43 livres tournois. — Somme :
7,141 livres.
« Presentacion et délivrance de vaisselle d'argent.
« A Eitlfritz, conte de Sorne, » 6 tasses, 2 flacons, 2 aiguières
découvertes, d'argent (comme ci-dessus), « pesans 50 marcs
6 onces 3 gros ; » « conte Fustamberg, portant l'espée devant
ledit Roy des Rommains, » 6 tasses, 2 flacens d'argent, pesant
37 marcs 6 gros ; Jean, fils du comte de Sorne, 1 bassin, 1 pot
d'argent, pesant 8 marcs 60 onces 7 gros; R. P. en Dieu l'évéque
de « Trigesce, » conseiller du roi, 6 tasses pleines, 2 aiguières
découvertes, pesant 24 marcs 6 deniers ; Honcbiden, conseiller
et docteur, 6 tasses, 1 pot, pesant 13 mars 6 onces 1 gros; comte
Félix, serviteur du roi des Romains, 6 tasses, 2 pots, pesant
19 marcs 2 onces. — Somme : 7^013 marcs 6 onces 1 gros, valant,
à 12 livres 10 sous le marc, 1,922 livres 9 sous 2 deniers. — Total
des deux parties : 9,063 livres 9 sous 2 deniers. Certificat du car-
dinal d'Amboise que Henri Bohier, receveur général des finances,
a payé ces sommes, 8 avril 1505 {Sign. autogr. : G., cardinal
d'Amboyse. Sceau pendant sur simple queue).
8 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril-Mai 1505
Rov, qui tousjours estoit au lit. La Royne ne cessoit
de prier Dieu et les sainctz et faire votes et promesses
pour sa santé.
Messire Loys, sire de la Trimoille, qui moult se dou-
loit de ce cas, le voua a Nostre Dame de Lyence, pro-
mectant y aller a pié. Somme, chascun pour luy pro-
mectoit de offrir sa chandelle au sainct ou sa devocion
estoit'. Quoy plus? tout le royaume de France estoit
troublé de cest affaire. Or, fut le Roy, durant ceste
maladie, par deffault de repos, tant affoibly que ses
spirituelz sensitifz entrèrent en resverie, et, après
divers propos , demanda madame Claude , sa fille,
laquelle luy fut présentée par la damme de Tournon^,
sa gouvernante ; puys voulut avoir son espée et une
javelline dont il luy souvint lors : pour luy conplaire,
luy fut baillé, en lieu de ce, quelque baston, lequel
voulut bailler a madame Glaude, disant que nul autre
qu'elle, s'il ne vouloit incontinent mourir, y touchast;
mais celle dame de Tournon, voulant ayder a souste-
nir celluy baston, y toucha ; ce que le Roy advisa et
dist qu'elle estoit morte, puysque a ce baston avoit
touché. Dont ses médecins et ceulx qui autour de luy
estoyent, pour soustenir son dire et ayder a son yma-
ginacion, lui dirent qu'il estoit vray et la firent oster
de la et cacher par ung temps, et puys ramener devant
luy; de quoy s'esmerveilla , en disant qu'il pensoit
1. Cf. le Rosier historial.
2. Jeanne de Polignac, dame de Tournon, « gouvernante de la
personne de M™« Glaude de France. » L'année suivante, la reine
lui fit don du revenu net de la châtellenie de Mehun-sur-Yèvre
(valant 35 livres), « pour se mieux entretenir au service de
madite dame » (fr. -26110, fol. 792).
Avril-Mai 1505] DE LA MORT D'UNE DAME GENEVOISE, ETC. 0
qu'elle fust pieça merle, laquelle dist, pour tousjours
luy conplaire, qu'il estoit vray, et que, après sa mort,
avoit esté en paradys, ou Nostre Dame l'avoit ressus-
citée, laquelle mandoit au Roy qu'il beust et mengeast,
et que tantost seroit guéri : ce qu'il fist, et peu après
reposa bien a point, dont ses médecins, qui toute peine
prenoyent a luy secourir, furent joyeulx et peu a peu,
a l'ayde de Dieu, le misrent sus, dont tout le peuple
du Royaume de France rendit grâces a Nostre Sei-
gneur.
Durant le grant axés de ceste maladye, partout, et
mesmement par les pays du Roy, furent nouvelles
qu'il estoit mort; dont aucunes des villes de France
furent fermées et les chasteaulx gardez, et en la duché
de Millan faict bon guect, et tant que messire Charles
d'Amboise, gouverneur dudit pays, fist serrer les gens
d'armes et mectre vivres par les places fortes de ladite
duché de Millan et prya les seigneurs dudit pays estre
bons et loyaulx envers la couronne de France, soubz
laquelle seroyent tenus en liberté et deffendus des
ennemys.
II.
De la MANIERE ESTRANGE DE LA MORT d'uNE DAME
GENEVOISE NOMMÉE ThOMASSINE ESPINOLLE , INTEN-
dyo du roy, qui mourut lors en la ville de
Gennes.
A Gennes pareillement fut dit pour vray nouvelles
de la mort du Roy : de quoy les Gennevoys mons-
trerent par semblant estre moult troublez, et pen-
cerent sur leur affaire ce qu'ilz voulurent; et, entre
40 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1505
autres, fut une dame genevoise nommée Thomassine
Espinolle, dont j'ay parlé cy devant ; laquelle monstra
bien icy le neu de l'amour des bonnes femmes indis-
soluble et leur constance inmobille, car, a l'exemple
de la bonne Julya, femme de Ponpée, qui, voyant les
habitz de son seigneur tainctz du sang des bestes
ordonnées au sacrifice, le cuydant mort, sans autre-
ment s'en enquérir, crieva de dueil, ceste dame
recommandable, au seul rapport de la première voix
disant : « Le Roy est mort ! » , laissa toute cure mon-
daine et plaisir humain pour se retirer en sa chambre
de dueil, ou respandit ung torrent de larmes et rendit
ung milion de soupirs, disant : « Ores est mort le
myen intendyo, accroist de mon estât, support de ma
vye et deffence de mon honneur ; ce qui me oste l'envye
de plus vivre et me donne vouloir de finir mes jours. »
Ainsi se douloit l'esplorée dame, monstrant comment
son intendyo estoit d'elle bien voulu, et l'amour dont
elle luy en vouloit, qui estoit, comme j'ay dit, entre
eulx honnorable et au préjudice de nuly. Ores en fut
tant que la pauvre dame, esprise de dueil et avironnée
de regretz, fut, par l'axés de melencolye, conduyte
jucques au lit de la mort, qui, huyt jours après ce, par
une douleur de fièvre continue, lui sépara l'ame du
corps; dont les Genevoys en firent funeralle feste et
moy historial récit, tant pour reveller la nouvelleté du
cas que pour magnifier le féminin amour.
En ce temps, la Royne, voyant le Roy convalescer
et recouvrer santé, et que hors du danger de sa mala-
dye estoit, s'en alla en son pays de Bretaigne, accom-
paignée des princes et seigneurs de France et des
barons et gentishommes de sondit pays a grant
Mai 1505] DE LA MORT D'UNE DAME GENEVOISE, ETC. H
nombre, ou tant honnorablement fut receue que ce
fut ung merveilleux triumphe. Toutes les villes ou elle
passoit luy furent tendues et les chemyns nectyez ; les
seigneurs de l'Eglize et gentishommes du pays, avec-
ques les marchans et tout le peuple, luy furent au
devant et l'accueillirent tous de vouloir cordial et
joyeuse chère. A Nantes et a Renés, et es autres prin-
cipales villes de son pays^, se tint l'espace de cincq
moys, ou presque, durant lequel temps tint ses Estatz
et mist ordre en toutes les affaires de ses terres de
Bretaigne, et, de jour en autre, avoit nouvelles du
Roy ^, lequel estoit sus et faisoit très bonne chère, et
ainsi, se trouvant allègre, eust envye de s'en aller a
Tours, ce qu'il fist, et passa par Amboise, ou séjourna
quatre jours. La estoit madame d'Angolesme et mon-
seigneur Françoys d'Angolesme son filz, et Marguerite
1. Alain Bouchard décrit en grand détail le voyage d'Anne en
Bretagne, ses entrées solennelles à Morlaix, Saint-Brieuc, Dinan.
Sur ce pèlerinage, voyez aussi Albert Le Grand, Vie, gestes... des
saints de la Bretagne armoricaine. Nantes, 1637, in-4o, p. 493.
Cf. Desjardins, Négociations, t. II, p. 97. Les allures trop pure-
ment bretonnes de la reine, l'affectation qu'elle mit à se réins-
taller dans son duché et à y prolonger son, séjour finirent par
vivement déplaire au roi ; mais cette indépendance ravit naturel-
lement les Bretons. Le poète cornouaillais Disarvoez Penguern
écrivait encore à ce sujet, en 1510 :
« L'an mil cinq cens et cinq, alla tout droit
En Bretaigne ceste haulte princesse
Pour visiter son pais, et a Folgouet,
Acompaigné d'une grande noblesse,
Comme d'une souveraine duchesse,
Fust receue en grande reverance. »
(Ms. fr. 24043.)
2. Le roi se plaignait fort. Le cardinal d'Amboise s'entremit
vivement pour réconcilier les deux époux.
12 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1505
sa fille, lesquelz le Roy enmena avecques luy a Tours
et les fist loger en son logys du Plessis, ou la séjourna
par l'espace de deux moys ou environ, en passant le
temps a divers esbatz, l'une foys a veoir tirer ses
archiers, l'autre a regarder chevaucher ses grans che-
vaulx et l'autre a chacer les sangliers dedans le boys
du parc, ou monseigneur d'Angolesme estoit tousjours
quant et luy ; tous plaisans deduys et joyeulx passe-
temps luy furent faictz lors, pour tousjours le tenir
en lyesse; chascun luy disoit propos nouveaulx et
estranges nouvelles, et, entre autres, luy fut dit, par
vray rapport* d'aucuns Genevoys et autres qui estoyent
venus de Gennes, commant dame Thomassine Espi-
nolle, dont j'ay escript cy dessus, estoit morte, et ce,
pour avoir ouy dire que le Roy estoit mort, et luy fut
compte des regretz qu'elle avoit faictz et de la manière
de sa mort ; de quoy le Roy fut moult esmerveillé et
bien marry; mais a ce ne peut nullement remedyer
ne autrement satisfaire, si n'est, pour pubHer sa vertus,
et anpliffyer son mérite, voulut que, par escript pré-
sent, en fust mémoire future, et, pour ce faire, me
donna la charge, qui lors escripvoye sur les gestes de
France, et me dist que messire Germain de Bonneval,
gouverneur de Lymosin, m'advertiroit de cest affaire,
comme celuy qu'il en avoit embouché et la vérité en
savoit. Dont m'en allay au logys de celuy gouverneur,
lequel me de[c]laira toute la chose, ainsi que par escript
je l'ay cy, en ma cronicque, rédigée,
1. Nous avons indiqué précédemment que ce bruit était erroné.
Tliomassine Spinola mourut en 1516.
Mai 1505] LA COMPLAINCTB DE GENNES. 13
III.
La Gonplaincte de Gennes sur la mort de dame
Thomassine Espinolle, Genevoise, dame intendyo
DU Roy, avegques l'Epitaphe et le Regret^
L'impetueulx vent, coursoire Vulturue,
En Orient menant bruyt diuturne,
Contre Aquillon descendant de son polie,
Lassus en l'air faisant leur monopolle
1. La Complainte de Gênes, œuvre de courtisan, offerte au roi,
fut reproduite en un certain nombre d'exemplaires manuscrits
pour les princes ou les gens de la cour. La Bibliottièque natio-
nale possède trois de ces exemplaires de seconde facture (mss.
fr. 6169, 1684, 25419). Tous trois sont contemporains, sur par-
chemin ; deux sont ornés de trois miniatures semblables, quoique
modifiées dans leurs répétitions par certaines variantes voulues.
En tête, Thomassine, sur la jetée ou aux portes de Gênes, suivie
de trois, de quatre compagnes, regardant, les yeux rouges, s'éloi-
gner le vaisseau de Louis XII; au début de VÉpitaphe, mort de
Thomassine, dans son palais, entourée de ses suivantes ; en tête
du Regrect, le roi, en deuil, dans son palais en deuil, debout, les
bras croisés, dans l'attitude de la douleur; derrière lui, quatre ou
six courtisans en deuil compatissant à son chagrin; dans le fond
à droite, un hallebardier en deuil; derrière, une porte s'ouvre sur
un corridor au bout duquel une autre porte'avec un personnage
ou une vue de jardin. Dans le ms. 6169, la place des miniatures
est restée en blanc. Le ms. 25419, in-S^ carré, porte au revers
du folio de garde l'ex-libris suivant : « Este libro es de Luis de
Mendoça; » il vient de la bibliothèque Lavallière. Le ms. fr, 6169,
grand in-8°, porte au verso du feuillet de garde un écu de gueules,
à trois tours (deux et une) d'argent, avec la devise ; Nan Dotes. Il
vient de la bibliothèque de Golbert. Le ms. fr. 1684, in-4'', portant
en tête la mention contemporaine : « la Complainte de dame Espi-
nolle, » paraît avoir toujours appartenu à la Bibliothèque royale.
11 paraît être l'exemplaire de don. Cependant, le blanc réservé
sur le feuillet de garde n'a point été rempli. Ce dernier manuscrit
est aussi le seul où l'on trouve une prétention à quelque exacti-
14 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1505
Et bruyans crys sur l'eure conticine ^ ;
Saturne, ayant sa bucyne ^ argentine
En l'assendant du palais Capricorne,
A son public par les cieulx crye et corne,
Et retentist ses tons melodyeulx^
Pour reveiller les déesses et dieulx,
Disant a tous les célestes consors :
« Levez vous sus, mectez vous aux essors
Et allez veoir^ la région terrestre
Pour ne lesser plus la bas en terre estre
Celle qui est tant digne de louanges.
Qu'elle doit bien estre avecques les anges ;
Car sa vye louable et méritoire
A deservy son lieu au consistoire
Des immortelz et posséder le trosne
Sidereal, comme saincte matrone,
Qui a son loz tant faict^ magnifier
Que après sa mort se doit deiffler ;
C'est le vouloir des dieux® et le plaisir
Qu'elle viengne'^ les cieulx^ prendre^ el saisir
Et qu'elle soit tost eslevée et source,
Et mise sus les Plyades et l'Ource ;
Car elle fut en vertus coustumiere,
Dont sera la spectacle de lumière,
Pour la gloyre"' d'icelle ampliffyer^',
tude pour les portraits. Nous indiquons ses variantes relativement
au texte de notre Chronique. Les autres exemplaires sont des
copies courantes dont les variantes n'offrent point d'intérêt. Il
existe aussi à la bibliothèque de Montpellier un de ces exemplaires
courants, qui a été pubUé par M. Kùhnholtz, avec une reproduc-
tion des miniatures (Kùhnholtz, Des Spinola de Gênes et de la
Complainte depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours.
Montpellier, 1852, in-4°); mais l'auteur nous parait avoir attaché
trop d'importance à l'exemplaire qu'il avait sous les yeux, et il a
joint à son édition des renseignements difîiciles à accepter.
\. Intempestine (ms. 1684). — 2. Bucine. — 3. Melodieulx. —
4. Voir. — 5. Fait. — 6. Dieulx. — 7. Vieigne. — 8. Cyeulx. —
9. Prandre. — 10. Gloire. — 11. Ampliffler.
Mai 1505] LA COMPLAINCïE DE GENNES. 15
Et aux autres myeulx^ exempliffyer^. »
Sur ce, j'oy ce cry finir et taire,
Et Jupiter lesser le Sagitaire,
Pour saillir hors de sa clere maison.
Disant aux corps célestes : a C'est raison,
Puys^ qu'en terre fut d'honneur tant parée,
Que aux cieulx luy soit mansion préparée,
Et qu'il n'y aict zodyacal* degré
Que a son plaisir ne monte et a son gré. »
Ce dit, Phebus, du palais du Lyon
Gecta sa bas des raidz ung railhon^,
Pour esclarcir le monde bruyneulx
Et faire a mont ung chemin lumineulx ^
Mercure y vint, o sa teste canyne.
Qui doulcement o sa Virge bénigne
Se monstra le gracieulx champion ^ ;
Mars destourna la queuhe au Scorpion,
Pour ne vouloir le chemin empescher;
Venus ausi vint sa libre approcher
Pour la parer de rameaulx et de fleurs;
Dyane n'eust lors voulu estre ailleurs,
Mais la chambre du Cancre avoit ouverte.
Et de nymphes tappissée et couverte.
Ainsi chascun d'iceulx fist son devoir
Pour accueillir la dame et recepvoir,
Comme estoit deu a celle bienheurée
Plaisante au monde et aux cieulx dësirée.
Je ne savoye ancore a qui c'estoit
Que tant d'onneur lassus on apprestoit,
Mais tost après au vray fuz advertye'^
Que une dame myenne^ estoit departye^
De ce siècle, en celle nuyt passée,
Et qu'elle estoit de douleur trépassée^".
Or en sceu je les piteuses nouvelles,
1. Mieulx. — 2. ExempUffler. — 3. Puis. — 4. Zodiacal. —
5. Millyon. — 6. Champyon. — 7. Advertie. — 8. Mienne. —
9. Départie. — 10. Trespassée.
16 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1505
Qui ne me sont ne plaisantes ne belles,
Par les clameurs du peuple Gennevoys,
Que j'entendy cryer^ a haulte voix,
Disant : « Helas^! Thomassine^ EspinoUe,
Qui nous estoit guydon et baneroUe,
Et Tentretien du Roy nostre bon prince,
Le seul recours de la nostre province,
La ressource de nostre adversité,
Est morte ! Helas ! que fera la cyté *
Desollée, puysque celle perdons.
Que ne pouvons plus recouvrer par dons? »
Ainsi estoit pleurée et regrectée,
Dont en sera ma Gomplaincte trectée.
GOMPLAINCTE ELEGIACQUE.
Oyant les crys, les lamentz et delas.
Les pleurs, les plainctz, les souppirs et helas.
Que pour la mort de celle furent faictz,
De larmoyer mes yeulx ne furent las ;
Mais, en laissant tout plaisir et soûlas,
Et chargée de dueil outre mon faix.
En recordant ses grâces et bienffaictz.
Et sa valleur tant regrectée et plaincte,
J'ay bien voulu dicter une complaincte
Pour faire icy commémorer son nom,
Disant a tous : « Si sa vye ^ est estaincte,
Tousjours en loz florira son regnon ^. »
Pourquoy doncques ^ n'eut elle longue vye
Puysqu'elle avoit bon vouloir et envye
De profficter^ en vertueulx propos?
Elle n'avoit pas la mort deservye^.
Ne ne devoit si tost estre ravye^o,
Mais tous temps vivre en très heureux repos ?
1. Crier. — 2. Hellaa. —3. Tommassine. — 4. Cité. — 5. Vie. —
6. Regnom. — 7. Donques. — 8. Profiter. — 9. Dexervie. — 10. Ravie.
Mai 1505] la COMPLAINCTE DE GENNES. 17
Respons icy, o fatalle Atropos,
Qui sans raison, de tes cruentes mains,
Romps les fillectz^ de la vye^ aux humains,
Malgré Gloto et Lacchesis^ tes seurs?
Tes faictz sont trop cruelz et inhumains,
Quant soubz ta main nulz hommes ne sont seurs I
Par coup soubdain celle as rendue morte,
En demonstrant ta périlleuse sorte.
Dangereuse, diverse et importune ;
Mais ung remort sur ce me reconforte.
C'est qu'elle fut constante, ferme et forte.
Contre l'assault de parverse fortune.
On n'en devroit pas louer plus fort une
Que ceste cy, que chascun dit et vante
Avoir esté belle, bonne et savante,
Sage, riche, gracieuse et bénigne,
Honnorable, très faconde et prudente,
Et paragon de grâce féminine.
Si par-i larmes espandre et ruisseller,
Ou richesses tost desamoncelier,
Estoit permis ^ de révoquer les âmes.
Je ne vouldroye ja tant dissimuller ^
Que tout ne misse a celle rappeller.
Gomme la plus désirée des dames.
Or, est son corps trancy, entre les^ lames
De ses parens trépassez et amys.
Helas! pourquoy est il ainsi la mys,
Pour devenir si ville pourricture^,
Et aux vermetz de terre estre submys^,
Qui fut le chief des œuvres de nature?
0 Gennevoys, que ferez vous ycy^,
Si n'est douloir et plourer de soucy,
1. Filletz. — 2. Vie. — 3. Lachesis. — 4. Pour. — 5. Promis. —
6. Dissimuler. — 7. Pourriture. — 8. Soubmys. — 9. Icy.
IV 2
là CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1505
Pour la perle qui vous est advenue
Par le decez de corps qui est trancy,
Que vous voyez en la terre estre ainsi.
Ce qui vous est dure desconvenue ?
Le temps requiert ausi\ Teure est venue
Que vous devez porter le noir habit
Pour demonstrer le funeral obit
D'une qui fut la plus qu'autre extimée ;
Celle perdez par ung cas trop subit,
Qui seulle estoit myeulx^ digne d'estre amée.
Que faictes vous, mesdames Genevoises,
Damoiselles, marchandes et bourgeoises,
Chambarieres, servantes et exclaves?
Aprochez vous plus près que de deux ^ toises.
Pour lamenter en lieu de faire noises,
Et ne soyez a plourer icy graves.
Lessez a sec sur le sablon voz naves,
Et espuysez^' toute l'eau de la mer
Pour la venir en ce lieu consumer^
Par le degouct de voz yeulx larmoyens ^.
Celle est morte, qui, pour vous renommer,
Sur les autres a trouvez les moyens !
Vous, Neptunus, qui la mer gouvernez
Et ses voisles faictes singler au vent,
Venez ycy ^ et nous entretenez ;
Plus ne pouvons sans vous aller avant,
Car nous avons perdu par cy devant
Le gouvernail de nostre navigage,
La conduyte de tout nostre passage,
L'appuy tenant nostre seure esperence^,
L'yntendyo du noble Roy de France.
Dame Aurora, qui avez arrosée
\. Et. — 2. Mieulx. — 3. Denlx. — 4. Espuisez. — 5. Gonsum-
mer. — 6. Lermoyens. — 7. Icy. — 8, Espérance.
Mai 1505] LA COMPLAINCÏE DE GENNES. 19
De voz larmes la lerre en plusieurs lieux \
Pleuvez icy celle doulce rosée
Que pour Gynus dégoûtez ^ de voz^ yeulx :
Vous ne pouvez, ce croy je, faire myeulx'',
Car celle la, qui plus estoit louée
D'excellant priz de beaulté avouée,
Et qui portoit tous les tiltres donneur,
A rendu l'ame au céleste Seigneur.
Vous, Eacus, Mynos et Radamant,
Qui de tous droiclz infernaulx décidez,
Gardez vous bien de faire jugement
Contre celle, et que n'y procédez,
Ou si de tant, certes, vous excédez,
Tantost sera sentence révoquée ;
Car ja sa cause est mise et évoquée
Au grant conseil du divin consistoire,
Ou tous les dieulx tiennent leur auditoire.
Thesiphone, Aletho et Megere,
Pluton, Caron, Bellides, Tantallus,
Et tous ceulx qui en lieu de réfrigère
Estez plungez es infernaulx palludz,
A ceste cy ne ferez voz sallutz.
Car, du gouffre obscur, puant et noir
Ou vous estes ^, jucques^ a son manoir.
Qui est plus beau que les champs Elisées,
N'a seur chemin adresses ne brisées.
Lessez les fleurs, o déesses Nappées,
Et appeliez les fontalles Nayades^,
Et aux forestz de verdure drappées
Allez quérir Satires et Dryades ^ ;
Sonnez^ ausi a ses Amadryades"*
Que trouverez sur les arbres perchées,
1. Lieulx. — 2. Degouctez. — 3. Vox. — 4. Mieulx. — 5. Estez.
— 6. Jusques. — 7. Naydes. — 8. Driades. — 9. Sonnés. —
10. Ainadriades .
20 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1505
Dessus les mons Oreades * couchées,
Phaunes aux champs, en mer les Nereydes ;
Amenez les icy a mes aydes.
0 Narcisus, qui eustes en desdain
La doulce Eco, en bon poinl jeune et belle,
Vous n'eussez pas faict reffus si souldain ^
De ceste cy, ne tant esté rebelle,
Tant de vertus avoit et grâce telle,
Mais qu'elle n'eust parolle ou regard chiche
Qu'onques homme, tant fust grand, bel ou riche,
Ne la sceut voir, adviser ou oyr,
Qui n'eust désir de son amour joyr.
Sus, Terpander, florisant en ^ musique.
Et AppoUo-î le doulx armonizant,
Mectez a part la science et praticque ^
De vostre chant; plus n'est ycy^ duysant.
Vous, Orpheus, tant bien citharizant
Que les Enfers endormez par voz sons,
Et Haryon, qui faictes les poissons
Dancer en mer, quant la harpe touchez.
Fuyez dMcy^ et plus ne m'approchez.
Par vraye amour et douloureulx regret,
Dont elle fut jucques au cueur actainte,
Pour son seigneur intendyo^ segret.
Le cuydant mort et sa vye estre estaincte,
Las, elle en print^ celle mortelle estraincte.
Pour trop serrer le lyen d'amytyé"^;
C'est ung bienfaict et ung cas de pityé^*
Qui ne se doit a jamais oublyer'^.
Mais en tous lieulx cryer et publyer^^.
1. Oreades. — 2. Soubdain. — 3. Inventeur de. — 4. Appolo.
— 5. Pratique. — 6. Icy. — 7. Ici. — 8. Intendio. — 9. Elle
print. — 10. Amityé. — 11. Pitié. — 12. Oublier. — 13. Crier et
publier.
Mai 1505] LA COMPLAINCTE DE GENNES. 21
Que diront plus orateurs et poètes
De Tisbée<, d'Ero et de Philys,
De Medée, fille du Roy OEtes,
Dont amours ont les corps ensevellys3,
D'Erigone, de Gyla^, dont je lys,
De Jullya et Dido de Gartage?
Celles doy vent '' lesser en bas estage,
Et a ceste funder ung oratoire,
Ou tous ses faictz seront mys en histoire.
Elle a bien faict des^ œuvres tant louables
Que par escript se doyvent rédiger
Et emgraver en pierres et en tables
Pour les mectre en veue et ériger ;
Elle a voulu les vices corriger
Et approuver les grâces et vertus,
Les afïamez a peuz, les nudz vestus,
Servy^ a Dieu et bien amé l'Eglize^,
Et tout son temps vescu en ceste guise.
Ennuyeulx n'est ^ ce compte a reciter,
Dont le surplus du dire je révoque.
Mais, toutesfoys, pour mon deu aquicter,
Vestue en noir et portant mesme toque,
Mes cytoyens a ce dueil je convoque,
A celle fin que chascun soit recors
De la dame dont icy gist le corps,'
Et qu'elle soit tant plourée et doulue.
Qu'on cognoisse qu'elle estoit bienvoulue.
Le long propos de ce piteulx affaire
Tant me reduyt a courroux et a dueil
Que je ne say certes se je doy faire
Plaincte de bouche ou fondre en larmes d'ueil.
C'est ung regret dont si fort je me dueil
1. Thisbée. — 2. Ensevelys. — 3. Cila. — 4. Doivent. — 5. De.
— 6. Servi. — 7. Eglise. — 8. M'est.
22 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1505
Que mes souppirs, qui tousjours sont en l'er,
Me sincoppent et rompent le parler,
Tant que je suys< a ce moyen contraincte
Faire sillence et finir ma conplaincte^.
L'Epitaphe parlant par la bouche de la deffuncte.
Gomme chascun au tour du malleur tumbe,
Icy, dessoubz ceste massive tumbe,
Suys morte, helas! et perye^ avant âge,
Sans nul respit avoir pour l'avantage
De jeunesse dont j'estoye emparée,
Et de beaulté moult richement parée.
De biens mondains dont ausi j'en aquys'^
Moult largement, quant a Gennes nasquys^,
Ou j'ay vescu doulcement a séjour
Et demeuré la jucques a ce jour.
Auquel lieu vint, comme j'estoye en vye^,
Le noble Roy de France, ayant envye^
De visiter sa supperbe cyté,
Ou se trouva comme s'il fust cyté ;
G'estoit le preux Roy doziesme Louys.
Je le veiz la, l'enlendy et Pouys,
Parlay a luy au myeulx que faire peuz,
Et mon regard sur luy a faix repeuz.
Si bien que amour me fist^ tost mectre en queste
De Taccoincter, dont je feiz mon enqueste
Et demanday la grâce du bon prince,
Qu'il m'octroya, disant que je la prince;
Puys me voulut laisser et retenir,
L'intendyo^, sans autre erre tenir.
Helas! j'en bien ce noble don prou cher.
Car oncques puys ne Jaissay approucher
Homme de moy, non certes mon mary,
Qui maintes foys en a esté marry.
1. Suis. — 2. Complamcte. — 3. Perie. — 4. Aquis. — 5. Nas-
quis. — 6. Vie. — 7. Envie. — 8. Fcist. — 9. Intendio.
Mai 1505] LA COMPLAINCTE DE GENNES. 23
Deux ans* ou plus, j'ay tousjours maintenue
Geste vye ^ et pour luy main tenue,
Et eusse faict tant qu'au monde eusse esté,
Et pour luy seul tout mon cueur excepté ;
Mais Fortune, celle marrastre adverse,
Disant ainsi qu'elle m'aura traverse,
Et ne voulut suffrir ce, ne parmectre,
Comme sera icy touché par mectre ;
Car une voix m'envoya pour me dire
Qu'il estoit mort, dont fuz esprise d'ire
Et de courroux, tant que lors je m'accouche,
Ne oncques puys ^ ne levay de ma couche.
Disant : « Helas! ha! Mort! trop est mortel
Ton dur^ assault, si par toy est mort tel!
Car s'il estoit, comme ^ on dit, trépassé,
Mon corps vouidroit ce pas estre passé. »
En ce disant, la fieuvre continue.
Me vient saisir et tant me continue
Qu'a la parfîn mes espritz tant lassez
Ne peurent plus soustenir tel acez.
Dont commainçay les membres a estandre.
Tirer du cueur qui du travail est tendre;
Lors vient la mort que les deux ^ yeulx me bousche,
M'estrainct^ le poux et me ferme la bouche.
Ainsi laissay les choses temporelles,
Dont maincles ont souvant mal temps pour elles.
Helas ! sire, soyez cy enseigneur,
Si vraye amour est ou gist en seigneur,
Si vous estes après moy survivant
En ce monde ou n'y a seur vivant,
Ne mectez pas celuy corps en oubly
Que vous avez tant de grâce ennobly ;
Puysque pour vous il est mort ; soubz la lame,
Vueillez avoir souvenance de l'ame.
1. Dueulx. — 2. Vie. — 3. Puis. — 4. Deur. — 5. Corne. —
6. Dueulx. — 7. Estainct.
24 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1505
Regret que faict le Rot pour la mort de sa dame intendyo '.
Cruelle Mort, de dur venin esprise,
D'amer poison enracynée et prise
Et de fièvre 2 pestiffere^ entachée,
Pour quoy as tu par celée entreprise
Celle dame au despourveu surprise,
Et contre elle ta fureur actachée ?
Elle n'estoit pas encores tachée
De vieriesse\ ne de son griz pellage,
Mais au printemps de son florissant age^,
Belle, bonne, sage, riche et discrète;
Or, est elle morte par ton oultrage;
Tousjours la plains et sans fin la regrecte^ !
En faict d'honneur estoit si bien aprise
Qu'elle ne fut en sa vie reprise
D'aucun meffaict et de mal reprochée.
Or Tavoye je pour intendyo prise,
Et elle moy, de quoy myeulx^ je me prise,
Veu les vertus dont elle estoit merchée.
Tant fut certes de mon cueur aprochée
Que pour son bien maintenir en usage
J'eusse bien faict a Gennes ung voyage -,
Mais de maleur est morte la pauvreté.
Helas ! c'est bien ung merveilleux domage :
Tousjours la plains et sans fin la regrecte 1
Elle vivant, j'ay sa valleur comprise,
Tant qu'il ne fault que morte la desprise;
Mais est requys^ que par moy soit cherchée,
Voire du cueur que regrect auctorise
1. Le Roy. — 2. Pieuvre. — 3. Pestiféré. — 4. Vieillesse.
5. Aage. — 6. Regrete. — 7. Mieulx. — 8. Requis.
Mai 1505] LA COMPLAINCTE DE GENNES. 25
De ce faire, et le cas favorise,
Disant que amour ne peut estre cachée;
Ce que scet bien ma pencée empeschée,
Mes sens ravys' et mon triste courage,
Qui ne peuvent oublyer"^ l'avantage
Que me fist lors tant que ores en suffrecte :
Son corps en est en terre pour hostage.
Tousjours la plains et sans fin la regrecte!
Prince, j'ay eu son amour en partage,
Dont elle aura de moy, pour héritage,
Prierre^, adieu et oraison segrecte.
Je ne luy peuz donner autre suffrage.
Si n'est que icy en ce bas monde et frage,
Tousjours la plains et sans fin la regrecte
Celle est morte qui a vescu sans blasme,
Et eu le bruyt de tant eureuse famé
Que impossible seroit de trouver homme
Qui sceust nombrer la moytyé^ de la somme
Des grans vertus qu'avoit la noble dame.
Qui veust savoir commant elle se clame,
Je ne la^ veulx certes celler a ame :
Thomassine EspinoUe se nomme
Celle.
Cy finira ma piteuse epigrame.
Louant ses faictz et priant pour son ame,
Comme regret de ce faire me somme,
Et vraye amour qui me commande en somme,
Sy j'amay lors, ancores veust que j'ame^
Celle.
1. Ravis. — 2. Oblier. — 3. Prière. — 4. Moytié. — 5. Le. —
6. Je ame.
26 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juillet 1505
Après que j'cu ceste elegye mise a fin', j'en presen-
tay, audit lieu de Tours ^, ce que j'en avoye faict au
Roy, pour luy donner de ma part quelque diverse
nouvelleté et moyen d'agréable passe temps : ce qu'il
advisa de mot a mot, et, comme depuys par aucuns
me fut dit, l'envoya a Gennes pour faire mectre sur
le tumbeau de la deffuncte, en signe de continuelle sou-
venance et spectacle mémorable.
En ceste manière se passa une partye du temps de
celle année, que le Royaume florissoit en paix et le
peuple prosperoit a prouffict. Quoy plus? si n'est que
le très louable prince, comme chief des vertueulx et
1. Jean d'Auton, qui honore tant ce deuil de fantaisie, n'a point
mentionné la mort de la première femme du roi, Jeanne de
France, morte en odeur de sainteté à Bourges, le 4 février 1505
(V. notre livre Jeanne de France, et ci-dessus, t. III, p. 359). Jeanne
avait fondé un ordre de religieuses, l'Annonciade, que sa sœur
Anne, d'accord avec Jules II, s'occupait pieusement alors d'as-
seoir sur des bases solides (bref de Bologne, 6 id. jan. 1506.
Arch. du Vatican, VwZù" // Regesta sécréta, reg. 984, fol. 263 r°-
267 v»). On assure cependant que Louis XII, qui n'était pas
heureux, entourait Jeanne du plus respectueux souvenir (not.
déposition de Michelle, veuve de Noël Guyon, au procès de cano-
nisation). Cette sainte femme laissait dans l'esprit pubhc une
trace profonde. Jean Bouchet, dans le Temple de bonne renommée,
en faisait une sainte quelques années plus tard (éd. 1517, fol. 77) :
« Or, en sortant du cousté latéral (du côté des saints),
Ung grant tumbeau je aperceu, de coural,
Enrichy d'or et pierres par oultrance.
Ou reposoit dame Jehanne de France,
Qui de Berry fut duchesse et vesquit
Si sainctement que le monde vainquit.
Et ses bombans dont elle ne tinst compte.
L'ame est au ciel, ainsi que chascun comte. »
2. Louis XII passa à Tours tout le mois de juillet 1505 et le
commencement d'août. Il demeura à Blois ou aux environs tout
le reste du temps.
Juillet 1505] LA COMPLAINCTE DE GENNES. 27
exemple des bons, eut tousjours cognoissance du ser-
vice de ses gens et souvenance de leurs biensfaictz,
tant que, soubz sa main, le mérite de chascun estoit,
scelon son estât, haultement rémunéré et recompancé
deuement : a ses serviteurs lays donnoit grosses offices
et bons gages ; a ceulx de l'Eglize, prelatures et béné-
fices, et, affin que nul demeurast sans en avoir, quant
de quelque evesché ou abbaye faisoit pourvoir ses plus
recommandez, de leur despoille revestoit les autres ;
et, qui plus est en grâce de recognoissance estoit
tant cler voyant que, de son propre motif, pourvoyoit
ceulx des siens qui n'avoyent en court amys pour les
advancer ou audace pour en demander, qui est œuvre
louée de la bouche de tous et moyen d'actraire le
cueur de chascun. En ce mesme temps, en colloca plu-
sieurs, dont le bienfïaict m'est reduyt a mémoire pour
en avoir eu ma part, telle que, par son commande-
ment, du cardinal de Nerbonne^, lequel, devant ce,
avoit pourveu de plus, j'en lors le prieuré de Glermont
de Lodève en Languedoc, ce qui de moult rainfforça
l'entretiennement de mon estât et m'obligea de plus a
prier Dieu pour la prospérité du donneur.
Or, avant, icy est a dire que Phelippes d'Autriche,
archiduc, faisoit lors la guerre au duc de Gueldres,
parent du Roy-, et de tout son pouvoir contrarioit au
vouloir dudit seigneur, et mesmement pour l'evesché
de Tournoy, dont il vouloit pourvoir ung des seigneurs
de son conseil, nommé Charles du Haultboys, et,
avecques ce, faisoit prises et surprises sur les droictz
1. Fr. -Guillaume de Glermont-Lodève, cardinal de Narbonnc,
neveu du cardinal d'Amboise.
2. Charles d'Egmont, duc de Gueldre, fils d'une Bourbon.
28 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Août 1505
de la juridiction de Tournay, apartenant au dommaine
de la couronne. Par quoy le Roy envoya en embaxade
par devers luy Angilbert Mons', conte de Nevers, avec-
ques grant nonbre de gentishommes, et bien accom-
paigné de gens de conseil, desquelz estoyent maistre
Jehan Poncher, evesque de Paris ^; maistre Pierre de
Sainct Andrieu, juge mage de Garcassonne^, et maistre
Jacques Olivier^, son advocat en parlement; ausquelz
ne voulut ledit archiduc donner audience ne tenir
parolles d'aniytié, ni faire raison de son tort. De quoy
le Roy, adverty, délibéra donner secours contre luy
au duc de Gueldres et luy faire reparer par force le
meffaict que par amytié ne vouloit amender*.
Toutes ses choses révolues, le Roy s'en alla de Tours
a Amboise, ou séjourna cincq jours, et puys tira droict
a Bloys^, ou devers luy vint en ambaxade, pour le Roy
d'Angleterre, ung chevallier angloys nommé messire
Charles de Sombrecet^, parent dudit Roy d'Angleterre ;
1. Etienne Poncher (et non Jean Poncher, comme nous l'avons
déjà observé), d'abord conseiller au parlement de Paris, employé
par Charles VIII dans les affaires de Saluées (fr. 2919, fol. 9 bis),
puis chancelier de Milan, était devenu évêque de Paris en 1503
et avait prêté serment en cette qualité le 30 avril 1503 à Lyon
(fr. 25718, fol. 74; cf. Cérémonial français, II, 866).
2. Pierre de Saint-André, juge-mage de Carcassonne, puis pré-
sident de Toulouse, chef de la justice de Gênes, premier président
de Toulouse, venait de jouer un rôle important dans le procès du
maréchal de Gié.
3. Jacques Olivier, avocat de la reine à Toulouse contre le
maréchal de Gié ; il devint avocat général et premier président
du parlement de Paris.
4. L'archiduc fut assigné au parlement de Paris le 6 septembre
{Lettres de Louis XII, I, 24).
5. Il était à Blois le 16 août (Desjardins, Négociations, II, 114).
6. Somerset.
Sept. 1505] LA COMPLAINCTE DE GENNES. 29
lequel ambaxadeur fut du Roy honnorablement receu
et festyé a souhet et ouy sur ce qu'il vouloit dire et
demander, qui estoit que ledit Roy d'Angleterre, qui
bon pour les Françoys avoit tousjours esté et estoit, en
voulant de plus en plus fort estre, et, pour acroistre
l'alyence et ranforcer l'amytié d'entre le Roy et luy,
demandoit avoir en mariage Marguerite d'Angoulesme,
proche parente du Roy ; et, sur ce, bailla ledit amba-
xadeur, par articles, l'intencion dudit Roy d'Angle-
terre et tout ce qu'il vouloit dire.
Le Roy veist iceulx articles et lut de point en point,
et icelz mist en conseil pour en avoir l'oppinion : le
cas fut debatu a plusieurs foys, et, sur ce, alléguez
divers propos et mainctes choses, et, entre autres,
dit que, si le Roy n'avoit aucuns hoirs masles de sa
chair procréés et que si mons" Françoys d'Angou-
lesme, par defFault de ce, succedoit a la couronne
comme le plus proche et ausi que en hoirs masles
deffaillist, au moyen du mariage de ladite Marguerite
d'Angoulesme, seur dudit monseigneur, pourroyent
les Angloys, en l'advenir et contre l'ordonnance de la
loy sallicque, quereller, comme par ung tel cas ont
faict, le royaume de France ; ce qui j)ourroit a telle
heure mouvoir guerre qui seroit immortelle entre les
Françoys et Angloys, et a la perte de tout le royaume
de France. Par quoy fut conclut, a la fin, que celuy
mariage ne se feroit ; dont s'en retourna ledit ambaxa-
deur sans autre chose faire.
Le Roy s'en estoit allé lors a une petite place nom-
mée Madon, a deux lieues de Bloys, ou fist venir la con-
tesse d'Angoulesme et ses enfens^ lesquelz fist loger
1. Il Qous faut préciser en quelques mots les négociations aux-
30 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Sept. 1505
au Moutis soubz Bloys, et la vint ausi la duchesse de
Bourbon ^ bien accompaignée. Souvant fut le Roy a
la chace des cerfz et des sangliers en la forest de
Bloys, qui près de la estoit, et passa le demeurant de
la belle saison audit lieu de Madon', ou se trouva tous-
jours en bon point ; puys s'en retourna a Bloys avec-
ques toute sa seigneurie^, ou, tantost après, la Royne
quelles fait allusion Jean d'Auton et qui n'ont jamais été bien
élucidées jusqu'ici. Ferdinand le Catholique demanda la main de
Louise de Savoie, qui vint, à ce propos, trouver le roi à Madon ;
elle refusa, en déclarant que le fiancé lui paraissait trop mùr. Un
ambassadeur d'Angleterre, lord Herbert, se trouvait là, et on
reparla d'un projet de mariage en Angleterre pour Marguerite de
Valois, qui avait échoué en 1503; cette fois, ce n'était plus le
prince de Galles, mais le vieux roi d'Angleterre, veuf depuis
deux ans, qui désirait se marier. Il demandait Louise, qui refusa
encore; lord Herbert alors demanda Marguerite. Louise de Savoie
ne faisant pas d'opposition, la chose parut décidée. Le roi accepta,
et l'on échangea des notes diplomatiques. On alla jusqu'à fixer le
chiffre de la dot. Mais Marguerite, quand on lui en parla, refusa
absolument; elle avait une passion en tête; elle trouvait l'Angle-
terre éloignée et « estrange, » le roi vieux, et, malgré la présence
de Louis XH, elle disait que, « quant l'aventure viendra que son
frère sera roy, qu'elle trouvera lors bien josne, riche et noble
mary, et sans passer la mer » (Deux notes, J. 965, n^^ 28, 24 ;
Sandret, Revue des Questions historiques, 1873, p. 210-211 ; Desjar-
dins, Négociations, II, 113, 126, 130, 131, 150; Deuxième voyage de
Philippe le Beau, publ. par Gachard, p. 202; J. Gairdners, Letters...
of Richard III, II, 133-142, 143, 146; dépêches de l'envoyé portu-
gais Lopes en France, analysées dans les Archives des missions,
2« série, t. V [1868], I, no^ 84, 133, 150).
1. Anne de France.
2. Il alla simplement à Madon au commencement de septembre
et revint à Blois le 10. Il repartit pour Madon le 15, et il était de
retour à Blois le 22.
3. Le roi fit jurer par ses capitaines l'exécution de son testa-
ment, c'est-à-dire (comme le voulait le maréchal de Gié) d'em-
pêcher Claude de sortir du royaume. Le premier serment fut
prêté le 31 mai 1505 (Berault Stuart). Les autres s'échelonnèrent.
Sept. 1505] LA COMPLAINCTE DE GENNES. 31
vint de son voyage de Bretaigne, toute ravye de joye
Ils furent prêtés par écrit, en double expédition, avec la signa-
ture du capitaine (J. 951; cf. portefeuilles Fontanieu, 154-155;
Vidaillan, Histoire des conseils, I, 398; fr. 2831, fol. 89, 90, 91;
fr. 15536, fol. 5, 6). L'importance de ce fait nous oblige à indiquer
sommairement la teneur des serments originaux contenus dans
le carton J. 951 :
Blois, 30 septembre 1505. — Serment de Berault Stuart d'Au-
bigny, à Dieu, sur la damnation de son âme et sa part de para-
dis, sur la vraie croix et les saints évangiles, en sa présence et
celles du cardinal d'Amboise, du secrétaire Robertet : si le roi
va de vie à trépas sans enfant mâle, de servir Claude et le duc
de Valois, sans nul excepter, ici et hors du royaume, lui et les
cent archers écossais de la garde, jusqu'à la mort inclusivement,
au cas où « aucuns, quelz qu'ilz soient, » voudraient emmener
Claude hors du royaume, et l'empêcher d'observer le testament
fait par le roi à Blois le 31 mai dernier : et spécialement de
servir la reine pour le mariage de Claude avec François, Signé :
« Berault Stuart. »
Même serment, par Jean Stuart. Signé.
Madon, 17 septembre 1505. — Serment de Jacques de Crussol,
capitaine des 200 archers de la garde (semblable, sauf la dernière
phrase). Signé par lui et son heutenant.
Blois, 19 octobre 1505. — Serment de Guillaume de la Marck,
seigneur de Montbason. Signé. Apostille signée de ses deux lieu-
tenants.
8 novembre 1505. — Serment de Gabriel de la Châtre, seigneur
de Nançay, capitaine des 100 archers de la garde. Signé.
16 mars 1505 (anc. st.). — Cédule de Roger'de Béarn, seigneur
de la Bastide, de son serment, prêté aux mains de l'évêque de
Paris, de ne remettre la place de Mauléon-de-Soulle que sur ordre
exprès du roi et de la remettre sur cet ordre ; de n'y commettre
nul lieutenant gascon qui ne soit bon et naturel français.
Même date. — Serment d'Antoine de Lonbes, seigneur de
Fontaines , capitaine de Granville ( semblable , sauf la dernière
phrase).
Même date. — Serment de Jean Bertran, seigneur de Villemer,
commis capitaine d'Angers, jusqu'à ce qu'il en soit autrement
ordonné {idem).
Même serment de Guillaume Criston, capitaine de Milan, pro-
32 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Sept. 1505
de voir le Roy prospérer en estât et revenu en santé*.
En ce mesmes temps, fut trecté le mariage du Roy
Ferrand d'Arragon et de madamoiselle Germaine de
Foix, nyepce du Roy ; lequel Ferrand estoit vefve de
dame Ysabel de Castille, morte quelque peu de temps
devant ce~; et, pour conduyre le démené de cedit
mariage, celuy Ferrand, Roy d'Arragon, avoit envoyé
ses ambaxadeurs devers le Roy^, lesquelz y besoi-
gnerent tellement que, par le vouloir du Roy et l'oppi-
nion de son conseil, le mariage fut conclut et accordé ^,
mettant aussi de servir, si le roi mourait, ses enfants mâles, ou
à défaut Claude et celui qui l'épousera ; prêté devant le roi, le
cardinal d'Amboise, légat en France, le chancelier, les arche-
vêques de Sens et de Tours, les évêques d'Albi et de Paris, les
abbés de Fécamp et de Saint-Ouen (de Rouen), les seigneurs du
Bouchage, Jean Stuart, capitaine de la garde écossaise, les géné-
raux des finances et autres.
1. Le cardinal d'Amboise venait, au contraire, de lui écrire de
Madon, le 17, une lettre suppliante pour mettre fin à sa mésin-
telligence avec son mari (Leroux de Lincy, III, 158).
2. V. t. m, p. 352.
3. V. Humbert Veiay. Le premier appointement avait été
signé le 28 juillet par Louis XII, confirmé par le roi d'Aragon le
26 août.
4. 12 octobre. François d'Angoulême le ratifia, avec le titre de
dauphin (cf. Léonard : la Diplomatie au temps de Machiavel, t. III,
p. 213). L'original de cette confirmation se trouve aux Archives
nationales, K. 1639, d. 3. Il est signé Françoys, avec grand sceau
rouge pendant sur queue de parchemin et le sceau du cardinal
d'Amboise, intervenant dans l'acte comme tuteur. Les patentes
de Louis XII, instituant la tutelle du cardinal d'Amboise sur le
jeune prince et datées du même jour, consacrent habilement
l'hégémonie du cardinal par des considérations de politique exté-
rieure. Pour le bien du royaume, il est nécessaire, disent-elles,
que notre très cher et très amé neveu le duc de Valois, comte d'An-
goulême, notre successeur en notredit royaume, en cas que nous
n'ayons pas d'enfant mâle, soit compris dans l'alhance avec Ferdi-
nand. Gomme il est mineur, et considérant les grands services
Octobre 1505J LA COMPLAINCTE DE GENNES. 33
et ladite Germaine de Foix fiencée et esposée audit
Roy Ferrand, par procureur ^ ou furent faictz divers
esbatz et joyeulx passetemps, par lequel mariage fut
dit et accordé que tous les princes et seigneurs du
royaume de Naples, qui lors estoyent en court fuytifz
de leur pays pour avoir tenu pour le Roy, seroyent
remys en leurs terres et seigneuryes^.
du cardinal d'Amboise, qui n'a épargné sa personne ni ses biens,
nous « baillons » au cardinal « la totalle administracion de la
personne de nostredit nepveu le duc de Valoys durant son bas
aage et pupilarité », et lui donnons pouvoir de l'assister comme
tuteur pour son accession à l'alliance avec Ferdinand (signées du
roi, contresignées de Robertet. Blois, 8 oct, 1505; orig., K, 1639,
d. 3).
1. La dispense nécessaire fut donnée, séance tenante, au châ-
teau de Blois, le 17 octobre 1505, par l'évèque d'Albi et l'évoque
de Paris (Orig., deux sceaux pendants sur simple queue, K. 1639,
d. 3).
2. Mais on excepta César Borgia par la convention suivante :
« Ludovicus Dei gratia Francorum Rex, ac Mediolani dux,
etc. Universis et singulis présentes litteras inspecturis. Notum
facimus quod, quamvis inter nos et catholicum et potentissimum
Ferdinandum Hispaniarum, etc. Regem, fratrem nostrum et con-
federatum, sit inter alia in capitulis pacis, unyonis et lige concor-
datum quod princeps Rosani, marchio Bitruti et alii cujuscunque
status, nacionis et condicionis sint, qui pendente guerra inter nos
et prefatum Regem fuerunt capti et tenentuc captivi per dictum
Regem catholicum vel per alios suarum partium, scilicet in Ita-
lya, Arragonia, Gastella et Hispania vel alio loco sint illico res-
tituti in plena et pura deliberacione absque aliqua pecuniarum
solucione. Nichilominus tamea fuit inter nos et prefatum catho-
licum Regem seu ejus oratores nomine suo concordatum quod
certis causis et respectibus in supradicto capitulo seu concordia
non intelhgantur Gesar de Borgia dux Valentinensis nec etiam
comes de Pallas qui per dictum Regem catholicum capti detinen-
tur, immo non obstante dicta concordia et capitulacione Catho-
licus Rex possit eos detinere ut sibi visum fuerit. In cujus rei
testimonium présentes publicas litteras herijussimus manu nos-
tra signatas et sigillo nostro pendenti munitas. Datum Blesis die
IV 3
34 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Décembre 1505
L'archiduc, a qui lors, a cause de sa femme, fille de
la feue Royne d'Espaigne'', appartenoit ledit royaume,
fist son armée et amas de gens pour aller prendre
pocession de ses pays d'Espaigne et faire la son entrée,
et, premier que partir, prist trêves et abstinence de
guerre avecques le duc de Gueldres^, duquel il avoit
prises quelques places ou mist grosses garnisons et
bonnes gardes, et ausi ordonna de ses affaires de son
pays de Flandres, et laissa gouverneurs et lieutenans
pour luy audit pays. Et, ce fait, avecques grant nombre
de Flamens et Allemans, bien garny de finences, se
mist sur mer, tirant vers la terre d'Espaigne, et, par
quelque temps, luy et ses gens eurent vent a gré ;
mais, a l'approcher d'Espaigne, leur survint une for-
tune de mer tant impétueuse que tout son navigage
fut soubdainement séparé et esparty, les ungs d'un
costé, les autres d'autre, desquelz périrent par nauf-
frage troys navires et grant nombre de gallyons, ou
noyèrent de troys a quatre mille hommes ; et est assa-
voir que la pluspart d'iceulx furent par tempeste
reculiez jucques a la coste d'Angleterre, ou ledit archi-
duc et ceulx qui estoyent en son navire cuyderent tous
periller, car leurdit navire fut rompu et esclaté contre
les terres ; si fut ledit archiduc incontinant, avecques
ceulx qui près de luy estoyent, secourus par legiers
brigandins et petites barches, tant que a seureté furent
menez en terre ferme ; et, pour ce que ledit nauffrage
xn-"» mensis octobris anno Doiniai millesimo quingentesimo quinto,
et regni nostri octavo.
« LOYS. »
(Sur le repli :J « Per Regem, Robertet » (Orig., parcb., K. 1639,
d. 3).
1. Morte le 26 novembre 1506.
2. Lettres de Louis XI f, I, 34 et suiv.
Décembre 1505] LA COMPLAINCTE DE GENNES. 35
s'estoit taict en Angleterre, ledit archiduc fut mené
et conduyt a Lomdres, ou le Roy d'Angleterre estoit
lors, lequel le festya honnorablement et le consoUa au
myeulx qu'il peut de la deffortune de sa perte, en le
trectant le plus humainement qu'il sceut faire ; et, après
que quelque bonne espace de temps eut la demeuré,
il demanda s'en aller en ses pays, priant le Roy d'An-
gleterre ne le plus détenir, veu les affaires qu'il avoit;
auquel dist le Roy d'Angleterre que de droict pouvoit
estre son prisonnier, veu que son nauffrage avoit faict
en Angleterre, mais ne le vouloit trecter comme pri-
sonnier; ains luy feroit comme a frère et bon amy, en
luy disant : « Vous avez en voz pays Emond de la Pôle,
conte de Suffolk, lequel se dit avoir droict a la cou-
ronne d'Angleterre et veust quereller mes pays. De
quoy je le repute mon mortel ennemy et luy en veulx
de toute ma puissance. Par quoy, si vostre délivrance
voulez avoir, avant ce, vous veulx prier que celuy
conte de Suffolk me vueillez mectre entre les mains,
et, ce faict, aurez non seullement franche délivrance,
mais secours de mon pouvoir et ayde de mon effort. »
L'archiduc, voyant que besoing luy estoit de ainsi le
faire, mist ledit de Suffolk entre les mains du Roy
d'Angleterre, en luy priant le trecter le plus doulcement
qu'il pourroit, ce que luy promist de faire*. Ainsi fut
délivré l'archiduc-, lequel, estant en Angleterre, fist
la de rechief sa provision pour aller en Espaigne, ou
s'en alla, bien accompaigné par mer comme devant,
et eut le temps doulx et la mer transquille, tant qu'en
1. Suffolk, ainsi extradé, fut enfermé à la Tour de Londres.
Plus tard, en dépit de l'engagement pris, Henri VIII lui fit tran-
cher la tête (1513).
2. Après une captivité de plus de trois mois.
36 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Jauv.-Mars 1506
son royaume d'Espaigne fut en brief, et la receu des
seigneurs et gens du pays a grant sollempnité et joyeuse
feste^.
Apres la feste de Nouel, madame Germaine de Foix,
Royne d'Arragon, s'en alla de court pour tirer vers
Espaigne, accompaignée de grant noblece de France,
et avecques elle s'en allèrent les princes et seigneurs
du royaume de Naples, qui, au moyen de ce mariage,
devoyent estre remys en leurs seigneuryes ; ausquelz le
Roy donna force argent et lectres pour bailler au Roy
d'Arragon, touchant la délivrance de leurs places et
possessions. Aussi ordonna le Roy que, pour icelle
conduyre jucques en Espaigne, l'evesque d'Alby feroit
le voyage avecques plusieurs autres^ et que, par toutes
les villes et lieulx du royaume de France ou elle pas-
seroit, feroit entrée et seroit receue comme la personne
du Roy, ayant puissance de donner grâces et remis-
sions et eslargir prisonniers ; et ainsi s'en alla celle
noble princesse, laquelle partit de Tours, entour la
feste des Roys, et adressa vers son pays^ par ung
temps si très froict a merveilles qu'en plusieurs lieulx
les arbres gellerent et mesmement les noyers et les
ollyviers en Languedoc, les amendiers et les chastai-
gniers jucques a la racyne et les vins dedans les pipes
par les caves et celliers; et eust gellé le blé semmé
en terre, n'eust esté la nege, qui en plusieurs lieulx
1. Mai 1506.
2. L'ambassade d'apparat chargée de l'escorter se composait de
Louis d'Amboise, évêque d'Albi, Hector Pigaatelli et Pierre de
Saint-André, juge-mage de Garcassonne (un des juges du maré-
chal de Gié). Louis d'Amboise, d'abord évêque d'Autun, neveu
du cardinal, avait succédé en 1503 à sou oncle Louis d'Amboise
sur le siège d'Albi.
3. Son mariage eut lieu le 18 mars (fr. 4329, toi. 93).
Janv. 1506] GOMMANT... DEUX GENTISHOMMES, ETC. 37
couvroit les champs de plus de quatre piedz de hault.
Les petilz oyseaulx, qui, pour l'empeschement de la
nege et par la force du vent et froidure desmesurée,
ne trouvoyent a pasturer, mouroyent sur le champ,
et prenoit on les perdriz et les merles et d'autres assez
a la course par les champs; et, oultre, ceulx qui, mal
vestus, se mectoyent en pays de plaine estoyent tan-
tost tranciz et geliez, et tant que plusieurs, que j'ay
veu depuys, en perdirent les doiz des mains et en
furent perclus des membres*.
IV.
Gommant, en celuy temps, deux gentishommes de
BrETAIGNE furent PRES A COMBATRE POUR LA
QUERELLE d'UNE DAME DUDIT PAYS DE BrETAIGNE.
Ce temps durant, fut ung combat a l'oustrance mys
sus entre deux gentishommes de Bretaigne, dont l'ung
estoit de ceulx de Ghasteaugiron et l'autre a la Royne,
et ce pour ce que celuy de Ghasteaugiron avoit accusé
une damoiselle maryée dudit pays de Bretaigne d'avoir
commys adultère, et qu'il en avoit veji telles enseignes
qu'il vouloit dire et maintenir qu'il estoit vray ; ce que,
par ladite damoiselle, fut nyé comme meurdre, et tant
fîst qu'elle trouva ledit gentilhomme qui voulut sous-
tenir sa querelle et deffendre son honneur contre ledit
de Ghasteaugiron ; mais, au premier que procéder par
faict d'armes, la Royne voulut que la chose fust mise
devant son chancellier de Bretaigne pour savoir de la
1. Néanmoins, cette année fut très fertile. En Lombardie, le
blé, qui, en 1505, année de disette, avait valu jusqu'à trois livres
et demie, descendit à quinze sous (Cro)iaca di Cremona).
38 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Janvier 1506
preuve, de laquelle ne fut trouvé autre chose que la
seulle accusation de celuy de Ghasteaugiron ; par quoy
furent remys au combat, et le tout devant et a l'or-
donnance du Roy, qui pareillement les envoya a son
grant conseil ; touteffoys fut délibéré leur donner le
champ, et fist faire les lices dedans le chasteau de
Bloys et semer la place de fumier et de sable pour
soustenir a ferme les chevaulx des champions, lesquelz
devoyent combatre ung sapmedy de après les Roys,
ou se trouvèrent les gentishommes de tout le pays et
autres a grant nombre, et les querelleurs prestz d'ac-
complir leurs armes. Mais, premier que passer oultre,
le Roy voulut savoir sur ce l'oppinion de son conseil,
qui fut tel par conclusion que, par une telle querelle
que ceste, ne devoit avoir combat, combien que tous
duelles, qui sont combatz de deux, soyent, a la pro-
bacion de la vérité cellée, trouvez, et mesmement a
cause de meurdre, de trahison et de crime leze incog-
nuz, fors pour indice de seulle accusacion. Touteffoys,
scelon toutes les loix, sont iceulx combatz reprouvez,
qui par nul prince catholicque se doyvent recepvoir
ne parmectre, car en telles choses est veu Dieu contre
son divin commandement estre tempté, pour ce qu'il
est vraissemblable que le plus fort submarche le plus
debille. Et de tels exécrables combatz soloyent user
les Romains, disans aucuns estre une devocion envers
Fortune qu'ilz avoyent, affin que icelle, enyvrée du
sang de leurs cytoyens par manière de batailles, leur
fust en guerre propice et aux armes adventageuse :
autre raison plus a croire est sur ce cas assignée, disant
que les ducteurs des légions romaines, destinez aux
batailles, devoyent veoir dedans sceines et teatres telle
manière de combatz et hommes nudz joxter a l'ostrance
Avril 1506] GOMMANT... DEUX GBNTISHOMMES, ETC. 30
et exploicter les glayves et blecer et occyre plusieurs,
affin que en mortelle bataille ne trouvassent chose
espouventable de veoir leurs ennemys armez, et que
frayeur n'eussent des playes des navrez et orreur du
sang des mors ; lesquelles choses furent depuys, sce-
lon les mesmes loix romaines, reprouvées et deffen-
dues, pour ce que tels jeux gladiatoires sont préparez
pour délecter de sang humain la volupté des yeulx
creuelz, ou l'omme sans cause est occys pour l'apetit
deshordonné de l'omme. Ce qui fut remonstré au Roy,
et plusieurs autres raisons contre ledit combat ; par
quoy il deffendit le champ ausditz querelleurs et volut
que, a son grant conseil, en fust de tous pointz décidé ;
dont lesdites armes furent arrestées.
Le Roy tinst lors a Bloys ses Estatz, et la ordonna
des affaires de son royaume et entretenement de ses
subgectz, sans gueres desemparer la chambre, pour
le dangier du grant froict, qui durant ses jours estoit
en saison ; et, lorsque le temps se commança a eschauf-
fer, il sortit a l'esbat, prenant son deduyt a ce que
myeulx luy sembloit requys pour sa prospérité main-
tenir. La passa tout doulcement la saison du caresme
et puys très dévotement célébra la' joyeuse feste de
Pasques* ; sur laquelle mectray paille a mon escript
jucques a temps, en faisant fin au récit de ce présent
historial volume contenant les faictz de France de l'an
mille cincq cens et ung, continuant jucques a l'an mille
cincq cens et six.
1. 11 avril. Le 6 avril, François d'Orléans, comte de Dunois,
épousa à Blois Françoise d'Alençon (fr. 4329, fol. 88).
EXORDE
SUR LES GESTES ANNALLES
DU CHRISTIANISSIME ROY LOYS Xll^^e DE CE NOM,
FAITTES PAR FRERE JEHAN D'AUTON, HISTORIOGRAPHE
DUDIT SEIGNEUR <.
Voyant le loz, le bruyt et le renon
Du Roy Loys, douzième de ce nom,
Environner le monde et ses climatz,
Et que chascun faict recueilz et amas
De ses œuvres dignes et honnorables,
Comme de faietz non oys et mirables,
Dont les fluans orateurs rethoriques
Enrichissent leurs chambres et boutiques,
1. D'après le ms. original, actuellement coté fr. 5083; ms. in-4°,
comprenant, actuellement, 155 feuillets, anciennement numéro-
tés, plus 9 feuillets de garde en tête, et 2 à la fin. Les feuillets de
garde 6 et 7 r» et v, et partie du r» du feuillet 8 sont occupés
par une table des titres des chapitres. Uexorde occupe le v° du
feuillet 9 de garde et se continue au feuillet 1. Ce ms. a toujours
appartenu à la Bibliothèque du roi. En haut du v" du 4^ feuillet
de garde initial, se trouve la mention de la Bibliothèque de
Blois : « Ex Hbris historialibus, pulpito ultimo, ad parietem ver-
sus curiam. Litlera o b. » Au y° du feuillet 5, on lit les mentions
suivantes, d'écritures plus modernes : « Le Roy Loys douzième
commença a régner lan de grâce 1506 [ce chiffre exponctué) et
régna 17 ans. — Les Annales du Roy Loys douzième, lesquelles
commencent en lan 1506. » (A cette dernière note, une autre
main a ajouté : « 1507 ».) Le ms. a porto autrefois le n" 1225,
puis le n" 8421.
Avril 1506] EXORDE SUR LES GESTES ANNALLES, ETC. 41
Faisant aucuns, sur ce, nouveaulx ditez
Et louanges de biensfaictz méritez,
Et les autres, par cueur ou ouyr dire,
Comme ilz scavent reciter et descrire,
En composent, par mètres et en vers.
Cas estranges et maintz propos divers ;
Je, toutesfoys, comme le moings scavant
De tous autres, voulant mettre en avant
Plume et papier, pour faire mon recueil
De ce que j'ay sur ce cogneu a Tueil
Et sceu par vray comme le temps s^exploicte,
Pour avoir fait sur les lieux mon amplecte.
En ensuyvant mes annalles histoires
Sur les combatz, conquestes et victoires
Et autres faitz encherchez et actainctz
Par les Gaules et lieulx ultrammontains ;
Affm aussi que ceulx de l'avenir
Ayenl, des faitz des presens, souvenir,
Prenant le bien et vertus pour exemple.
Et le defFault pour ung chasty très ample,
Et pour donner, scelon la vérité,
Loz a celuy qui loz a mérité,
Et reprouver, par raison satiriques.
Les griefz effors et excès des iniques ;
Sachant le faict de louange ennobly
Ne devoir pas estre mys en oubly,
Ay présumé mettre les mains a l'œuvre.
Tout grossement comme rude mennevre,
Pour publyer, ainsi comme j'entens,
Les gestes, clers et faictz de nostre temps.
Que j'ay voulu rédiger par exprès
Comme s'ensuyt cy dessoubz en après.
42 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1506
I.
Cy commencent les croniques annalles sur les
gestes du christianissime roy loys, xu"® de ce
nom, des ans mille cincq cens et six et mille
cinq cens et sept^
Les pères rommains, comme recitent leurs hysto-
riographes et orateurs, soloyent dire que, en regar-
dant les ymages honnorables et arcz de triumphe de
leurs prédécesseurs, ayant souvenance de leurs œuvres
magnificques et mémoire de leurs biensfaictz, estoyent
pour ce plus emflammez a vertus; toutesfoys, scelon
la sentence du divin Iheronime, les vrays escriptz et
approuvées hystoyres des gestes florissans sont les
perpetuelz sépulcres et eternelz monumens des hommes
dignes de louenge ; par lesqueulx les corps estainctz
par temporelle mort revivent en éternelle mémoire,
et les noms oubliez par trect de temps sont remys en
perpétuelle souvenance. A ceste cause, tenant la doc-
trine de ceulx qui les simulacres triumphaulx lessent
pour les riches, et la mémoire de vertus pour les
bons, voyant le cristianissime Roy Loys, xii'"® de ce
nom, prospérer en gloire, accroistre en honneur et
proffiter en vertus, et aussi en ensuyvant mon propos
1. Une grande miniature (fol. 1 v°) représente le mariage de
François d'Angoulême avec Claude de France. Le cardinal d'Am-
boise, assisté de deux cardinaux, les unit. A droite, Louise de
Savoie et ses dames; à gauche, la reine et ses dames. Dans le
fond, le roi et la cour. Miniature d'exécution hâtive et de facture
défectueuse, comme toutes celles de ce volume. L'artiste ne s'est
point préoccupé de la ressemblance des figures.
Avril 1506] CY COMMENCENT LES CRONIQUES ANNALLES. 43
hystorial sur les gestes des Françoys, commançant en
l'entrant de l'an mil cincq cens et six, ou j'ay falot
fin des faictz precedens par volumes abrégez; pour
continuer doncques, et affin que la mémoire des choses
recordables, par defFault de les recueillir et mectre en
lumière, n'esvanoyssent comme les temps ou dépé-
rissent comme les corps, tout ainsi que au plus vray
j'ay peu veoir et savoir, ay voulu, par manière de
vrayes cronicques et gestes annalles, des modernes et
futures choses de mon temps faire ample description.
Disant au premier que le très cristien Roy Loys,
doziesme de ce nom, au comancement de l'an susdit
mil cincq cens et six, estoit dedans sa ville de Bloiz,
la Royne avecques luy, et madame Glaude leur fille,
laquelle estoit en l'âge de sept a huyt ans^ très belle^
et moult bien enseignée, et la se passa le temps en
toute joye et plaisir ; car le Roy estoit lors très sain
et en bon point, et tous ses pays eureulx en paix et
plantureux en biens. Advint que, en ce temps, sur la
fin du moys d'apvril, le Roy, pencent en ses affaires,
s'en alla a Tours, la Royne et madame Glaude avec-
ques luy, et fist venir devers luy Loyse de Savoye,
contesse d'Angolesme^, et ses deux ejifens, lesqueulx
estoyent tant bien apriz que le Roy les aymoit moult
a certes, et tant luy estoit agréable le filz, qui le plus
\. Six ans et demi.
2. Bonne, excellente, parfaite, mais belle, non; elle était même
infirme.
3. Louise de Savoie avait obtenu du roi la tutelle de ses enfants,
qu'elle gérait avec beaucoup de soin et d'économie. Elle profita
des circonstances pour obtenir des accroissements de pension.
Le roi lui donnait en outre 2,500 livres par an, pour arrérages
d'un prêt de 40,000 livres consenti par Charles d'Angoulême en
44 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1506
proche a venir estoit de la couronne, que, pour ce et
autres raisons apparentes, délibéra luy donner madame
Claude, sa fille, en mariage^, pour laquelle chose trec-
ter voulut audit lieu de Tours tenir conseil. Dont
envoya a tous ses parlemens de France et a toutes ses
villes pour faire venir vers luy de chascun lieu gens
sages et hommes consultez, et tant que en peu de
temps furent en ladite ville de Tours, de chascune
court de parlement, presidans et conseilliers, et de
toutes les principales villes de France, hommes sages,
ordonnez et députez par lesdites villes et pays de
France, comme dit est. Aussi y estoyent tous les sei-
gneurs du sang, grant nonbre de prelatz, le chancel-
lier et tout le grant conseil, avecques la pluspart de
la noblesse du Royaume de France. Lorsque tous les
Estatz furent la ainsi assemblez, le lundi, le mardi et
le mercredy des Roisons^, dedans la grant salle du
Plessix, le Roy tint siège royal, auquel lieu furent
assemblez les Estatz^, c'est assavoir : les prelatz de
1495, lors de la campagne de Novare. Louis XII remboursa à
Louise ce capital en 1508 (fr. 20379, p. 62).
1. Le mariage que Louis XII avait préparé avec tant de labeur
devait être bien peu heureux, car les deux futurs époux recevaient
une éducation fort différente. La fille de Louis XII était très
sérieusement élevée, et son futur mari très gaiement. « Ce jeune
prince, » dit ÏHeptaméron (nouvelle IV), « étoit fort sujet à son
plaisir, aimant la chasse, passetemps et danses...; et avoit une
femme fort fâcheuse, à laquelle les passetemps du mari ne plai-
soient point. » Aussi avec sa femme menait-il toujours sa sœur,
« qui étoit de joyeuse vie..., toutefois sage et femme de bien. »
2. Les Rogations, H, 12, 13 mai.
3. Le 13 mai 1506 seulement, le résident impérial J. de Cour-
teville écrit que les États vont requérir le mariage de Claude et
du « dolphin » (Le Glay). Il reçoit fort mal cette nouvelle, inatten-
due pour lui (Sanuto).
Mai 1506] CY COMMENCENT LES CRONIQUES ANNALLES. 45
l'Eglise, les princes et seigneurs du royaume, le con-
seil des parlemens et des villes de France; sur les-
queulx dudit conseil presidoit messire Guy de Roche-
fort, lors chancelier de France. Et la fut tenu conseil
sur le trecté dudit mariage et oy l'oppinion de chas-
cun, ou plusieurs belles choses furent alléguées et
saines oppinions proposées, comme l'affaire le reque-
roit, en quoy gisoit l'onneur du Roy, la seureté du
royaume et le salut de la chose publicque. Par quoy,
toutes allegacions oyes, fut uniquement conclut et dit
que, pour le bien et utillité du royaume de France,
ledit mariage se devoit aconplir et parfaire', et, de ce
faire, chascun desditz Estatz, et tous ensemble, prye-
rent le Roy. Et, pour faire la proposicion au Roy,
pour les villes et pays de son royaume de France, ung
nommé messire Jehan Rricot, docteur régent a Paris
etchanoyne de Nostre Dame, fut a ce ordonné^, lequel
monstra au Roy, et a tous les assistans, le grant bien
et proffitable utiUité qui, pour les bonnes aliénées des
1. Il manquait le consentement, très important, des Bretons,
qui, pour mieux marquer leur autonomie, arrivèrent à part et ne
se mêlèrent point à la réunion. Dès que les Bretons eurent requis
aussi le mariage, le roi le ût de suite notifier'aux ambassadeurs
d'Allemagne et des Pays-Bas (Dépêche de Gourteville, 21 mai
1506. Le Glay, I, 138).
2. Il prononça du roi un chaleureux éloge; il en dit « toutes
les louenges que on sauroit ne pourroit dire de roy parfait » (Le
Glay, Négociations, I, 136), écrit Gourteville le 16 mai. « Quant
aux nouvelles de par deçà, il y en a de bien nouvelles, telles que,
après que le Roy est venu en ceste ville, se sont icy assemblez
les Estats de France : aussi y sont tous les princes et princesses
de ce royaulme. » Jeudi dernier, leur orateur, en audience solen-
nelle des États, « en salle ouverte, » requit le mariage : le chan-
celier répondit qu'on en conférerait. On attend les envoyés de
Bretagne.
46 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1506
amys cognuz, et le grant péril et mortel danger de
celles des reconcilyez et ennemys couvers, se peuvent
ensuyvre et advenir sur le royaume de France et a
toute la chose publicque, comme autresfoys par
aliénées estranges en estoit advenu; a quoy estoit
obvyer sur toutes choses et a ce avoir singulier esgard.
Plusieurs autres bonnes raisons et propos afferens a
ladite matière dit ledit Bricot*, et tant que le Roy,
veu l'oppinion de son conseil ^ et la prière de chascun,
1. Cette célèbre scène fut fort émouvante. Tous les députés, à
genoux, pleuraient. Le roi était ému jusqu'aux larmes, lorsque
Bricot le proclama Père de la France (cf. Cl. de Seyssel, p. 2;
Lettres de Louis XII, I, 43 et suiv.; Saint-Gelais, p. 181). C'est de
là qu'est venu à Louis XII le surnom si justifié de Père du peuple.
Il faut observer que, dans le langage de l'époque, cette expression
n'avait pas le sens précis que nous lui attribuons. Le commence-
ment du xvi« siècle est une époque de paix sociale très profonde,
d'accord parfait. On attribuait volontiers aux souverains le nom
de « Père, » comme on le fait encore aujourd'hui en Russie. Lau-
rent de Médicis, à Florence, prit ce titre (Roscoe, Vie de Laurent
de Médicis, édit. franc., I, 397); l'amiral de Graville, puis le car-
dinal d'Amboise, comme lieutenants généraux de Normandie, en
furent honorés par les États de ce pays (notre Histoire de Louis XII,
t. III). En octobre 1501, Louis XII prend envers l'empereur l'en-
gagement de ne jamais « nous porter ne nommer père du pays
d'itallye » (K. 1639, d, 3). Néanmoins, le nom de Père du peuple,
qui fut donné à Louis XII, témoigne d'un état d'àme tout parti-
culier et d'un véritable élan d'affection populaire. L'appréciation
de Jean d'Auton à cet égard est corroborée par celle de Jean
Bouchet {Épistres familières, ép. 14«, et dédicace du Panégyrique
à FI. Robertet), d'après lequel Louis XII reçut ce nom de Père
du peuple à cause de son extrême souci de ne pas accroître les
tailles, et aussi à cause de sa bonté et de son soin de la justice.
Il est le seul roi de France qui l'ait reçu.
2. Dans sa dépêche du 21 mai 1506, Courteville rapporte qu'il
a été tenu un grand conseil extraordinaire des princes du sang,
prélats, conseillers, qui furent unanimes à appuyer la demande
Mai 1506] CY COMMENCENT LES CRONIQUES ANNALLES. 47
consentit ledit mariage, et devant tous, par la main
de maistre Georges, cardinal d'Amboyse et légat en
France, les fist fyencer le jour de l'Ascencion, dedans
la grant salle du Plessiz lez Tours^. De quoy, par tout
le royaume de France, furent faictz les feuz de joye~.
des États : mardi dernier, l'archevêque de Sens, MM. de Piennes,
du Bouchage et un maitre des requêtes vinrent trouver Courte-
ville pour lui notifier la nouvelle. Ils alléguèrent les promesses
du sacre, qui, selon eux, priment toutes les autres. Gourteville
les écouta patiemment, sans dissimuler son étonnement par
suite des traités et de la ratification de l'année précédente (Le
Glay, I, 138). Haneton, dans sa Oironique, donne un récit ana-
logue de la scène des États.
1. Le chancelier annonça les fiançailles le 19 mai, et elles furent
célébrées le 21. Jean d'Auton passe assez rapidement sur ces évé-
nements : « la Royne estoit moult desplaisante de che que se fai-
soit » (Le Glay, Négociations, I, 142).
2. Le contrat de mariage avait été solennellement signé. On le
fit confirmer par un serment spécial des bonnes villes (J. 951;
Musée des Archives, n» 550; Archives de Lyon, AA. 160; Archives
de Dijon, B. 7 ; Mémoires de Bretagne, U, 1572; Dumont, IV, i, 56;
Le Glay, 1, 138; Sanuto, etc.). Le traité de mariage contenu dans
les patentes du 22 mai 1506 stipule le mariage (les fiançailles étant
déjà faites) : on s'engage à l'accomphr dès la puberté des époux.
La dot de Claude comprendra les terres d'apanage (Blois, Asti,
Soissons, Goucy) ; le roi s'en réserve l'usufruit. S'il a un fils mâle,
il pourra les retirer, en échange d'une rente de 20,000 livres avec
titre ducal; la reine donne en dot 100,000 écus d'or, en deux
annuités. Mais, si la reine a un fils, elle pourra disposer du duché
de Bretagne pour ce fils, nonobstant son propre contrat de mariage
avec le roi, auquel on est d'accord de déroger. On convient du
douaire habituel des reines. Le contrat est signé à Montils-lès-
Tours, par le roi, la reme, Louise de Savoie; contresigné par le
cardinal d'Amboise, i'évèque de Paris, l'évèque de Nantes, MM. de
Rohan, de Uieux, le chancelier de Bretagne, Jean de Ganay,
le général de Bretagne (Rousset, Suppl. du Corps diplomatique,
II, 1, 12). On voit que, pour obtenir le consentement de la reine,
il avait fallu lui faire une concession importante. — La forme du
serment prêté par les villes varie beaucoup. Le carton J. 951 des
48 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1506
Apres les fiençailles faictes, les princes et seigneurs
de France et autres gentisliommes a grosses bendes
Archives nationales contient les serments prêtés par Troyes,
Lyon (19 mai), Tours (27 mai), Orléans (28 mai), Rouen (30 mai),
Reims(8 juin), Dijon (14 juin), Amiens (17 juin), Toulouse (18 juin),
Bourges (22 juin), Montpellier (3 juillet), Abbeville (7 juillet), Bor-
deaux (8 juillet). Sens, Angers (10 juillet), Poitiers (22 juillet). On
voit par ces dates que des mesures préventives avaient été prises.
Les habitants furent réunis par les députés, ou bien à son de trompe.
A Orléans, même, ils reçurent l'ordre d'envoyer une personne par
feu, sous peine de cinq sous d'amende. Dans la réunion, on lut
l'engagement pris par les députés d'obtenir la ratification du ma-
riage par les habitants de la ville avant la Madeleine, ou bien les
députés exposèrent verbalement l'engagement qu'ils avaient sous-
crit. Partout, les habitants promirent ou jurèrent de maintenir le
projet de mariage. Le roi se préoccupa très vivement d'obtenir
aussi l'engagement des Milanais. Un ordre du sénat de Milan,
du 4 juin 1506, prescrivit au vicarius provisionum de réunir les
habitants par paroisse, pour élire des députés [nuntii) chargés
d'aller en France accomplir ce que réclamait le roi (Angiolo
Salomoni, Memorie storico-diplomatiche, p. 6). Le viguier répondit
qu'à Milan on n'avait pas l'habitude de semblables élections,
qu'il n'y avait pas de précédents pour un vote au suffrage univer-
sel. Il demanda que les députés fussent élus par les XII de provi-
sion et quelques-uns des principaux citoyens : le sénat autorisa,
le 2 juillet, cette procédure (J. 951, n" 7). Jean-Étienne GastigUone,
sénateur, et Scaramouche Visconti furent ainsi délégués, le
3 juillet; la chancellerie reçut ordre, le 18 juillet, de leur libeller
des lettres de créance, comme à des envoyés ordinaires (A. Sa-
lomoni, op. cit., p. 6). L'assemblée électorale se composait de
citoyens notables, dévoués à la France, Antonio-Maria, marquis
Pallavicini, Teodoro Trivulzio, le comte Lodovico Bonromeo,
sénateur, etc., et les envoyés reçurent, avec le titre d'ambassa-
deurs, la simple mission de féliciter le roi, de jurer l'observation
de sa décision (Copie du procès-verbal, J. 951). Louis XII jugea
prudent d'aller plus loin : un ordre royal, signé au Plessis-lès-
Tours, le 21 juillet 1506, et revêtu du grand sceau de majesté en
cire jaune, ordonna que tous les capitaines des places de Milan
et de Gênes, tous les commandants de bandes ou de compagnies
jureraient de bien et loyalement servir, si le roi mourait sans
-Mai 1506] CY COMifENCEXT LES OROMQUES ANN.iLLES. 49
se préparèrent a faire joxtes et tournoys^, dont, des-
soubz le Plessix. près le colUege des Bons Hommes-,
entre la muraille du parc et la rivière, furent faictes
les lices. Ce jour, le Roy fist faire la monstre de ses
gentishommes entre la muraille du parc et la rivière,
ou furent tous armez et montez, leurs chevaulx bardez
et couvers de draps d'or et d'orfevrerye, dont plu-
sieurs d'iceulx menoyent, les ungs xn grans chevaulx,
les autres xiiii et les autres xx. tous chevaulx de priz
et gorierement acoutrez, et eulx tous vestus de drap
d'or et autres riches paremens. Ausi les quatre cens
archiers de la garde firent la leur monstre.
Messire Guyon d'Amboise tint ce jour ung combat
en foulle de xn gentishommes contre xn, desquelz il
en menoit xn, et ung autre gentilhomme, nommé
Mollart SutB^ay \ les autres doze. Avecques eulx estoit
ung nommé messire Françoys de Daillon, lequel avoit
avecques luy quarante autres gentishommes, tous
montez et armez a lalbanose et a la turque, lesquelz,
enfants mâles, jusqu'au mariage effectif de Claude : nul, sauf
Louis xn, ne pourrait les délier de ce serment ni les destituer
pour ce motif, avant que Louis XII eût un âls mâle ou que sa
fille Claude fût mariée (J. 951). Pour expliquer ce luxe extraor-
dinaire de précautions et l'émotion intense du royaume, il faut
se rappeler que la vie du roi, au dire des médecins, ne pouvait
pas dépasser le mois de janvier, que la France se trouvait entou-
rée d'ennemis acharnés et que son avenir dépendait entièrement
du mariage de Claude avec l'héritier de la couronne, contraire-
ment aux vœux de la reine.
1. Le mariage est fait; il y a o feus et joie > par la ville; la
semaine prochaine, on donnera de grandes joutes et tournois.
« Quy quy en ait joie, je n'y prens nul plaisir, » écrit le résident
J. de Courteville, le 24 mai* 1506 (Le Glay, I, 142).
2. Couvent de Saint-Françuis de Paule.
3. Mollart SuÛYay, seigneur d'Uriage.
IV ' " 4
50 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1506
premier que assembler, firent leur descœuvre, courses
et escarmouches de chevaulx legiers en manière de
mortelle bataille et guerre ouverte. Le Roy fist la
mectre et atiltrer force grosse artillerye, qui, durant
l'escarmouche, fut tirée et ruée contremont autour de
la bataille, comme en manière de donner sur les enne-
mys. Et, après lesdictes courses et escarmouches, les
gens d'armes des deux batailles, tous en fouUe, adres-
sèrent les ungs contre les autres de telle roydeur que,
au choquer, toutes les lances allèrent par esclatz, et
puys a grans coups d'espée s'entremeslerent et com-
batirent longuement, et tant que le Roy les fist
départir. Ce faict, le seigneur de la Crote, avecques
ses chevaulx legiers, donna sur l'artillerye, et luy et
ses gens icelle gaignerent et enmenerent, en faisant
toute la manière de guerre mortelle. Ce que la Roy ne
regarda, et les dames qui avecques elle estoyent\
disant que c'est estrange chose que la guerre et mer-
veilleuse a regarder.
Deux jours après, ledit messire Guyon d'Amboise
tint ung pas aux lices, et avecques luy messire Fran-
çoys de Daillon, Françoys de Maugiron, le seigneur de
Gimel, l[e] bastard de Luppé, Ghevrieres, Rochebaron,
le seigneur de Beaumont, le seigneur de la Fayete, le
seigneur de Gastelpers et ung nommé Le Croc, les-
quelz tindrent le pas.
Les assaillans furent le duc de Bourbon, lequel
ouvrit le pas, le conte de Vandosme, le prince de
Talmont, Guy de Laval, Jacques de Bourbon, conte
1. Parmi les dames alors présentes à la cour, Saint-Gelais cite
Mmes de Bourbou, d'Alençou et leurs tilles, M™«s je Taillebourg,
de Veudùme, de Nevers, de Dunois, de la TrémoïUe et sa fille.
Mai 1506J GOMMANT LE ROY BNVOYA, ETC. 51
de Roussillon, messire Jacques du Fahy et Françoys
d'Ars, lesquelz combatirent a cheval, et a la bariere
a pié, ou fut la donné mains coups de lance et d'es-
pée, tellement que chascun des combateurs y eut hon-
neur et le Roy plaisir^ .
Gela faict, les estrangiers se retirèrent, et la court
demeura audit lieu de Tours.
II.
Gommant le Roy envoya messire Françoys de Roghe-
CHOUART AVECQUES AUTRES EN EMBAXADE DEVERS
LE ROY DES ROMMAINS.
Le mariage faict, comme j'ay dit^, le Roy envoya
1. Cf. Sanuto.
2. Par une coïncidence singulière, Jean de Saint-Gelais, l'his-
torien, dont on incriminait, à tort ou à raison, les rapports avec
Louise de Savoie, maria sa fille unique quelques jours plus tard,
le 17. juin 1506. Le contrat ne met en cause que des familiers de
Louise de Savoie; d'un côté : Jean de Saint-Gelais, seigneur et
baron de Montlieu, et demoiselle Jeanne, sa fille; de l'autre :
noble et puissant seigneur Jean de Mareuil, seigneur et baron de
Montmoreau, et vénérable personne Jean ÇaJveau, conseiller des
requêtes de la comtesse d'Angoulême et du duc de Valois, pro-
cureur du cardinal Philippe de Luxembourg, évêque du Mans,
tuteur et curateur de noble et puissant seigneur Charles Chabot,
baron et seigneur de Jarnac, et de demoiselle Catherine Chabot,
ses neveu et nièce (fils et fille de Madeleine de Luxembourg);
Saint-Gelais donne à sa fille 2,000 livres comptant, pour meubles
qui deviennent communs, et à son décès 16,000 livres, ou 600 fr.
de rente; en attendant, une pension de 300 livres par an. S'il n'a
pas de fils, elle héritera de tous droits, aînesse et autres. Elle
succédera toujours à Montlieu et Sainte-Aulaire, s'il n'a que des
filles. Charles Chabot et ses hoirs seront tenus de porter le nom
et les armes de Saint-Gelais avec les leurs : s'ils s'y refusaient.
52 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1506
en ambaxade, devers le Roy des Rommains, messire
Françoys de Rochechouart, et avecques luy maistre
Anthoine du Prat, maistre des requestes, et maistre
Anthoine Jourdan, segretaire dudit seigneur, lesquelz,
près a partir, despescherent par le commandement
du Roy ung ayrault, lequel envoyèrent devant porter
les lectres du Roy au Roy des Rommains, et pour
l'avertir de la venue d'iceulx ambaxadeurs^. Lequel
ayrault se mist a chemin a toute diligence, et tant
qu'il arriva en Ongrye, ou trouva ledit Roy des
Rommains en camp, faisant la guerre a ung conte du
pays, nommé le conte Estephe, pour ce qu'il vouloit
avoir la fille du Roy de Hongrie^, que le Roy des Rom-
mains vouloit avoir pour le filz du Roy de Gastille. Le
Roy des Rommains, après avoir receues les lectres du
Roy, despescha ledit ayrault et luy bailla ung de ses
postes pour le mener devers lesdiz ambaxadeurs de
France, et iceulx advertir de son vouloir. Sur ce, se
mirent a chemin ledit ayrault et la poste pour retour-
ner devers lesditz ambaxadeurs, lesquelz estoyent par-
tiz de Tours le xxv""® jour du moys de may en l'an
Monilieu et Sainte- Aulaire passeraient aux héritiers les plus rap-
prochés, avec la même obligation, et M. et M™^ Chabot auraient,
en tout et pour tout, 25,000 livres. Le contrat porte enfin par-
tage de M. et M^'^ Chabot ; celle-ci reçoit les biens laissés par sa
mère en Picardie, plus 10,000 livres (Copies ; fr. 2748, fol. 267 et
suiv.; fr. 11195, 2" partie).
1. Cette précaution était utile, car la mission avait pour but
d'expliquer au roi des Romains le mariage de Claude, qui renver-
sait tous les projets. On disait Maximilien d'accord avec la Hon-
grie et prêt à expédier à Gonzalve de Cordoue une armée de
secours (Desjardins, II, 171). D'après Sanuto (VI, 357), Accurse
Maynier fut aussi envoyé pour les négociations avec la Hongrie.
2. Agée de deux ans.
Juin 1506J GOMMANT LE ROY ENVOYA, ETC. 53
susdit mille GGGGG et VI, et avoyent pris leur chemin
a Orléans, a Troys, a Bar le Duc, a Nanxi et a Stra-
bourg. Or, avoit ledit messire Françoys de Roche-
chouart lectres du Roy pour bailler a l'evesque de
Strabourg^ frère du duc de Bavyere; ausi avoit
lectres adressans au marquis de Baulde et au duc de
Virtamberg, lequel duc estoit a une sienne place,
nommée Estoquart^; d'Estoquart furent a Orne^, et
la se misrent sur la reviere de la Dunoe^ et par icelle
rivière furent jucques a une ville nommée Regense-
bourg^, es aultcs AUemaignes, ou illecques trouvèrent
leur ayrault et le poste du Roy des Rommains, lequel
leur bailla lectres par lesquelles leur mandoit qu'il
leur envoyoit deux de ses gentishommes pour les
mener en la conté de Garinte^ en Autrice, leur man-
dant que la oyroyent de ses nouvelles. Or, estoit ladite
conté de Garinthe a plus de dix journées loings du lieu
ou estoit lors le Roy des Rommains. Dont messire
Françoys de Rochechouart, principal ambaxadeur pour
le Roy, voyant l'esloing de son chemin et la haste de
son message, dist qu'il n'yroit audit lieu de Garinte,
mais remanda au Roy des Rommains, par son poste,
qu'il avoit charge du Roy son maisfre de luy dire de
bonnes choses et dilligenter son voyage; par quoy le
prioit qu'il luy plust ne le renvoyer si loings de luy,
mais le vousist despescher au plus tost qu'il auroit
1. Albert de Bavière.
2. Stuttgart.
3. Ulm.
4. Donau (Danube).
5. Regensburg (Ratisbonne).
6. Garinthie.
54 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Août 1506
temps de ce faire. Tantost que le Roy des Rommains
eut sceue l'intencion de l'ambaxade, luy remanda,
puys qu'il ne se vouloit eslongner ne aller en ladicte
conté de Carinthe, qu'il s'en allast en la ville de Lins*
en Autrice, assés près de luy, et que la sauroit ou se
devroit trouver pour aller a luy. Dont s'en alla avec-
ques les autres ambaxadeurs le long de la Dunoue
jusques au lieu de Lins, très belle ville, en laquelle le
feu empereur Frederich, père dudit Roy des Rom-
mains, se tenoit et y mourut, ou la lesditz ambaxa-
deurs actendirent l'espace de huyt jours pour cuyder
avoir responce dudit Roy des Rommains, lequel ne
sonnoit mot. A cette fin renvoyèrent par devers luy
pour savoir qui luy plaisoit de faire sur leur charge.
Lequel de rechief leur manda qu'il l'alassent actendre
a ung autre lieu nommé Isenays, en la conté d'Estayez^,
aux montaignes d'Autrisse, au mesme lieu ou sont les
mynieres de fer, dont il tire tous les ans plus de cent
mille florins de proffict. La ariverent lesditz ambaxa-
deurs le premier jour d'aoust. Ce mesme jour arriva
illecques ung des gentishommes du Roy des Rom-
mains pour dire ausditz ambassadeurs qu'il leur man-
doit qu'il n'yroit audit lieu, mais qu'il s'en allassent
l'actendre a ung autre. lieu nommé Graiz^, quatre
journées plus bas, tirant en la Hongrie a une repeue
près, ce qu'il firent; et eulx estant la furent quatorze
jours entiers sans avoir aucunes nouvelles du Roy des
Rommains, lequel faisoit toutes ses dissimullations et
csloing de parler ausditz ambassadeurs, atïîn qu'il
1. Linz.
2. Eisenerz, en Styrie.
3. Graz, capitale de la Styrie.
Août 1506] GOMMANT LE ROY ENVOYA, ETC. 55
n'allassent par devers luy et qu'ilz n'eussent veue et
cognoissance de l'armée, qu'il avoit tant pouvre et
desordonnée que a iceulx Françoys ne l'eust voulu
monstrer pour chose du monde ; car ses gens estoyent
a peu de nombre et nudz comme Arabbes. Mais, pen-
dant ce qu'il desloignoit lesditz ambassadeurs, il trecta
d'appoinctement avecques les Hongres, qui plus puis-
sans de beaucoup estoyent que luy ; car, estans lesditz
ambassadeurs a Lins, iceulx Hongres, jucques a une
lieue près du camp du Roy des Rommains, brullerent
trente et cinq villaiges de ses pays, sans ce qu'il leur
donnast ung seul allarme; ains trecta d'appoincte-
ment, et après avecques ses gens s'en alla a une ville
nommée Vyenne en Autrisse, et de la, pour conclure
dudit appoinctement, envoya devers les Hongres ung
chevallier des siens, bien fort son recomandé, lequel
s'en alla droict au camp d'iceulx Hongres, a une lieue
près du heu ou le Roy des Rommains avoit tenu son
camp. Et, lorsque ledit chevallier approcha, cuydant
faire son ambassade, la commune gent du camp des
Hongres se meut, et, sans avoir esgart a la seurté que
doyvent avoir ambassades, coururent sus audit che-
valier, disant : « Nous ne voulons appoinctement ne
paix au Roy des Rommains, qui sans juste querelle
vient assaillir noz pays et nous faire la guerre; » et,
ce disant, sans vouloir oïr ledit chevallier, le tuèrent
sur le camp.
Dedans Vienne estoient lors les ambassades des
Hongres devers le Roy des Rommains, qui tantost
sceut la mort de son chevalier que les Hongres avoient
occys; de quoy fut moult courroucé, mais dissimulla
pour l'eure. Toutesfoys le peuple de Vienne se meut
56 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Août 1506
ausi, voulant tuer les ambassades des Hongres et leur
faire jeu party ; ce que ne voulut le Roy des Rom-
mains pour l'onnesteté garder et l'envye qu'il avoit
d'avoir paix avecques eulx ; par quoy rapaisa tout et la
conclut son appoinctement tel que les Hongres luy
baillèrent deux mille beufz et troys mille aulnes de
drap pour nourir et vestir ses gens, qui bon besoing
en avoyent, lesqueulx il disoit vouloir mener avecques
luy a Romme pour se faire la couronner empereur.
Ainsi fut conclut le trecté d'entre luy et les Hongres.
Par quoy, fist partir ce qu'il avoit de gens d'armes en
son armée et les fist marcher le chemin de Romme
jusques au bout de ses pays, et arrester en une ville
nomée Vilhac^ prochaine ville de la terre de Sainct
Marc, et luy demeura dedans les montaignes d'Au-
trice, a la chace des cerfz et des cliamoys, ou print
ung grant cerf a merveilles, et plus grant que autre
communément, car il avoit cinq piedz de haulteur,
duquel il fist mectre la grandeur en toille, qu'il donna
pour la nouvellecté a messire Françoys de Roche-
chouart, ambassadeur pour le Roy, et depuys luy
envoya les cornes jusques a Grenoble, lesquelles
estoyent si grandes et massyves qu'elles pesoyent qua-
rente et deux livres, et icelles donna pour estrange
présent au cardinal d'Amboise-.
Or estoyent lesdiz ambassadeurs audit lieu de Graiz,
ausquculx il ennuyoit moult de ce qu'ilz n'avoyent
nouvelles du Roy des Rommains, dont messire Fran-
çoys de Rochechouart, gi*ant ambassadeur ])our le Roy,
1. Villach?
2. Le roi fit monter des cornes de ce genre, sur un cerf de
cire, dans le jardin de Blois.
Août 1506] GOMMANT LE ROY ENVOYA, ETC. 57
luy envoya ung gentilhomme des siens, nommé Ger-
main de Mauleon, pour le prier et requérir que son
plesir fust de le vouloir oyr, ou autrement, veu
la longtaineté du temps de son voyage et la charge
hastive qu'il avoit du Roy son maistre, s'en retourne-
roit sans luy dire ladicte charge. Et, sur ce, manda le
Roy des Rommains audit ambassadeur qu'il se ren-
dist a une ville nommée Loven ^ a troys journées
dudit Graiz, sur la rivière de Meure ^, qui passe audit
lieu de Graiz, ou se rendit ledit messire Françoys de
Rochechouart avecques les autres ambassadeurs, et la
trouva les gens du Roy des Rommains, lesquelz les
logèrent dedans une petite abbaye, a ung cart de
heue de Loven, ou deux jours après se rendit le Roy
des Rommains. Et, le lendemain qu'il fut la arrivé,
manda lesditz ambassadeurs et leur envoya cinquante
gentishommes des siens jucques a leur logis pour les
conduyre et mener audit lieu de Loven par devers
luy, lesqueulx se mirent a chemin, en divisant
ensemble de choses joyeuses. Et, en aprochant la
porte de la ville d'ung trect d'arc près, leur vint au
devant l'arcevesque de Tresves, filz du marquis de
Baulde, ung sien jeune frère avecques luy, et grant
suyte d'autres gentishommes du pays, lesqueulx menè-
rent lesditz ambassadeurs descendre au logis dudit
arcevesque. Et, après collation faicte, et qu'ilz furent
prestz, le Roy des Rommains les manda venir par
devers luy, ce qu'ilz firent, et s'en allèrent a son logis
et montèrent en sa chambre. Messire Françoys de
Rochechouar entra le premier, ou trouva le Roy des
1. Leoben.
2. Muhr.
58 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Août 1506
Rommains, la accompaigné du duc de Juilliers', du
marquis de Brandebourg-, du conte de Sorne* et de
l'evesque de Gurse.
A la venue desditz ambassadeurs, le Roy des Rom-
mains se leva de la chaire et fut au devant jucques a
moylié de la chambre, et la mist la main au bonnet,
en demandant a messire Françoys de Rochechouart,
principal ambassadeur, commant se portoit le Roy de
France, son frère ; lequel de Rochechouart luy dist :
« Sire, il faîct très bonne chère et se recommande a
vous. » Et lors le Roy des Rommains le prist par la
main et le tira a part a une fenestre de la chambre,
ou luy demanda s'il vouloit dire sa charge en public
ou a part, lequel dist que tout ainsi qu'il luy plairoit
et qu'il vouloit bien dire devant tous ; ce qu'il accorda
voluntiers. Et lors maistre Anthoyne du Prat, ung
desditz ambassadeurs, s'avança et, pource que tous
les assistans n'entendoyent le françoys, commança a
dire en hault et rethoric latin la charge de leur ambas-
sade, laquelle contenoit commant le Roy, pour le
bien et utilité du royaume de France, et a la prière
et requeste et par l'advys et délibération du conseil
des Troys Estatz de France, il avoit donné en mariage
madame Glaude, sa tîUe, a Françoys d'Orléans, conte
d'Angolesme, le plus proche a venir de la couronne ;
de quoy en vouloit bien advertir ledit Roy des Rom-
mains, et, au surplus, que le Roy vouloit et desiroit
avoir tousjou[r]s bonne paix et amour avecques luy, et
en oultre vouloit savoir si le Roy des Rommains vou-
1. Guillaume de Juliers.
2. Joachim de Brandebourg.
3. Le comte de ïlorn?
Août 1506] GOMMANT LE ROY ENVOYA, ETC. 59
loit tenir l'accord qu'i avoit faict touchant l'investi-
ture de la duché de Millan pour madamme Glaude et
ses sucesseurs.
Autres articles furent la pour le Roy dictz et declai-
rez par ledit maistre Anthoine du Prat. A chief des-
quelles choses le Roy des Rommains demanda ausditz
ambassadeurs s'il avoient autre chose a dire : « Si
avons, sire, dist messire Fran[ç]oys de Rochechouart,
mais, s'il est vostre plaisir, ce sera a vous seul, et a
part. — Or bien, dist le Roy des Rommains, je say
bien qu'avez prou de choses a dire, mais vous venez
de loings et estes las, et avez mestier de repos; par
quoy vous vous pouvez retirer a vostre logis quant vous
plaira, et demain, a l'eure que je seray prest de vous
oyr, je vous manderay. » Et, sur ce, s'en allèrent a
leur logis, accompaignez de grant nombre de gentis-
hommes du Roy des Rommains.
Le lendemain, sur les deux heures après mydi,
furent iceulx ambasadeurs transmys quérir par ledit
Roy des Romains. Si s'en allèrent par devers luy, et,
eulx venus en sa chambre, leur dist : « Or, dictes,
seigneurs, vostre charge quant vous plaira. Mais,
premier, je veuix savoir si vous vouldrez bien qu'au-
cuns de ceulx de mon conseil soyent avecques moy
pour oyr vostre charge. — Oy, sire, dirent les ambas-
sadeurs, qui vous plaira. » Dont appella a ce l'arce-
vesque de Trêves ^ le duc de Juillieres, le marquis de
Brandebourg, Tevesque de Gurse, le conte de Sornes
et le chancellier de Tirolle pour assister; lesqueulx
tous assemblez, le Roy des Rommains se mist en sa
\. Jacques de Baden.
60 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Août 1506
chaire, son conseil tout autour de lu y. Lors maistre
Anthoyne du Prat, maistre des requestes, dist en latin
leurdicte charge pour ce que autre que le Roy des
Rommains n'entendoit le françoys, disant que le Roy
leur avoit donné charge luy dire ce que par avant luy
avoyent dit, et davantage, que touchant les cent mille
francz qu'il demandoit pour l'investiture de la duché
de Millan, laquelle il avoit accordée pour les hoirs
qui en l'avenir sortiroyent de madame Glaude, atendu
que le mariage d'elle et du fîlz du Roy de Castille,
archiduc, ne s'acomplissoit, entendoit le Roy que de
riens ne luy en estoit tenu ; mais que, la ou il vouldroit
bailler ladicte investiture a madame Glaude et a ceulx
qui d'elle descendroyent, il luy feroit bailler les cent
mille frans qu'il luy avoit promys, et iceulx délivrer
au lieu et jour qui seroit entre eulx advisé et ordonné;
par ainsi, qu'il fist bailler le consentement des élec-
teurs. Ce dit, le Roy des Rommains demanda ausditz
ambassadeurs s'il avoyent autre chose a dire. Les-
queulx dirent que si avoyent, ce qu'il feroient après
ce qu'ilz auroyent eue responce de luy sur les choses
par eulx alléguées. Sur quoy ne voulut ledit Roy des
Rommains rendre responce, mais les fist semondre
par aucuns des siens, et luy mesmes les somma par
plusieurs foys de dire toute leur charge; ce que ne
voulurent, s'ilz n'avoyent premièrement responce de
luy; lequel ne voulut dire autre chose, si n'est, quant
au regard dudit mariage, qu'il touchoit plus au petit
archiduc qu'a nul autre, et que a celuy manderoit ce
que le Roy luy en avoit faict dire pour y pourveoir
comme il sauroit ; et ausi, tant que touchoit l'investi-
ture de madame Glaude, que ausi il le manderoit aux
Août 1506] GOMMANT LE ROY DE CASTILLE, ETC. 61
électeurs de l'Empire pour en savoir leur vouloir, et
de ce en avertiroit le Roy*. Et, sur ce, lesditz ambas-
sadeurs prindrent congé de luy, lequel au partir leur
donna charge faire ses recommandacions au Roy de
France, son frère, et leur bailla ung gentilhomme alle-
mant, lequel parloit bon françoys, nommé ledit gen-
tilhomme Symon de Ferrete. Quatorze journées, par
le pays dudit Roy des Rommains celuy gentilhomme
mena et conduyt lesditz ambassadeurs, et tant qu'ilz
arrivèrent a Trente, ville près de terre Saint Marc,
et de la tirèrent a Millan, ou estoit lors lieutenant du
Roy messire Charles d'Amboise, lequel advertirent de
l'armée du Roy des Rommains. Et, de la, messire
Françoys de Rochechouart manda au Roy de tout ce
qu'il avoit explecté en son ambassade et sceu envers
ledit Roy des Rommains 2.
m.
Gommant le Roy de Castille, archiduc, après avoir
SCEU le mariage de madame Claude et du conte
d'Angoulesme, mal content de ce, prist allience
A plusieurs et se declaira ennemy du Roy, et de
LA MORT DUDIT ROY DE GASTILLE.
Le Roy de Castille, estant lors en ses pays d'Es-
paigne, fut adverty du mariage de madame Claude,
fille du Roy, avecques Françoys d'Orléans, conte
1. Maximilien, toutefois, écrivit au roi d'Angleterre urie lettre
extrêmement violente, où il traitait Louis XII de parjure sans
aucune périphrase (J. Gairdner, Letters... of Richard III, I, 301).
2. Cf. Lettres de Louis XII.
62 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juillet 1506
d'Angoulesme , laquelle pensoit estre pour son filz;
dont autres foys par cy devant a voit esté paroUes. Par
quoy se mal contenta^, disant que autres foys pro-
messes avoyent esté faictes de madame Glande et de
son filz, a quoy il s'atendoit^. Toutesfoys ne sceut
autre chose que faire sur ce, si n'est user de menasses^
et dire que tous ses amys et aliez luy fauldront, ou en
France fera telle guerre que mainctes qui de ce ne
pevent mais le compareront chèrement, et, des lors,
print alyences et confédérations a tous ceulx qu'il
peult savoir estre ennemys cou vers du Roy, car nul
pour lors estoit declairé ennemy de France, et, en
oultre, volut anymer les autres a son pouvoir, et tant
fist que le Roy des Rommains, son père, toutes les
Espaignes et Angletaire, comme se disoit, avecques
les Venissyans, suyvant les plus fors, et grant partie
des Italles se tindrent de son party contre le Roy. Dont
soy voyant de luy moult puissant, et de tant d'alyences
fortiffyé, se declaira ennemy du Roy, qui délibéra de
sa part obvyer a tous ses dangiers, avecques l'ayde
1. Louis XII écrivit lui-même, le 31 mai, à M. de Ghièvres une
longue lettre personnelle pour lui expliquer le vœu des États et le
mariage (lettre insérée dans la Chronique de Haneton).
2. Il provoqua, à ce sujet, une consultation de cinq juriscon-
sultes tlamands, qui lui donna tort (Le Glay, 1, 195). Cette curieuse
consultation émet l'avis, en substance, que : 1° le roi de France
n'est pas parjure; 2" la clause de garantie du mariage avec l'ar-
chiduc, immorale en soi, est morale seulement pour les princes;
3° Charles d'Autriche, mineur, n'a pas actuellement d'action
pénale pour réclamer le dédit stipulé.
3. Il écrivit de Valladolid, le 20 juillet 1506, à Louis XU que le
mariage de Claude ne serait pas une cause de rupture, mais qu'il
avait besoin d'en parler à son père et à son beau-père (Lettres de
Louis XII, I, 54).
Juill..Sept. 1506] GOMMANT LE ROY DE CASTILLE, ETC. 63
souveraine, disant qu'il mectra sus telle armée que se
sera pour devoir rabbatre les coups a tous ses enne-
mys. Or, advint que le Roy des Rommains, comme
prest de tous temps de faire aux Françoys quelque
allarme, voulut mectre sus grosse armée pour courir
sur la duché de Millan ; le Roy de Castille, ausi faire
une autre armée en Espaigne pour vouloir descendre
en Languedoc et en Guyenne, et les autres ses confe-
derez, chascun en son cartier, mectre sus grosse puis-
sance pour ennuyer le Roy et assaillir son royaume
de France. De quoy ne se meut le Roy que bien a
point; ains tint conseil sur son affaire et envoya par
ses pays faire mectre sus tant de gens que le nombre
et pouvoir d'iceulx luy sembloit devoir suffire a
garder sa terre et chacer ses ennemys, et en oultre
fist renforcer de gens d'armes sa duché de Millan,
disant que, si le Roy des Rommains commance par se
costé, que luy mesmes yra en personne pour luy cop-
per le chemin et empescher le passaige.
Or, estoit le royaume de France menacé de toutes
pars, et le Roy en propos délibéré de bien le def-
fendre et despendre grant trésor a l'affaire dont en
avoit plus que prince de cristienté ; c£ qui tenoit moult
ses ennemys en craincte, car il avoit gent et argent,
ce qui, après l'ayde de Dieu et le cueur des amys,
faict obtenir les victoires, faire les conquestes et
entretenir les royaumes. Combien que amas de pecune
soit, a tout prince libéral, détestable, si est elle, a
tout affaire, secourable.
Or advint, en deduysant le moyen de ses menées,
comme il peut a Dieu qui des royaumes dispose, que
le Roy de Castille, estant en son pays d'Espaigne, fut
64 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [1506
soubdainement actaint de si griefve maladie* que,
malgré le remède des médecins, en moings de huyt
jours fut mort^; dont tous ses alyez baissèrent le nez
et firent sillence, si que de tous pointz leur entreprise
fut abbatue et anyentye. Dont le Roy demeura en son
entier et paisible en son royaume de France^.
IV.
Gommant le Roy envoya messire Charles d'Amboise
avegques grosse armée a roullongne pour icelle
SOUBMEGTRE A l'OBEISSANGE DU PAPE, ET GOMMANT
Franco YS de Clermont, cardinal de Nerbonne,
FUT POUR GE ET AUTRES CHOSES DEVERS LEDIT SaiNCT
PerE le PAPE.
En ce mesme temps et an mil GGGGG et six, le
pape Julius second mist armée sus pour vouloir sou-
mectre et reduyre a son obéissance Roulongne la Grasse,
laquelle avoit esté, cincquante ans ou plus, hors la
sugetion de l'Eglize, a qui elle appartenoit d'encien-
neté, mais estoit lors par force occuppée et gouver-
née par ung Roulonnoys, nommé messire Jehan Renti-
volle, lequel ausi, sachant l'armée du pape mise sus, a
ceste cause fist de sa part grosse gent d'armée, t'or-
tiffier la ville et mectre dedans grant nombre de gens
1. Une pleurésie. VYstore Anlhonine, contemporaine (fr. 1371),
affirme qu'il fut empoisonné (fol. 295), mais ce soupçon était alors
formulé contre toutes les morts rapides ou inattendues.
2. 25 septembre 1506.
3. On ne regretta pas Philippe, qui a avoit semé (en Franco) un
grain qui peu y eust proufité » [Le Loyal serviteur, p. 127).
Août 1506] GOMMANT LE ROY ENVOYA, ETC. 65
d'armes, et icelle bien garder. Le pape, voyant que
difficille chose luy seroit venir a chief de son intencion
sans autre secours que de sa main forte, envoya devers
le Roy luy pryer qu'il luy pleust donner en son affaire
quelque ranfort, et que, par le pouvoir de son armée,
qui estoit lors en la duché de Millan, luy pourroit
aysement faire telle ayde que Boulongne pouroit estre
remise et reduyte a la seigneurie apostolique, a qui de
droict elle appartenoit, et ausi que, si ung tel service
faisoit a l'Eglize, que a tousjoursmais de plus icelle
obligeroit envers le royaume de France, qui a tout
grant besoing et extrême nécessité avoit tous temps eu
l'espée au poing pour icelle augmenter, secourir et
deffendre ; dont, pour le loyer de ses mérites, en por-
toit, entre les autres royaumes crestiens, l'excellant
titre d'onneur souverain du nom très cristien. Et
ausi mandoit le pape au Roy que, s'il voulloit passer
les mons pour voir de ses affaires et visiter ses pays,
que voluntiers se trouveroit en quelque lieu entre
eulx advisé, ou bien qu'il l'actendroit a Boulongne
pour illecques le veoir et pa[r]ler avecques luy. Oyant
le Roy la requeste et dire du Sainct I^ere le pape, et
la promesse qu'il luy faisoit de l'actendre a Boulongne,
comme prince très chatollicque , conservateur des
droictz de l'Eglize, deffensseur de sa franchize et filz
obéissant d'icelle, disposa d'employer son pouvoir
audit affaire, en tant qu'il manda a messire Charles
d'Amboise, son lieutenant delà les mons, qu'il tinst
prestz ses gens d'armes et qu'il fist aniastz de gens de
pié jucques a grant nombre; et lors qu'il luy mande-
roit qu'il allast en avant, la ou son plaisir seroit; ce
que fist ledit messire Charles d'Amboise si a point que
IV 5
66 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Août 1506
en peu de jours ses gens furent tous prestz de marcher.
Durant ce, le Roy transmist devers le pape, qui ja
estoit sorty de Romme^ ung nommé Françoys de
Glermont, cardinal de Nerbonne, par lequel mandoit
audit Père Sainct qu'il luy donneroit tel secours en
toutes ses choses que riens n'espairgneroit a ce, et que,
des gens d'armes siens estans en la duché de Millau,
se tinst tout seur, lesquelz il auroit toutes foys que
besoing en seroit, et que ja l'avoit mandé a messire
Charles d'Amboise, son lieutenant delà les mons. Et,
en oultre, mandoit audit Sainct Père qu'il estoit déli-
béré de s'en allé, après l'yver passé, delà les mons, et
que très voluntiers aussi voiroit Sa Saincteté et se
trouveroit en quelque ville de par delà, ou seroit par
luy advisé. Autres charges et créances eut ledit cardi-
nal de Nerbonne devers le pape, que je lesse pour
abréger et dire que celuy cardinal, très bien accom-
paigné, prist son chemin de Romme; et, première-
ment, fut passer par Avignon, ou séjourna quelque
peu de jours, puis marcha par la conté de Venisse^,
puis par le Daulphiné, a Briençon, a Ourse^ a Suze,
en Ast, a Ahxandrie et a Pavye, ou estoit lors messire
Charles d'Amboise, lieutenant du Roy, et la furent
deux jours a courir les cerfz dedans le parc de Pavye,
ou prindrent ung grant cerf. Et, après ce qu'il eurent
parlé de leurs affaires, ledit cardinal monta sur la
1. Le pape quitta Rome le 26 août 1506. L'extrait du Diarium
de Paris de Grassis, relatif à cette campagne, a été publié à part,
par M. Luigi Frati, sous le titre de : Le Due spedizioni militari di
Giulio II (Bologna, 1886, in-S»). Nous renvoyons à cette édition.
2. Le comtat Venaissin, gouverné comme légation par le car-
dinal d'Amboise.
3. Oulx.
Août 1506] GOMMANT LE ROY ENVOYA, ETC. 67
rivière du Pau et fut par eau jucques a Plaisance en
Lombardye, de Plaisance a Parme, a Modeine et a
Boulongne, ou avoit ja grant nombre de gens d'armes
que messire Jehan Bentivolle, gouverneur d'icelle,
avoit la mys, sachant que le pape avoit faict armée
pour venir assiéger ladicte ville de Boulongne. Or ne
savoit ancores celuy Bentivolle que le pape eust
demandé secours au Roy, et que le Roy le luy eust
promis ; par quoy, sachant la venue dudit cardinal de
Nerbonne, voulant a celuy faire tout l'onneur qu'il
pouroit, envoya devant luy ses enfans, bien accompai-
gnez de gens d'armes, montez et armez, et leurs che-
vaulx bien bardez, lesquelz marchèrent au devant
dudit cardinal troys mille hors Boulongne, ou mirent
pié a terre pour luy faire la révérence. Ce faict,
remontèrent et marchèrent tous ensemble vers la ville,
ou, a ung mille près, se trouva messire Jehan Benti-
volle, accompaigné de gens d'armes a toute puis-
sance, lequel vouloit descendre pour faire la révérence
audit cardinal, ce que ne voulut, mais s'entrembras-
serent tout a cheval ; et, ce faict, en parlant de plu-
sieurs choses, marchèrent jucques a la ville, ou ledit
Bentivolle fist entrer honnorablement celuy cardinal,
et le mena descendre et loger dedans son palais de
Boulongne, ou le festya grandement et le desfroya
avecques tout son train pour le disner ; et, après ce,
s'en alla ledit cardinal coucher assez près de la, une
ville nommée Plenore, terre de Boulongne. Le lende-
main, print le travers des Alpes, t[i]rant le grant chemin
de Romme jucques a Florence, et la sceut que le pape
estoit party de Romme pour s'en venir a Boulongne
a toute grosse armée, et qu'il tenoit le chemin de la
68 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Septembre 1506
Marque d'Ancone. Par quoy celuy cardinal, pour
adresser, prinst le chemin de Perose, terre de l'Eglize,
et passa oultre deux milles loings\ ou trouva le pape
avecques grant nombre de cardinaulx et gens d'armes,
et la luy fist ledit cardinal son salut, comme il devoit,
et luy dist ce que le Roy luy mandoit de par luy, et
toutes ses charges; de quoy le pape fut moult joyeux,
et fist très bonne chère audit cardinal et le festya très
honnorablement, en s'enquerant souvant de la pros-
périté du Roy et de ses affaires. Apres long propos et
parolles joyeuses, chascun se retira, et, le lendemain,
le pape fist son entrée audit Perose, ou les seigneurs
et le peuple de la ville le receurent a grant triumphe^.
La dedans séjourna doze jours, durant lequel temps
le marquis de Mantoue, lieutenant de son armée, se
rendit a luy audit lieu de Perose, entour la fin du moys
de septembre^, et la fist la monstre de ses gens
d'armes, ou avoit environ six cens hommes d'armes,
armez a la mode d'Itallye, legierement, et montez sur
chevaulx legiers ; ausi y avoit troys mille hommes de
pié ou quelque peu moings.
Les montres d'iceulx gens d'armes faictes, le pape
avecques son armée partit de Perose '^ et prist son
adresse vers la ville de Urbin, ou fut receu et festyé
par le duc et la duchesse^, et trecté tout a plaisir,
auquel Ueu séjourna quatre jours.
1. ATorricella, 12 septembre (P. de Grassis, p. 39; Guichardin).
2. 13 septembre 1506. Voir Paris de Grassis, p. 40 et suiv.
3. Il entra solennellement à Pérouse le 17.
4. 21 septembre (Paris de Grassis).
5. 25 septembre, au matin. Le duc d'Urbin fit enlever les portes
de la ville pour la réception du pape. Le pape repartit le 29.
Octobre 1506] GOMMANT LE ROY ENVOYA, ETC. 69
Le Roy avoit ja seu que le pape marchoit avecques
son oust, par quoy avoit mandé a messire Charles
d'Amboise, son lieutenant, que, a toute dilligence,
marchast celle part avecques huyt cens hommes d'ar-
mes, et les gens de pié qu'il avoit amassez ; et, de tout
ce, voulut avertir le pape par ses postes, et tant que
audit lieu d'Urbin ' sceut ledit Sainct Père les nouvelles
du Roy, et comment sondit lieutenant, avecques grosse
armée, se devoit rendre a luy a Boulongne, et qu'il
avoit mandé marcher son armée, qui ja estoit sur les
champs preste de le secourir et se joindre avecques
luy. De quoy le pape fut moult joyeulx, et se dist
tousjours estre tenu au Roy, en le remercyant de tout
son pouvoir.
Apres ses nouvelles sceues, le pape, avecques son
armée, marcha droict a Boulongne et prist son che-
min vers Sezayne^, a Fourly^ et devant Fayence,
terre d'Eglize, que les Venissyains par force occup-
poyent lors et estoyent dedans tous en armes, tenans
les portes clozes*. Par quoy le pape passa oultre et
marcha jucques a Ymolle, et la demeura troys sep-
maines en actendant approcher l'armée du Roy, qui
ja estoit a la route. Et ausi ce pendant' fîst marcher son
armée jucques a une ville nommée Castel Sainct Pierre,
terre de Boulongne, estant a huyt mille d'Ymolle.
1. Légère erreur. La lettre du roi n'arriva au pape que le matin
du 30 septembre, à Macerata. Dans cette lettre, Louis XII décla-
rait vouloir venir lui-même en Italie au moment du carême.
2. Gesena, 2 octobre.
3. Forli, 9 octobre.
4. Ce passage fut très dif6cile. Le pape licencia sa cour et se
dépouilla lui-même de ses objets les plus précieux, tant il redou-
tait une attaque des Vénitiens (P. de Grassis).
70 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [1506
Tantost après que l'armée du pape fut devant
Castel Sainct Pierre ^ ceulx de la ville parlamenterent,
et a la parfin se rendirent a la mercy dudit Père Sainct.
V.
Gommant messire Charles d'Amboise, lieutenant du
Roy DELA LES mons, fist marcher son armée droict
A BOULONGNE POUR SECOURIR LE PAPE.
Messire Charles d'Amboise, lieutenant du Roy delà
les mons, sachant qu'il estoit heure de partir pour aller
au secours du pape, avoit faict assembler ses gens
d'armes a Parme et mys en marche, comme le Roy
luy avoit mandé, et tenoit ordre tel que, nonobstant
l'empeschementdes pluyes et l'ennuy de l'y ver qui lors
avoient cours, gens d'armes, piétons et artillerye, et tout
le sommaige n'avoit arrest, car soubz ledit lieutenant
du Roy avoit capitaines expertz et lieutenans advisez en
faictz d'armes, et, pour ce que j'ay sceu les noms des-
ditz capitaines qui la estoient, je les ay voulu commé-
morer, affin que, si bienffaict y a, que ce soit a la
loucnge d'eulx et a l'exemple des futurs. Première-
ment, y estoit présent messire Charles d'Amboise,
gênerai lieutenant du Roy, lequel avoit a luy cent
hommes d'armes; messire Jacques de Chabanes, sei-
gneur de La Palixe, lequel avoit cincquante hommes
d'armes ; messire Yves d'Allègre, cincquante hommes
d'armes; messire Robert Stuart, cent hommes d'armes
escossoys; Adrien de Brimeu, lieutenant des cens
1. Castel-San-Pietro, sur le Sillaro, à 23 kilom. do Bologne.
1506] GOMMANT MESSIRE CHAIILES D'AMBOISE, ETC. 71
hommes d'armes du marquis de Mantoe; messire
Jehan de Durefort, seigneur de Duras, cincquante
hommes d'armes; messire Rogier, baron de Beart,
cincquante hommes d'armes; messire Galeas Palvesin,
quarante hommes d'armes; messire Anthony Marie
de Sainct Severin, cincquante; messire Phihbert de
Glarmont, seigneur de Montoison, cincquante ; le sei-
gneur d'Oroze, quarante ; le seigneur de Ghastellart,
quarante; le seigneur de Fontrailles, trente; le conte
de Misoc, cincquante ; messire Mercure, cent Albanoys.
Les capitaines des gens de pié estoyent MoUart^, alle-
mant ; Jacques d'Allègre ; Peralte , espaignol ; Cos-
sains et ung italyen, nommé le marquys Bernato, les-
quelz avoyent soubz leur charge quatre mille hommes,
allemans, daulphino[y]s et piemontoys. Aussi y avoit
XV pièces d'artillerye soubz la main de messire Jehan
de Bessé, gruyer de Bourgoigne. Et ainsi fut mise
l'armée de France au champs, tirant le droict chemin
de Boulloigne, et tant que, devant une place bouloi-
gnoise, nommée Gastelfranc^, furent les Françoys, et
la misrent le siège. Puys commancerent a tirer quelques
menues pièces d'artillerye pour voir que ceulx de la
place vouldroyent dyre, lesquelz se -deffendirent tout
lâchement en tirant bien peu de coups, et, sans
actendre sur eulx plus grant effort, se rendirent, leurs
bagues sauves. Ge faict, ledit lieutenant du Roy, avec-
ques ce qu'il voulut de ses gens d'armes, entra dedans ;
ce que tantost sceut le pape, qui lors estoit a Ymolle,
de quoy fut bien joyeulx, pencent que, au moyen dudit
secours, Boulongne seroit bientost a luy soubmise.
1. Suffray.
2. Castel-Franco, à 12 kilom. de Modène, à 25 de Bologne.
72 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [1506
Messire Jehan de BentivoUe, qui lors estoit a Bou-
longne, sachant la venue de l'armée du Roy et la prise
de Gastelfranc, fut bien esbahy, disant qu'il ne pour-
roit longuement tenir contre ladicte armée, et que de
deux maulx luy failloit eschever le pire, ne voulant
pour riens cheoir entre les mains du pape, qui de mort
luy en vouloit, par quoy advisa que myeulx estoit pour
luy se rendre au[x] Françoys, pencent estre, entre leurs
mains et soubz la clémence du Roy, humainement
trecté; et, pour y ouvrer sommairement, envoya
ambaxades a Gastelfranc par devers messire Charles
d'Amboise, lieutenant du Roy, pour luy dire que, si
son plaisir estoit de prandre a mercy luy et sa famille
et tous ses biens saufz, que a luy voluntiers se ren-
droit et luy mectroit Boulongne entre les mains. Les-
ditz ambaxades portèrent leur parolle et firent sur ce
tout ce que enchargé leur estoit, et advertirent ledit
lieutenant du Roy du vouloir dudit messire Jehan de
BentivoUe, et comment entre ses mains se vouloit
rendre et mectre ladicte ville de Boulongne en son
obbeissance. A quoy fist responce que pour l'eure ne
povoit avecques luy riens composer, et qu'il n'avoit
autre charge du Roy son maistre que de venir au
secours de l'Eglize et faire ce que le pape luy comman-
deroit, parquoy ne pouvoit de luy riens conclure sans
en advcrtir ledit Père Sainct. Ce nonobstant, veu le
party humain de celuy Bentivoille, luy manda que,
s'il vouloit bailler sauf conduyt pour quelqun de ses
gens, qu'il envoyroit devers le pape, et que a son
pouvoir trecteroit de la paix. Dont ledit BentivoUe,
voyant (jue la chose ne pouvoit pour l'eure prendre
meilleur fin pour luy, bailla sauf conduyt et seurté
1506] GOMMANT MESSIRE CHARLES D'AMBOISE, ETC. 73
pour passer par ses dangiers et aller vers le pape. Ce
faict, ledit lieutenant du Roy transmist a YmoUe ung
sien segretaire, trésorier des guerres de Millan, pour
advertir le pape comment messire Jehan de Bentivoille
se vouloit rendre et mètre entre les mains du Roy, et
la ville de Boulongne en son obbeissance, pourveu que
luy, sa famille et tous ses biens fussent saufz et gar-
dez, et commant, sur ce, ledit lieutenant n'avoit voulu
riens conclure, mais avoit le tout remys au vouloir et
a l'ordonnance du pape, en luy mandant que Sa Sainc-
teté y advisast pour y besoigner scelon son plaisir et
commandement, et que tout ainsi le feroit sans faillir,
et qu'il luy pleust sur ce luy faire savoir son vouloir.
Oyant le pape les choses susdictes, fut contant de la
réduction de Boulongne ; mais, quant a ce que ledit de
Bentivoille et ses choses demouroyent sauves, ne luy
vint pour l'eure a plaisir et si avoit bonne envye de le
trecter autrement; car, durant leur discord, ledit de
Bentivolle avoit faict mourir le père du dataire du
pape, dont avoit conceue hayne mortelle contre luy.
Mais, après avoir pencé a tout, et que user de ven-
gence estoit contre le comandement de Dieu , con-
sentit que ledit de Bentivolle seroit rays entre les mains
du lieutenant du Roy pour en faire a son plaisir, et ses
biens saufz; et ainsi despescha ledit trésorier des
guerres et le renvoya devers ledit lieutenant du Roy,
lequel estoit a Castelfranc.
Tantost après qu'il eut renvoyé ledit messager fran-
çoys, luy souvint de quelque chose qu'il avoit oblyé
a mectre en ses lectres : par quoy de rechief transmist
après ung autre des siens, qui estoit son chambrier;
et, pour ce qu'il ne savoit parler françoys, demanda au
74 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [1506
cardinal de Nerbonne, qui avecques luy estoit, ung de
ses gens pour accompaigner son homme et rapporter la
parolle, lequel luy bailla ung sien chappellain, qui chan-
toit devant luy. Si s'en allèrent iceulx ensemble et
passèrent par le camp du pape, dont estoit chief le
marquys de Mantoue, lequel advertirent de leur affaire ;
et, voyant qu'ilz n'avoyent sauf conduyt, leur dist
que sur leur chemin n'avoit nulle seurté, pour ce que
ce jour avoyt envoyé devant Boulongne cent de ses
Albanoys qui ne savoyent riens du trecté de la paix.
Mais, pour ce, ne s'arresterent, pencent qu'ilz passe-
royent au moyen dudit chambrier, qui savoit parler
itallien, et qu'ilz diroyent aux Boulongnoys que, pour
le bien et proffîct de la ville, estoyent envoyez du pape
au lieutenant du Roy. Or advint que, a l'approcher
de ladicte ville, comme a deux mille près ou environ,
rencontrèrent les Albanoys du marquis de Mantoue
venans de leur course, lesquelz avoyent trouvé ung
capitaine de Boulongne avecques trente chevaulx
legiers sortiz pour descouvrir, desquelz ne s'estoit
sauvé que ledit capitaine, que tous ne fussent tuez ou
priz. Dont celuy capitaine, tout effr[a]yé, s'en estoit
retourné a bride abatue jucques a Boulongne, ou la
fist assavoir aux BouUonnoys commant les gens d'armes
du pape leur avoyent couru sus et leurs gens def-
faictz, dont les ungs estoyent mors et les autres pri-
sonniers, tellement que de tous n'en estoit eschappé
que luy tout seul, qui, a force de courir, avoit gaigné
la ville. Oyant les BouUonnoys ses nouvelles, grant
nombre d'iceulx s'armèrent et montèrent a cheval,
puys se misrent aux champs a la suyte desditz Alba-
noys, qui ja estoyent près de leur camp, dont ne les
1506] GOMMANT MESSIRE CHARLES DAMBOISE, ETC. 75
rencontrèrent, mais troverent le chambrier du pape
et son compaignon courans la poste. Et, pour ce que
ledit chambrier estoit myeulx monté que le prestre du
cardinal de Nerbonne, estoit devant plus de deux gectz
d'arc. Or advint que celuy chambrier fut priz par les
Boulonnoys, lesquelz le voulurent tuer; mais il leur
dist commant le pape l'envoyoit devers le grant maistre
de France, lieutenant du Roy, pour le proffict de la
ville et trecter de la paix, et ausi que, s'il estoit ques-
tion de guerre contre le pape et eulx, qu'il ne le
fissent mourir, car il avoit de quoy payer cent escuz
pour sa rençon. Tant jouha de doulx parler que autre
mal ne luy firent, mais le prindrent et gardèrent très
bien. Son compaignon, qui tout de loings voyoit les
Boulongnoys jouer de force, ne sceut que faire, si
n'est tourner le dos, et se voulut mectre a fuyr; mais
fut ad visé par aucuns d'iceulx Boulongnoys, dont l'ung
d'eulx bien monté se mist seul a la course après luy,
et tant que bientost l'eut actainct, en luy voulant courir
sus. Le prestre, voyant son cheval las, et qu'il ne se
pouvoit sauver a fuyr, et ausi qu'il n'avoit a besoigner
que a ung homme seul, raist la main a l'espée et se
deffendit en manière que la javellirle de son ennemy
saisist et la luy osta du poing ; et, de faict, l'eust tué
et defifaict, n'eust esté que sept ou vili des autres, qui
virent la deffence de celuy prestre, hastivement cou-
rurent la et, sans le vouloir ouyr parler ne escouter
sa raison, donnèrent sur luy a tous costez, et tant que,
en se deffendant, l'abbatirent et le tuèrent sur le
champ. Le chambrier du pape fut mené a Boulongne et
présenté a messire Jehan de Bentivoille, auquel dist
celuy chambrier la charge qu'il avoit du pape ; par
76 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [1506
quoy fut incontinant délivré et a luy baillé seurté pour
aller faire son messaige.
Durant ses jours, la pluye estoit en ce lieu conti-
nuelle nuyt et jour, et dura tant longuement que les
fanges estoyent si grandes par les chemins que gens
et chevaulx y estoyent jucques au genoilz, tellement
que l'artillerye ne se pouvoit charryer, et la failloit
tirer a force de gens et chevaulx, qui, a toute la peine
du monde, la menoyent de lieu en lieu. Ce nonobs-
tant, messire Charles d'Amboise, lieutenant du Roy,
mist tel ordre a tout ce, que, pour l'empeschement de
celuy temps, ne demeura riens en arrière, mais partist
de Castelfranc avecques son armée et artillerye, et tira
vers Boulongne de tant qu'il fut a ung pont, deux
mille près dudit lieu de Boulongne. La le trouva le
messager du pape et luy présenta ses lectres, des-
quelles fut bien joyeulx, mesmement pour ce qu'il con-
sentoit que messire Jehan de Bentivoille fust mys entre
les mains du Roy, et ses biens estre saufz. Lorsque
ledit messire Jehan de Bentivoille sceut le vouloir du
pape et l'armée de France estre si près de Boulongne,
partit dudit lieu et, a l'aube du jour, se rendit audit
pont ; et la s'en alla mectre entre les mains dudit lieu-
tenant du Roy, comme avoit promys de faire, et
avecques luy ung de ses filz nommé messire Alixandre
de Bentivoille ; lesquelz receupt doulcement et iceulx
bailla en garde a ung lombart, nommé messire
Anthoyne Marye de Palvezin, auquel donna charge de
les mener a Millan et les faire garder tant que seroit le
plaisir du Roy. Et, au partir, ledit messire Jehan de
Bentivoille bailla les clefz de Boulongne a messire
Charles d'Amboise, en luy recommandant sa pauvre
1506] GOMMANT MESSIRE CHARLES D'AMBOISE, ETC. 77
femme desollée et ses biens, la face toute couverte de
larmes et le cueur serré de doulleur, en faisant les
plus piteulx regretz et doulloureux plainctz qu'onques
fist pauvre chevaillier, disant : « Helas! Fortune,
ennemye de gloire et marrastre de prospérité, que
t'ay je meffaict quant , en mes jours florissans , et au
temps de ma doulce juvente, m'as laissé quelque
temps féliciter a plaisir, et, aux ennuyeulx ans de ma
chanue veillesse, me mectz en exil perpétuel? Ores,
me faictz tu a cler cognoistre que le plus malleureux
geurre^ de tes adversitez est avoir esté longuement
prospère, et puys de choir sans ressource ! » Plu-
sieurs autres lamentacions desolables fist le pauvre
chevaillier, et tant que le lieutenant du Roy mesmes
fut meu de telle pytié que des yeulx luy sortirent les
larmes; mais, pour rentrer, envoya ledit de Benti-
voille a Millau. La femme et ung des enfens dudit
Bentivoille, après ce, s'en allèrent avecques huyt cens
chevaulx hors Boulongne et tirèrent vers la duché de
Ferrare, ou portèrent la plus grant partye de leurs
bagues et choses portatives.
Le heutenant du Roy, ayant les clefz de la ville de
Boulongne, pencent, sans nulle r&sistance, entrer
dedans, transmist la ung nommé messire Galeas Vis-
conte, avecques ses fourriers, pour faire les logys ; les-
quelz fourriers, cuydant mercher lesditz logys, furent
assainis de la commune de Boulongne, qui fist ung
cry sur eulx et ung tel hutin que ce fut jucques a
charger, en manière que iceulx fourriers furent, les
ungs blecez et aucuns tuez et menez tellement que a
grant peine se peut sauver ledit messire Galeas Vi-
i. Sic, pour ; la guorre (joyeuseté, fête)?
78 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [1506
conte, avecques partye de ses fourriers, lesquelz s'en
allèrent d'effroy au devant du lieutenant du Roy, qui,
avecques son armée, approchoit la ville ; et, sachant la
rébellion susdicte, comme ennemyd'icelle, fist la droict
marcher l'armée et mectre le siège devant, et a toutes
mains faire pecter artillerye et abbatre tours et mu-
railles, en l'assaillant si vivement qu'il n'y eut dedans
si hardy qui n'eust frayeur de ce bruyt. Et, ce voyant,
aucuns de ceulx de la ville, qui ja savoyent l'appoinc-
tementdu pape et de Bentivoille, envoyèrent en poste
devers ledit Sainct Père et devers aucuns des cytadins
de la ville, qui ja c'estoyent allez rendre au pape pour
iceulx advertir du siège et de la continuelle baterye
que faisoit le lieutenant du Roy devant Boulongne, et
que, si tost n'y estoit pourveu, ladicte cité estoit en
danger d'estre prise d'assault et pillée par les Fran-
çoys, qui tous effors mectoyent en avant pour y
entrer.
Oyant le pape ses nouvelles, fut tant esmerveillé
que plus ne pouvoit, et esbahy de ceste affaire, veu
les lectres que, peu devant, luy avoit envoyées ledit
lieutenant du Roy, disant que, après que messire
Jehan de Bentivoille seroit entre ses mains, il s'en
yroit loger dedans Boulongne. Or savoit le pape ja
que ledit Bentivoille avoit rendu les clefz de la ville,
et que a Millan l'avoit envoyé le lieutenant du Roy.
Sur quoy ne savoit que penser, si n'est que quelque
nouvelle rébellion eussent faicte les Boulonnoys, ou
que les Françoys voulussent piller ladicte ville, qui
estoit moult riche et plaine de tous biens; par quoy
pença que, si ladicte ville estoit ainsi prise et pillée,
qu'il feroit double perte et que son entreprise luy
seroit plus dommaigeuse que proffictable ; car il auroit
1506] GOMMANT MESSIRE CHARLES D'AMROISE, ETC. 79
perdu les fraiz et mises qu'il auroit faictes pour sous-
tenir son armée, ou ja avoit grant trésor despendu,
et ausi que la cyté qui estoit sienne seroit destruyte
et désolée, ce qui dedans estoit pris et pillé, le peuple
mys a sac et les biens d'icelle ravys et emportez, ce
qui seroit totallement a son desavantage. Dont, pour a
ce vouloir mectre provision, transmist hastivement le
cardinal de Nerbonne devers messire Charles d'Am-
boise, lieutenant du Roy, luy pryer et dire qu'il ces-
sast de batre la ville et qu'il fist tenir coy ses gens.
Si s'en alla ledit cardinal, et, luy estant par chemin,
couroyent incessaument postes de Boulongne pour
haster les messaigiers du pape, disant que les Fran-
çoys avoyent ja tant batue la ville d'artillerye et faict
telle ouverture qu'on n'actendoit que l'assault, et que,
sans faillir, elle seroit emportée et prise, qui ne mec-
troit sur ce hastif remède et sommaire provision. Le
cardinal de Nerbonne, qui du pape avoit charge de
hastivement aller faire cesser l'armée de France,
voyant que assez tost ne pouvoit courir, et ausi que
plus de XV mille de chemin avoit encores a faire,
transmist la ung de ses gens nommé Jehan Roussart,
accompaigné d'une des postes de -Boulongne, pour
advertir le lieutenant du Roy du vouloir du pape et
de la venue dudit cardinal, et pour faire cesser le siège
jucques a ce que ledit cardinal eust parlé a luy. Or se
mirent les coureurs en voye et, tant que les chevaulx
peurent aller, tirèrent vie en manière que, après
qu'ilz eurent chevauché viii mille de pays, le cheval
dudit Roussart fut defferré et tant las qu'il demoura
tout court; par quoy la poste de Boulongne, qui sans
celuy Françoys ne pouvoit faire bon message pour les
80 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [1506
Boulongnoys, se mist a pié et luy bailla sa monture, en
luy monstrant son adresse et luy priant bien fort
qu'il se hastast, car long chemin avoit a faire; ce qu'il
fist, et tant que, sur les deux eures de nuyt, arriva
ledit Roussart devant la ville de Boulongne, du costé
d'Ymolle, ou la trouva gros guet et les gardes de
ladicte ville en armes, lesquelz salua et leur dist com-
mant, de par le pape, venoit la pour les affaires de
Boulongne, et iceulx advertist de la venue dudit car-
dinal son maistre, que le pape envoyoit la a tout grant
haste, et que, pour plus avancer l'affaire, ledit cardi-
nal l'a voit transmys devant a delligence extrême. Par
quoy prya lesdictes gardes que, pour plus tost estre
au siège des Françoys et pour le proffict de la ville, le
lessassent passer par la dedans, qui estoit pour le plus
court ; ce que ne voulurent, pour ce qu'il estoit Fran-
çoys, et ausi que seurement n'eust sceu passer, veu
que guerre mortelle se faisoit lors entre eulx et les
Françoys, et que l'ung n'espairgnoit l'autre. Mais icel-
luy adressèrent hors la ville par ung chemin touchant
le long des fossez, et l'advertirent de cryer en passant :
VEglize! qui estoit le cry commun de la ville, ou,
autrement, ceulx du guet luy pourroyent tirer quelque
coup d'artillerye ou de trect. Si se mist a passer le
long dudit chemin tout coyement, en cryant : VEglize!
et ne luy demandèrent riens les ennemys jucques il
approchast le camp des Françoys; et, lorsque au
roiz de la lune, qui estoit clere, le virent adresser vers
le camp, luy tirèrent a la passée plusieurs coups de
haquebutes et de trect, et tant qu'il fut contrai net,
pour se sauver, de mectre pié a terre et habbandon-
ner son cheval pour gaigner les hayes et jardrins, qui
1506] GOMMANT MESSIRE CHARLES D'AMBOISE, ETC. 81
la dessoubz estoyent; et ainsi, comme il peut, se ren-
dit au siège, ou trouva sur les piedz le lieutenant du
Roy, armé de toutes pièces, faisant tirer artillerye aux
roiz de la lune contre la ville et abatre murailles, sans
cesser, délibérant le lendemain donner l'assault.
Par ledit messaiger fut adverty de la venue du car-
dinal de Nerbonne, que le pape luy envoyoit pour faire
cesser le bruyt; et, tantost qu'il sceut les nouvelles de
ce, fîst arrester l'artillerye et accoiser le siège; mais,
pour tant, fist faire ses aproches et trenchées, et mist
guetz de toutes pars. Jucques a l'eure de la mynuyt,
des deux costez firent sillence, sans tirer ni faire bruyt.
Mais, après ce, BouUongnoys commancerent le hutin
et a tirer coups d'artillerye sur le camp des Françoys,
lesquelz ausi ne leur faillirent, mais tirèrent de plus
belle et plus qu'onques mais, car il avoyent ja appro-
ché leurs pièces près des fossez de la ville. Et ainsi
tirèrent l'ung contre l'autre jucques a une heure après
mynuyt que le cardinal de Nerbonne survint au champ,
et la advertist le lieutenant du Roy commant le pape
ne vouloit que ladite ville fust prise par force, en priant
ledit lieutenant qu'il cessast de faire plus tirer contre
ladicte ville ; parquoy la baterye fut cessée et le siège
arresté, combien qu'il ennuyast moult audit lieutenant
et aux Françoys qui la estoyent, veu la défiance que
iceulx BouUongnoys, après rappoi[n]clement, fa[i]-
soyent; mais, pour obeyr au pape, tout fut arresté.
Tantost après vindrent ambaxades de la ville devers
ledit lieutenant du Roy, disant qu'ilz avoyent charge
des cytadins et peuple de ladicte ville de dire au lieu-
tenant du Roy que icelle dicte ville et les habitans
avecques tous leurs biens estoyent au pape, et de
v 6
82 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [1506
l'Eglize; et, veu que ledit lieutenant, qui la se disoit
pour le pape, vouloit icelle prendre et destruyre,
s'esbahissoyent, en le priant, pour l'onneur de leur
souverain seigneur le pape, qu'il se vousisent désister
de plus leur courir sus, et que de leur part feroyent
leur devoir et viendroyent a la raison. Sur quoy fist
ledit lieutenant responce, en disant : « Vous savez
assez Gommant, par le consentement du pape, messire
Jehan de Bentivoille, lors vostre chief et gouverneur,
s'est rendu au Roy, luy, sa famille et ses biens saufz,
et commant, après qu'il m'eut baillé et rendu les clefz
de BouUongne, mes fourriers, en voulant mercher
dedans les logys, ont estez, par vous et vostre co-
mune, les ungs occis, les autres blecez et chacez ; et
ausi commant, nonobstant tout autre appoinctement
entre le pape et aucuns de voz citadins faict, vostre
cyté s'est rebellée et faict tout l'effort de guerre qu'elle
a peu faire contre l'armée du Roy qui cy est : ce qui
est mal monstre a vous, que soyez ou veillez estre
sugectz au pape, pour lequel ladicte armée est icy
venue. Dont a ceste cause, de ma part, je suys déli-
béré de vous faire reparer tous ses mesfaictz et d'en-
trer dedans Boulongne, vueillez ou non. » Sur ce, ne
répliquèrent lesdiz ambassadeurs autre chose, doub-
lant avoir pys; mais, après plusieurs autres raisons,
conclurent que ledit lieutenant et ses gens de cheval
entreroyent dedans, et les piétons demoureroyent hors,
esquelz seroit de la ville transmys force vivres. Tou-
tesfoys ne fut du tout la conclusion arrestée, par ce
que ancores n'avoyent le consentement de tout le
peuple de la ville, mais fut dit que le lendemain a
quatorze heures, qui sont viii heures en France, vien-
1506] GOMMANT MESSIRE CHARLES D'AMBOISE, ETC. 83
droyent rendre responce sur ceste affaire. Ainsi retour-
nèrent lesdiz ambaxadeurs pour raporter ce que
avoieni faict et conclut, et besongner au surplus. Pen-
dant lequel temps, messire Charles d'Amboise, lieute-
nant du Roy, et le cardinal de Nerbonne parièrent de
leur affaire, et après délibérèrent entre eulx aller
disner au pont, deux mille près de la. Les ambaxa-
deurs de Boulongne retournez en la ville, après leur
raport faict, meurent la ville de tenir conseil, ou les
seigneurs et la plus grant partye de la commune furent
assemblez; et la furent debatues plusieurs choses.
Toutesfoys a la parfin, par comun assentement, fut
dit que le lieutenant du Roy, avecques les gens de
cheval, comme avoit esté appoincté par lesdiz ambaxa-
deurs, entreroyt en ladicte ville. Dont s'en retour-
nèrent iceulx ambaxadeurs devers ledit lieutenant du
Roy et luy disrent que, lorsque luy plairoit, luy et ses
gens de cheval pouvoyent entrer en ladite ville, et
que aux piétons seroit transmys vivres et provisions
a suffisance. A quoy fist responce ledit lieutenant du
Roy que, a l'eure qu'il se trouveroit délibéré, il y
entreroit. Et, sur ce, luy et ledit cardinal se misrent
a chemin pour aller disner au pont, comme devant
avoyent entrepriz.
Lesdiz ambaxadeurs se misrent au retour, et, tan-
tost qu'ilz furent en la ville, une partye de la com-
mune, qui n'avoit esté appellée au conseil susdit,
sachant celuy appoinctement, dirent qu'il estoit a leur
préjudice et que c'estoit chose qui touchoit a tous;
pour ce, de tous devoit estre approuvée. Autre chose
alléguèrent, ou peu de propos raisonnable avoit. Et
ainsi ceste meschante commune, prompte a mectre
84 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [1506
aux champs et aisée a efFrener, fist ung insulte, et
avecques grant tumulte misrent la main aux armes,
montèrent sur les murailles de la ville et recomman-
cerent a tirer coups de trect et artillerye contre les
Françoys, et les Françoys a eulx; somme, chascun
recomainça la guerre de nouveau, et tant que iceulx
Boulongnoys firent une saillye de quatre a cinq mille
hommes sur les Françoys, qui se tindrent pié quoy,
saisis de leurs armes. Si grant fut le bruyt que le lieu-
tenant du Roy, estant au chemin pour cuyder aller dis-
ner au pont, comme celuy qui de se ne se doubtoit,
veu l'appoinctement devant faict, oyant cest efFroy,
tout a course de cheval s'en retourna jucques au camp,
ou la trouva ses gens d'armes tous en ordre, près de
charger sur leurs ennemys. Et, sans autre chose dire,
luy qui estoit legierement armé et monté sur ung
courtault, mist pié a terre et prist une picque au poing ;
puys se mist avecques deux mille CCCCG allemans,
qui estoient la pour le Roy, et adressa a ceulx qui
estoient sortis, en manière qu'ilz les reppossa jucques
dedans la ville, tant que sur la foulle, a l'entrer des
portes, furent icelz Boullongnoys chapplés et assom-
mez plus de deux cens ; et, n'eust esté que ceulx qui
sur lé murailles estoyent a coups de trect et d'artil-
lerye donnèrent sur les Allemans et recueillirent leurs
gens, peu en fust réchappé.
Apres la retrecte d'iceulx Boullongnoys, voyant le
lieutenant du Roy la desloyaulté d'iceulx villains tant
continuer, fut délibéré de leur donner l'assault et faire
tout mectre a sac. Mais ausi, sachant que le pape se
mal contanteroit, veu ce qu'il luy avoit mandé, différa
et voulut sur ce tenir conseil, ou appella les capi-
Nov. 1506] GOMMANT MESSIRE CHARLES D'AMBOISE, ETC. 85
taines de l'armée qui la estoyent et autres, comme le
cardinal de Nerbonne é l'arsevesque d'Aiz* et plu-
sieurs autres, lesquelz conclurent que le pape seroit
desdictes choses adverty et de la desloyaulté d'iceulx
Boullongnoys, et commant, au moyen des faulx tours
et appoinctemens par eulx enfrainctz, le lieutenant du
Roy a voit juste cause et bonne querelle contre eulx,
par quoy estoit délibéré de leur faire mortelle guerre.
Toutes ses choses furent mises par lectre, pour icelles
demonstrer au pape. Ledit cardinal de Nerbonne s'en
retourna par devers luy, et luy bailla lesdictes lectres
que luy envoyoit ledit lieutenant du Roy, desquelles
choses fut très mal content et très anymé contre les
Boullongnoys, disant qu'il les destruyra, s'il fault
qu'en armes aille sur le lieu et que a bon droict
avoyent deservy cruelle pugnicion.
Aucuns des principaulx de Boullongne, lesquelz
s'estoyent ja rendus au pape, misrent si bonne dilli-
gence a rapaiser le deffault que la chose fut adoulcye,
moyennant ce que ceulx de Boullongne luy mandèrent
que, quant luy plairoit de entrer dedans la ville,
toutes les portes luy seroyent ouvertes, et au lieute-
nant du Roy pareillement : ce qui padflfya tout.
Le pape, sachant Boulongne avoir dit le mot, manda
a messire Charles d'Amboise, lieutenant du Roy, que,
dedans troys jours après ce, qui estoit le vm'"® du
moys de novembre, il yroit faire son entrée a Boul-
longne, en le pryant que, avecques tous ses gens
d'armes de cheval, luy vousist tenir compaygriye : ce
qu'il fist, car, lors qu'il sceut que le pape marchoit et
1. Pierre Le Filleul.
86 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Nov. 1506
qu'il approchoit Boulongne, avecques toute son armée
fut au devant. Et la luy fist le pape joyeulx recueil et
très bonne chère, en remercyant le Roy de son bon
secours, et luy de la peine que pour luy avoit prise,
soy offrant a luy faire tout le plaisir de quoy le voul-
droit requérir*.
VI.
Gommant le pape entra dedans Boulongne
AVECQUES SON ARMÉE ET l' ARMÉE DU ROY^.
Ainsi s'en alla le Père Sainct a Boulongne avecques
ses gens de cheval, et ledit lieutenant du Roy ausi
avecques tous ses gens d'armes ; et ainsi accompai-
gné entra dedans ladicte ville de Boulongne a grant
triumphe^. Apres qu'il fut ainsi entré et qu'il se vist
maistre de la ville, il fist comander, a peine de la
1. Il donna 8,000 ducats à Ghaumont et 10,000 à ses troupes
(Guichardin). Ascanio Sforza et le cardinal Frédéric de San Séve-
rine ambitionnaient vivement tous de,ux la légation de Bologne
(Pauli Gortesii, De Cardinalatu, fol. 1510, fol. xlviii).
2. Une miniature du ms. (fol. xx) représente l'entrée du pape
à Bologne. Au fond, une porte fortifiée, avec l'inscription : Bou-
loingne. Devant, à gauche, en colonne, l'armée française; au
milieu, le pape, en chape d'or, en robe bleue, tiare en tête et
bénissant, sur son mulet gris harnaché de rouge et or; à sa droite,
un homme d'armes à cheval, tenant l'épée nue. Derrière, des
cardinaux, des évêques, des gens d'armes. Dans le bas, légende
en lettres d'or : « Lantrée du pape, entra[ntj dedens Boloigne. »
3. Jules II entra à Bologne le 10 novembre, malgré les avis des
astrologues, qu'il refusa d'écouter, « caute potius ac clanculum,
quam apparenter. » Dès que son arrivée fut connue, la population
entière se porta au-devant de lui et l'acclama avec un enthou-
siasme extraordinaire, qui surprit et charma le pape (Paris de
Grassis). Érasme assistait à cette entrée.
1506] COMMENT EN LA VILLE DE GENNES, ETC. 87
hart, que tout le harnoys de la ville fust apporté et
mys dedans une maison ordonnée a ce faire : ce qui
fut faict, et puys commys gens de par le pape pour
ladicte maison garder et disposer des armes comme
piairoit a sa Saincteté. La dedans fut festyé et entre-
tenu le pape, par les cytadins et seigneurs de la ville,
honnorablement. Et ainsi plusieurs jours durans il fes-
tya et trecta ledit lieutenant du Roy, tellement que
tousjours le fist seoir a sa table et servir tout a souhect,
en luy faisant tant familyere chère que a toute heure
parloit a luy; et lors qu'il s'en voulut aller, luy fist
grans dons et presens et contanta a la raison et fist
en manière que luy et les capitaines de l'armée du Roy
tout amplement se contentèrent de sa bénédiction.
Ce faict, ledit lieutenant du Roy et les capitaines
de l'armée prindrent congé du Sainct Pere^, puys s'en
retournèrent en la duché de Millan, chascun a sa gar-
nison.
VII.
Comment en la ville de Gennes, en celuy temps,
LE peuple et les NOBLES d'iCELLE EURENT DIVI-
SION ENSEMBLE, ET GOMMANT CEULX DU PEUPLE CHA-
CERENT LES NOBLES ET S' ARMERENT CONTRE LE ROY.
La superbe cyté de Gennes, qui lors estoit entre les
mains du Roy, et soubz son pouvoir gouvernée par
messire Philippes de Cleves, seigneur de Ravestain,
ayant paix a tous ses voisins et vye prospère en son
1. La nouvelle en parvint à Blois le 27 novembre (Desjardins,
II, 190).
88 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [1506
estât, tout ainsi que grant aise fouUe le trop séjourné,
non pouvant endurer le bien de félicité, a soy mesmes,
comme forcennée, se voulut prendre et mutiner par
guerres civilles* et plus que civilles, car cytoyen contre
cytoyen, et parent contre parent, furent commeuz en
manière que les nobles et le peuple de ladicte ville
eurent division mortelle entre eulx ; et ce, pour ce que
les nobles voulurent suppediter le peuple, et le peuple
se faire esgal aux nobles et iceulx mespriser.
Or, est a savoir que ladicte ville de Gennes, entre
les autres villes du monde, est excellente, extimée,
tant en estât de noblece que en faict de marchandise ;
en laquelle sont grandes et anciennes maisons, des-
quelles sont les principalles, comme je l'ay sceu estant
sur le lieu (lesquelles, pour veriffyer mon histoire, j'ay
voulu nommer, et partye des noms des seigneurs des-
dictes maisons qui en ce temps estoyent) : et pre-
mièrement la maison noble de Flisco, qui lors estoit
la plus renommée de Gennes, de laquelle estoyent mes-
sire Jehan Loys de Flisco, seigneur d'icelle, Paul de
Flisco, Paris de Flisco, Francus de Flisco et Manuel de
Flisco; puys estoit la noble maison de Aurya, dont
estoient Jheronyme de Aurya, Stephanus de Aurya,
Marcus de Aurya, Constantin de Aurya et Raphus de
Aurya; ausi estoit l'autre noble maison de Spinulla,
de laquelle estoyent Lucas Spinulla, Baptiste Spinulla,
1. « Et la cité de Gennes, après deux longues pestillences,
soubz le domaine de Loys douziesme, roy de France, prosperoit
si haultement que oncques ne fut veue en si bonne garde de
agrandir, bénéficier et acroistre. Car de tous coustez habondoieut
les marchandises, et les caracques de toutes pars apportoicnt
richesses innumerablez » {Cronaca di Genova, da Aless. Salvago,
pubbl. da G. Desimoni, p. 98).
1506] COMMENT EN LA VILLE DE GENNES, ETC. 89
Jehan Spinulla, Stephanus Spinulla, Obertus Spinulla,
Garolus Spinulla, Ghristophorus Spinulla et Jehan
Jacques Spinulla; la quarte maison des nobles de
Gennes estoit de Grimaldis, dont portoyent le nom
messire Jehan de Grimaldis, Amsaldus de Grimaldis,
Georges de Grimaldis et Jehan de Grimaldis. Autres
maisons riches estoyent du peuple de Gennes, qui se
nomoit le peuple gras, c'est assavoir ceulx qui tenoient
plus d'avoir : entre lesquelles estoit la maison des
Justinianis, de laquelle estoyent Silvestre Justiniani,
Setephanus (sic) Justiniani, Lucas Justiniani, Bricius
Justiniani, Paul Baptiste Justiniani, Symon Justiniani,
Demetrius Justiniani; de la maison de Furnariis,
estoient Mainfredus de Furnariis, Pascal de Furnariis
et Raphaël de Furnariis; de Francis, ausi estoyent
Lazarus de Francis, Johannes Baptista de Francis et
Bernardus de Francis. Plusieurs autres grosses mai-
sons des nobles et du peuple gras estoyent dedans
Gennes, comme la maison de Sauli, desLomellins, des
Cathanées, de Nigrono, de Usus Maris, des Centurions,
et plusieurs autres ; sur toutes lesquelles estoyent pré-
eminées et de regnon les maisons de Adourne et
de Gampefurgose \ desquelles estoyent Augustinus
Adourne, le plus grant de tous lesdiz Adournes, lequel
avoit esté gouverneur de Gennes soubz le duc Ludo-
vic, lors qu'i tenoit la duché de Millan, Jehan Baptiste
Adourne, Bernardus Adourne et Baltazar Adourne.
De la maison de Gampefurgose estoit seuUement ung
nommé Petrus de Gampefurgose, duquel le père avoit
esté lors duc de Gennes, et se tenoient iceulx hors la
1. Adorno, Campofregoso.
90 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [1506
ville, dedans grosses places et fors chasteaulx qu'ilz
avoyent; et, combien qu'ilz fussent du peuple gras, si
vivoyent ilz noblement, sans user de marchandise que
parleurs facteurs. Or estoyent iceulx Adournes et Fur-
goses tant auctorizez en ladicte ville de Gennes que
toutes les auctres maisons dessus nomées, tant de
nobles que du peuple, voyre et toute la commune de
la ville, tenoyent les ungs pour Furgose et les autres
pour Adourne, tellement que par cy devant s'estoyent
plusieurs foys mys en armes Gennevoys contre Genne-
voys et faictz meurdres et occisions avecques grans
tumultes et sedictions popullaires l'ung contre l'autre;
et tenoyent a Gennes leurs criz : Adourne et Furgose,
comme a Rome : Coulonne et Oursin, ou a Millan :
Guelphe et Jubellin^ ; sur quoy avoit le Roy mys telle
police et si bon ordre que de son temps n'avoyent eu
iceulx criz concursoires, lieu auctorisé en manière
que nouvelles en fust, a peine de la hart.
Pour entrer en propos historial sur le revoltement
de ladicte ville de Gennes, est a reciter que iceulx Gen-
nevoys, ayant le temps a plaisir et l'eur a souhect, ne
peurent longuement sufFrir l'aise de la paix ne souste-
nir la durté de la guerre, comme sera dit par après.
Car, au premier, le peuple gras, tout enoingt de
richesses et boussoufflé d'orgueil, avecques le popu-
laire effrenné, qui ne demande que mutation de sei-
gneuryes et cas de nouvelleté, voyant les nobles vou-
loir seigneurir et prendre auctorité sur eulx, dirent
que telle injure ne sufFriroyent. Les nobles, de leur
part, disans que a eulx appartenoit honneur et pre-
l. Gibelin.
1506] COMMENT EN LA VILLE DE GENNES, ETC. 91
minence sur marchans et mecanicques, se tindrent
fermes, et tant que la ou ilz trouvoyent ceulx du
peuple mal aparentez les soufïletoyent a toutes mains
et outrageoyent a leur pouvoir. Ceulx du peuple pareil-
lement leur faisoient de mesmes, et eussent plus;
mais autres que les nobles n'avoyent loy de porter
espées ou armes par la ville : par quoy iceulx nobles
se trouvoient la plus des foys les plus fors; dont
s'eschaufïerent de plus, et firent iceulx nobles forger
espées et dagues, ou firent engraver et mectre sur les
manches et lumelles de leurs glayves en escript : Cas-
tiguevillain. Le peuple gras et la commune se misrent
a gronder contre les nobles, et a grosses bendes che-
minèrent par les rues, et marchèrent devant eulx en
les mesprisant, et voulurent prendre les honneurs et
eulx auctoriser par tout devant lesdicts nobles. Et ainsi
chascun d'eulx faisoit commaincement de mutin. Et,
pour continuer, ung gennevoys du peuple gras, nommé
Manuel de Ganalle, durant ce temps, rencontra par la
ville ung des gentishommes de Gennes nommé Martin
Spinulla, auquel demanda quelque chose qu'il luy
devoit, comme il disoit : lequel gentilhomme, en lieu
d'autre payement, haulsa la main et dona a celuy de
Ganalle telle souffle sur la joue que le sang luy en
vint au nez et a la bouche; puys passa oultre, sans
dire mot^ . Celuy qui avoit eu la buffe estoit mal accom-
paigné et sans baston, dont ne se peut revencher; si
s'en va avecques cella, disant entre les dentz : « Vous
1. Le chroniqueur Salvago rejette la faute sur le parti popu-
laire, toujours agité, incapable de paix et qui refusait de payer
ses dettes, qui avait même comploté la mort de tous les gentils-
hommes (Cronaca di Genova, éd. Desimoni, p. 98 et suiv.).
92 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [1506
m'avez preste vostre mytaine, gentilhomme de bran,
que de fièvre quartine soyez vous esposé et moy si a
quelque eure ne la vous rendz ! » Toutesfoys, pour
l'eure n'en fut autre chose. Dedans peu de jours après
ce, advint que ung autre des gentishommes de Gennes,
filz d'ung nommé Dominicque de Nigrono, fut a la
maison d'ung notaire nommé Bernard Ragius; et la
celuy gentilhomme prya la femme dudit Ragius de
deshoneur, laquelle ne voulut par amour a son deshor-
donné vouloir obeyr : dont se voulut celuy prendre a
elle par force. Si se prist a cryer et a deffendre sa
pièce, tant qu'elle eschappa de ses mains, et, lors que
son mari fut venu de quelque lieu, ou il estoit ce jour
allé, elle luy dist en plorant commant ledit gentil-
homme s'estoit pris a elle et l'avoit voullu forcer. Dont
celuy notaire s'en alla plaindre a messire Phelippes de
Cleves, gouverneur de Gennes pour le Roy, lequel
s'enquist de l'affaire; et, sachant la vérité du faict,
voulut faire prendre et pugnir ledit de Nigrono, mais
il se osta du chemin et se absenta de la ville pour ung
temps, et demeura hors, jucques son père et aucuns
autres ses amys eussent adoulcy le forfaict et appaisié
partye : ce qu'ilz firent. Ce faict, ledit gentilhomme
s'en revint a la ville, lequel n'eut la esté gueres de
jours que il ne se trouvast a ung autre bruyt, tel que
il eut parolles injurieuses avecques ung du peuple,
nommé Peregrum de Leonardis, et tellement que de
parolles a patacz vint la chose, en manière que ledit
gentilhomme, qui avoit ung poignart au costé, occist
ledit Peregrum : dont s'en alla, et avecques le secours
d'aucuns autres gentishommes ses amys fut mys hors
la ville. Ce faict, voyant le peuple que a toute eure
1506] COMMENT EN LA VILLE DE GENNES, ETC. 93
estoyent les nobles de Gennes en querelle contre eulx,
s'assemblèrent a grosses trouppes le long des rues, et
la ou ilz rancontroyent les gentishommes ilz leur cou-
royent sus; et de la en avant furent délibérez que la
première foyz que iceulx gentishommes feroyent bruyt,
que tout le peuple s'esleveroit et avecques grant
tumulte occiroyent tous les gentishommes de Gennes.
Messire Phelippes de Gleves, conte de Ravestain et
gouverneur de Gennes pour le Roy^, voyant le diffe-
1. Jean d'Auton se montre trop bienveillant pour Ravenstein,
personnage altier, sympathique à la noblesse, mais un peu impré-
voyant, dont on a vu précédemment le triste rôle à Naples et à
Métélin. Ravenstein, d'ailleurs, ne résidait pas assez à Gênes. Il
venait à peine de revenir de France, en septembre 1505, au
moment des premiers troubles de Gênes, lorsqu'une épidémie
s'étant déclarée, il se retira à Milan pour l'éviter, ce dont le
grand maître Ghaumont le blâma très vivement (Sanuto, VI, 223).
Son lieutenant Roquebertin, sympathique, lui, au parti populaire,
partit également pour les eaux d'Acqui; il se hâta de revenir, à
la nouvelle des événements, mais trop tard (Salvago). Au reste,
Jean d'Auton se contredit plus loin; il parle du retour de Ravens-
tein à Gênes, ce qui suppose bien son absence. Cf. le remar-
quable exposé de l'affaire par Guichardin. Nous indiquerons plus
loin la narration de l'affaire d'après le parti de la noblesse. — Le
ms. Dupuy 264 (fol. 79) contient du reste un curieux rapport de
Ravenstein au roi, daté de « Gênes, 25 janvier » (probablement
1501), qui montre que depuis longtemps on ressentait les difficul-
tés de la situation et que le roi prescrivait de les tourner à force
de vigilance, de patience et de douceur. Ravenstein proteste
qu'il a, selon son expression, l'œil ouvert aux affaires : « La,
Dieu mercy, jusques a ceste heure tout y est bien, et ne dormi-
ray point ou il sera besoing. Et, pour entretenir ceulx de ceste
ville en doulceur, j'espère de les conduyre, en sorte que par rai-
son n'auront cause d'eulx mal contenter. » Il ajoute le compte de
l'argent qu'il a reçu ; on augmente les forces militaires. Il a mis
sur la Charente 150 mariniers et des vivres pour un mois. Il y a
neuf autres galères. On pourrait en envoyer d'autres sans risque.
Il réclame vivement, pour satisfaire les Génois, l'autorisation
94 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [1506
rent et la division des nobles et du peuple, adressa
sur ce sa parole a l'ung et a l'autre, en leur disant :
« Mess'% la division civille d'entre vous, qui vient
d'une chose qui de petite occasion, vous pourra porter
doumage inreparable et perte sans recœuve. Entendez
que toutes les plus grandes et plus renommées cytez
du monde sont tumbées en ruyne et demeurées en
desercion par les seuUes divisions et guerres intestines
et civilles de leurs mesmes cytoyens ; et sachez que,
par le lyen de concorde, petites choses se augmentent
grandement ; mais, par l'effort de discorde, les grandes
seigneuries sont anyentyes; et vous souvieigne que
tous royaumes ou pays divisez cheent sans ressource
et viennent a ruyneuse désolation. Ne faictes doncques
que, par vous mesmes, vous et vostre cyté soyez des-
truytz et exiliez, car c'est la fin du payement du salaire
de division. » Plusieurs autres remonstrances et adver-
tissemens de proffict leur fist ledit seigneur de Raves-
tain^, mais pour ce ne se rappaiserent ; dont, voyant
d'importer les blés de Provence et Languedoc, vu le prix des
marchandises.
1. Ravenstein essaya de résister. Le Conseil général ayant
décidé une révision de la constitution, Ravenstein fit ses réserves
absolues, « salva auctoritate régis, » ce qui excita une vive pro-
testation et motiva un mémoire énergique du Conseil au roi.
Dans ce mémoire, le Conseil proteste hautement de la pureté de
ses vues et de la régularité de ses actes; il allègue l'unanimité de
s^n vote. Il rappelle la capitulation, acceptée par le roi, d'après
laquelle on doit observer les statuts de la ville : or, Gênes a tou-
jours eu le droit de réformer ses statuts. L'article premier de la
capitulation dit que les anciens seront élus selon la coutume :
mais, dans sa réponse, le roi n'a pas reproduit ces mots. D'ail-
leurs, on a exactement suivi les règles de la procédure coutumière.
Gênes, en modifiant de tout temps ses lois, a d'ailleurs obéi au
droit naturel et général : « De jure communi, omnes populi pos-
Juillet 1506] COMMENT EN LA VILLE DE GENNES, ETC. 95
leur obstination, s'en alla devers le Roy pour l'ad ver-
tir desdites choses*. Et ce pandant iceulx tant suy virent
leur maleur que le xv*"® jour de Jung 2, en l'an susdit
mille GCCCC et six, advint que ung des gentishommes
de Gennes, nommé Visconte de Aurya, se trouva en la
place de Aurya, ou se vendoit la fruyte et les herbes,
de quoy se repaissent souvant les Gennevoys ; et la
fut ung autre Gennevoys nommé Guillon, de ceulx du
peuple, lequel marchanda a quelqun qui la estoit des
potirons, que les aucuns appellent champaignons, et
iceulx voulut emporter; ce que voulut avoir ausi ledit
gentilhomme, et mist la main au panier ou estoient
lesdits potirons. Geluy Guillon, qui ancores ne les a voit
paiez, les voulut emporter, disant que premier les avoit
marchandez et qu'il les auroit. Et, voyant ce, ledit gen-
tilhomme haulce la main et donne ung grant coup de
poing au travers du visage dudit Guillon, en disant :
« Emporte cela, villain, et j'emporteray les potirons ! »
Et de faict tira une dague qu'il avoit et voulut frap-
per ledit Guillon, qui tantost quicta le gaige, et, comme
oultragé d'avoir esté batu, tout plain d'ire et de cour-
roux, commance a cryer : Poplef poplef sur les gen-
tishommes. Dont tout a coup se raeut le peuple, et
mesmement (comme j'ay seu audit lieu de Gennes)
furent troys du peuple nommez Paule Baptiste Justi-
niani, Bricius Justiniani et Manuel de Ganalle, qui pre-
mier firent le bruyt, et mutinèrent le peuple contre les
sunt sibi condere leges et statuta sub quibus vivere habeant et
tam in procedendo quam in judicando et in aliis » (Bibl. de l'Uni-
versité de Gênes, ms. Vc, fol. 194).
1. D'après le Mémoire des Nobles (fr. 2961, fol. 23), cette pre-
mière insurrection eut lieu le 20 juin et s'apaisa.
2. 18 juillet, d'après le Mémoire des Nobles.
96 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juillet 1506
nobles, tant que, au cry dudit Guillon, chascun courut
aux armes, si que, en moings d'une heure, plus de dix
mille villains furent armez par les rues, cryant tous :
Poplef poplef a haulte voix, adressant aux maisons
des gentishommes, dont plusieurs en tuèrent. Les
aultres, voyant ainsi contre eulx le peuple esmeu,
habandonnerent leurs maisons et s'en fouyrent hors la
ville. Or estoit demeuré celuy Visconte de Aurya en
ladite place, ou se trouvèrent aucuns marchans, et luy
disrent : « Ostez vous d'icy, de Aurya, ne voyez vous
le peuple en armes contre vous autres gentishommes?
sachez que, s'il vous trouvent icy, que vostre vie est
bazardée au plus périlleux danger qu'elle fut oncques,
et pour ce advisez a vostre affaire, car le plus tost ne
sera pas assez. » Desquelles parolles ne fist compte
ledit de Aurya \ mais dist qu'il ne craignoit les villains
ne toute leur puissance, et les actendit en l'eure que
son maleur ne luy fuyt, car iceulx villains sans nul
respit le taillèrent en pièces, et tous ceulx qu'ilz en
peurent raincontrer.
Le seigneur Jehan Louys de Flisco^, oyant ce bruyt,
se fortiffia en sa maison^, ou mist grant nombre de
gens armez pour le garder ; mais nul de ses gens ozoit
1. D'après Salvago, Doria était au contraire l'iiomme le plus
doux et le plus inoffensif.
2. Jean-Louis, d'après Salvago, était le principal personnage
de la ville et très populaire, malgré ses attaches aristocratiques.
Il essaya en vain de calmer le peuple : la colère populaire se
retourna contre lui; on fit le siège de son palais, et il dut s'en-
fuir. Cependant Roquebertin avait accordé à la foule ameutée
démission de tous les olïiciers et promesse de prendre les nou-
veaux par tiers, dans la noblesse, dans la bourgeoisie, dans le
peuple.
3. Appelée Violata.
Juillet 1506] COMMENT EN LA VILLE DE GENNES, ETC. 97
aller par la ville quérir vivres et ce qu'il luy estoit
nécessaire, par quoy luy fallut a la parfîn desloger et
lesser sa maison, et, le plus segretement qu'il peut,
issit de la ville. Si s'en alla a ung chasteau sien, nommé
Montaubyou^ a xii mille de Gennes, ou demeura
quelque peu de temps, en actendant si le peuple ce
pendant se passiffieroit; ce que ne fist, car, lors que
lesdits gentishommes eurent habbandounée la ville,
ceulx du peuple entrèrent dedans les maisons d'iceulx,
et, comme si de bonne guerre tout leur fust habban-
donné, mirent la main au pillaige et emportèrent tout
"^e que dedans trouvèrent, et d'aucunes d'icelles s'em-
parèrent. Dont ledit seigneur Jehan Louys, de ce
adverty, ne s'en oza retourner, mais s'en alla a une
petite ville nommée Gavy, terre des nobles de Gennes,
ou illecques s'assemblèrent tous les chassez et tin-
drent conseil sur leur affaire, dont la conclusion fut
d'envoyer devers le Roy^ pour l'advertir de l'insur-
rection du peuple, qui avoit ainsi tuez et chacez les
nobles de sa ville de Gennes, et luy pryer qu'il luy
plust y mectre bonne paix et doulce union, ou autre-
ment sadite ville, plaine de peuple effrenné, se pou-
roit par elle mesmes destruyre ou faire quelque rébel-
lion contre Sa Magesté; a quoy estoit besoing de
mectre ordre somairement. Et, pour lesdites choses
rapporter, envoyèrent iceulx gentishommes ung des
nobles de leur party^, docteur, nommé messire
•1. Montobbio.
2. La chronique du Loyal serviteur attribue cette décision au
seul Jean-Louis.
3. On répandit le bruit en Italie que cet envoyé avait emporté
100,000 ducats à distribuer à la cour (Frati, le Due spedizioni mili-
tari di Giulio II, 141).
IV 7
98 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juillet 1506
Estienne''. Geulx du peuple, sachant que lesdits gen-
tishommes envoyoient devers le Roy pour faire plaincte
d'eulx, pareillement y envoyèrent de leur part ung
autre docteur, nommé messire Nycholas^, pour luy
dire et remonstrer les griefves injures et continuelles
extorcions que les nobles par cy devant leur avoyent
faictes, disant que, de leur part, il s'en vouloyent du
tout soubmectre a son bon vouloir et arrestée ordon-
nance. Lesdits messagiers ouys par le Roy, et mise la
chose en conseil, fut apoincté par ledit seigneur que
messire Phelippes de Cleves, conte de Ravestain,
retourneroit audit lieu de Gennes, et, pour assister
avecques luy, deux docteurs luy furent baillez, nom-
mez messire Estienne Olivier de Vienne, seigneur en
parlement de Grenoble, et messire Falque d'Aurillac,
pour ouyr et ordonner du différant d'iceulx Genne-
voys. Et, sur ce, furent par le Roy iceulx despeschez,
lesquelz s'en retournèrent a Gennes. Et, en tirant celle
part, ledit conte de Ravestain prist pour sa seurté
mille ^ hommes pour le conduyre audit lieu ; et ausi,
affin que ladite chose fust tousjours myeulx esclarcye
et consultée, envoya a Seine quérir ung docteur, qui
la estoit conseiller de justice, nommé ledit docteur
1. St. Vivaldi. Il fut accueilli à la cour avec beaucoup de
faveur. Symphorien Gharapier nous a conservé le texte de son
discours au roi dans l'opuscule Sequitur competidiose atque siib
forma epitomatis expeditio in Genuenses a domino Simphoriano
Champerio compilata, imprimé à la suite du Tropheum Gallorum.
2. Nicolas de Oderico. Son instruction est datée du 6 août
(Archives de Gênes, Istruzioni e relazioni diplomatiche , f" 3,
2707 c). Le 7 août, Demetrio Giustiniani fut accrédité près de
Ravenstein (Ibid.). Oderico reçut, le 30 août, de nouvelles ins-
tructions (Ibid.).
3. 700, d'après Salvago.
Juillet 1506] COMMENT EN LA VILLE DE GENNES, ETC. 99
messire Estienne de Cernerieu, lequel se trouva audit
lieu de Gennes avecques les autres. Et la tous ensemble
commaincerent a faire inquisicion de ce qui leur estoit
enchargé et consulter leur affaire.
Messire Jehan Loys, qui estoit a Gavy, sachant la
venue du conte de Ravestain et de ceulx que le Roy
avoit la transmys, pencent que seurement pouroit
aller a Gennes, se mista chemin pour tirer celle part,
et, a toutes adventures, prist cinq cens hommes de pié
pour le conduyre et mener plus seurement. Si s'en
entra avecques son enfenterye dedans la ville, et s'en
alla a sa maison. Le peuple de ladite ville, qui ne
l'avoit pas agréable, voyant que a grosse bende estoit
entré, et ausi que le seigneur de Ravestain avoit la
amené grant nombre de gens, se doubtant que quelque
force luy pouroit estre faicte, a ce moyen ne voulut
entendre au conseil ; mais , comme suspecionneulx
d'iceulx gens d'armes, commaincerent a cryer Poplef
Poplef et s'armèrent a grosse roupte, et firent ung
concurse tumultuaire contre ledit seigneur Jehan
Louys, en le voulant assiéger en sa maison. Et, voyant
ce bruyt, le conte de Ravestain^ fut devers le peuple
esmeu, pour le cuyder adoulcir, en -disant : « Mess'^%
voulez vous faire contre ce que vous avez mandé au
Roy, vostre souverain seigneur, qui, en vouUant
1. C'est Ravenstein qui, après avoir conféré avec les nobles à
Asti, prit la chose de haut, ordonna à Fieschi de rentrer ouver-
tement avec d'autres nobles et résolut d'écraser le parti populaire.
Mais l'entourage de Ravenstein le trahit et encouragea au con-
traire le peuple (Salvago). Son gouvernement, à ce moment-là
même, mettait hors la loi un noble génois, Giov.-Batista Palla-
vicino, coupable de piraterie (Pat. du 11 juillet 1506. Bibl. de
l'Université de Gênes, ms. Vc, fol. 196, 198).
100 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juillet 1506
obtempérer a vostre prière et remonstrance, a cy faict
assembler tout plain de sages hommes et gens de
conseil pour vous faire droict et justice contre ceulx
qui tort vous auront faict, et remectre vostre cyté en
paisible estât et tenir en franche liberté? Ne luy avez
vous mandé que a son vouloir estyez près d'obeyr et
faire ce qu'il luy plaira adviser sur le différant de vous
et des nobles de ceste cyté? Quel raport luy pourray je
faire de vous et de vostre obbeissance, que je voy
contraryer du tout a raison, veu que, en lieu de trec-
ter la paix, vous mectez la main aux armes? Je vous
pry, Mess'^% que, pour le bien de vous et de vostre
dite cyté, toutes voz divisions soyent de ores en avant
assouppées et anyentyes, et que, par l'avys du con-
seil du Roy et du vostre qui cy est, toute la rumeur
et discencion d'entre vous soyent amendées. » Autres
remonstrances raisonnables leur mist devant les yeulx,
mais tout fut pour néant ; car ladite commune, toute
plaine de premier motif, tout a une voix fist responce,
que ja ne lesseroyent ceulx du peuple leurs armes, ne
n'entendroyent a propos de conceil, que première-
ment ledit messire Jehan Loys avecques ses piétons
ne fust hors la ville, et que jamais gentishommes n'au-
royent pouvoir sur eulx. Sur quoy ne sceut ledit sei-
gneur de Ravestain de quel moyen savoir user, si
n'est qu'il s'en alla devers ledit seigneur Jehan Loys
et luy dist qu'il estoit besoing que hors la ville s'en
allast, autrement le peuple ne laisscroit les armes et
n'obeyroit a raison, ce qui pourroit estre cause de
convertir division civille en rébellion publicque, disant :
« Parce que celuy peuple, ja presque révolté, pourroit
pencer que, a l'ayde des gens d'armes, que vous et
Juillet 1506] COMMENT EN LA VILLE DE GENNES, ETC. 101
moy avons cy amenez, on leur vouldroit faire quelque
force, et que le Roy donneroit contre eulx faveur aux
nobles, a ce moyen se pourroit toute la ville rebeller,
ce qui seroit tant difïicille a ramender que, pour le
moings, ennuy ou doumage s'en ensuyvroit pour le
Roy, et pour la cyté servitute ou desercion. Par quoy,
dist il, me semble pour le myeulx, en obvyant a ses
dangers, que devez desemparer pour ung temps. Et,
ce pendant, le Roy pourvoira a l'affaire, en manière
que les nobles seront remys et maintenus en leurs
auctoritez, et le peuple gardé et tenu en son droict. »
Oyant ledit seigneur Jehan Loys celle remonstrance
raisonnable, dist : « Il m'enuye bien que, pour la
menace de villains et le danger d'ung peuple esmeu,
je soye contrainct d'abbandonner ma maison; mais,
pour ce que c'est ores pour le myeulx, faire le me
fault. » Et, ce dit, fist trosser ses bagues et se mist a
chemin pour sortir hors la ville, lequel fut en pas-
sant menasse des villains et en danger d'estre d'eulx
assailly. Mais il sortit et s'en alla a sondit chasteau de
Montaubyou, ou fist faire a ses gens le guect toute
nuyt, comme celuy qui se doubtoit d'avoir suyte, ce
qu'il eut, car celle mesme nuyt sai^lirent de Gennes
plus de dix mille homes en armes et le suyvirent juc-
ques a ung lieu nommé Carie ^ une place sienne, a
six mille près de Gennes, le pencent la trouver. Mais
il avoit passé oultre et estoit allé a Montaubyou, comme
j'ay dit, dont bien luy en fut ; car il avoyent délibéré
et juré tous ensemble de l'assiéger et prendre d'as-
sault et tuer luy et tous ses gens, sans en respiter ung
1. Garro.
102 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Novembre 1506
seul. Advint que iceulx Gennevoys, ainsi mutinez,
voyant que ledit seigneur Jehan Loys estoit a Montau-
byou, disrent que la le yroyent assallir et proposèrent
d'y aller mectre le siège.
Le conte de Ravestain, gouverneur de Gennes,
sachant la saillye et l'exploict d'iceulx Gennevoys, et
le vouloir qu'ilz avoyent d'aller mectre le siège devant
le seigneur Jehan Loys, prist quant et luy aucuns des
conseilliers qui avecques luy estoient, quelques mar-
chans ausi et cytadins de la ville, et s'en alla au devant
desdits Gennevoys , qui ja tiroient vers ledit lieu de
Montaubyou, délibérez de l'assiéger, et iceulx, par
doulces parolles et belles remonstrances, quelque peu
adoulcist, les voulant faire retourner a Gennes ; ce que
ne voulurent, mais s'en allèrent a ung lieu nommé
Ghabery^, au port de Lespece, et aux autres appar-
tenances desdites places que tenoit ledit messire Jehan
Loys, et icelles prindrent par force et misrent gens
dedans pour les garder. Sachant le seigneur de Ravestain
la prise desdites places, fut somer les gens de ladite
commune de icelles rendre et mectre entre les mains
et a l'obéissance du Roy, a qui elles appartenoyent ;
ce que ne voulurent, mais disrent qu'ilz les garderoyent
a qui elles appartenoyent et ne voulurent, par comman-
dement ne autrement, rendre au Roy lesdites places.
Dont le seigneur de Ravestain en advertist le Roy ^ et
1. Chiavari.
2. Louis XII écrivait sans cesse aux Génois pour essayer de
les calmer, pour les inviter à lui soumettre pacifiquement leurs
différends, mais sans succès (Salvago). Ravenstein, ne pouvant
rien apaiser, s'esquiva, assez malaisément même, et laissa Roque-
bertin aux prises avec les ditlicultés (25 octobre 1506).
Nov. 1506] COMMENT EN LA VILLE DE GENNES, ETC. 103
de tout le bruyt que avoyent faict iceulx Gennevoys,
et commant il n'avoyent voulu entendre au conseil, ne
oyr parler de l'apoinctement d'eulx et des gentis-
hommes, et que il ne pouvoit plus donner ordre en
leur affaire, car il estoyent presque tous révoltez et en
vye de faire quelque rebbellion, et que, s'il plaisoit au
Roy qu'il s'en allast par devers luy, qu'il l'avertiroit
du tout. Le Roy, oyant ses nouvelles, manda audit sei-
gneur de Ravestain qu'il s'en retournast par devers luy S
ce qu'il fist ; et, premier que partir, voulant au myeulx
pourvoir, laissa son lieutenant, audit lieu de Gennes,
ung nommé Phelippes de Roquebertin, gouverneur de
Plaisance, et avecques luy ung autre, nommé messire
Estienne de Gernerieu, docteur, lesquelz, au myeulx
qu'ilz peurent, misrent peine de rapaiser le peuple et
les cytadins entretenir, en manière qu'il n'y eut plus
de bruyt dedans Gennes, mais tousjours tenoyent,
ceulx de la commune, les places par eulx prises, sans
les vouloir rendre, et pour chose du monde ne vou-
loyent que les gentishommes chacez tournassent dedans
1. Au contraire, à son retour, dès le mois de septembre 1506,
Ravenstein déclarait tous les tumultes apaisés et n'avait plus
d'inquiétude (Sanuto, VI, 426). Son départ précipité eut toutes
les apparences d'une fuite (« con infamia, » dit Sanuto, ibid.,
c. 471; cf. Giustiniani, Annales). L'assertion de Jean d'Auton est
erronée. En disparaissant, Ravenstein laissait le champ libre aux
fauteurs de désordre, que son lieutenant se flattait de contenir
en abondant dans leur sens {Relation inédite du siège de Monaco.
Cette Relation, ({MQ nous aurons à citer plus d'une fois, est une
traduction italienne, — conservée aux Archives de Monaco et
dont nous devons une transcription à l'obUgeance de M. le con-
seiller d'État Saige, — d'une relation latine écrite, selon M. Saige,
par Jean-François Marenco d'Alba, médecin d'Etienne et d'Ho-
noré I""" Grimaldi).
104 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Novembre 1506
la ville ^ Par quoy messire Jehan Loys et grant nombre
des autres se retirèrent vers le Roy et le prièrent,
comme ses pauvres sugectz exiliez, de les vouloir
recepvoir en sa garde et leur ayder a remectre en
leurs maisons, dont estoyent, par la force du peuple
de Gennes, sans raison dechacez et mys hors. Le Roy,
voyant ses pauvres gentishommes plainctiz et chacez
de leurs maisons, les accueillit doulcement et les trecta
en sa maison, comme prince humain doit faire, en
leur promectant de leur secourir en leur affaire, en
sorte que, si par doulceur n'y pouvoit pourvoir, que
par force y meclroit la main^, veu ausi que le peuple
1. Roquebertin se fit absolument l'homme des révoltés, qu'on
l'accusait même de pousser {Relation inédite). Il publia, le 29 oc-
tobre, sous le nom de Ravenstein, une grida, par laquelle il
défendait, sous peine de confiscation, d'exporter ou de faire sortir
aucun objet, marchandise ou autre, appartenant à un noble (Ar-
chives de Gênes, Manoscritti, RaccoUa di documenti inediti sciolti,
b» 2, no 628).
2. Le 25 octobre, Louis XII adressa à Ravenstein, qu'il croyait
toujours à Gênes, la dépêche suivante : {Note contemporaine, au
dos. « Die xxv octobris 1506. A rege, de xxr. Scripte Illustrissimo
Domino Gubernatori.) A mon cousin le sieur de Ravastain, mon
lieutenant, gouverneur et admirai de Gennes. {Au dos.) — Mon
cousin, je vous ay cy devant plusieurs foiz escript que me feis-
siez savoir commant alloit le fait de ma cité de Gennes. — Tou-
tesfoiz, quelque chose que vous en aye escript, je n'en ay jamais
riens entendu a la vérité, dont je me donne merveilles; a ceste
cause, et que je désire singuUierement y mectre une fin et reso-
lucion, je vous prie que vous recueillez d'eulx tout ce qu'ilz
veullent dire et alléguer, et vous venez incontinant devers moy
et m'apportez le tout, car je le vueil bien debatre avecques vous
pour y mectre ladite fin et resolucion au bien do ladite ville. Et,
si ceulx d'icelle ville veullent envoyer avecques vous aucuns
d'entre culx pour me dire et remonstrer ce qu'ilz vouldrout, j'en
seray très contant et les orray voulentiers. J'avoye expédié l'ad-
vocat de Napples (Michel Riz) pour aller par delà remonstrer a
Nov. 1506] COMMENT EN LA VILLE DE GENNES, ETC. 105
de Gennes avoit ja commaincé contre luy mesmes le
hutin, en prenant et détenant aucunes places de sa sei-
gneurie de Gennes, comme avoit esté adverty par mes-
sire Phelippes de Gleves '• .
Et ainsi passa le temps sans bruyt, jucques entour
la feste de Noël, que de rechief lesdits Gennevoys s'es-
meurent, disant que le Roy avoit retirez les gentis-
hommes de Gennes et contre eulx les vouloit defFendre
et soustenir. Sur quoy tindrent leur turbe populaire,
ou furent appeliez Paule Baptiste Justinian, Demetri
Justinian, Manuel de Ganalle, Anthoyne de Giully, Bri-
cius Justiniain, Benedict Ponsovo, Marc de Terilli, Ber-
nard de Topolli et plusieurs autres mutins. Et par
ceulx de la ville mon voulloir et entencion. Mais, veu que vous
en venez et que par vous j'entendray le tout, il n'est ja besoing
qu'il tire plus avant et luy mande qu'il s'en retourne. Au demeu-
rant, je vous avoye mandé que me feissiez savoir si vous aviez
recouvert les places que tenoit en Rivière de Gennes mon cousin
messire Jehan Loys. Lesquelles se n'aviez recouvertes, je vueil
et entends qu'ilz mectent en vos mains ou de vostre lieutenant.
Et adieu, mon cousin, qui vous ait en sa garde. Escript a Bourges,
le xxi^ jour d'octobre. [Ligne ajoutée.) Mon cousin, oultre ce qu'il
est besoing que vieignez pour le faict de Gennes, j'ay aussi nec-
cesserement a besoigner de vous pour le fai^de Flandres. Gedoyn.
— (Signé) Loys. Gedoyn. » (Orig. pap. Arch. de Gênes, Francia,
4/2780.)
1. Le 12 novembre, les Génois révoltés décidèrent d'envoyer
deux ambassadeurs au roi et en même temps deux au pape, qu'ils
savaient leur ami (Salvago). Les deux ambassadeurs près du roi
étaient Paul de Francis et Paul de Jugo. Ils reçurent des lettres
de créance spéciales pour Ravenstein et Robertet (Archives de
Gênes, htruzioni e relasioni diplomatiche, filza 3). Ils étaient précé-
dés par un autre ambassadeur, André Ciceri, envoyé le 4 octobre
au cardinal d'Amboise (Ibid.). Hier. Palmario et Ag. Joliete, dépé-
chés au pape le 19 novembre, avaient pour mission ostensible de
le féliciter de la prise de Bologne {Ibid.).
106 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Novembre 1506
iceulx fut dit et allégué, devant le peuple, commant
jadys la cyté de Gennes avoit esté en si haulte reputa-
cion et de tant extimée que empereurs et Roys et tous
princes du monde la redoubterent ; et commant tant
de victoires et triumphes avoit obtenu par mer et par
terre qu'il n'y avoit au monde si puissant qui contre
elle osast pour la guerroyer lever la main, et que tant
eureuse avoit esté en ses entreprises qu'onques n'avoit
en mer ne en terre esté domptée, vaincue ne soubmar-
chée ; et, veu doncques ses tiltres tant plains de glo-
rieuse renommée, en ensuyvantles louables œuvres de
leurs vertueulx devanciers, pour augmenter les hono-
rables gestes d' iceulx et aquerir a eulx nouveaulx tiltres
de immortel los, dévoyant contre tous deffendre leur
querelle et habbandonner leur vye a tous dangers
pour soustenir la reputacion excelse de leur superbe
cyté de Gennes, voire contre le pouvoir immodéré du
plus redoubté Roy, le Roy de France, si contre eulx
vouloit guerre entreprandre ou iceulx fouller pour sous-
tenir les nobles. Tant d'autres propos d'avys inconsulté
furent la mys en avant que tout le peuple gras et
mesgre, c'est assavoir marchans mechaniques et gens
de bras, tout ensemble levèrent les mains, disant que
pour mourir ne fauldroyent a tel besoing, mais estoyent
près et aparillez de non seullement deffendre leur ville,
mais de saillir au champs et tenir bataille contre tous
venans. Or estoient la troys Gennevoys de leurs prin-
cipaulx, nommez Paulus Baptista Justinien, Manuel de
Ganale et Anthoyne de Giuilli, lesquelz, voyant le vou-
loir du peuple, disrent, oyant tous : « Mess'^S vous
savez commant les gentishommes par nous chacez et
exiliez de ceste terre se sont retirez vers le Roy de
Nov. 1506] COMMENT EN LA VILLE DE GENNES, ETC. 107
France, que très benignement a retirez et long temps
ja entretenus; et est a pencer que contre nous leur
donnera quelque secours et qu'il se vouldra efforcer
de nous soubmectre et lyer a quelque nouvelle servi-
tute, ce que ne fusmes oncques ne nostre cyté domp-
tée. Par quoy et pour obvyer a ce danger, nous est
besoing d'y pourvoir. Et la façon : nous avons ja le port
de Lespece et d'autres fortes places entre les mains,
qui nous pou voient nuyre. Et, pour amander nostre
affaire, besoing nous est d'en avoir une qui sur toutes
autres nous est nécessaire et propice, sans laquelle ne
pouvons tenir en seureté nostre cyté de Gennes, et
noz ennemys en craincte : c'est la place de Monigue,
qui est assize sur la mer et marchissant a noz terres,
entre la conté de Nisse et noz fins, tirant vers la Pro-
vence, forte a merveilles et tellement que, si unes foys
pou voit estre entre noz mains, le Roy de France, par
sondit pays de Provence, ne pourroit avoir entrée sur
nous ne prendre mer par ce costé que a noz dangiers
ne se soubmist. Par quoy nous est besoing, si nous
voulons contre luy tenir et ses ennemys nous déclarer,
d'avoir ladite place et, pour ce, mander noz alyez et
amys, affin que a cest affaire nous- vueillent donner
ayde et secours. Et, pour myeulx faire seurement
nostre cas et que en ce ne soyons par le Roy de France
empeschez, nous fault dissimuller nostre intencion en
portant l'enseigne de France et la livrée du Roy et
cryant : France! France f^ disant que nous sommes
tous bons et loyaulx françoys et que soubz la main et
seigneurye du Roy nous voulons reduyre et mectre
ladite place de Monigue et ses appartenances a sa sei-
gneurye de Gennes. Et ainsi le Roy n'aura occasion
108 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Novembre 1506
de nous empescher nostre entreprise, veu que ses
ennemys ne nous serons déclarez^.
VIII.
Gommant les Gennevoys furent mectre le siège
au chateau de monigue.
Toutes ses choses dictes, le peuple de Gennes, tout
a une voix, dist que tout prest estoit d'y aller et juc-
ques a la mort employer son pouvoir pour prandre
ladite place. Lorsque la commune et le peuple gras
furent unys en cest affaire, transmyrent a Pize, qui
lors estoit alyée et confédérée de Gennes, pour avoir
secours des Pizans, lesquelz, sachant l'affaire de Gennes
comme alyez d'icelle, y envoyèrent deux mille cinq
cens hommes levez a Pize, a Lucque et par leurs autres
pays alyez, soubz la charge de deux capitaines pizans,
nommez l'ung Ternatin ^ et l'autre Gambecourte ^ , et
deux grosses pièces d'artillerye, nommées le Beuffle et
le Lizard. Les nouvelles de ceste entreprise furent tost
semées par les Italles et en Lombardye, et tellement
que plusieurs villes mutines et mesmement de la duché
de Millau, pencent que Gennes deust tout confondre,
y envoyèrent soubdartz a grant nombre : desquelz me
1. L'agitation de Gênes ne laissait pas que de rayonner de tous
les côtés. A Milan, on jugea prudent de régler, par un banno du
13 janvier, la circulation nocturne et de défendre de porter des
armes (Pélissier, Documents..., p. 151). Simone Arrigoni, con-
vaincu de trahison, fut proclamé solennellement rebelle (Ibid.,
p. 152).
2. Tarlatino, célèbre condottiere, originaire de Gittà di Castello.
3. Gambacurta, condottiere.
Nov. 1506] GOMMANT LES GENNEVOYS, ETC. 109
vouluz enquérir, estant a Gennes après la prise d'icelle,
et, pour en savoir et donner a cognoistre desquelz on
doit se deffier, en demanday a plusieurs, qui diverse-
ment m'en parlèrent ; et a la fin tant y bosoignay (sic)
que j'en sceu a Gennes, par ung myen oste et familyer
nommé Antonius de Luzardo, lequel m'en parla et dist
comme celuy qui pouvoit avoir esté a toutes les con-
sultations et veu tout l'affaire, car il estoit du peuple
gras et bien auctorisé en ladite ville de Gennes. A tant
m'esclarcist la chose qu'il me bailla par escript les
noms des premiers mutins, la manière de la division
des nobles et du peuple, l'occasion de l'insurrection
de la commune, les noms des capitaines et commis-
saires de leur armée, le nombre de gens qu'il avoit,
d'où et de quelles villes ilz estoyent, les noms des mai-
sons nobles et du peuple gras et de ceulx qui lors en
estoient, et en somme de tout l'affaire de Gennes. Pour
rentrer doncques et parler de ceulx qui furent avec-
ques lesdits Gennevoys, est vray que grande troupe de
Plaisantins, Alexandrins et Bosquyns^ de la duché de
Milian s'assemblèrent avecques les Pizans, lesquelz
estoyent en nombre de troys a quatre mille, et tous
ensemble s'en allèrent a Gennes. Et,- eulx la venus, le
peuple de Gennes, pour ranforcer ladite armée, mist
sus troys mille hommes de guerre gennevoys et, pour
iceulx mener, esleurent entre eulx, pour commissaires
de la guerre, Paule Justinian, Manuel de Ganalle et
Anthoyne de Ciuuly, les capitaines gennevoys^; Jehan
1. Sans cloute habitants de Bosco-Marengo.
2. Les commissaires nommés furent Paulo-Baptista Giustiniani,
Manuele da Ganali,AugustinodaGastiglione, Antonio da Sivori,
avec le capitaine Tarlatino et l'ingénieur Zoardo (Saige, Docu-
ments historiques relatifs à la principauté de Monaco, II, 57, 58).
HO CHRONIQUES DE LOUIS XIî. [Novembre 1506
de Las, basque^; Manuel du Gastellas, lombart; ung
marquis de la maison de Sforce, parent du seigneur
Ludovic, et ung autre nommé René Guy ton, de Tours^,
lesquelz furent ordonnez pour gouverner et conduyre
ladite armée des Gennevoys et aller audit lieu de
Monigue; et, pour batre la place, pour ce que par
terre, au moyen de l'empeschement des montaignes^,
ne pourroyent aisément charrier, misrent sur mer leur
artillerye, c'est assavoir vingt et deux grosses pièces
d'artillerye, toutes getans bouletz de fer avecques force
d'esmerillons et autre menue artillerye, et ausi armè-
rent et avitaillerent en mer une carraque, deux gal-
leres, deus grosses barches et cinq brigantins, avec-
ques tout plain de petilz luz a xii rames, pour aller
assiéger ladite place du costé de la mer. Et, tout cela
prest, huyt mille hommes paysans des environs se
mirent sus, pour eulx assembler avecques ladite armée
de Gennes, ou povoit avoir de doze a xiiii mille hommes,
que gens de guerre que paysans. Ausi esleurent les
Gennevoys ung duc du peuple, lequel estoit taincturier
et nommé Paule de Nove, auquel baillèrent gens et
estât, et a luy du tout submirent leur affaire, pour ce
que a leur mutin s'estoit monstre tousjours pour la
querelle populaire. Et combien que sa femme, qui sage
et ad visée estoit, luy defFendist et destournast la charge
1. Capitaine du Châtelet, d'après le Loyal serviteur; cf. ci-des-
sous, p. 145.
2. Le commandant en chef était Tarlatino. Il est assez étrange
de trouver des Français parmi les collaborateurs d'une entreprise
désavouée par le roi de France.
3. Le 7 novembre 1506, les Génois donnèrent à l'ingénieur
Ambr. Zoardo et au capitaine Gambacurta l'ordre d'étudier les
procédés les plus pratiques d'un investissement (Saige, Documents,
II, 48).
Nov. 1506] GOMMANT LES GENNEVOYS, ETC. 111
de l'office que on luy bailloit, toutesfoys il l'acepta,
dont luy en advint ce qu'il devoit, comme sera dit
par après.
Ainsi, comme sesdites choses s'exploictoyent en la
manière dicte, messire Lucyain de Grimaulx, seigneur
de Monigue, fut par aucuns de ses amys^ de l'entre-
prise adverty : dont a toute dilligence fist advitailler
et fortiffier sa place et manda quérir soubdartz en ses
pays et ailleurs et ausi en advertit messire Charles
d'Amboise, lieutenant du Roy delà les mons, en luy
demandant secours pour le Roy, de qui se disoit ser-
viteur, et sadite place avecques tous ses biens estre a
luy et de sa seigneurie^. Tant fist ledit seigneur de
Monigue que il eut, par le commandement dudit lieu-
tenant du Roy, dix hommes d'armes et xx archiers de
ceulx de la compaignye de messire Yves d' Allègre,
lors gouverneur de Savonne, lesdits gens d'armes
menez par ung nommé Jehan de Saincte Golumble,
lieutenant de ladite compaignye. Et ausi y fut ung autre
nommé Arigoys, basque 3, qui portoit leur enseigne;
pareillement y furent envoyez dix archiers de ceulx
du seigneur Jehan Jacques. Plusieurs gentishommes,
parens et autres amys et sugectz dudit seigneur de
1. Dès le 4 novembre 1506, Lucien Grimaldi, seigneur de
Monaco, demanda au gouverneur de Nice un sauf-conduit pour
mettre en sûreté dans le port de Villefranche les galères et autres
vaisseaux du port de Monaco (Saige, II, 49). Il prit très énergi-
quement l'initiative d'une forte résistance.
2. Il insista aussi, mais vainement, près du duc de Savoie (12
et 24 novembre. Saige, II, 50, 52, 56).
3. « Harigoys, basco, uomo molto esperto nel mestier délia
guerra » (Relation inédite). Il fut blessé pendant le siège. On le
retrouve plus tard parmi les cent gentilshommes du roi, sous le
nom de Pierre de Herigoye (K. 502, n» 5, vui v°).
112 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Décembre 1506
Monigue, sachant son affaire, le furent secourir et ser-
vir a leurs despens, et se trouvèrent en nombre de
deux cens hommes des siens bien armez audit lieu. Deux
cens cinquante autres souldartz françoys, bisquayns,
piemontoys, pizans et lombars, mistle seigneur de Mo-
nigue dedans sadite place, ou pouvoyent estre en tout
environ de cinq a six cens hommes. Or estoit celle place
moult bien artillée, car il y avoit dedans xxii grosses
pièces d'artillerye, toutes a roues, et, pour batre mu-
railles, d'autres moyennes et petites y avoit troys cens
dix huyt, comme j'ay sceu par ung des frères dudit
seigneur de Monigue, qui dedans ladite place estoit
durant le siège, et me dist celuy que telle municion
de pouldre y avoit que c'estoit pour ung an a tirer de
chacune desdites pièces six coups le jour. Pour ladite
artillerye exploicter, estoyent dedans ladite place trente
et deux bons canoniersetLxhacquebutiers. Ainsi estoit
la place de Monigue garnye et si très forte que pour
y entrer n'y avoit que une passée d'estroicte advenue.
Dont des quatre pars d'icelle estoyent les troys advi-
ronnée de mer et l'autre ceinte de hault rochier enciz
d'amont jucques en bas ; laquelle actendoit en ceste
manière la venue du siège desdits Gennevoys.
Le Roy fut de ses choses adverty par Phelippes de
Roquebertin, qui lors estoit ou palais de Gennes, lieu-
tenant dudit seigneur de Rav[e]stain, ou n'estoit pas
a grant seurté. Car, de jour en autre, n'atendoit que
l'assault d'iceulx villains, mais il adoussissoit au plus
qu'il pouvoit et a bellees parolles, dont savoit assez
bien jouer, comme besoing estoit, les entretenoit, et
tant que tousjours entre eulx avoit seurté de aller et de
venir. Toutesfoys le Roy, après avoir sceu lesdites
Nov. 1506J GOMMANT LES GENNEVOYS, ETC. H3
nouvelles, luy manda que, si plus grant bruyt surve-
noit a Gennes, que luy et ses gens se retirassent au
chasteau, le plus doulcement qu'il pourroint, et que la
actendissent de ses nouvelles ; ce que ancores ne firent,
doubtant que, s'ilz se retiroyent, les Gennevoys, sus-
pectioneulx de ce, ne se retournassent du tout et aussi
qu'ilz cryoyent tousjours : France! France! et ne se
declairoyent ennemys. Ausi manda le Roy a messire
Charles d'Amboise, son lieutenant delà les mons, et
messire Yves d'Allègre, gouverneur de Savonne, que,
si lesdits Gennevoys alloyent assiéger Monigue, que
quelque bon nonbre de gens d'armes, estans lors en
garnison vers le costé dudit lieu de Savonne plus près
de Monigue, avecques ung autre nonbre de gens de
pié, fussent mis sus et envoyez audit lieu de Monigue,
pour lever le siège, s'il venoit a tant. Ce qui fut faict,
comme sera dit après.
Mais fault ores continuer propos sur l'entreprise des
Gennevoys, qui par mer et par terre avoyent leur
armée preste pour aller mectre le siège a Monigue ;
dont advint que, sur la fin du moys de novembre,
ladite armée se mist en voye et prist son chemin la
coste de la mer, et au plus droict qu^'elle sceut. Et, si
tost qu'elle fut au champs, vu ou viii mille paysans
des marchissans et confins de Gennes s'assemblèrent
la et tous ensemble marchèrent vers Monigue, criant
tousjours France et Populo. Et adressèrent iceulx Gen-
novoys a Menton, a Roquebrune, deux petites places
de Monigue, lesquelles ilz prindrent legierement^ car
1. Roquebrune fut incendiée. Cependant les commissaires
avaient reçu l'ordre de n'attenter en rien aux droits du duc de
Savoie sur Menton et Roquebrune (Saige, II, 63).
IV 8
114 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Décembre 1506
elles n'estoyent fortes ne fournyes de gardes ; et ausi
en tenoit le seigneur de Monigue peu d'extime, mais
que il peust bien garder Monigue, laquelle estoit forte
a merveilles et bien armée, estant a six vings mille
de Gennes, que elle tenoit en subgection, et la venue
de Provence. Par quoy avoyent iceulx Gennevoys
moult grant envye de la soubmectre a leur seigneurie.
Si firent tant par leurs erres qu'il aprocherent ladite
place de Monigue^. Et, voyant la venue, ung nommé
Berthelemy de Grimaulx, capitaine de ladite place, fist
atiltrer grant force artillerye a leur passée ; et pour les
vouUoir atraire, fist sortir cent hommes et iceulx
contre eulx marcher troys a troys, comme pour leur
vouloir donner la bataille. Les Gennevoys, voyant la
saillye de ceulx de la place, s'ad[r]esserent a eulx a
grosse roupte ; et la commancerent une bonne escar-
mouche et s'entremeslerent si a point, que de quinze
a vingt d'i[c]eulx Gennevoys demeurèrent mors sur le
champ et troys du chasteau fort blecez. Et, en escar-
mouchant, ceulx de la place se retiroyent tousjours,
pencent que les Gennevoys les suyvroyent pour leur
donner une meute d' artillerye. Mais, quant fut a l'ap-
procher jucques a la portée de l'artillerye, il se doub-
terent de l'amorce ; par quoy s'arresterent et laissèrent
les aultres retirer^. Ce faict, ad visèrent les lieulxplus
a main pour mectre leur siège et, tout bien advisé,
premier que assoir leurdit siège ^, sommèrent le sei-
gneur de Monigue de rendre la place en luy promec-
1. Voy. l'instruction aux commissaires génois, du 29 novembre
1506 (Atti délia Societa ligure per la sloria patria, t. XXIII, p. 631).
2. 6 décembre {Relation inédite).
3. 10 décembre 1506.
Dec. 1506] DU SIEGE ... DE MONIQUE PAR LES GENNEVOYS. 11.5
tant tant d'argent qu'il vouldroit demander, si le tré-
sor de Gennes pouvoit suffire a ce. Lequel fist responce
qu'elle estoit au Roy et a luy, et que si bien la garde-
roit que ja villain par force n'y mectroit le pied dedans.
Ce dit, les Gennevoys, bien marrys, firent cryer a son
de trompe devant ladite place que celuy du dedans
qui vouldroit tuher ledit seigneur de iVIonigue auroit
troys mille escus, et celuy qui mectroit le feu dedans
les municions de l'artillerye en auroit v cens. Et ainsi
s'essayèrent par argent d'avoir icelle place, mais ce
fut pour nyant. Dont assirent leur siège et misrent leur
artillerye en onze lieulx, tant sur les montaignes qui
autour de la estoyent que sur les coustez et au plain,
ou firent onze rampars^.
IX.
Du SIEGE ET DE LA BATER YE DU CHASTEAU DE MONIGUE
PAR LES Gennevoys.
Du costé de la marine assiégèrent ausi ladite place,
en manière que de leurs barches, carraques et gal-
leres pouvoyent tirer contre les murailles et tours
dudit chasteau de Monigue ; et tant commainça ladite
artillerye a bruyre et tempêter qu'il sembloit que
les rochiers esclatassent. Les cannonnyers du dedans
leur rabatoyent tellement leurs coups que homme de
eulx n'ousoit montrer le nez qu'il ne fust mouché
jucques au sang. Somme, la baterye fut tant mortelle
que a toute heure sans cesser dura plus de six jours,
1. Cependant l'investissement ne fut pas complet.
116 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Janvier 1507
si que les coups du dehors furent extimez plus de six
mille. Et tant ruèrent groux boulletz que en troys
pars abatirent cent toises de muraille ou plus, tant
du costé de la mer que de l'advenue de la place.
Durant ceste baterye, messire Yves d'Allègre, gou-
verneur de Savonne, transmyst Jacques d'AUegre, son
filz, avecques vi cens laquays'^, a une ville près d'il-
lecques, nommée la Turbye, pour icelle garder et
secourir ceulx de Monigue, pour empescher les vivres
par terre et ennuyer le siège par allarmes ; ce qu'il fist
souvant et tant que, ung jour durant ledit siège, neuf
enseignes de Gennevoys se misrent au champs pour
ruer sur ses gens, lesquelz mist pareillement au champs
et donna au travers, en sorte qu'il les mist en roupie
et les deffist. Plusieurs y demeurèrent, les autres
furent pris et les aultres s'enfuyrent^. Au dessus, et
près de la Turbye, avoit une forte tour du duc de
Savoye, ou pareillement estoit grosse garnison de
Savoziens, lesquelz ausi donnèrent souvant alarmes
aux Gennevoys^; ainsi estoient ennuyez de tous cos-
tez ; toutesfoys batoyent par terre et par mer la place
de Monigue, et a tout pouvoir s'esforçoyent de la ter-
rer (sic). Et, ce durant, le second jour du moys de jan-
vier, ceulx de la place firent une saillye sur ceulx qui
1. D'après la Relation inédite, 700 « soldati » français, comman-
dés parle capitaine « Migliando » et soldés par le sire de Monaco.
En arrivant à la Turbie, ils reçurent d'avance un mois de paie.
2. On se canonna pendant un mois, devant Gênes, sans avan-
cer. Mais les soldats de la Turbie, malgré le désir du sire de
Monaco, ne descendirent point dans la ville (Relation).
3. Un ordre du duc de Savoie, en janvier 1507, interdit aux
Niçois de fournir aucuns vivres à l'armée génoise {Alti délia
Sodeta ligure, p. 648).
JaQV. 1507] DU SIEGE ... DE MONIQUE PARLES GENNEVOYS. 117
estoyent a la garde de l'artillerye des Gennevoys et
se misrent hors jucques au nombre de xxv hommes
armez, lesquelz soubdainement chargèrent sur lesdits
gardes, qui estoint deux cens ou plus, et donnèrent
si rudement que iceulx Gennevoys, pencent estre sur-
pris, habandonnerent leur artillerye et s'enfuyrent tout
le cours. Et, ce voyant, les souldars du chasteau sor-
tirent environ quatre xx et se joignirent aux autres,
lesquelz tous ensemble aprocherent l'artillerye de leurs
ennemys ; et, voyant qu'il estoyent foibles pour l'em-
mener et que les Gennevoys a toute puissance les
approchoyent, ce nonobstant, avecques groux doux
de fer estoupperent les troux par ou se mect le feu en
l'artillerye et en enclouerent quatre des plus grosses
pièces, en manière que, ung moys durant, ne tirèrent
plus. Durant ledit siège, plusieurs assaulx y donnèrent
les Gennevoys, mais tousjours furent repossez et
batus ; et pour ce ne cessoyent de ruer coups a toutes
mains. Si estoyent ilz souvant reveillez par ceulx du
dedans; car le plus souvant des jours faisoyent cources
et saillyes et en aterroyent tousjours quelqun'.
Jacques d'Allègre, seigneur de Millo, estant lors a
la Turbye, voulut aller pour quelque^ affaire a Nisse et
print avecques luy partye de ses gens de pié et laissa
le surplus pour garder le logys. Mais, tantost qu'il eut
desemparé le lieu, les Gennevoys a grosse puissance,
sachant le chief estre absent, assaillirent la Turbye ;
et, combien que bien fust par les gens dudit seigneur
de Millo deffendue, si fut elle emportée et les gardes
prinses et mises a sac.
1. Les Génois essayèrent de pénétrer par trahison, mais sans
succès (Relation).
118 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mars 1507
Messire Yves d'Allègre, sachant toutes ses choses,
et que le siège de Monigue avoit ja duré plus de troys
moys, délibéra d'y aller pour lever le siège ; si prist
avecques luy huyt xx hommes d'armes des siens, de
ceulx du marquis de Monferrat, de ceulx de Montoi-
son et de ceulx du capitaine Fontrailles, avecques
deux mille hommes de pié, soubz la charge des capi-
taines Peralte, espaignol ; Jheronime Barnabo^, Gos-
sains-, Estrelin et quelques autres qui la estoyent, et
messire Mercure, grec, avecques cent Albanoys; et
ainsi se mist a la route, tirant vers Monigue, qui tous-
jours estoit batue et assaillye des Gennevoys; ce qui
moult ennuyoit a messire Lucyan de Grimaulx, sei-
gneur dudit Monigue , lequel leur faisoit souvant
allarmes et ennuys.
Sur le commaincement du moys de mars, ledit sei-
gneur de Monigue fist une saillye de deux cens
hommes sur le camp des Gennevoys ; et premièrement
adressa sur le plus proche rempar, ouquel estoyent
envyron cent hommes des Gennevoys, lesquelz furent
surpris , car ilz ne se doubtoyent de ladite saillye,
pencent ceulx de ladite place assez embesongnez pour
garder leurs murailles et remparer les brèches d'icelles,
qui estoyent moult grandes. Si advint que le seigneur
de Monigue avecques sa bende se trouva contre ledit
rampar, ou Gennevoys sortirent garnys de leurs armes,
et la s'entremeslerent tellement que lesdits Genne-
voys furent oultrez; et, après assez long combat, tour-
1. Probablement Barnabo Visconti, qui devint chambellan,
chevalier de l'Ordre, capitaine de 40 lances (quittance de 1518;
fr. 26107, 210).
2. Capitaine de laquais.
Mars 1507] DUSIEGE ... DE MOiMGUEPARLESGENNEVOYS. 119
nerent le costé et se retirèrent a ung autre rampar,
delà près ung gect de pierre, lequel rampar estoit
fort et gardé par aucuns françoys qui s'estoyent mys
a la soulde des Gennevoys. Ausi y avoit audit rampar
Pizans a force, lesquelz pouvoyent estre en nombre de
troys a quatre cens. Avecques le seigneur de Monigue
estoit ung homme d'armes basque, nommé Arigoys,
porteur de l'enseigne de messire Yves d'Allègre,
lequel Arigoys estoit hardy homme, et la se mist des
premiers. La noise fut grosse, car ceulx du dedans
ne faillirent a charger a grans coups de picque et de
hallebarde. Le seigneur de Monigue, qui estoit en la
meslé, enhardioit ses gens en donnant a tour de bras.
Quoy plus? Si a point se bâtirent que cinq de ceulx du
seigneur de Monigue furent la pris et ung tuhé, et le
capitaine Arigoys blecé. Du party des Gennevoys mou-
rurent de xx a xxv et plusieurs blecez. Gefaict, après que
allarmes furent faictz par tout le camp, ledit seigneur
de Monigue, avecques ses gens, se retira le petit pas
et fut suyvy des Gennevoys; mais furent iceulx repos-
sez a coups d'artillerye et de trect, tant que sans autre
dommage entra dedans sa place a toute sa brigade.
Les Gennevoys, qui espies et descouvreurs avoyent
par tout le pays, sceurent par vray que messire Yves
d'Allègre, avecques grosse roupie de gens d'armes,
estoit ja sur les champs pour aller secourir Monigue
et leur lever le siège. Lors furent envoyez de Gennes
a Monigue deux commissaires nouveaulx, c'est assa-
voir Paule de Nove, leur duc, et ung nommé Sil-
vestre Justiniani ; et disrent tous les Gennevoys audit
Paule de Nove, leur duc, que s'il pouvoit prendre
Monigue, que a sa venue seroit receu en curre trium-
120 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mars 1507
phal, a la manière antique de Romme. Iceulx arrivez
audit lieu de Monigue, sachant la venue dudit seigneur
d'Allègre et que besoing estoit de mectre briefve fin
a leur entreprise', disrent : « Seigneurs Gennevoys,
vous voyez que ja quatre moys entiers sont que tenons
ycy le siège, ou n'avons exploicté chose a nous hou-
nourable, ni proffitable a la chose publicque ; et tant
plus y demeurerons et moings y aquesterons, si de
meilleur vouloir et plus hault courage ne mectons
mains en besoigne. Assez estes advertiz de la venue
du seigneur d'Allègre, qui a toute grosse puissance
vient pour lever nostre siège, s'il est le plus fort.
Mais, pour obvier a tout inconvénient, nous est sur-
tout mestier de prendre ceste place ; ce que en brief
nous fault exploicter ou demeurez frustrez de nostre
intencion, de laquelle est ja le Roy de France asca-
venté. Par quoy donnons y telle provision que de
plain assault soit par nous ladite place emportée. Et
ce faict soyons seurs de demeurer tous temps seigneurs
en terre et Roys en la mer. » A chief de sez motz,
chascun desdits Gennevoys reprint cueur, disant qu'ilz
mouront tous ou qu'ilz auront la place ; et firent
recomancer une baterye, qui dura troys jours et troys
nuytz sans cesser du costé de Serra val, ung lieu ainsi
nommé dedans Monigue; et la aterrerent plus de cent
toises de muraille ; et, a la ruyne et choite d'icelle, les
deffences basses furent estouppées, en manière que
l'artillerye du dedans ne pouvoit nuyre aux ennemys,
1. Ils étaient informés des dispositions énergiques de Louis XII.
Depuis le mois de décembre, le gouvernement génois et Paul de
Nove en particulier ordonnaient absolument aux commissaires
une action énergique et décisive (Saigo, II, 73 et suiv.).
Mars 1507] DU SIEGE ... DE MONIQUE PAR LES GENNEVOYS. 121
et ne se osoient montrer ceulx de la place a la deffence
de la brèche, car elle estoit sugecte aux montaignes
ou les Gennevoys avoyent faict leurs rampars et la lever
leur artillerye atiltrée ; et si estoint ceulx de Monigue
devers le costé de la mer tout a descouvert, dont, des
carracques et galleres, tiroyent les Gennevoys sur
eulx, en manière que homme ne se ousoit la arester
sans sa vye trop hazarder. Toutesfoys, le seigneur de
Monigue délibéra de mourir la avecques tous ses gens
ou reposser ses ennemys. Voyant les Gennevoys que
brèche a suffire avoyent pour devoir donner l'assault,
ordonnèrent le lendemain icelluy estre donné par
quatre mille hommes, lesquelz Paule de Nove, duc des
Gennevoys, voulut mener et conduyre, ayant souve-
nance du triumphe que les Gennevoys luy ont promys
s'il gaigne la place. Or, vient le jour que lesdits Gen-
nevoys, avecques leurs eschelles et crampons, s'apres-
tent de donner l'assault; lesquelz sur l'aube du jour
font sonner trompettes et groux labours de Suyces et
sortent en place pour comancer le hutin. Et, eulx ainsi
en camp, Paule de Nove, leur duc, devant tous com-
mança a dire : « A ceste foys ce monstera le vouloir
vertueulx et pouvoir invincible du peuple gennevoys,
qui oncques par puissance d'omme vivant ne furent
surmontez ne a servitute soumys. Sur doncques, Sei-
gneurs ! esvertuez voz cueurs et exploictez voz forces
a cest affaire, car a ce fil pend le priz de vostre loz,
l'avancement de vostre honneur et le rabays de vostre
réputation. Si a ce coup estes vaincueurs, vye pros-
père aquesterez et immortelle renomée ! Si laschement
estes vaincus, la fin de vous sera reprochable a vostre
nom et honteuse a voz amys ! Si fortune vous est
adverse, mieulx est mourir en bataille que fuyr
122 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mars 1507
vaincu ! » Ces paroUes dictes, chascun des Gennevoys
et tous ensemble levèrent la main, disant que, pour
craincte de mort, ne reculleront ung seul pas.
X.
D'UNG ASSAULT QUE LES GeNNEVOYS DONNERENT AU
CHASTEAU DE MONIGUE, OU FURENT ICEULX REPOSSEZ
ET PLUSIEURS d'eULX OCCIS.
Messire Lucyan de Grimaulx, voyant que l'assault
est[oit] prest a donner, ordonna, pour la deffence de la
brèche, sept postes, chacune de trente hommes, des-
quelles il en prist une pour luy, ordonnée a estre mise
au millieu des autres; a ung sien frère, nommé mes-
sire Charles de Grimaulx, bailla l'autre ; a Berthelemy
de Grimaulx, son lieutenant, ung autre ; au capitaine
Arigoys, a Christofle Royer d'Ast, a Anthony Bence*
et au comit^ de ses galleres, a chascun d'iceulx une
desdites postes ordonnées estre mises tout le long de
ladite brèche, qui estoit grande a passer cent hommes
de front. Et iceulx advertist que, au besoing et a
relays, ceulx desdites postes qui seroyent les plus
froiz secourussent les lassez. Au seigneur de Saincte
Colombe, lieutenant de messire Yves d'Allègre, bailla
une brèche près une des portes du chasteau a garder,
avecques trante hommes françoys^. Et ainsi assist ses
postes pour actendre l'assault, en disant a ses gens^ :
1. De Monaco, comme on verra plus loin.
2. Sans doute Commessario.
3. La Relation inédite attribue à L. Grimaldi une prière et à
Tarlatino un discours.
i. D'après la Relatioti, Lucien prit ses dispositions avant le
Mars 4507] D'UNG ASSAULT QUE LES GENNEVOYS, ETC. 123
a Mes bons seigneurs et amys, le temps est venu que
chascun de nous doibt desplyer la force du bras et la
vertus du cueur, pour son honneur deffendre et sa
vye garentir, qui sont les choses entre autres plus
dignes de recoinmandacion. Dont myeulx nous est icy
mourir a la defFence de ce, et en gardant nostre place,
que nous rendre a la mercy des villains, comme las-
ches et meschans, qui nous seroit a jamais ung descry
de voix commune et ung reproche de villainye. Si
nous sommes peu de nombre au regard des ennemys,
nécessité, qui a besoing rainforce les crainctifz, par
vive raison nous doibt rendre invincibles. Si noz mu-
ralles sont brechées, il n'est forteresse que de gens
vertueulx. Et vous souveigne que audacieulx vouloir
est ung rampar inexpugnable. » Ce dit, chascun prist
cueur, en sorte que la meslée leur tardoit a venir. Et
est assavoir que sur le heu avoit provision de grosses
pierres pour ruer sur ceulx qui vouldroyent escheler
la muraille, huyles boullans, lances de feu, chaulx
vive, poix et souffre ardant, pour donner a ceulx qui
approcheroyent ladite muraille, et force artillerye
dedans les tours et deffences de la place pour tirer a
la traverse.
Et ainsi tout autour de la brèche actendoyent ceulx
de Monigue la venue de l'assault, lequel fut com-
maincé ung matin, sur le point de souleil levant^, que
Paule de Nove, duc du peuple de Gennes, avecques
lever du soleil; il garda la porte de Serravalle avec cent hommes,
disposa cent autres hommes sur les murailles et deux cents autour
de la Darsena. Deux barques chargées de soldats devaient exO-
cuter une fausse attaque.
1. 19 mars 1507.
124 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mars 1507
quatre mille hommes gennevoys et pizans, aprocha
la muraille a tout grant nombre d'eschelles. Et, a l'ap-
procher, l'artillerie des deux costez commainça a ton-
ner comme tempeste. Des montaignes et de la mer
tiroyent les Gennevoys sur ceulx de la place, dont
plusieurs en affoUerent^ Mais, pour ce, nul desem-
paroit pour doubte de mort. Et tant fut que main a
main se combatirent, les ungs a la brèche, les autres
sur les eschelles, tant mortellement qu'on ne veoyoit
que gens ruer par terre. Ceulx du dedans, a grans
coups de picques, repossoyent ceulx qui les appro-
choyent. Les Gennevoys s'efforçoyent a relays de gai-
gner la place, et la estoit Paule de Nove, qui fist ses
effors, et très hardyment le fist. Car tousjours, com-
bien qu'il fust vieil et encyen, si estoit il des premiers
qui emcourageoit moult les autres, et tant que ung
pizan, du party des Gennevoys, monta, l'enseigne au
poing, par une eschelle, jucques sur le bort de la mu-
raille, laquelle n'estoit du tout mise a bas, et mist
ung pied dessus, voulant entrer, et cryant : Populo/^
Populo! La eut merveilleuse foulle, car les Gennevoys
de toutes pars eschellerent la muraille et assaillirent
la brèche, a quoy résistèrent le Monigoys de telle force
que des Gennevoys plusieurs furent renversez. Celuy
qui portoit leur enseigne s'efforçoit d'entrer et don-
noit sur le costé, ou ung nommé Anthony Bence,
monigoys, tenoit sa poste, lequel se deffendit a
1. Les boulets tombaient surtout sur la place et faisaient peu
de mal. Tous les matelas de Monaco avaient été requis et ser-
vaient de boucliers aux assiégés {Relation}.
2. Le texte porte : « Pouplo, populo; » — « Popolo a me, » d'après
la Relation.
Mars 1507] D'UNG ASSAULT QUE LES GENNEVOYS, ETC. 125
force immodérée, et luy, voyant l'enseigne des Gen-
nevoys ung pié sur la muraille, adressa la si a point
que d'ung coup de picque qu'il rua de toute sa force
le remversa du hault en bas, lequel fut a la choite tout
acra vanté. L'enseigne ainsi par terre, ceulx de Monigue
se ravigourerent et s'efforcèrent de nouveau, en gec-
tant huysle bouillant et souffre ardant^, a tout lances
de feu sur ceulx qui assailloyent la place, tellement
que Gennevoys furent repossez et abandonerent la
muraille toute enrougye de leur sang. Dont fut cessé
l'assault, qui plus de cinq eures avoit duré. Leurs
eschelles demeurèrent la, qui servirent de bere pour
emporter les mors, dont il y en avoit de troys a
quatre cens. Et ne moururent de ceulx de la place que
troys seullement, mais grant nombre y eut de blecez.
Durant l'assault, les Gennevoys, voulant amuser par-
tye des souldartz de la place, affin que tant de gens
ne fussent a la deffence de la grande brèche, prindrent
barches couvertes, brigandins et autres bateaux, juc-
ques au nombre de xx, et dedans misrent quatre cens
hommes de guerre, lesquelz abordèrent leurs bateaux
a l'entrée du port, vers une tour nommée l'Esperon,
et la avecques leurs eschelles descendirent et prin-
drent terre, comme pour vouloir assaillir ladite place
de celuy costé. Dont ceulx qui estoyent aux deffences
de celle part, voyant iceulx Gennevoys descendus,
tout soubdainement donnèrent coups d'artillerye contre
leurs barches et brigandins, si qu'ilz les percèrent, en
manière que l'eau entra dedans, tant qu'ilz allèrent a
fons, et ainsi demeurèrent ceulx qui estoyent descen-
1. Surtout des pierres {Relation).
126 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mars 1507
dus entre la muraille de la place et le bort de la mer,
au danger de leurs ennemys. Or avoyent ilz grant
nombre d'eschelles, lesquelles dressèrent contre la
muraille et s'essayèrent de monter; mais a grans
coups de pierre et de haquebutes furent repossez et
batus, en sorte qu'ilz furent contraingtz d'abandonner
leurs eschelles. Et, voyans que leurs barches et bri-
gandins estoyent a fons, ne sceurent ou prendre
seurté, si n'est derrière une grosse tour, ou se mus-
serent pour le danger du trect, et demeurèrent jucques
l'assault fust du tout fyny, que le seigneur de Monigue
sceut leur piteulx affaire, qui de ce fut bien joyeulx ;
et, pour en faire la raison, fist sortir par une pos-
terne, du costé ou ilz estoyent, cent hommes des
siens, lesquelz les allèrent reveiller et donner au tra-
vers, en manière que, si tost qu'il cuydoyent prendre
plaine, l'artillerye les affolloit, dont en furent aucuns
tuez et les autres noyez a la rive de la mer et tous
occis, quatre vingtz d'iceuîx reservez seullement, les-
quelz furent priz et menez au chasteau de Monigue.
XI.
Gommant les Gennevoys levèrent leur siège
de devant le chasteau de monigue.
Durant ce, messire Yves d'Allègre approchoit de
tant que les Gennevoys sceurent sa venue, et, voyant
qu'ilz ne prendroyent la place de Monigue, deux jours
après ledit assault^ bruslerent leur loges et barraques^,
1. 21 mars.
2. Détail plaisant : en voyant ces feux, les gens de Vintimiglia,
Février 1507] DU REVOLTEMENT DE GENNES. 427
puys myrent leur artillerye en raer et s'en allèrent
partye par mer et partie par terre. Les ungs tirèrent
vers une place sur la marine, nommé Porte Morice' ;
l'autre partie des Gennevoys s'en allèrent droict a
une place nommée Vintemille, laquelle ilz tenoyent, et
de la a Gennes. Messire Yves d'Allègre^, sachant leur
desloger, les suyvit avecques ses gens d'armes et
reprist Menton et Roquebrune, qu'ilz avoyent pris en
allant mectre le siège a Monigue, lesquelles places se
rendirent sans nulle defïence, et ausi prist Porte
Morice, laquelle se rendit par composicion de dix
mille ducatz. Ce faict, ledit seigneur d'Allègre s'en re-
tourna a Savonne, et ses gens chascun a sa garnison^.
XII.
Du REVOLTEMENT DE GeNNES , ET GOMMANT MESSIRE
Gallaz de Saluzart print aucuns Gennevoys au
golliege de Saingt Fransgisque a Gennes.
Avant le temps du siège de Monigue, dedans la ville
ennemis héréditaires de Monaco, les prirent pour des feux de joie;
ils crurent à la capitulation de Monaco, se mirent à sonner les
cloches et à danser tous dans les rues (Relation).
1. Port-Maurice, ou Porto-Maurizio.
2. La garnison de la Turbie, avant de se retirer, vint réclamer
à Monaco une forte surpaie : on lui donna quatre mois de solde.
Son capitaine, dit la Relation, qui affectait si orgueilleusement de
servir le roi seul et non le sire de Monaco, ne craignit pas cepen-
dant de réclamer comme un simple mercenaire.
3. D'après la Relation, Roquebrune se rendit immédiatement à
Agostino Grimaldi, sans résistance ; Menton fit plus de difficultés.
Lucien Grimaldi écrivit à Yves d'Alègre, qui vint l'occuper avec
des forces considérables, aux frais de la ville.
128 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Février 1507
de Gennes, au pallays d'icelle, estoit pour le Roy ung
nommé Phelippes de Roquebertin, lequel entretenoit
le plus doulx qui pouvoit le peuple de la ville, qui,
durant ledit siège, ne s' estoit ancores declairé contre
le Roy, mais cryoit tousjours France et Populo.
Or, advint lors que le viii"^ de feuvrier, a ung jour
de quelque feste, grant nombre de Gennevoys furent
a Sainct Francisque, ung coUiege de cordelliers, assix
au pié de la cytadelle du chasteau de Gennes, ou illec-
ques ouyrent le commaincement de vespres. La fut
messire Gallaz de Salluzart, en voyant iceulx Genne-
voys en ses dangiers, dist qu'ilz estoyent de bonne
prise, veu que ja avoyent commancée la guerre et
assaillyes aucunes places du pays du Roy, et que
ancores tenoyent le siège a Monigue, terre dudit sei-
gneur; par quoy sonna ung nombre de ses gens et fist
garder les portes de l'eglize, et iceulx prist, et envoya
dedans le chasteau prisonniers, lesquelz trecta rude-
ment et les enferma dedans ung lieu ou avoit ung
moulin a bras, esquelz faisoit tourner ledit moulin et
mouldre le blé a grant peine et travail, sans leur don-
ner que du pain et de l'eau, ce que n'avoyent iceulx
Gennevoys acoustumé; ausquelz demandoit grande
somme d'argent pour leur rançon, de laquelle ne vou-
loyent finer, disant qu'ilz estoyent pouvres et que de
tant grosse rançon ne sauroyent faire paye, par quoy
furent pour ung temps mal trectez. Dont ceulx de la
ville s'en allèrent plaindre a Phelippes de Roquebertin,
lieutenant du gouverneur pour le Roy, auquel disrent
que le capitaine du chasteau n'avoit querelle contre
eulx et qu'il ne devoit prendre ne détenir les gens
de la ville, qui tenoyent pour le Roy et estoyent ses
Dec. 1506] DU REVOLTEMBNT DE GENNES. 129
sugectz, et beaucoup d'autres raisons alléguèrent.
Dont celuy de Roquebertin, pour complaire au peuple
et pour doubte de commune insulte, leur promist
d'en parler au capitaine et de luy remonstrer son tort,
en fasson que lesdits prisonniers seroyent rendus ou
pour le moings trectez très bien et humainement, ce
qui adoulcist quelque peu le peuple. Si s'en alla ledit
Roquebertin au chasteau et dist au capitaine comme
la ville estoit presque révoltée, au moyen des prison-
niers qu'il detenoit ; par quoy advisast qu'il en devroit
faire, en façon que le proffict du Roy et son honneur
y fussent gardez. Sur quoy respondit ledit capitaine
qu'ilz estoyent ses vrays prisonniers et qu'ilz estoyent
de prise, veu qu'ilz avoyent commancé la guerre et
assaillies les places du Roy, par quoy ne les rendroit,
si le Roy ne luy mandoit expressément.
Tandis que ses choses s'exploictoyent, le Roy,
adverty du tout et sachant la révolte de Gennes, dist
qu'il pourvoiroit a ce^, dont, pour vouloir mectre pro-
1. Les nobles avaient adressé à la cour un mémoire, pour
réclamer une action énergique et décisive. Nous allons résumer
cet important factum, où ils exposent les faits à leur point de vue
et où ils portent contre le gouvernement français de Gênes les plus
graves accusations, passionnées et parfois inexactes : « Memoriale
de le cosse accadute in la sublevatione de H populi de Gènes. » Le
mémoire rejette, d'abord, la responsabilité des événements sur les
« mali governi e cativi comportamenti » des officiers royaux : il
y a eu des extorsions d'argent; pour des vétilles, on a poursuivi
de soi-disant crimes de lèse-majesté et prononcé des confiscations.
Les coupables sont le procureur fiscal Jehan Bartbolomeo de
Lundis et NicoUo de Guidobonis de Tartona, vicaire royal de
M. de Ravenstein. Le peuple de tout le pays, ainsi mécontenté,
devait se soulever facilement. Le 20 juin de cette année, il se sou-
leva, sous la direction de Polo Baptista Justiniano ; l'habileté de
IV 9
130 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [1506-1507
vision de plus a la garde de sondit chasteau de Gennes,
qui estoit la principale place et meilleur deffence,
soixante nobles, qui supportèrent mille injures, calma cette sédi-
tion. M. de Roquebertin était aux bains d'Acqui; on lui en référa;
on le pria de revenir ; il ne s'en soucia pas et répondit, assure-t-on,
de laisser faire, « che scuzera un poto de dexe milia scuti. » Quand
il revint, P.-B. Justiniano, auteur de la sédition, alla au-devant
de lui, à deux jours de marche, et corrompit, dit-on, par de l'ar-
gent Roquebertin, qui ne fit rien pour apaiser la sédition et, au
contraire, la fomenta et l'accrut. Il ne voyait que Justiniano. Les
révoltés avaient élu un conseil de douze membres : sur l'avis
de Roquebertin même, ils le réduisirent à quatre , pour mieux
assurer le secret. Malgré les prières des nobles, Roquebertin
reconnut ce conseil et traita avec lui. Le peuple s'enhardit : le
18 juillet, soulèvement général, sous la direction de Petro et Vin-
cencio Sauli et de leurs frères, ainsi que de beaucoup de Justi-
niani, Fornari et Adorni. Avec Roquebertin, ils coururent le
pays en criant : Franza et Via populo et officij et Ad la morte H
gentilhomini. On massacra un nommé Vesconte ; on blessa griè-
vement Augustino Doria ; on frappa une foule de nobles. En vain
les nobles demandèrent-ils de prendre les armes pour se défendre;
en vain offrirent-ils leur appui à Roquebertin. Celui-ci resta avec
le peuple; la nuit, il autorisa le vol et la rapine. Le peuple pilla
plus de cinquante maisons de nobles; il y viola plusieurs femmes;
le jour venu, le peuple se forma un conseil, contrairement aux
statuts; le jour suivant, il reprit les armes, et, à midi, devant
Roquebertin, qui se disait impuissant, on enfonça la porte d'un
palais et on se livra à toute sorte d'excès. Ainsi proscrits et aban-
donnés, les nobles députèrent au roi Andréa Doria; Doria trouva
à la cour Ravenstein, qui l'empêcha de se plaindre de Roqueber-
tin et se déclara prêt à partir pour Gênes, afin d'y rétablir l'ordre.
Mécontents du silence de Doria, les nobles députèrent encore
deux des principaux d'entre eux, qui rencontrèrent en route
Ravenstein, lequel les invita à ne pas aller plus loin, car il se
rendait à Gênes avec pleins pouvoirs. A Asti, Ravenstein trouva
M. de Chaumont, Jean-Louis de Fiescbi et beaucoup des prin-
cipaux nobles qui délibéraient sur les événements. Les nobles le
prièrent d'agir énergiquement. Chaumont, avec sa grande expé-
rience, était du même avis. Il refusa et, sur les lettres de Roque-
bertin et de l'argentier Gualtero Fiamengho, il se laissa persuader
1506-1507] DU REVOLTEMENT DE GENNES. 131
transmist celle part ung nommé Allabre de Saule, son
ussier de chambre, par lequel escripvoit et mandoit
par les ambassadeurs du peuple d'aller à Gênes avec peu de
monde; il résolut d'emmener 1,000 hommes de pied et n'en
emmena en réalité qu'environ 650. Il aurait pu néanmoins triom-
pher, car le peuple était épouvanté; ses chefs se cachaient
et pensaient à fuir. Mais il se mit à parlementer. Il envoya à
J.-L. Fieschi, qui se trouvait à Violata, avec une bonne compa-
gnie, l'ordre écrit de quitter la ville. Celui-ci, malgré ses récla-
mations, dut obéir. A peine fut-il hors de Gènes, le peuple prit
les armes, nomma des officiers à sa guise avec le consentement
de Ravenstein, à qui on promit une somme d'argent; Gontero
dit même à un noble : « Vous autres gentilshommes, vous ne vou-
« lez rien donner, vous n'aurez rien. » Les révoltés s'emparèrent
de toute la Rivière. Lucha Spinula, à qui Ravenstein refusa du
secours, perdit La Pieve, malgré l'autorité du roi dont il la tenait
en fief. On voulut faire de même à Monaco. Les révoltés disaient
tout haut que Ravenstein leur obéissait et que le roi agirait en
conséquence. Un émissaire des nobles, parti en poste, obtint la
révocation de diverses ordonnances de Ravenstein et la défense à
Roquebertin de rien innover contre la noblesse. On ne tint aucun
compte des ordres du roi : on disait que, pour un écu, on obtien-
drait des ordres contraires. Bref, le castelletto seul obéissait au roi.
Ravenstein a reçu plus de 3,000 écus, savoir : à Asti, par des
marchands locaux, 1,000; à Lyon, plus de 2,000 par les Sauli; on
lui en a promis 20,000 autres. M. de la Clayette a reçu une chaîne
d'or de 300 écus au moins ; Roquebertin a touché à Gênes
5,000 écus. La noblesse, ainsi donnée en 'proie, se voit obligée
de recourir au roi. Le roi, avec six galères dans la Rivière,
4,000 Suisses, 150 lances et les sujets des nobles, aura la victoire
avant de paraître sous les murs de Gênes, surtout si le comman-
dant en chef est un homme habile et connaissant l'ItaHe ; et, en
prohibant le ravitaillement de Gènes, ce qui est facile, car tous
les environs appartiennent aux gentilshommes et sujets fidèles du
roi, le roi peut s'assurer facilement de la vallée de Pulcifera (sic)]
l'important est d'agir vite, avant l'hiver (Ms. fr. 2961, fol. 23 et
suiv.). — A l'appui de ce mémoire, on peut voir l'engagement de
Jean-Louis de Flisco, Etienne de Vivaldis, Ant. Spinola, Lau-
rent Lomelin et Jean-Jacques Doria, au nom des nobles de
Gênes, de rembourser au roi l'entretien de 4,000 Suisses et de
132 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [1506-1507
par créance a messire Charles d'Amboise, son lieute-
nant gênerai delà les mons, a Phelippes de Roqueber-
tin, lieutenant du gouverneur de Gennes, et a messire
Gallaz de Salluzart, capitaine du chasteau de Gennes,
son vouloir touchant son affaire de delà. Lequel Allabre
s'en alla en poste, et si tost que en moings de six
jours fut a Millan devers le lieutenant du Roy, auquel,
en ensuyvant sa charge, bailla ses lectres et dist sa
créance. Apres que le lieutenant du Roy eut veu et
ouy ce que mandé luy estoit, au plus tost qu'il peut
despescha ledit Allabre, auquel bailla gens et moyens
pour le guyder jucques a Gennes, ainsi que le Roy luy
mandoit par ses lectres, et luy bailla ung chevaucheur
d'escuyerie pour luy rapporter nouvelles de l'excu-
cion de son faict. Ainsi s'en va ledit Allabre son droict
chemin, tirant a Gennes, et premier adressa a ung
lieu, nommé le bourg de Busalle, a xv mille près de
Gennes, et la trouva ung nommé messire Robert
EspinoUe'', frère du seigneur de Sarraval, gennevoys.
Auquel dist ledit Allabre que ledit de Sarraval, son
frère, l'adroissoit a luy avecques ung sien serviteur
qu'il luy avoit baillé pour le conduyre, et prioit ledit
messire Robert que, le plus tost et le plus droict que
possible seroit, le fîst adresser et mener a Gennes.
Ce qu'il fist par ung marchant dudit bourg, qui savoit
le plus couvert chemin et seures adresses pour aller
audit lieu. Si le mena celuy marchant tout seurement
4,000 hommes de pied, sous clause pénale de 100,000 ducats
(Portefeuille Fontanieu, 156, 18).
1. Deza [Istoria délia famiglia S'pinola. Piacenza, in-fol.) observe
qu'aucun Spinola ne se compromit dans les événements qui vont
suivre (p. 292).
Février 1507] DU REVOLTEMENT DE GENNES. 133
jucques a l'entrée d'ung lieu nommé Poulceuvre, qui
est l'advenue des destroictz des montaignes de Gennes,
et luy dist celuy marchant que la estoit le plus dange-
reux de leur passage, car de la estoyent aucuns des
capitaines et chiefz des Gennevoys mutins, et mes[me]-
ment ung nommé Guilhon, capitaine de Poulceuvre,
par lequel estoit venu le moyen de la première divi-
sion de Gennes, comme j'ay dit dessus. Toutesfoys
passèrent oultre, sans autre danger, et approchèrent
la tour de la Lanterne, nommée la tour de Codefa,
assise en mer, entre la ville de Gennes et ung bourg
nommé le bourg de Sainct Pierre d'Areyne, regar-
dant sur le moulle. Et, eulx estans au droict de la
lanterne, pour ce que lors faisoit froict, ledit Allabre
enchapperonné pença que luy en ceste manière ne
passeroit, sans estre de plusieurs regardé, enquys, et
par aventure arresté de ceulx de la ville, ousta son
chapperon et mist une chayne d'or au coul, qu'il avoit
baillé a garder a sa guyde, et ainsi passa tout seure-
ment jucques au palais, ou descendit et envoya loger
ses chevaulx . Puys demanda a quelqun des mortes payes
dudit palais ou estoit ung nommé Phelippes de Roque-
bertin , lieutenant du seigneur de. Ravestain , lequel
mena en la chambre de celuy Roquebertin, qu'ilz ne
trouvèrent la, car il estoit allé ce jour au sermon et
devoit disner en ville avecques aucuns des cytadins,
lesquelz ilz entretenoit tousjours de doulces parolles,
comme besoing luy estoit. Ledit Allabre, au plus tost
qu'il peut, manda a Roquebertin qu'il estoit la venu
de par le Roy, et qu'il avoit affaire hastivement a luy;
dont celuy Roquebertin a toute dilligence s'en alla au
palais, ou ledit Allabre luy bailla les lectres que le Roy
134 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Février 1507
luy envoyoit et celles de messire Charles d'Amboise,
et luy dist la créance qu'il avoit a luy dire, contenant
que, tout incontinant les lectres veues, ledit Roque-
bertin s'en allast a Millan devers ledit messire Charles
d'Amboise, lieutenant du Roy, et que premier eust a
bailler audit AUabre les mortes payes du pallais, ou
pouvoyent estre troys cens hommes, pour les mectre
ou le Roy luy avoit mandé. Lequel Roquebertin dist :
« Voluntiers acompliray je le mandement et vouloir
du Roy; mais difficille chose seroit a faire prompte-
ment et seurement me desloger; car, si les mortes
payes habandonnent le palais, le peuple de Gennes
pourra pencer que le Roy se deffye de eulx et que
leur machinacion est clerement descouverte, par quoy
moy et tous les Françoys, qui devant eulx nous trou-
verons, serons en danger de la vye; dont est besoing
différer la chose quelque peu de temps. » A quoy ne
voulut entendre ledit Allabre, disant : « Non, il est
besoing de faire le vouloir du Roy, qui est de promp-
tement retirer ses mortes payes et les mectre a la
garde du chasteau, qui grant besoing en a; et, si par
avanture ilz sont defïaictz ou empeschez par les Gen-
nevoys, et que guerre soit du tout ouverte, a grant
difficulté pourra estre ledit chasteau garny de gens
d'armes. Et en oultre vous devez savoir que, au
moyen de la prise d'aucuns Gennevoys que le capi-
taine dudit chasteau détient, tout le peuple de Gennes
en est mutiné et prest a dire le mot contre le Roy,
dont est mestier, au plus tost que faire se poura, et,
avant que plus de bruyt se lieve, de ran forcer le chas-
teau, et tant y a que ja pence le Roy que vous soyez
avecques lesdites mortes payes audit chasteau, ainsi
Février 1507] DU REVOLTEMENT DE GENNES. 135
que ja long temps vous a mandé, comme il m'a dit a
mon parlement, et que la vous trouveroye. Pour ce,
n'est heure de plus différer, mais faire le vouloir du
Roy. » Oyant celuy Roquebertin ce que dit est, pria
ledit Allabre que au moings vousist premier demeurer
illecques deux ou troys jours, et que ce pandant il
trouveroit moyen de sortir de la ville et eschever le
danger des villains, ce que ne voulut ledit Allabre,
mais dist que plus ne demeureroit au palais. « Car
j'ay, dit il, lectres adroissans a messire Gallaz, capi-
taine du chasteau, lesquelles fault a toute dilligence a
luy présenter; car j'ay, de ce, comandement exprès
du Roy, auquel me fault, toutes choses lassées, obéir. »
Ce dit, voyant celuy Roquebertin que autre chose ne
pou voit, et qu'il estoit force que ledit Allabre s'enallast
au chasteau, dist : « Or, allez en la garde de Dieu; je
vous bailleray une mulle et ung gentilhomme pour
vous conduyre et acompaigner jucques au chasteau,
afïîn que la ville ne se doubte de nostre affaire. Allez
le plus celeement que pourez, et par voyes oblicques
que la guyde que je vous baille vous saura mener. Et,
au surplus, je vous transmectray toutes les mortes
payes du palais, de nuyt, afïîn que, par les villains ne
soyent ad visées ou arrestées. » Ce dit, ledit Allabre
avecques sa guyde monta a cheval, et dist a sa guyde
qu'il le menast vers la marine, a l'oposite de la ou il
vouloit aller, afïin que les Gennevoys ne sceussent ou
il tiroit. Et ainsi s'en alla vers la marine a cartier et
retourna par rues segrectes et foraines, tant que, sans
empeschement, se rendit au chasteau, ou trouva mes-
sire Gallaz de Salluzart, capitaine de ladite place,
auquel bailla les lectres du Roy, et luy monstra man-
136 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Février 1507
dément dudit seigneur, comme il faisoit et ordonnoit
ledit Allabre capitaine de Sainct Francisque, qui est
ung coUiege de cordelliers, assix au pié de la cyta-
delle du chasteau, bien ranfermé et fort a merveilles,
lequel peut secourir le chasteau et estre du chasteau
secouru contre la ville, dont estoit besoing mectre
garnison dedans ledit colliege. Ausi mandoit le Roy,
par lectres ausdits souldartz du pallais, qu'ilz eussent
a obeyr audit Allabre en cest affaire, comme a sa per-
sonne, après le département de Roquebertin.
Geluy messire Gallaz, capitaine du chasteau de
Gennes, voyant les lectres que le Roy luy escripvoit
et le mandement susdit, receupt joyeusement ledit
Allabre. Et sommairement tous deux ensemble par-
lèrent sur leur affaire, disant, par conclusion, que
mestier estoit que Phelippes de Roquebertin, lieute-
nant du palais, montast jucques au chasteau, pour
parler plus amplement de leurs besoignes, et savoir a
luy de Testât et manière des villains de Gennes et quel
vouloir ilz avoyent, pour y pourvoir scelon leur pos-
sible. Ainsi transmirent message segretement devers
ledit Roquebertin, le pryant qu'il vousist aller par
devers eulx, pour parler d'aucunes choses, touchant
les affaires du Roy ; et que le capitaine du chasteau
fust allé parler a luy, mais il n'ozoit habandonner le
chasteau, par quoy le prioit bien fort qu'il luy plust
monter jusques audit lieu : ce que ne voulut ledit
Roquebertin, disant que, pour la double de la com-
mune qui grandement estoit esmeue, n'ozeroit et que,
s'il faisoit semblant d'y aller, le peuple l'assommeroit,
car il estoit tout effrenné et en branslo de ouvrir la
guerre aux Fransoys. Quoy plus? si n'est que ledit
Février 1507] DU REVOLTEMENT DE GENNES. 137
Allabre manda a Roquebertin, s'il ne pouvoit monter
au chasteau, qu'il luy envoyast les mortes payes du
palais, comme le Roy luy avoit mandé : ce que pro-
mist de faire celuy Roquebertin dedans, quatre jours
après ; pendant lequel temps, il pratiqua aucuns des
plus octorizés de Gennes, par doulces parolles et
moyens exquys, pour envoyer a Millan ambaxadeurs
par devers messire Charles d'Amboise, lieutenant du
Roy, lequel avoit puissance sur toutes ses affaires, et
que avecques luy pourroyent telle chose trecter, que
se seroit au proffict de la ville et bien de la chose
publicque ; et que, de sa part, il y besoigneroit en
manière que Gennes pourroit cognoistre qu'elle auroit
ung amy en luy. Toutesfoys ses belles choses leur
disoit ledit Roquebertin pour trouver moyen de sor-
tir de la ville avecques eulx et se retirer a Millan,
pour la seurté de sa personne ; ausquelles choses
s'accordèrent les Gennevoys, et a chief de quatre jours
luy baillèrent ambaxades, pour aller avecques luy a
Millan devers ledit lieutenant du Roy. Et, sur ce pro-
pos, se mectent en avant lesdits de Gennes, accompai-
gnés de trente chevaulx, et prennent leur chemin vers
bourg de Busalle. Or avoit ledit Roquebertin, premier
que partir de Gennes, despeschée une poste et icelle
envoyée a Millan, pour advertir le heutenant du Roy
commant il menoit les ambaxades de Gennes par devers
luy. A quoy fist responce ledit lieutenant du Roy que
de luy il n'avoit commission ne puissance aucune de
faire avecques lesdits Gennevoys quelque trecté, ne de
les ouyr; a ceste fin, leur renvoya la mesme poste
pour de ce les advertir. Lesquelx Gennevoys, oyant
ladite responce, très mal contens, s'en retournèrent a
138 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Février 1507
Gennes, et ledit Roquebertin avecques son train prent
son chemin droict a Miilan*.
Le mesme jour que celuy Roquebertin partit de
Gennes, dist a ung nommé Maubouvyer, et a ung
autre nommé Françoys de la Fuste, des souldartz du
palais de Gennes, que, la nuyt ensuyvant de son par-
tement, eussent a mener et conduyre les aultres soul-
dartz dudit palais a Sainct Francisque, dont estoit
capitaine ledit AUabre, car ainsi l'avoit mandé le Roy.
Dont icelle nuyt se rendirent lesdits Maubouvyer et
Françoys de la Fuste a Sainct Francisque, avecques
six vingtz et sept d'iceulx souldartz. Les autres, qui
estoyent en nombre deux cens ou environ, demeu-
rèrent avecques ung nommé Averluch, allemant, qui
portoit l'enseigne du seigneur de Ravestain, leur capi-
taine, lequel Averluch ne voulut servir le Roy, ains
fist mutiner lesdits compaignons, dont y avoit plusieurs
Françoys, lesquelz se misrent au service et a la soulde
des Gennevoys.
Dedans le palais de Gennes, estoit demeuré ung
nommé messire Estienne de Cernerieu, docteur, lequel
avoit la lessé Phelippes de Roquebertin, pour estre
son lieutenant. Mais, voyant la retrecte des souldartz
dudit palais, et le peuple de Gennes esmeu, dist qu'il
se osteroit du chemin, comme les autres, ce qu'il tist ;
car, la nuyt ensuyvant, il deslogea sans trompette et
1. D'après Salvago, Roquebertin n'avait imaginé cette ambas-
sade que comme expédient pour garantir sa sortie. Cependant, il
paraît qu'en réalité ces ambassadeurs envoyèrent à Milan deman-
der un sauf-conduit, qu'on le leur accorda, qu'ils ne parurent
pas (nouvelles du 9 mars. Sanuto, VII, 31) et qu'on essaya encore
de négocier, malgré leur abstention (Ibid., 36, 461; mais les
Génois étaient divisés au sujet de cet accord.
Février 1507] DU REVOLTEMENT DE GENNES. 139
s'en alla d'emblée devers le lieutenant du Roy, qui
lors estoit a une petite ville nommée Gamallo, terre
de Millan^. Et de la s'en alla audit lieu de Millan, pour
estre plus asseur.
Lorsque ledit Maubouvyer et de la Fuste eurent
menez ce qu'ilz peurent de leurs gens devers l'ussier,
Allabre, au matin, dedans ledit colliege de Sainct
Francisque, receupt le serment d'iceulx, de bien et
loyaument soubz sa charge servir le Roy.
Le mesme jour que les souldartz eurent faict le
serment, comme dit est, ledit Allabre, capitaine de
Sainct Francisque, voyant grant nombre de frères
estre leans, doubtant long siège, et que, au moyen de
trop de gens, les vivres se peussent diminuer et def-
faillir, et venir autres inconveniens, appella le gardien,
auquel dist que pour les causes susdites estoit requis
d'en envoyer partie et retenir ceulx seullement qui
mestier faisoyent pour le service divin ; par quoy ledit
gardien en envoya tous lesdits frères, reservez cinc,
etluy sixiesme.
Tout cela faict, ledit capitaine se prist garde de sa
place et l'environna de tous costez, pour icelle advi-
ser ; et, aux lieulx qu'il veist besoigneulx de ayde, fîst
faire fors et rampars, ou luy et ses gens misrent la
main a l'œuvre, en manière qu'ilz n'eurent doubte de
la force des Gennevoys, ne crainte de leur siège.
1. Sans doute Gambolô, près de Vigevaao.
140 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Février 1507
XIÏI.
Gommant les Gennevoys se misrent sus contre le
Roy et ASSIEGERENT LE GASTELLATZ DE GeNNES, ET
PRINDRENT PAR COMPOSITION ; ET COMME, SUR LADITE
COMPOSITION, IL OGCIRENT INHUMAINEMENT LES FrAN-
ÇOYS QUI DEDANS ESTOIENT.
Tantost que les ambaxadeurs de Gennes furent re-
tournez de bourg de Busalle audit lieu de Gennes sans
avoir esté ouys du lieutenant du Roy ; et ausi sachant
commant le capitaine du chasteau de Gennes avoit
priz aucuns de leurs cytoyens, que ancores tenoit pri-
sonniers et iceulx traictet très rudement ; coignoissant
ausi par l'absentement des souldartz du palais, qui
s'estoient retirez au chasteau, que les Françoys ne se
fyoyent plus en eulx, et que de tous pointz leur entre-
prise estoit descouverte, tindrent entre eulx une turbe
commune ou conseil populaire, ou plusieurs propos
escartiz et raisons inconsultées furent mises sus. A ce
conseil, furent appeliez Paule de Nove, duc du peuple
de Gennes, Manuel de Ganale, Demetrius Justinian,
Anthony de Giuuly, le capitaine Ternatin, Guilhon,
capitaine de Poulcevre et autres de ceulx qui estoyent
venus du siège de Monigue, et grant nombre d'autres,
tant du peuple gras que de la commune; lesquelz,
après plusieurs allégations desordonnées, conclurent
de declairer eulx et la ville de Gennes contre le Roy,
et des lors commaincer leur rébellion et tuher tous
les Françoys qu'ilz pourroyent trouver et prendre
dedans leur pays ; tant que, pour commaincer, tous a
Févr. 1507] COMM^ LES GENNEVOYS SE MISRENT SUS, ETC. 141
une voix crièrent : Populo! Populo f taisant leur cry
de:Fra7icef France! que jucques a celle heure avoyent
tousjours cryé.
Avecques leurs cris impetueulx et bruyt de peuple
effrenné, s'en allèrent assiéger une petite place nom-
mée le Castellas, estant assise au dessus du chasteau
de Gennes^ , dedans les montaignes, en laquelle estoyent
XX ^ Françoys et troys femmes, soubzla charge d'ung
nommé Regnault de Nouaille, capitaine de ladite place ;
et, ung jour de vendredy lendemain de la my caresme,
sur l'eure du point du jour, aprocherent lesdits Gen-
nevoys le Castellas et comaincerent a tirer encontre
leur artillerye, sans cesser, depuys le matin jusques
au soir sur le vespre. Les Françoys qui dedans estoyent
se deffendirent au mieulx qu'ilz peurent ; mais, pour ce
que la place estoit mal advitaillée et desprouveue de
secours, les souldartz parlamenterent, disant aux Gen-
ne\oys : « Nous rendrons la place, noz vyes et bagues
sauves, ou sinon summes délibérez de vivre et mourir
icy a la deffence de nous et de nostre place. » Les
Gennevoys, voyans qu'ilz ne les auroyent par force,
sans avoir partie a la perte, combien qu'ilz eussent
juré la mort de tous les Françoys qui la estoyent,
1. Une miniature du célèbre ms. le Voyage de Gênes, de Jean
Marot (fr. 5091), représente (fol. 10 V) la prise du Gastellazzo par
les Génois. Au premier plan, le château et l'abbaye de Saint-
François, avec les étendards de France flottant au vent; la mer;
la ville de Gênes. En haut d'une montagne, le Gastellazzo, avec
le drapeau français (rouge et jaune, à emblèmes d'or). Des
colonnes de Génois montent à l'assaut, en massacrant des
femmes; quelques-uns portent, au bout de piques, des dépouilles
sanglantes. Ils ont le pavillon à croix rouge et le pavillon de
Saint-Georges.
2. Dix-huit, d'après Salvago.
142 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Février 1507
toutesfoys jurèrent et promirent ladite composition,
touchant la vye et bagues sauves desdits souldartz, ce
que ne tindrent les traistes ; car, tantost que la place
fut rendue et mise entre leurs mains, la commune
forcennée ne voulut tenir ladite composition, mais,
malgré aucuns des principaulx de leur armée, qui
avoyent entre les mains lesdits souldartz françoys,
leur osterent et occirent cruellement. Car aux ungs
encroiserent les bras et estacherent, et leur fendirent
le ventre et l'estomac, en leur errachant le cueur et les
entrailles du corps ; puys picquerent les cueurs d'iceulx
contre esteppes et pousteaulx et se soilherent les
mains dedans le sang des mors inhumainement ; les
autres taillèrent en pièces sans pityé, avecques les
femmes qui la estoyent, lesquelles firent mourir de
tant cruelle et estrange mort que l'orreur du faict
me deffent la manière de dire^ Somme, de tous ceulx
n'en eschappa que ung tout seul, nommé Nycholas de
Noyers, lannoys, lequel, après la prise de la place, et
ainsi que ontuhoit ses compaignons, fut pris par aucuns
marchans de Gennes estans la, qui le cognoissoyent et
avoyent eu avecques luy quelquesfoys paroUes fami-
lières, dont celeement firent tant qu'ilz le musserent
et déguisèrent, puys luy baillèrent de l'argent, et tel-
1. « Vingt et cinq mille estoient de Genevoys
Contre troys femmes et dix huyt Françoys.
Mettant a mort tous ceulx qu'ilz y trouvèrent,
Non seulement les hommes, mais les femmes,
Dont a jamais sont reputez infâmes ;
Car saulver fault quatre choses en guerre :
Prestre, herault, paige et féminin genre. »
(Jean Marot, le Voiage de Gènes.)
Mars 1507] COMM» LES GENNEVOYS ASSIEGERENT, ETC. 143
lenient firent qu'il se sauva et se retira au chasteau
de Gennes, ou depuys me trouvay et parlay a luy,
par lequel je sceu lesdites choses et les noms d'au-
cuns de ses compaignons mors, nommez Regnault de
Nouailhe, leur capitaine, Nycholas Dangu, le bastart
du Ghillou, Guillaume Ducro et ung sien filz Phelippes
Ducro, Pied d'argent, Jehan de Sainct Ouyn, Gonnon et
ung sien filz , Artus Morterre , Glaude du Pin , Grant
Jehan, Dozillat, Jannot le cannonnyer, ung nommé
Robert et troys autres, avecques troys femmes, qui
furent tous mys a sac ^ .
XIV.
Gommant les Gennevoys assiégèrent le colliege de
Sainct Francisque de Gennes et le chasteau
DUDiT lieu.
Apres que iceulx Gennevoys eurent pris le Gastellas
de Gennes et occis les Françoys qui la estoyent, disrent
qu'il failloit faire ancores plus et conclurent d'assiéger
le chasteau qui estoit fort a merveilles, bien avitaillé
et garny de bons souldartz, avecques grant nombre
de grosse et bonne artillerye, estant assix entre le
sommet de la montaigne et la ville de Gennes, comme
a my chemin desdits lieux. Entre lequel chasteau et
ladite ville, avoit deux fors, c'est assavoir : la citadelle,
dont l'issue regardoit devant la grant porte de l'eglize
1. Guichardin lui-même, quoique très favorable aux Génois,
raconte avec indignation que les auteurs de cet acte abominable
s'en vantèrent, qu'ils rentrèrent à Gênes avec de grands cris de
joie et en agitant leurs mains dégouttantes de sang.
144 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mars 1507
de Sainct Francisque devers la ville, tout en pendant
et de mailaisée advenue ; laquelle cytadelle estoit for-
tiffyée de bastilles et rampars, force gens, bonne artil-
lerye ; l'autre fort estoit le colliege de Sainct Fran-
cisque, par lequel on descendoit en la ville par diverses
rues, tirant au domme et au palais de Gennes ; lequel
colliege estoit enceint et fermé, du costé de la ville,
de bonnes et grosses murailles, bien tournellées, et
garnye de bonne artillerye, avecques bons souldartz^
prestz d'actendre le siège et les assaulx desdits Gen-
nevoys, qui estoyent tous en armes par les rues de
Gennes et tant esmeuz que tous d'une voix disrent
qu'ilz prendroyent le chasteau de Gennes d'assault ou
que tous y demeureroient. Mais premier s'en entrèrent
au palais, d'où s'estoyent retirez les Françoys, comme
sages; et la dedans ne trouvèrent a qui meffaire, si
n'est que iceulx villains, voyans les armes du Roy la
partout semées, avecques lances et picques les esgrati-
nerent et effacèrent de tous pointz. Et, ce faict, fer-
mèrent et barrèrent toutes les rues, ruetes, chemins,
passées et advenues, pour aller du chasteau a la ville ;
et adviserent de tous costez l'assiecte du chasteau, pour
y mectre le siège, qui leur sembla mal a main de tous
costez, fors devers Sainct Francisque, pour ce que de
celle partilz pourroyent faire, dedans aucunes maisons
qui près de la estoyent, leur taudys et rampars, et estre
toujours au couvert, et avoir a tout besoing gens et
relays. Et, pour mieulx a seurté approcher, ilz per-
cèrent les rues et maisons de lieu a lieu, pour aller a
couvert hors le danger de l'artillerye du chasteau,
1. Deux cents hommes, d'après Salvago.
Mars 1507 J COMM' LES GENNEVOYS ASSIEGERENT, ETC. 145
jucques encontre les murailles dudit colliege de Sainct
Francisque ; et assirent leur artillerye en divers lieulx,
entre autres, firent ung rampar devers Besaigne\
touchant a ung lieu nommé Pavye-, près d'ung colliege
de nonnains ; et la atiltrerent ung groux canon nommé
le Lizard, que iceulx Gennevoys avoyent emprunté de
la seigneurie de Pize ; près ung autre lieu, ou autres-
foys avoit eu ung chasteau, du costé devers Sainct
Roch^, atitrerent une autre grosse pièce d'artillerye,
nommée le Beufïle, laquelle ausi avoyent eu des Pizans.
En plusieurs autres lieux de la ville, et du costé de
Besaigne, avoyent faictboulouvars et fors, pourmectre
leur artillerye grosse et menue, pour tirer contre le
chasteau et Sainct Francisque, au lieux plus a main
pour leur siège. Et ordonnèrent entre eulx gens pour
tenir ledit siège nuyt et jour, et y obeyr a relays, sans
jamais cesser de tirer artillerye et donner assaulx,
jucques la place fust prise, et les souldartz mors ou
affamez.
Messire Gallaz de Salluzart*, capitaine du chasteau,
voyant le siège d'iceulx Gennevoys assix devant luy,
fist emboucher plus de cent pièces de artillerye grosse
et menue droict a la venue du siège,; et en fist mectre
hors le chasteau, a l'entrée de la cytadelle, au sommet
d'ung hault terrier, une grosse serpentine, la bouche
dessus la ville, et au droict du moule de Gennes, pour
deffendre le passage aux ennemys et ruer sur les
maisons et au travers des rues de Gennes. La cytadelle
\. Le Bisagno.
2. Il piano (?).
3. San Rocchino (?).
4. Seigneur de Las (voy. p. HO).
IV 10
i46 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mars 1507
et le colliege Sainct Francisque furent pareillement gar-
nys de souldartz, de vivres et d'artillerye, et chascun
prest d'exploicter la guerre, laquelle fut comancée
par les Gennevoys, qui, de première advenue, char-
gèrent sur ledit colliege Sainct Francisque, et la ruèrent
coups d'artillerye, a toutes mains. Geulx du chasteau,
qui estoyent au dessus, comaincerent a rendre leur
meute d'artillerye aux Gennevoys, et tirer droict a
leurs rampars, et au travers des rues et maisons de la
ville, tellement qu'il sembloit que tout tramblast. Les
femmes et petitz enfens habandonnerent les haultz
estages de leurs maisons, pour l'orrible bruyt et dan-
gereulx coups que l'artillerye des Françoys donnoit
autour d'eulx, et se misrent soubz les chambres basses
voultées de leursdits logys. Pareilement les Gennevoys
ruoyent coups, sans cesser, contre les tours et murailles
du chasteau, et le plus souvant contre les deffences
de Sainct Francisque et au travers de l'eglize, pour ce
que les souldartz et les frères dudit colliege tyroient
aux ennemys par grans troulx et larges pertuys, qu'ilz
avoyent faictz au travers de la muraille de ladite eglize,
dont endomaigeoyent fort les Gennevoys. Par quoy,
n'espargnoyent icelle eglize, mais tiroyent au travers,
de tous costez ; et tant que, tantost après ce, je estant
dedans ladite eglize, viz partye du cueur et pilliers
d'icelle par terre, et les voultes percées en plusieurs
lieux, et, entre autres coups estranges, vys ung ymage
de crucifix, estant sur la porte du cueur dudit colliege,
ayant le bras dextre percé près du coulde d'ung coup
d'une pièce d'artillerye, et plusieurs autres ymages
brisez et rompus. Somme, la baterye estoit merveil-
leuse de tous costez; car nuyt et jour duroit le bruit.
Mars 1507] COMM» LES GENNEVOYS ASSIEGERENT, ETC. -147
Lorsque les Gennevoys eurent batu longuement ledit
colliege, disrent qu'il y failloit donner ung assault pour
voir la résistance des Françoys et leur manière de def-
fendrc; et eulx a tout grosse brigade, ung lundi après
la my caresme, garnys de crampons et eschelles,
avecques grant bruyt de peuple et son de groux
tabours de Suyces, approchèrent la muraille dudit
colliege, du costé d'ung fort jardrin qui la estoit a
main senestre, au dessoubz dudit colliege, près d'ung
lieu nommé Fontaine Amoureuse, et la comaincerent
a dresser leurs eschelles et donner le combat main
a main aux Françoys, lesquelz a tour de bras receu-
rent les Gennevoys, tellement que du hault en bas
plusieurs furent renversés, a grans coups de picques
et hallebardes furent renvoyez, et deux de leurs
eschelles sur eulx gaignées, et xx hommes d'iceulx
mors au pié de la muraille avecques grant nombre de
blecez. Des Françoys y moururent deux hommes seul-
lement et vin y furent blecez.
Ce faict, voyant lesdits Gennevoys que a ce lieu ne
pouvoyent riens faire de leur advantage dirent que par
ung autre costé assauldroyent le fort; dont furent
quérir, par les maisons de la près, 'groux monceaulx
de fagotz secz et autres fustes gressées d'uysie et de
souffre, et a grousse foulle approchèrent la première
porte de l'entrée dudit colliege, laquelle fut deffendue
des Françoys et la herce abatue, qui fut incontinent
avironnée de fagotz, plains de souffre parmy, telle-
ment que ladite herce fut tout a coup bruslée et en
flamme. Ce faict, la eut combat a l'oustrance, car les
Gennevoys misrent tous leur effort de gaigner celle
entrée et les Françoys tout leur pouvoir pour la def-
i48 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Janv. 1507
fendre, comme ceulx qui a ce hazart voyoyent leur
honneur branler et adventurer leur vye ; ce qui tant
les hardya que a coups imraoderez respousserent les
Gennevoys et malgré eulx resfortifierent leur entrée.
Jucques a temps feray sillence de ce siège pour tou-
cher d'aucunes choses que le Roy lors exploictoit en
son Royaume de France.
XV.
Gommant le Roy, sachant la rébellion de sa cyté
DE Gennes et les exploigtz par cy devant faictz,
SE MIST A CHEMIN POUR TIRER CELLE PART ^
De la rébellion de Gennes et de tous les effors
qu'elle avoit ja faictz fut incontinant le Roy par ses
postes adverty ; de quoy ne se meust que bien a point,
mais bien pença de y pourvoir a l'ayde de Dieu et en
faire telle raison que ce sera au chasty d'icelle pour
jamais et a la craincte des mutins-, disant que luy
mesmes ira en personne pour veoir a l'ueil le deffault
des meschans et deuement le réprouver, et cognoistre
le bienfaict des vertueulx pour a temps le rémunérer.
Mais, premier que desemparer, mist ordonnée pollice
es affaire de son royaume, tant a Testât de justice que
1. Une miniature du ms. (fol. xliv v") représente la marche du
roi à travers la campagne : le roi sur un cheval blanc, suivi d'un
cardinal et de seigneurs, précédé d'archers, suivi d'hommes
d'armes.
2. D'après Giustiniani {Annales), le cardinal de Finale s'inter-
posa à deux reprises pour engager les Génois à une soumission
amiable.
Janv. 1507] COMM» LE ROY ... SE MIST A CHEMIN, ETC. 149
a la seureté des pays, voulant que, a la garde de son
pays et duché de Bourgoigne, messire Loys de la Tri-
moulle, en qui avoit singulière fience, avecques huyt
cens hommes d'armes et grant nombre de gens de
pied, son lieutenant gênerai demeurast.
Ce faict, entour la fin du moys de janvyer, en l'an
susdit mil V et six, se mist a chemin^ tirant droict a
Bourges. Tous les gentishommes de sa maison, archiers
de la garde, allemans, et generallement tous ses pen-
cionnaires, le suy virent^. Maistre Georges, cardinal
d'Amboise, qui plus d'octorité avoit envers luy que
nul autre, estoit tousjours avecques luy; lequel avoit
le maniment de toutes ses affaires, pour icelles voir,
cognoistre et despescher. La Royne, pareillement,
voyant l'entreprise du Roy touchant le voyage de delà
les mons, pour le vouloir, s'elle peust destourner, le
suyvit; et, lorsqu'elle ne luy ozoit dire par doulces
remonstrances ou amyables parolles son intencion sur
l'empeschement dudit voyage, par contenance de face
triste et chère marye luy faisoit entendre souvant le
segret de sa pencée. Mais tout ce dissimuloit il très
sagement, en tant que tousjours fut ferme en son pro-
pos ; combien que plusieurs ne louoyent ledit voyage,
disant qu'il n'estoit mestier que la personne du Roy,
pour une seulle rébellion de villains, se deust partir
du Royaume ne prandre si lontain voyage. Mais tout
1. Louis XII quitta Blois le 29 janvier. Du moins, il passa à
Montrichard les journées des 30, 31 janvier, 1", 2 el 3 février et
arriva à Bourges le 20 février. On trouve dans cette lenteur trace
de l'influence de la reine (Arch. nat., KK. 88, fol. 83 et suiv.).
2. Une miniature du Voyage de Gênes, de Jean Marot, fol. 2,
représente les préparatifs de départ : on démonte les canons, on
plie les étendards, on essaie les cuirasses. Au fond, la mer.
150 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Févr.-Mars 1507
ce fut pour néant, car a toute diligence fera, ce dit,
son entreprise. Et, luy estant a Bourges ^ transmist
devant a Lyon ledit cardinal d'Amboise, légat en
France^, pour faire despescher ses postes sur son
affaire et ouyr les ambaxades, si aucunes en venoit, et
icelles despecher sur le champ, affin que pour elles
ne retardast son voyage.
Le pape, qui lors estoit a Boulongne la Grasse, ou
avoit mandé et promys au Roy de l'actendre et parler
a luy, sachant son partement pour aller delà les mons,
faignit d'estre mal disposé et malade. Par quoy, au
moyen de ce que le Roy des Romains faisoit publier
et dire que le Roy alloit delà les mons pour occuper
les Ytalles et faire du siège apostohcque a son vouloir
a ceste occasion (comme se disoit), le pape n'actendit
le Roy a Boulongne, comme luy avoit mandé mais,
s'en alla a Romme^.
1. Il ne quitta Bourges que le 5 mars (Arch. nat., KK. 88,
fol. 109 yo).
2. Par des patentes de janvier 1507, Louis XII fonda dans la
cathédrale de Rouen un obit annuel, moyennant deux muids de
sel par an (Arch. de la Seine-Inférieure, G. 1112).
3. Il quitta Bologne le 22 février (Paris de Grassis, p. 152). Ce
brusque départ étonna tout le monde et donna lieu à toute sorte
d'interprétations. En réalité, Jules II était très ému des événe-
ments de Gênes et de l'arrivée du roi et hanté de cette idée (qu'on
ne put jamais lui arracher) que le cardinal d'Amboise allait cher-
cher à se faire proclamer pape (Ibid., p. 138 et suiv.). De plus, il
était favorable au parti populaire de Gênes : en conflit avec le
gouvernement génois, il n'avait pas hésité à décerner contre lui,
le 22 décembre 1505, un monitoire et des lettres de citation en
Chambre apostolique. Gènes n'en avait tenu nul compte, et, le
3 avril 1506, le prieur do Saint-Mathieu, le prévôt de Saint-Luc
à Gênes, conservateurs des privilèges apostoliques, avaient solen-
nellement déclaré nuls ces documents (Bibl. de l'Université de
Gênes, ms. ¥<=, fol. 188).
Févr.-Mars 1507] COMM* LE ROY ... SE MIST A CHEMIN, ETC. 151
Alors, ainsi que le Roy des Rommains sceut que le
Roy se deliberoit de s'en aller a son voyage de Gennes,
voulant celuy empescher a son pouvoir, pença la
manière commant il le pourroit faire au plus couvert.
Or, avoit il ung gentilhomme des siens, bailly de Ghar-
roloys, lequel avoit son hostel en Bourgongne, près
de la maison d'ung nommé Françoys Deschesnoy, sei-
gneur dudit lieu, estant des gentishommes de la mai-
son du Roy, duquel le bailly de GharroUoys avoit
quelquefoys parlé au Roy de Rommains. Et, a ce
propos, luy en souvint, disant a celuy bailly : « Il est
besoing que vous ayez a parler a celuy Deschesnoy,
qui est de la maison du Roy de France, et que entre
autres choses luy deissiez que de ma part je vouldroys
bien avoir au Roy de France bonne amytié et seure
confédération, et que a moy ne tiendra que amour et
paix ne soit tous temps entre luy et moy parfaictement
unye. » En quoy s'aquicta celuy bailly, en manière
que au moyen de ce que leursdites maisons estoyent
assez près l'une de l'autre et confines, trouva celuy
bailly façon d'aller veoir ledit seigneur Deschesnay ; et
eulx ensemble se firent très bonne chère, et de parolle
a autre entrèrent en propos de leurs maistres, disant
ledit bailly que, au regard de son maistre, le Roy des
Romains de sa part auroit voluntiers amytié au Roy
de France et que a luy ne tiendroit. Sur quoy fist res-
ponce ledit s'" Deschesnay : « Si le Roy des Romains,
vostre maistre, veust avoir paix et amytié avecques le
Roy mon maistre, de son costé ne tiendra que bons
amys ne soyent, car c'est une chose qu'il désirent bien
fort. » Tant allèrent paroUes en avant que ledit bailly,
après ce, s'en alla devers le Roy des Rommains, son
152 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mars 1507
maistre, et l'advertist desdites parolles ; lesquelles,
Guyes par le Roy des Rommains, vouUant, soubz
ombre d'une paix fourrée, retarder ou arrester le
voyage du Roy, renvoya de rechief a toute dilligence
ledit bailly devers le s"" Deschenoy pour luy dire, de
la part du Roy des Rommains, que la chose que plus
au monde desiroit c'estoit que avecques le Roy de
France eust fraternelle amytié et unyon paisible ; ce
que ledit bailly dist audit seigneur Deschenoy. « C'est
très bien dit, dist il, mais avez vous charge expresse
de vostre maistre, le Roy des Romains, de dire ce que
vous dictes? — Ouy, dist le bailly, et suys cy envoyé
de par le Roy mon maistre pour le vous dire et de ce
vous advertir, affin que en faciez le rapport ou vous
devez, d Ce dit, celuy seigneur Deschenoy a toute dilli-
gence ce transmist devers le Roy pour l'avertir desdites
choses et y adviser a son plaisir; puys s'en alla après
en court et mena quant et luy ledit bailly de Charrol-
loys, lesquelz furent a Rourges devers le Roy, le
X® jour de feuvrier. Et, eulx la arrivez, celuy bailly
alla faire son message au Roy, disant : « Sire, le Roy
des Romains, mon maistre, se recommande bien fort
a vous et m'a donné charge de vous dire qu'il désire
sur toutes choses avoir bonne amytié avecques vous
et faire a vous une paix si asseurée et telle confé-
dération que jamais entre vous deux de sa part ne
fauldra, disant que, au regard de toutes vielles ques-
tions, il les veust mectre en oubly et demeurer vostre
bon frère et perpétuel amy. Et, affin que de ce soyez
myeulx asscuré, plaise vous, sire, me bailler quelqun
de voz gcntishommes pour s'en venir devers mon
maistre et savoir de luy s'il advoura lesdites choses. »
Mars 1507] COMM» LE ROY ... SE MIST A CHEMIN, ETC. 153
A quoy fist le Roy responce que ausi de son costc ne
demandoit au Roy des Romains que avoir paix et
unyon; dont, pour savoir isi vérité desdites choses,
délibéra y envoyer quelqun et transmist quérir ung
sien varlet de chambre, nommé Mascé de Villebreme\
lequel estoit lors a Bloys, et, sachant ses nouvelles,
s'en vint en poste devers le Roy, qui le despescha sans
luy donner autre charge que de aller, avecques ledit
bailly, devers le Roy des Romains, savoir si les
choses dictes par celuy bailly estoyent vroyes et s'il
les advouoit. Si s'en allèrent iceulx droict en Bour-
goigne et par la conté de Ferrete, puys entrèrent en
AUemaigne, ou trouvèrent le Roy des Romains dedans
une ville nommée Estrabourg, et la receut le messa-
ger du Roy, en la présence dudit bailly de Charroloys.
Apres ce, demanda le Roy des Romains a celuy de
Villebreme quelle charge il avoit du Roy pour luy
dire, lequel dist : « Sire, je n'ay autre charge, si n'est
que, a la requeste du bailly de Gharrolays, que voycy,
le Roy mon maistre m'a cy envoyé pour savoir si les
choses que icelluy bailly a dictes de par vous a mon-
dit maistre sont vrayes et si vous les ad vouez. » Lequel
les advoua. Et, après plusieurs autres parolles, le Roy
des Rommains dist que le Roy entreprenoit de s'en
aller delà les mons pour faire la guerre a Gennes, qui
estoit terre d'Empire, ce qu'il ne devoit, et qu'elle
n'estoit sugecte ne tenue a luy ne a la couronne de
France; par quoy, s'il y alloit a main armée, qu'il
1. Valet de chambre du roi et poète, ami de G. Crétin, qui lui
adressa une épître où il exalte fort Jean d'Auton (ms. fr. 1711,
fol. 13). Nous avons parlé, dans notre Histoire de Louis XII, de la
famille de Villebresme, héréditairement attachée au service de
Louis XII et de ses pères, au château de Blois.
154 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mars 1507
donneroit tout le secours au[x] Gennevoys qu'il pour-
roit. Et, en oultre, dist : « Vostre maistre le Roy de
France s'en va sur les Italles pour icelles occupper et
veust mectre le papat entre ses mains pour en faire a
son vouloir ; ce qui est de nostre magesté impériale,
ne a autre prince appartient soy entremectre du siège
romain, que a nous seullement, car c'est de nostre
affaire impérial. » Ainsi se mist au champs sans parler
plus de la paix, mais a toutes fins concluoit d'empes-
cher le voyage et entreprise du Roy; et, pour ce, des-
pescha ledit bailly et luy bailla instructions scelon
l'oppinion de son conseil; et, ce faict, les susdits s'en
retournèrent vers le Roy. Advint que ledit bailly, en
venant en France avecques ledit Villebreme, aprocha
de sa maison, disant qu'il luy failloit par la passer.
« Or bien, » dist le messager françoys, « je m'en voys
doncques devant, pour assavanter le Roy de vostre
retour. » Ce que fist, et le plus hastivement qu'il
peust, et tant que a la my mars fut a Lyon sur le
Rosne, ou illecques trouva maistre Georges, cardinal
d'Amboise, légat en France, auquel dist et racompta
tout ce qu'il avoit ouy et sceu du Roy des Romains et
comment il envoyoit de rechief le bailly de Gharroloys.
Dont ledit légat envoya celuy messager a toute dilli-
gence devers le Roy, qu'il trouva entre la Bresle et
Lyon, et la advertist de toutes les choses susdites et
commant a son advys le Roy des Romains faisoit
toutes ses choses pour vouloir retarder son voyage
de Gennes; par quoy, scelon son advys, le meilleur
estoit de haster sondit voyage, ce que fist le Roy, car
il ne coucha que une seulle nuyt a Lyon * , et le lende-
i. Le 23 mars (Arch. nat., KK. 88, loi. H2 v»).
Avril 1507] COMM» LE ROY ... SE MIST A CHEMIN, ETC. 155
main tira droict a Grenoble^. Tandys, ledit bailly
arriva a Lyon, ou fut receu par ledit cardinal d'Am-
boise, lequel ouyt son dire ; et, entre autres propos,
comment le Roy des Romains disoit qu'il estoit déli-
béré, si le Roy alloit faire la guerre aux Gennevoys,
de leur donner tout le secours et ayde qu'il pourroit ;
et que si le Roy entreprenoit sur le Sainct Siège apos-
tolicque, qui estoit de sa magesté impérial, que il luy
contraryeroit a son pouvoir. Et, sur ce point, reprist
le cardinal d'Amboise celuy bailly, disant ainsi :
« Gommant l'entend le Roy des Romains, vostre
maistre? Il sembleroit, a ouyr vostre dire, que nostre
Sainct Père le pape et les cardinaulx ne fussent que
pour luy seul I » A quoy celuy bailly fist responce que
ausi n'estoyent ilz. Mais son propos luy fut, sur ce,
par ledit cardinal d'Amboise rabatu, en manière qu'il
se trouva pour l'eure mal pourveu de soustenables res-
ponces ; et eurent entre eulx parolles picquantes, tant
que a la parfin ledit bailly se trouva estonné. Toutesfoys
s'en alla a Grenoble devers le Roy, ou dist sa charge,
et fut du Roy doulcement accueilly. Auquel bailly fist
responce, que de sa part, combien que le Roy des
Romains luy vouloit empescher sôn voyage, ja pour-
tant ne s'aresteroit, mais iroit en armes le plus tost
qu'il pourroit ; et, s'il y avoit au monde homme qui se
trouvast au devant pour le vouloir empescher, qu'il
luy donneroit la bataille et se mectroit par armes en
tel effort de passer qu'il esperoit, avecques l'aide de
Dieu, qui est l'escu des justes querelles, que se seroit
par sur le ventre de ses ennemys. Ce dit, celuy bailly
1. Il y arriva le 29 {Ibid., fol. 113).
156 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
s'en retourna vers le Roy des Romains; et le Roy,
faict ses pasques a Grenoble, le lendemain, comaince-
ment de l'an mill V et sept*, se mist a la voye et
lessa la Royne tout adoullée pour son département.
Le temps durant que lesdites ambaxades venoyent
de devers le Roy des Romains, le Roy fist despescher
ung nommé Gabriel Fourestier, Roy d'armes de Nor-
mendye, lequel envoya devers le Roy d'Angleterre
qu'il trouva a Londres, et la ouyt ledit Roy d'armes
sur sa charge, telle que le Roy, comme confédéré et
amy dudit Roy d'Angleterre, luy faisoit assavoir son
voyage de delà les mons, en le priant que tousjours
ensemble fussent bons frères et loyaulx amys, comme
tousjours de leurs temps avoyent esté. A quoy res-
pondit le Roy d'Angleterre : « James, dist il, ne luy
fauldray, et, avecques ce, si le Roy de France, mon
frère, a mestier de mon ayde, moy mesmes en per-
sonne me trouveray a son besoing et affaire. » Ce
dit, le Roy d'armes, après avoir ouy sa bonne res-
ponce, s'en alla devers le Roy, auquel dist ce que, de
par le Roy d'Angleterre, avoit en charge de dire, dont
le Roy fut bien joyeulx^.
1. Légère inexactitude. Pâques fut le 4 avril, et le roi ne quitta
Grenoble que le 6; mais il marcha à grandes journées lArch.
nat., KK. 88, fol. 136 et suiv.). Saint-Gelais dit à tort que le roi
quitta Grenoble le 3 avril.
2. Nous avons le texte de cette réponse, affectueuse, mais
moins aflirmative que ne le dit Jean d'Auton. Un héraut ne pou-
vait recevoir de mission diplomatique proprement dite. Norman-
die avait pour charge de demander simplement une extradition
et de rappeler en même temps les communications antérieures
de l'ambassadeur Marratin. Il remit sans aucun doute une note
écrite, car il reçut une réponse écrite, également en forme
de note, signée d'un secrétaire. Dans cette note, en français, en
réponse à la remonstrance de Normandie, olïicier d'armes de
Avril 1507] COMM' LE ROY ... SE MIST A CHEMIN, ETC. 157
Ausi, quelque temps devant ce, a voit le Roy envoyé
ung s[i]en segretaire, nommé maistre Jehan Bou-
chier, vers le pays des Ligues, pour savoir le vouloir
des seigneurs des ligues et quantons des pays sur le
consentement de tirer et avoir dudit pays ung nombre
de gens ; a quoy lesdits seigneurs des ligues et quan-
tons donnèrent leur consentement. Dont le Roy, de ce
adverty, transmist devers messire Jehan de Durefort,
seigneur de Duras ^, estant lors delà les mons en la
duché de Millan, auquel manda que a toute dilligence
s'en allast devers aucuns des seigneurs desdites ligues
et quantons, et que la choisist, prist et levast jucques
au nombre de dix mille poyes, ce qu'il fist. Et, iceulx
levez et prestz de marcher, eurent le premier de leur
payement, ains que desemparer leur pays, disant que
ainsi l'ont de costume ; et, de vray, ja ne marcheront
ung pas qu'ilz ne voyent la croix devant. Le heutenant
du Roy, qui lors estoit a Millan, sachant lesdits Suyces
marcher, leur envoya au devant messire Jehan de
Bessey, gruyez de Bourgoigne, pour iceulx recepvoir.
Lequel s'en alla a une ville nommée Varaiz, de la
France, le roi d'Angleterre proteste d'une^vive et intime amitié
avec la France ; il approuve le désir de Louis XII de châtier les
Génois rebelles. Quant à la communication couverte que Louis XII
lui a faite des projets de ligue contre les Vénitiens, il se réserve
et attend des explications ultérieures. Louis XII a fait réclamer
par Normandie l'extradition d'un génois rebelle, Iheronimo Sauly,
qui s'est enfui en Angleterre de Lyon, où il était interné. Le roi
proteste qu'aucun Génois ne se trouve en Angleterre; néan-
moins, les recherches continuent (datée de Richemont, 30 avril
1507; fr. 2930, foL 11).
1. Lieutenant de la compagnie d'Albret, puis capitaine de
50 lances (Quittance de 1512; fr. 26112, 1067), il prit pour lieute-
nant le dauphinois François de la Font de Savines (A. Rivalii,
De Allobrogibus, p. 541).
158 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
duché de Millan, et la receut iceulx Suyces, lesquelz
n'estoyent ancores tous assemblez ; mais partie d'eulx
avoit marché devant et les autres venoyent après.
Audit lieu de Varaiz fut faict au premiers venus second
payement. Ce faict, partirent dudit lieu de Varaiz et
marchèrent jucques en Allexandrye, ou séjournèrent
quelque temps, en actendant le surplus de leur suyte,
qui ancores estoit derrière.
Messire Charles d'Amboise, lieutenant du Roy, fut
adverty lors que les autres du demeurant desdits
Suyces marchoient vers Varaiz ; par quoy leur envoya
messire Jehan de Bessey pour iceulx recevoir, comme
avoit faict les autres, lequel y alla et les trouva ja
arrivez, ou pouvoyent estre en nombre troys mille
cinq cens, lesquelz fuient la pareillement payez. Et,
après leur payement faict, firent aucune difficulté de
marcher en avant, disant qu'ilz ne savoient si leurs
gens estoyent devant ou non, et que sans eulx
n'yroyent oultre, et tout plain d'autres propos signi-
fiant quelque don par les capitaines, ce que entendit
bien ledit messire Jehan de Bessey ; dont mist la main
a ses coffres, sans espairgner pourpoins et soyes de
veloux et autres bagues qu'il leur donna, et fist tant
qu'il les fist marcher droict a leurs compaignons, qui
d'Alixandrye ne voulurent partir que premier ne fus-
sent asseurez que ceulx qui après eulx venoyent ne
fussent hors le lieu de Varaiz pour tirer vers eulx,
disant que, s'il n'estoyent tous ensemble, ja ne se
trouveroyent en camp pour combatre. Toutesfoys, par
dons et promesses que leur firent les capitaines de
l'armée de France et autres gentishommes françoys,
ilz se misrent tous en avant.
Avril 1507] COMM' LE ROY TRANSMIST MAISTRE GEORGES. 159
XVI.
Gommant le Roy transmist maistre Georges, car-
dinal d'Amroise, devant, en Ast, pour avancer
son affaire et faire haster son armée; et du
NOMBRE DE SES GENS d'ARMES ET AUTRES CHOSES
SUR LE FAICT DE LA GUERRE.
A toute dilligence passoit le Roy son pays du Daul-
phiné, et prist son chemin, de Grenoble a Gap, a
Ambrun, a Brianson, au mont Genevre, a Ourse \ ou
la luy vint au devant le duc de Savoye-, bien accom-
paigné de seigneurie de son pays, lequel conduist le
Roy jucques a Moncalier, une de ses villes de Pie-
mont.
Le Roy, ainsi estant a sondit voyage, transmist
devant le cardinal d'Amboise, en Ast, pour faire has-
ter son armée de marcher en avant. Car ja estoyent
passez long temps devant quatorze mille hommes de
pié, que conduisoient Mollart Suffray^, Allemant, gou-
verneur de Grenoble ; Jacques d' Allègre, seigneur de
Milho; messire Yves de Mallerbe, et autres capitaines
1. Le roi partit de Grenoble le 5 avril; il coucha le 5 à la
Mure, le 6 à Corps, le 7 à Gap, le 8 à Embrun, le 9 à Briançon,
le 10 à Oulx, le 11 à Suze, le 12 à Avigliana, le 13 à Villanuova
en Astesan, où il séjourna le 14. Le 16 il était à Asti (Arch. nat.,
KK. 88, fol, 137-138). D'Avigliana à Villanuova, le roi traversa
Moncalieri, mais sans s'y arrêter.
2. Par ordre du 8 avril, le duc avait prescrit de préparer des
logis pour le roi à Suze et lieux voisins {Atti délia Società Ligure,
p. 659).
3. Seigneur d'Uriage.
160 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
françoys qui estoyent delà les mons. Ausi estoit passée
l'artillerie et charroy d'icelle, dont l'une partie estoit
venue de France et l'autre de Millan, et le tout estoit
a Tourtonne.
Messire Charles d'Amboise, lieutenant du Roy delà
les mons, avoit ausi mandé tous les gens d'armes des
garnisons de la duché de Millan^ qu'ilz s'assemblassent
tous pour faire camp et marcher devers le bourg de
Buzalle, auquel lieu se de voit trouver toute l'armée
de France ; et ja estoient assemblez avecques les gens
de pié et l'artillerye a Tourtonne, près de marcher en
avant, estant en nombre, scelon ce que j'ay veu et
sceu audit lieu et au logys de ladicte armée.
Premièrement, les cent hommes d'armes de messire
Charles d'Amboise, heutenant du Roy, ayant lieu,
pour leur garnison, au Castellatz et a Tourtonne-; les
cinquante hommes d'armes de messire Phelippes de
Cleves, dont estoit lieutenant le bastard de la Clayette,
tenant leur garnison a Solieres^ près Felissent'^; cin-
quante hommes d'armes d'ung nommé Jehan Guil-
lerme, marquis de Monferrat, tenant garnison dedans
les villes dudit marquisat^ ; cinquante hommes d'armes
1. Dès le 4 mars, on apprenait à Venise que Ghaumont avait
défendu à Milan tout envoi d'argent à Gênes et qu'il avait fait
arrêter un cavalier porteur de 4,000 ducats, qui avaient été con-
fisqués (Sanuto, VU, 25).
2. Ghaumont avait hérité de la compagnie du sire de Lanque
(30 lances) à la mort de celui-ci (fr. 25784, fol. 76, l&bis).
3. Solero.
4. La monstre en fut faite le 16 octobre 1506 (Ms. Glairam-
bault 241).
5. Presque entièrement dans la capitale, à Casale (Monstre du
9 octobre 1504; ms. Glairambault 241).
Avril 1507] CUMM' LE ROY TRANSMIST MAISÏRE GEORGES. 161
de Francisque de Gonsago, marquis de Mantoue, duquel
est lieutenant ung nommé Guillaume GouffierdeBoisi',
estant en garnison en l'Astizane ; cinquante hommes
d'armes de Alain d'Albret, sire dudit lieu, soubz la
charge de messire Jehan de Dureffort, lieutenant dudit
sire d'Albret*, et cinquante de messire Jacques de
Chabanes, seigneur de la Palixe, a Parme ; cinquante
hommes d'armes de Gaston, conte de Foix, conduytz
par messire Rogier, baron de Beart, son lieutenant, a
Salles près Pavye^- cent hommes d'armes du seigneur
Jehan Jacques, tenant garnison a Pavye ; cent hommes
d'armes de messire Robert Stuart, escossoys, desquelz
la garnison estoit a Novarre^; cinquante hommes
d'armes de messire Jehan de Bessey, gruyer de Bour-
goigne ^, tenant garnison a Comme ; cinquante hommes
du seigneur de Montoison, en garnison a Lodes^ ; cin-
quante hommes d'armes de messire Anthoyne Marye
de Sainct Severin^; cinquante de messire Anthoyny
1. Guillaume Gouffier, seigneur de Bonnivet.
2. Lors de la monstre du 27 juillet 1505, cette compagnie était
réduite à 42 hommes et 98 archers (Parme; à la date, fr. 25784, fol. 82) .
3. Chargée de la garde du Tésin, au fort de « Salles, » à Pavie
(Monstre du 23 juillet 1505; ms. Glairambault 241), cette compa-
gnie avait été, à l'automne de 1505, transférée à Valenza, sur le
Pô (Monstre du 3 octobre 1505; ibid.).
4. Ils y revinrent après la campagne (Monstre du 13 avril 1507;
ms. Glairambault 241).
5. Le 17 janvier 1504 (1505), cette compagnie ne comprenait
que 45 lances et, en réalité, 44 hommes, 88 archers (Monstre;
fr. 25784, fol. 79).
6. Ils y avaient remplacé la compagnie Dunois (Monstre du
8 juillet 1504 ; ms. Glairambault 241).
7. Galeazzo di S. Severino avait une autre compagnie diffé-
rente, également de 50 hommes d'armes (Monstre du 26 mai 1509,
à Brescia; ms. Glairambault 241).
IV 11
162 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
Marye Palvesin, tous a Plaisance ; cinquante hommes
d'armes de messire Yves d'Allègre, tenant garnison a
l'Estizane; quarante hommes d'armes de Adryen de
Brymeu, seigneur de Humbercourt, en l'Astizane;
quarante hommes d'armes du seigneur de Ghastellart,
en l'Astizane * ; trente hommes d'armes du seigneur de
Fontrailles, en l'Astizane; xxv hommes d'armes de
messire Théodore Trevolce, a Mairignen ; les cent Alba-
noys de messire Mercure, en l'Astizane : lesquelz,
comme j'ay dit, avecques les gens de pié françoys et
l'artillerye, estoyent lors audit lieu de Tourtonne.
Maistre Georges, cardinal d'Amboise, estoit en Ast,
auquel lieu manda venir aucuns capitaines et gens de
conseil^ pour trecter des affaires du Roy. Par lequel
conseil fut conclut que les gens d'armes desdites gar-
nisons, avecques les piétons et.artillerye, a toute dil-
ligence marcheroyent droict a Bourg de Busalle,
xiiii mille près de Gennes, et de la, scelon la menée
et conduyte de messire Charles d'Amboise, lieutenant
du Roy, besoigneroyent ; et que la ausi se rendroyent
les dix mille Allemans qui estoyent venus du pays des
Ligues.
Et fut dit ausi que devers messire Yves d'Allègre,
qui lors a toute grosse puissance estoit a Savonne,
seroit envoyé, pour le faire rendre audit lieu de Bourg,
devers le lieutenant du Roy. Dont fut la transmys audit
lieu de Savonne ung des gentishommes du Roy, nommé
1. A « SérizoUes, » au comté d'Asti (Monstre du 29 juillet
1505; ms. Glairambault 241).
2. C'est sans doute à ce titre que Claude de Seyssel accompa-
gna le roi dans cette campague, qu'il décrit {les Louanges du bon
Roy de France..., édit. Godefroy, p. 44, 45).
Avril 1507J COMM' LE ROY TRANSMIST MAISTKE GEORGES. 163
celuy gentilhomme messire Jehan Picart, bailly d'Es-
tellan, lequel s'en alla a Savonne, et la advertist ledit
seigneur d'Allègre qu'il estoit appoincté que avecques
ses gens se rendroict au Bourg de Busalle, pour la se
joindre a l'armée du Roy et de la marcher en avant,
et qu'il failloit gaigner la montaigne pour tirer vers
Besaigne avecques partie de l'armée pour assaillir
Gennes de deux costez, dont estoit requis que toute
l'armée se trouvast a Bourg pour illecques estre
départie, si mestier estoit, ou mise a chemin droict a
Gennes.
Messire Yves d'Allègre, oyant les parolles de celuy
bailly d'Estellan, dist : « Je pensoye qu'il fust besoing
de garder la marine d'entre cy et Gennes pour l'ef-
froy que pourroyent par la les villains de Gennes faire
sur nostre armée; en quoy les eusse tousjours empes-
chez et tenu en seurté le chemin, et, avecques mes
gens d'armes, ladite marine et les environs de la ville
de Gennes tenu en craincte; mais puysqu'il est dit
qu'il fiault, toutes choses mises a part, se rendre a
Bourg, je transmetray la partye de mes gens et de
moy seray tousjours prest de me trouver ou mestier
sera. » Et, ce dit, envoya deux mille hommes audit
lieu de Bourg et demeura a Savonne jucques mestier
fust d'aller oultre. Ce faict, ledit gentilhomme s'en alla
devers le heutenant du Roy pour l'assavanter de ce
qu'il a voit faict.
Entre Gavy, terre des nobles de Gennes, et ladite
ville de Gennes, avoit plusieurs grous bourgs et fors
villages, comme Bourg Busalle, Pontadesme, Riveru^
]. Rivarolo.
164 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
Sainct Pierre d'Araine et autres lieux de la seigneurie
de Gennes, lesquelz estoyent demeurez inhabitez pour
double de la guerre, dont les habitans avoyent retirez
leurs biens a Gennes, et eulx gardoyent les montai-
gnes avecques la commune du pays, qui se nommoit
la comune de Poulcevre, de laquelle estoit capitaine
ung nommé Guilhon, par qui estoit venu l'occasion de
tout le mutin ; lesquelz villains estoient en nombre
de dix mille, ou plus, et gardoyent iceulx les montai-
gnes et passages du pays, si que nul n'y passoit qui
ne fust destroussé.
Et ausi du royaume de France venoit tant de gens
d'armes que toute la Savoye et le Daulphiné en estoyent
plains ; car tous les princes et grans seigneurs de ce
royaume (réservé Françoys d'Orléans, conte d'Angou-
lesme, seconde personne de France) y estoyent, et
grant nombre de jeunes gentishommes qui, sans gaiges,
pencent qu'il y eust la mortelle bataille et honneur a
aquerir, et, voyant la personne du Roy prendre le
voyage, se trouvèrent les ungs en poste, doublant n'y
estre a temps, les autres des premiers pour y estre
sans faillir.
Le Roy Ferrand d'Arragon, qui estoit lors a Naples
avecques dame Germaine de Foix, sa femme, laquelle
estoit nyepce du Roy, et sachant, ledit Roy d'Arra-
gon, l'entreprise du Roy sur la ville de Gennes, et
comme elle s'estoit rebellée, luy envoya par mer
(|uatrc galleres et deux fustes armées, desquelles estoit
capitaine ung nommé Miquel Pastour, lesquelles se
rendirent par la mer du Levant devant Gennes, ou
estoit ung nommé Pregent le Bidoulx, capitaine de
quatre galleres et de viii gallyons qu'il avoit pour le
Avril 1507] DU SIEGE DU CHASTEAU DE GENNES. 165
Roy, et ainsi tous deux assemblez tindrent Gennes en
telle sugection que homme sans leur mercy n'y avoit
entrée ou issue, et ne pouvoyent, pour leur destour,
Gennevoys avoir vivres ni autres choses a eulx néces-
saires par mer, ce qui moult les grevoit.
XVII.
Du SIEGE DU CHASTEAU DE GenNES ET d'uNG ASSAULT
TRES DUR QUE LA DONNERENT LES GeNNEVOYS.
Tousjours continuoit le siège du chasteau de Gennes,
qui sans cesser estoit par les Gennevoys batu et
assailly, mais si bien deffendu par les Françoys que
sur eulx ne gaignerent les ennemys ung seul fort,
dont leur ennuyoit moult. Et eulx, sachant la venue
de l'armée de France, qui ja estoit près plus fort
qu'onques, mais ruèrent coups et abbatirent murailles
de tous costez, et avecques ce firent mines soubz
terre pour tirer vers une tour de la place et icelle
ruer par terre.
Assez près du chasteau demeuroit une femme gen-
nevoise, de laquelle estoyent les Françoys bien vou-
lus, comme elle leur monstra ; car, ainsi que les Gen-
nevoys faisoient leurs mynes soubz terre pour les
vouloir surprendre, icelle monta au plus haull estage
de sa maison, qui en la veue du chasteau estoit, et se
mist en lieu ou ceulx du chasteau et de Sainct Fran-
cisque la pouvoyent bien adviser; et la, par plusieurs
foys et divers signes, leur monstroit commant on fai-
soit mynes soubz terre pour les prandre. Et après
chevauchoit ung baston et mectoit en sa main une
166 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
gaule longue, faisant manière de courir la lance, puys
faisoit ung estandart et monstroit comme leur secours
venoit de France. A l'autre foys leur monstroit ung
chat, qui estoit le cry du seigneur Jehan Louys, pour
bailler a cognoistre qu'il venoit, et a toute eure leur
faisoit divers signes, lesquelz ne peurent clerement
entendre les Françoys, si n'est qu'ilz se doubterent
des mynes qu'on faisoit soubz terre pour les signes
que ceste femme leur faisoit. Dont s'assemblèrent
messire Gallas de Salluzart, capitaine du chasteau,
Louys de Sainct Aulbin, capitaine de la cytadelle, et
Allabre de Saule, capitaine de Sainct Francisque, et
parlèrent ensemble de cest affaire, disant que celle
femme ne leur faisoit lesdits signes pour nyent. Par
quoy se doubterent et tindrent sur leurs gardes ; mes-
mement la nuyt se mirent contre terre, l'oreille aux
escoutes, ayant tabourins et des poix dessus, bassins
a barbier et aiguilles dedans qu'ilz posoyent aux lieux
ou pencoyent estre faictes les mynes, mais ilz n'y
cognoissoyent rien, car les Gennevoys, affin qu'on
n'entendist le bruyt de leursdites myne[sj, illecques
au plus près, et de nuyt, charpentoyent leurs eschelles,
manteaux et chevretes, et faisoyent le plus de bruyt
qu'ilz pouvoyent, mesmement es lieulx ou ilz faisoyent
leursdites mynes.
Or advint que, le mercredy de la sepmainc saincte,
Allabre de Saule, capitaine de Sainct Francisque, sur
le point de dix heures de nuyt, estant aux escoutes
avecques ses gens dedans le jardrin d'en bas, ouyt
myner soubz terre et le bruyt de leurs coups entendit,
dont tout en l'eure, sans bruit, envoya quérir aucuns
de ses gens, (jui guectoyent d'autre costé, esquelz se
Avril 1507] DU SIEGE DU CHASTBAU DE GENNES. 167
fioit; si leur dist ce qu'il avoit ouy, et les fist escouter
et ouyr pour savoir ce c'estoit myne, lesquelz dirent que
si estoit ; dont adviserent pour ce que a leur semblant
la myne tiroit vers une tour de leur fort et ja en estoit
a xiiii pas près ou environ, que la feroyent une tran-
chée et contremyne, et a la traverse, pour copper le
chemin a leurs ennemys, ce qu'ilz firent, en manière
que le lendemain, a mydy, jour de jeudy absoulu,
trouvèrent ladite myne et les Gennevoys dedans;
laquelle fut assaillye par les Françoys qui la estoyent
et deffendue des Gennevoys, ou furent blecez deux
d'iceulx Françoys ; mais, a grans patacz, furent iceulx
Gennevoys oultrez, tellement qu'ilz habandonnerent
lesdites mynes que les Françoys gaignerent et fortif-
fîerent de leur part, en manière que par la n'eurent
plus doubte de leurs ennemys.
Le vendredi sainct* et la vigille de Pasques, d'ung
costé et d'autre tirèrent quelques coups de menue
artillerye sans faire grant effort. Mais le lendemain^,
après que chascun eut faict ses Pasques, sur le point
de XI heures du matin, recomancerent les Gennevoys
a tirer de leurs grosses pièces d'artillerye, c'est assa-
voir de groux canons serpentins et grans coullevrines,
tirans tous boulletz de fer, lesquelz tiroyent de plu-
sieurs lieux, et mesmement d'ung lieu nommé Pavye
devers Besaigne, près d'ung colliege de nonnains, ou
la avoient ung fort rampar, et, des le commaincement
du siège, mys la ung gros canon, nommé le Lizard ;
ausi tiroyent d'ung autre lieu du costé devers Sainct
Uoch et de plusieurs autres lieux, ou avoyent faictz
1. Le 2 avril mourut près de Tours saint François de Pauie.
2. 4 avril.
168 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
fors et rampars, dont tirèrent contre le chasteau et
Sainct Francisque. Ainsi que celle baterye duroit, le
capitaine AUabre et partie de ses gens se misrent a
leur deffence, et la commaincerent a tirer coups contre
le rempar de leurs ennemys. Mais la grousse artille-
rye d'iceulx Gennevoys tiroit si menu qu'ilz ne se
ousoyent descouvrir, et tellement fut que l'ung des
cannonyers gennevoys estant audit rampar, nommé
Pavye, adressa vers une tour du jardrin ou estoit
ledit AUabre et aucuns de ses gens, en sorte que le
bouUet entra tout au travers de la tour et rua si roi-
dement que, des esclatz de la muraille, ledit AUabre
fut fort blecé au visage et dessoubz la tétine au costé
senestre, si qu'on pensoit qu'il fust mort. Troys
autres des siens furent ausi blecez et couvers d'ung
pan de ladicte tour, qui tumba sur eulx, en manière
qu'ilz cuyderent la estoffer; car homme n'ozoit la
approcher, pour les secourir, pour l'orrible baterie
qui la se faisoit. Mais, puys peu après la force de
ladite baterye cessée, ledit AUabre et ses gens blecez
avecques luy, par aucuns des autres des siens, furent
tirez et emportez et mys en la litière.
XVIII.
Gommant les Gennevoys assaillirent a toute force
LE chasteau de GeNNES , ET DE LA MERVEILLEUSE
DEFFENCE QUE LA FIRENT LES FrANÇOYS ^ .
Merveilleuse lui celle baterie tout celuy jour de
1. Fol. Lin tlu ms., miniature, représentant l'assaut : une
troupe, avec des échelles, sort d'une porte (« Gennesi)), gravit une
Avril 1507] COMM' LES GENNEVOYS ASSAILLIRENT, ETC. 169
Pasques; le lundi, le mardi et le mercredi \ sans
cesser, ruèrent coups les Gennevoys, sans ce que ceulx
de la place eussent repoulx de leur part ; car, si ceulx
de la ville envoyoyent souvant de leur relief au chas-
teau, de mesmes maiz estoyent servys, et tant que au
travers de la ville et sur le siège y parut jucques a
l'extimation de plus de cent mors et de deux cens
blecez. Plusieurs de ceulx du chasteau furent ausi
blecez et mors. Quoy plus? Si n'est que les Gennevoys,
voyant approcher l'armée de France pour secourir le
chasteau et assi[e]ger Gennes, disrent : « Il nous est
mestier, a ceste foys, de prendre noz ennemys d'as-
sault ou lever nostre siège pour aller au devant de
l'armée de France et luy donner la bataille. Mais,
pour le meilleur, devons nous efforcer a prendre
ceste place; car, si une foys elle est entre noz mains,
prince du monde jamais ne nous assauldra; et ausi,
en faillant a ce, nous summes frustrez de nostre inten-
cion et decheuz de nostre entreprise. Pour ce, mec-
tons les mains a l'œuvre, et que chascun de nous y
face tel devoir que soit jucques a l'augmentation de
nostre honneur et au profîct de nostre seigneurye. »
Telles parolles dirent aucuns des s'eigneurs gennevoys
pour donner cueur au peuple et bon vouloir a leurs
souldartz. Dont advint que, le mercredi de Pasques,
entre une et deux heures après mydi, lesdits Genne-
voys commaincerent a sonner leur assault de trom-
montagne au bord de la mer, escalade une enceiute fortifiée, dont
fait partie une église, sur le toil de laquelle on lit : S. Franciscus.
Au fond de cette enceinte, au sommet de la montagne, un fort,
portant l'inscription : Gastelet.
1. 4, 5, 6 et 7 avril.
170 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
petes et groux tabourins, a grant bruyt de criz et
tumulte de peuple, et, avecques grant nombre d'es-
chelles, pavoys, manteaulx. chevretes et autres choses
nécessaires pour donner assaulx, aproclierent Sainct
Francisque du costé du jardrin et en plusieurs autres
lieux brechez. Et la, de première advenue, droisserent
en divers lieux plus de quatre cens eschelles et com-
maincerent vigoureusement a monter.
Messire Gallas, capitaine du chasteau, Loys de Sainct
Aulbin et leurs gens, avecques ceulx de Sainct Fran-
cisque, furent tous arrengez aux brèches et lieux qu'il
failloit deffendre, garnys d'artillerye , de trect, de
grosses pierres, de lances a feu, de huysles bouUans,
de potz plains de souffre et de chaulx vive pour ruer
sur les premiers qui se hasteroyent de monter. Que
fut ce? les Gennevoys, en nombre de plus de xxx mille,
environnèrent tout le colliege Sainct Francisque et se
misrent a grosses escoadres pour assaillir a relays,
disant que, lorsque les ungs seront mors, lassez ou
affoliez, des autres prendront leur place. Et, ainsi
amonceliez comme pourceaulx, a la fouUe se mirent
a monter leurs eschelles. Qui eust lors veu grans
coups de main donner sur ses eschelleurs, emporter
testes et bras et renverser Gennevoys du hault des
eschelles en bas, et l'ung sur l'autre acravanter a
groulx monceaulx eust heu horreur de l'affaire. Mais,
quant les ungs estoyent abbatus, les autres remon-
toyent très hardyment. Aucuns des nostres, estans au
dedans des tours et sur les deffences, tiroyent trect
et artillerye a la mouhée, tellement que grant occision
en faisoyent. Mais pourtant homme ne desemparoit.
Tousjours duroit le combat main a main sur les
Avril 1507] COMM^ LES GENNEVOYS ASSAILLIRENT, ETC. 171
eschelles, qui estoyent cramponnées pour actachcr a la
muraille et toutes plaines de Gennevoys, qui a toute
puissance s'efForçoyent d'entrer; mais les Françoys
du dedans leur deffendoyent de telle force que, des ce
qu'ilz mectoyent le pié hors l'eschelle pour voulloir
entrer, ilz estoyent sans faillir renvercez du hault en
bas. Tant fut sanglant ledit assault que toutes les
eschelles et la muraille ou le combat se faisoit estoyent
enrougyes de sang. Durant ce dur assault, comme les
Gennevoys s'efforçoyent de tous costez vouloir entrer,
les Françoys adviserent ung heu nommé la Garace^,
contre l'eghse Sainct Francisque, qui est une voulte
ou l'on mect les mors, ou avoit ung bout de muraille
rompu a passer troys hommes de front ; et, pencent
que par la s'efforceroyent aucuns Gennevoys d'entrer,
pour leur donner une amorce, firent la une traynée
de pouldre a canon ; puys aucuns des Françoys, avec-
ques son feu tout prest, se mist a touchant de sa tray-
née, et la, en actendant, vit venir ses gens et entrer
par ladicte brèche, jucques au nombre de trente ; les-
quelz entrez, le boutefeu fut près et emflamée la
traynée, en manière que des trente en brulla xxii.
Les autres, qui estoyent les plus pr^fes de la brèche, se
gecterent a bas, tous affoliez, et les autres ardirent
sur le lieu. Sans cesser duroit ce mortel assault, et
tant que les Françoys estoyent moult fouliez et com-
batus; car ja en y avoit bien xx mors et quarante de
blecez; et, pour ce, ne perdoyent coup a donner, car,
a les voir besoigner, tant plus combatoyent, tant plus
etïbrçoyent leurs coups. Somme, ses pauvres soul-
1. Probablement carnajo (charnier).
172 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
dartz firent merveilles d'armes ; ausi estoit la messirc
Gallaas de Salluzart, qui frappoit au désespéré. Depuys
deux heures après mydi jucques a la nuyt dura celuy
assault, que les Gennevoys ne voulurent, pour mou-
rir tous, habbandonner, jucques a grans lances de feu
et cercles plains de souffre ardant, huisles boulant et
chaulx vive, ilz fussent par les Françoys chassez de
leurs eschelles, lesquelles a la parfin habbandonnerent,
dontlesdits Françoys en gaignerent bien troys cens, les-
quelles depuys je viz audit chasteau de Gennes. Ainsi
se retirèrent les Gennevoys, mais non pas tous ; car, par
avoir ouy dire a plusieurs de ceulx qui audit assault
furent, plus de quatre cens hommes mors demeurèrent
au pié de la muraille, et y furent plus de six cens ble-
cez. Mais pourtant ne levèrent leur siège; ains, le len-
demain, qui fut ung jeudi après Pasques, recommain-
cerent la baterye de plus belle, laquelle continuèrent
VIII jours sans cesser. Durant lequel temps, ung fran-
çoys, capitaine de mer, nommé Pregent le Bidoulx,
avecques quatre galleres qu'il avoit, et mi de celles
d'Espaigne, qui la estoyent venues pour servir le Roy,
suyvit et chassa une fuste gennevoyse jucques dedans
le tercenaP de Gennes, qui est ung lieu au bout du
moule et contre la ville 2, ou les barches et fustes qui
apportent vivres a Gennes viennent aborder pour faire
leur descharge. Dont voyant, les Gennevoys, ainsi
approcher les galleres de France, prindrent leur
1. Jeun d'Auton traduit ainsi, à ce qu'il nous semble, le mot
Dai'sena.
2. Prégent, avec une bravoure extraordinaire, lit trois fois le
tour du port, enseignes déployées, sous le feu de la ville, puis
alla jeter l'ancre à trois milles de là (Salvago).
Avril 1507J COMM' LES GENNEVOYS ASSAILLIRENT, ETC. 173
grosse arlillerye et la portèrent sur le moulle pour
celuy deffendre, et sur les passaiges ou pençoyent
venir les Françoys. Ainsi cessa la baterye duchasteau.
Et eulx, voyant que la ne feroyent rien de leur prof-
fit, firent ung fort bastyon sur le sommet de la mon-
taigne de Gennes, au droict de la venue des Françoys,
et la misrent grosse garnison de gens d'armes et
bonne artillerye. Ausi misrent gens au Castellat pour
secourir ledit bastion et faire saillyes et allarmes sur
les Françoys s'ilz approchoyent Gennes. Pareillement
firent fors et barrières tout le long de la montaigne,
au pié et sur la cruppe d'icelle, et empescherent tous
les passaiges, et a tous costez misrent artillerye pour
tirer a la venue des Françoys, et misrent xiiii ou
XV mille hommes en armes sur lesdites montaignes,
et partye d'iceulx envoyèrent jucques a la venue du
bourg de Busalle, pour la commaincer a empescher
le passaige aux Françoys.
Le Roy a toute dilligence avançoyt lors son voyage,
lequel arriva en Piemond ung mardi de après Quasi-
modo^ et, sans aucun séjour, s'en alla droict en Ast^.
Au devant de luy vint Charles, duc de Savoye, comme
dit est, accompaigné des seigneurs-de son pays, avec-
ques grant nombre de gentishommes et prelatz d'Eglize ;
et, la, luy offrict de sa part service de sa personne,
secours de ses gens et les clefz de ses villes, en le vou-
lant accompaigner a son voyage de Gennes, s'il luy
plaisoit. Desquelles choses le remercya le Roy bien
1. Nous avons dit plus haut qu'il arriva à Suze le samedi soir
H avril, samedi de Pâques. Il alla le 12 au matin à l'abbaye de
Suze, le 13 à l'église Notre-Dame d'Avigliana, le 14 et le 15 à
l'église Saint-Paul de Villanuova d'Asti.
2. Il arriva à Asti le 15 avril au matin (Desjardins, II, 233).
174 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
fort; et puys s'en alla en sa ville et conté d'Ast, ou
illecques fut receu des seigneurs du pays et peuple de
la ville a grant joye; et prist son logis cheulx ung
nommé messire Allixandre Malbelle, ung de ses maistres
d'oustelz, lequel estoit moult bien logé a certes. La se
trouvèrent des princes et seigneurs des Italles, Alphons
d'Ast, duc de Ferrare*; Francisque de Gonsago, mar-
quis de Mantoue, lequel avoit rencontré le Roy a Veil-
laine- en Piemond; Jehan Guillerme, marquis de Mon-
ferrat; le seigneur Jehan Jourdan des Ursins, lequel
pareillement estoit allé au devant du Roy jucques a
Grenoble; messire AlUxandre de Bientivoille, filz de
messire Jehan de Bientivoille, gouverneur feu de Bou-
loigne la Grasse, estant lors prisonnier entre les mains
du Roy; le conte Ludovic Bourronmé, et grant
nombre d'autres Italliens et Lombars, estans la venus
montez et armez, avecques grousse suyte de gens
d'armes pour servir le Roy a son voyage et guerre
de Gennes.
La séjourna le Roy par l'espace de quatre jours 3,
pour ung peu se refreschir\ et ce pandant fist mectre
son armée a chemin, laquelle messire Charles d'Am-
boise, son lieutenant, conduysoit, et ordonna icelle
marcher droict a bourg de Busalle : ce qui fut faict.
Et voulut ausi que messire Jehan Jacques demourast
en la duché de Millau, pour faire la provision des
1. Successeur d'Hercule d'Esté, son père, depuis 1505.
2. Avigliana.
3. Cinq jours. Il en repartit le 20 pour Felizzano. Il alla le
matin du 17 à l'église des Jacobins, le 18 à l'église Saint-Segond,
le 29 au prieuré de la Madeleine, le 16 et le 20 au Dôme.
4. D'Asti, il fit écrire par l'ambassadeur d'Espagne une lettre
qui proposait aux Génois un arrangement amiable et paternel
(Salvago).
Avril I507J COMM' LES GENNEVOYS ASSAILLIRENT, ETC. 175
vivres et se donner garde du pays : ausi y avoit ja
po[u]rveu messire Charles d'Amboise, en manière qu'il
avoit donné charge a quelques marchans du pays d'en
faire le plus grant prochas que possible seroit ; et
avecques iceulx avoit ma[r]chandé et baillé cinq mille
escus d'avance, lesquelz s'en aquitterent très a poinct.
Les Venissians estoint lors a grosse armée en la
conté de Crémone, terre de Millan; lesquelz ne fai-
soyent manière de saillir de leurs garnisons, mais
disoient qu'ilz estoyent la pour garder leur pays et
secourir le Roy, si besoing avoit de leur ayde. Tou-
tesfoys on ne s'i fioit pas trop, car ilz ont souvant
garde derrière et tiennent le party des plus fors.
En Ast se reposoit le Roy lors, et luy ung jour, se
sentant délibéré, dist qu'il se vouloit essayer en son
harnoys et chevaucher ung des coursiers de son escuye-
rye pour s'en ayder a la bataille, laquelle chascun
esperoit. Et, comme ce jour je fusse entré en sa
chambre pour luy vouloir bailler quelque peu d'es-
cript joyeulx que j'avoye en la main, je le trouvay en
pourpoint, avecques peu de gens et messire Galleas
de Sainct Severin, son grant escuyer, ausi en pour-
point, lequel luy chaussoit ses solleretz et harnoys de
jambes, avecques les cuissotz. Ce fait, demanda la
cuyrasse, et, premier que la vouloir prandre, dist audit
messire Galleas : « Je la veulx voir premièrement sur
vous, car mon harnoys vous est presque tout faict. »
Apres que ledit escuyer fut armé de ladicte cuyrace,
le Roy la regarda de tous coustez et la trouva bien
faicte, disant : « Je cuyde qu'elle me sera bonne et
bien aysée. » Et fîst desarmer celuy escuyer, puys se
fist armer de sadite cuyrace et de toutes les autres
176 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
pièces, et essaya dessus son harnoys ung soye d'orfe-
verrye moult riche, et tout autour semé d'escripteaux,
ou estoit escript en lectre romaine : « Nescis quid
vesper vehat ; » qui est a dire : « Tu ne scay quelle
chouse la fin porte, » ou : « Tu ne say la fin a quoy je
tendz. » Tandys qu'il se faisoit armer, je despliay
mon papier en m'approchant de luy et luy distz :
« Sire, j'ay faict une petite balade touchant les Genne-
voys; s'il est vostre plaisir de Touyr, je l'ay icy. »
Lors me commanda que je la leusse^, ce que je fys
comme s'ensuyt :
Les Gennevoys, de leur propre nature,
N'ont foy ne loy, si se n'est d'avanture
Par fainctise, qu'on ne doibt soustenir.
Ja tant de foys ont mys a la roupture
Leurs promesses quUl n'y a créature
Raisonnable qui se y vueille tenir;
Voire et cuydent par force entretenir
Leur bon crédit, et mener leur affaire.
Sans le devoir et tribut vouloir faire
A vous, Sire, ne a droict vous supplier;
Mais, s'ilz sont fors, pour leur effort defTaire,
Leur force fault par force humilier.
L'istorial et prouvée escripture
Nous monstre assez et faict clere lecture
De leur faulx tours, dont nous deust souvenir :
Sur noz gens lors firent desconfiturc
1. Le 18 avril, Louis XII écrivait d'Asli à Guillaume de Mont-
morency une lettre très gaillarde : il demandait qu'on lui envoyât
une « chanson » faite au même moment par Fénin, avec des
illustrations du peintre Jean de Paris, pour « monstrer aux dames
de par deçà, car il n'en y a point de pareils » (publiée par nous,
Revue de l'Art français, 1886, p. 9).
Avril 1507J COMM* LES GENNEVOYS ASSAILLIRENT, ETC. V.
En leurs destroictz, soubz ombre et couverture
De leur vouloir ayder et subvenir ;
Le Roy Louys les sceut bien prévenir,
Quant en enfer ordonna leur repaire ;
Au Roy Charles lindrent party contraire -,
Puys les voyez contre vous rallyer.
Que reste plus ? pour venir au parfaire,
Leur force fault par force humylier.
Faictes sur euJx et dessus leur clousture
Ung tel eschec et si ample ouverture
Qu'on y puisse seur aller et venir,
Sans leur lesser ne vivre ne pasture,
Place, ne fort, or, argent, ne voicture,
Tant qu'il en soit mémoire a l'advenir.
Et que tous ceulx qui les voirront pugnir
Ayent tous temps craincte de vous meffaire;
Mais au surplus qui vouldroit satisfaire
A son deffault, il fault tout oublyer-,
Aux rebelles qui ne se vouldront taire,
Leur force fault par force humilier.
Prince, a la fln qu'on n'y soit a reffaire,
Prenez tous ceulx qui ont voulu forfaire,
Et les faictes bien baguer et lyer,
Pour les trecter comme il vous pourra plaire
Et en faire des autres Texemplaire.
Leur force fault par force humylier.
Une autre foys adviendroit de léger,
Que par deffault de bien les corriger
De leurs delictz, dont ils en ont faict tant,
Que leur vouloir seroit prest et contant
De faire ung tour pour vous endomager.
Si a ce coup ne les faictes renger
A la raison, il est bien a songer
Qu'il en feront ancores bien autant
Une autre foys.
IV 12
178 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
Puysqu'a[u]tremenl on ne s'en peut venger,
Ghaslyez les ores, pour abréger,
Ung coup pour tous, en vous y esbatant.
El, cella faict, soyez asseur de tant
Que eulx et autres doubleront le danger
Une autre foys.
Apres la lecture de caste ballade, le Roy transmist
quérir ung coursier bay, nommé Boy gracieulx, lequel
tîst amener dedans ung preau fermé, derrière son
logys; et luy, armé de toutes pièces, monta legiere-
ment dessus, sans ayde ; et la commainça a faire faire
carrière, courses et grans saulx a sondit cheval, qui
estoit si très a main, a la bouche et a l'esperon qu'il
en faisoit tout a son plaisir : a la foys luy donnoit une
viste course, et a l'arrest le tour, et les quatre piedz
a mont ; et a la foys le grant sault et a la ruade, avecques
le tropt court soubz bride et tous les tours que che-
val povoit faire. Ausi estoit le Roy qui le manioit si
très adroict et tant bien a cheval que, pour sault ou
ruade que fist son cheval, on n'eust ouy sur luy pièce
de harnoys bransler. Somme, tant tourmenta sondit
cheval qu'i le mist tout en eau, puys mist pié a terre
et s'en alla boyre et desarmer.
La, n'eust officier de la maison du Roy, des les plus
grans jucques aux soilhons de cuisine, qui n'eussent
leurs harnoys. Aucuns des vielz maistres d'ostelz du
Roy, et autres qui pour la goûte n'estoyent aisez de
leurs personnes, voyant que c'estoit a tout, essayèrent
ausi leurs harnoys, que, long temps devant ce, n'avoyent
mys sur le doulx. Somme, il n'y eut celuy qui ne mist
la main aux armes, voire aucuns prelatz et seigneurs
d'Eglise, qui la estoient, disant que deffendre par
Avril 1507J COMM' LES GENNEVOYS ASSAILLIRENT, ETC. 179
armes la personne du prince, seigneur de leur pays,
estoit millité et bataillé pour la deffence mesme du
pays, ce qui leur est permys et loisible en temps de
nécessité.
Apres que le Roy eut pris en Ast quatre jours de
repoux, et mise son armée a chemin pour tirer a
Gennes, partit de sadite ville d'Ast, en armes, avec-
ques plusieurs des seigneurs de son sang et autres
grans seigneurs de France. La avoit avecques luy cent
de ses gentishommes et toutes ses gardes. Et ainsi le
XXI™® jour du moys d'apvriP, en l'an mil cinq cens et
VII, tira son chemin droict a Felissant, terre de mar-
quisat, ou dormit pour la nuytée ensuyvant.
Messire Charles d'Amboise, qui conduisoit son
armée, estoit ja au bourg de Buzalle, et six mille de
Allemans, qui premiers estoyent venus des Ligues,
joinctz a ladite armée de France^. L'autre bende
d'iceulx Allemans estoit ausi arrivée a une petite ville
nommée Nove, près de SarravaP, a l'entrée des mon-
taignes de Gennes. En laquelle bande estoyent troys
mille cinq cens Allemans, lesquelz ne vouloyent pour
riens passer oultre, disant que leur charge ne le por-
toit point, et qu'ilz ne ma[r]cheroient plus avant; et,
sur ce propos, séjournèrent audit lieu de Nove vi jours.
1. Le 20; le 21 au matin, Louis XII entendait la messe àFeliz-
zano (Arch. nat., KK. 88, fol. 139). Felizzano faisait partie du
Montferrat.
2. Dans sa lettre du 18 avril citée ci-dessus, le roi dit que
« tous les Suysses » sont déjà arrivés à Busalla avec l'artillerie,
que la plupart des villes et forteresses du pays de Gênes ont déjà
envoyé leur soumission : « Et espère en brief avoir le reste, avec
la ville, en mon obéissance. »
3. Novi, Serravalle.
180 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
Messire Charles d'Amboise, lieutenant du Roy, et plu-
sieurs des autres capitaines françoys misrent toute la
peine qu'ilz peurent pour les faire marcher; et, pour
ce, donnèrent a leurs capitaines or et argent, et force
habillemens de soye, en leur disant : « Messieurs,
n'estes vous pas venuz icy pour servir le Roy, et a ses
gaiges, que ja avez receues, et par le vouloir et con-
sentement des seigneurs de voz ligues et quantons?
Ne voyez vous ja l'armée de France, et l'autre bende
de voz compaignons, prestz de partir pour aller a
Gennes, et le Roy mesmes qui nous marche en queuhe,
pour se joindre avecques sadite armée? » Plusieurs
autres raisons leur furent dictes et mises sus ; mais,
pour ce, ne voulurent desloger. De quoy le Roy fut
merveilleusement contre eulx courroucé, délibérant,
si autre chose ne vouloyent faire, de les faire tous
tuher. Les seigneurs des Ligues et quantons furent
par postes de ceste chose advertys ; par quoy a toute
dilligence leur mandèrent que, sur leur vye, ilz mar-
chassent en avant, et qu'ilz servissent le Roy envers
tous et contre tous : ce qu'ilz firent, et se mirent a la
route, droict au Rourg de Ruzalle, ou trouvèrent l'ar-
mée de France.
Le xxii^ jour dudit moys d'apvril, le Roy partit de
Felissant^ et adressa vers Allexandrye, avecques luy
estant Charles, duc de Bourbon', Anthoyne de Lor-
renne, duc de Callabre, Françoys d'Orléans, duc de
Longueville et seigneur de Dunoys, Alphons d'Ast,
1. Il y avait passé la journée entière du 21 (Arch. nat., KK. 88,
fol. 139).
2. Le jeune Charles de Bourhon-Montpensier (le futur conné-
table), qui venait d'épouser Suzanne de Bourbon.
Avril 1507] COMM' LES GENNEVOYS ASSAILLIRENT, ETC. 181
duc de Ferrare, Charles de Gleuves, conte de Nevers,
Françoys, monseigneur de Luxambourg, Francisque
de Gonsago, marquys de Mantoue, Jehan Guillerme,
marquis de Mo[n]ferrat, et tous les autres dessus nom-
mez, réservé le duc d'Allençon, lequel estoit demeuré
en Ast mallade de la rougeolle^ et ainsi accompaigné
s'en alla a Allixandrye. Au devant de luy^ sortirent
les seigneurs de la ville a grousse trouppe pour le
recepvoir et faire la harangue pour le peuple de ladite
ville. Ausi luy sortirent au devant troys cens petilz
enfans, tous vestus de robes blanches, portans chas-
cun en la main une banerolle des armes de France ;
lesquelz petis enfans couroyent au devant de luy,
cryant a haulte voix France! France/ France/ France/
Et ainsi s'en entra par le bourgue, tirant vers la cyté,
ou toutes les rues estoyent tendues et parées de ver-
dure, et au dessus toutes semées des armes de France
et de Bretaigne. Et, des l'issue d'une rue nommée la
Ferrerye, entrant en la place de ladite ville, avoit une
baye de verdure couverte d'ung drap rouge, pers et
jaune, lequel alloit jucques devant la grant porte du
domme Sainct Petre, ou, contre le hault de ladite
grant porte, estoyent troys escus, assavoir : au mil-
lieu, celuy de France aux armes plaines, et aux deux
costez France et Bretaigne, my parties. Ainsi accom-
paigné, et soubz ung poisle de damas blanc a franges
d'or, porté par six des plus grans de ladicte ville,
s'en alla jucques a la porte du domme, ou mist pié a
terre ; la trouva tout le clergé de la ville avecques les
1. Cf. Saint-Gelais. D'après la lettre de Louis XII du 18 avril,
le duc d'Alençon avait la variole.
2. Cf. Jean Marot, le Voiage de Gencs.
182 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
relicques, qui la le receurent et conduyrent jucques
devant le grant autel du domme, ou la dévotement fîst
ses oraisons et offrandes^. Puys ouyt la messe dedans
une dévote chappelle de Nostre Dame, estant sur main
senestre dudit grant autel. Et, la messe ouye, s'en alla
loger a l'ostel d'ung des seigneurs de ladite ville,
nommé messire Francisque Trot^, ou séjourna celuy
jour seullement, et sceut la que toute son armée estoit
assemblée a Bourg.
XIX.
Gommant les villâins de Poulcevre^ voulurent
EMPESCHER LE PAISSAIGE AUX FrANÇOYS A BOURG DE
BUZALLE, ET d' AUCUNES ESCARMOUCHES LA FAICTES.
L'armée de France, assemblée a Bourg de Buzalle,
et tous les Allemans la venus, pour ce que ancores ne
savoyent soubz quel capitaine le Roy les vouldroict
faire mener, en demandèrent ung a messire Charles
d'Amboise, lieutenant du Roy, lequel leur dist : « Ad-
visez entre vous lequel, de tous ceulx que cognoissez,
vous sera plus a main, et soubz la charge duquel
aymerez mieulx estre conduytz, et sans point de faulte
autre n'en aurez. » Ce dit, les capitaines d'iceulx Alle-
mans, et aucuns autres de leurs bandolliers, s'assem-
blèrent et tindrent leur conseil sur l'élection de leur
capitaine gênerai ; tant que, a la conclusion, ilz deman-
dèrent tous messire Jehan de Bessy, gruyci' de Bour-
1. Mention de cette oUYaude, Arch. uat., KK. 88, fol. 13y V.
2. ïrotti.
3. Polcevera.
Avril 1507] COMM' LES VILLAINS DE POULCEVRE, ETC. 183
goigne, lequel leur fut baillé, et depuys a toutes affaires
les conduyt et gouverna. Ung autre gentilhomme,
nommé le Lorrain, de ceulx du Roy, en avoit ausi
soubz sa charge cinq cens d'autres, appeliez les Francz
Gompaignons, parce qu'il les avoit amenez desdits
pays des Ligues comme avanturiers.
Les Gennevoys sceurent incontinent commant l'ar-
mée de France estoit a Bourg ; et ja iceulx avant l'ari-
vée de ladite armée avoyent mys gens a grant nombre
sur les montaignes et avoyent faict ung fort viz a viz
dudit bourg, au pendant de la montaigne, et la faict
embuscher grant nombre de gens armez, lesquelz
furent des Françoys ad visez et descouvers. De quoy
fut adverty le lieutenant du Roy ; et, pour ce, appella
ung jeune gentilhomme nommé Jacques du Mas, sei-
gneur de risle, et luy bailla six hommes d'armes,
nommez Martin Villetepyon, Ymbault, Charles de Vil-
lennes, Sallenelles, et deux autres, avecques dix
archiers, lesquelz envoya a ladite montaigne pour voir
la manière et le fort d'iceulx villains. Jacques de
Bourbon, conte de Roussillon, et quelques autres gen-
tishommes et gens de pié avecques eulx, tirèrent ausi
celle part; et n'eurent gueres moiité que villains de
toutes pars ne leur fussent en barbe, et comaincerent
bien a point a escarmoucher, et tant que fînablement
les Françoys reposserent les Gennevoys^. Durant
ceste escarmouche, deux Françoys, archiers de la
1. D'après Guichardin, ils les repoussèrent sans peine. L'atti-
tude martiale des Français dans ces défilés très difficiles suffit à
épouvanter la « vile populace ; » 600 fantassins qui gardaient les
premiers passages prirent lâchement la fuite, et tout le reste les
imita.
184 CHRONIQUES DE LOUIS XII, [Avril 1507
compaignie du seigneur de Montoison, s'escarterent
des autres Françoys en chassant aucuns d'iceulx vil-
lains; lesquelz archiers furent encloux par quelques
embûches, et, premier que on les peust secourir, sur
le champ furent assommez et mors. L'escarmouche
dura longuement, car les villains estoyent a grant
nombre, et si avoyent ung fort ou se retiroyent, et de
la tiroyent traict a tous coustez. La fut blecé ung
homme d'armes nommé Mondragon, de ceulx du sei-
gneur de La Pallixe, et eut ung coup de trect au
visaige. A toutes mains furent chargez ses villains, et
tenus de si près que plus de xx y demeurèrent mors
en la place ; et tant fut que a la parfîn habbandon-
nerent leur fort et fuyrent par les montaignes, en
manière que plus ne voulurent empescher celuy
passage.
Messire Mercure, capitaine des Albanoys, fut envoyé
courir le long de la vallée de Poulcevre, avecques ung
nombre de ses Albanoys; lequel s'en alla jucques près
de Sainct Pierre d'Areine, qui est des faulxbourgs de
Gennes, et la trouva ung capitaine de piétons genne-
voys, lequel fist bonne manière de guerre et mist
bien deux cens homes qu'il avoit en ordre, pour
actendre lesdits Albanoys. La comaincerent l'escar-
mouche, telle que les Gennevoys furent a deux ou
troys charges espartys et rompus : si prindrent la
fuyte vers Gennes, et Albanoys après, et tant que
plus de XX d'iceulx meschans Gennevoys y demeu-
rèrent, et mesmement leur capitaine, duquel empor-
tèrent les Albanoys la teste, pi(iuée au bout d'une de
leurs lances; et, en eulx retournant, trouvèrent, aux
deux coustez et au bas des montaignes, terre couverte
Avril 1507] COMM' LES VILLAINS DE POULCEVRE, ETC. 185
de gens armez pour leur couper le chemin. Mais iceulx
Albanoys tenoyent tousjours le milieu du gravyer,
loings desdites montaignes de demy gect d'arc, et, si
tost que aucuns d'iceulx Gennevoys cuydoyent prendre
la plaine, les Albanoys a cource de cheval les repous-
soyent arrière au montaignes, et en demeuroit tous-
jours quelqun. Et ainsi se retirèrent iceulx Albanoys
jucques au Bourg, ou estoit l'armée du Roy, et la
advertirent messire Charles d'Amboise, lieutenant du
Roy, commant les montaignes de Poulcevre estoyent
toutes couvertes de gens armez; et tout autour de
Gennes, sur les montaignes, et au pendent d'icelles
du costé de la passée de l'armée de France avoit plu-
sieurs fors, barrières et bastyons garnys de gens et
d'artillerye ; et que grant route de villains estoyent
embuschez par les montaignes pour destrousser les
vivendiers et ceulx qui s'escarteroyent de l'armée, ou
autres mal accompaignez ; a quoy estoit besoing de y
pourvoir pour lasseurté des vivres et passans. Pour
mectre provision a la garde des passages, le lieute-
nant du Roy ordonna estre mys gens d'armes de six
mille en six mille, qui garderoyent lesdits passages,
et de lieu a autre f'eroyent acompaigner les vivandiers.
Et, ce faict, fut mys le feu partout et bruslez villages
et maisons.
XX.
Gommant l'armée du Roy partit du bourg de Buzalle
POUR aller ASSIEGER LA VILLE DE GeNNES^
Le vendredi xxiiP^ jour du moys d'apvril, en l'an
1. Miniature, au fol. lxi du ms., représentant la marche de
l'armée : dans le fond, une escarmouche sur la montagne.
186 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
mil cincq cens et vii^ messire Charles d'Amboise,
lieutenant de l'armée du Roy, fist au matin desloger
ladicte armée de bourg de Buzalle et mectre l'avan
garde assez loing devant, que luy mesmes conduysoit.
Entre l'avan garde et la bataille fist meclre en avant
le charroy de l'artillerye et le sommage ; la bataille et
l'arriére garde après, estant loings l'une de l'autre de
deux gectz d'arc, ou environ ; les AUemans et gens de
pié avecques l'artillerye. Et ainsi marchèrent gens
d'armes le petit pas, jucques a ung Heu nommé Ponte-
desme, a six mille près de Gennes; et la furent ce jour
et tout le lendemain pour tenir conseil et ordonner
des approches de Gennes, et de la manière comment
au plus seur le siège se pourroit assoir et mectre, et
de toutes leurs autres affaires. Lesquelles choses furent
la mises en conseil, ou furent appeliez messire Jacques
de Chabannes, seigneur de La PaHxe, messire Yves
d'Allègre , messire Jehan de Bessey, capitaine des
Allemans, messire Phillebert de Clermont, seigneur
1. La relation oiïîcielie des événements après le 25 avril fut
imprimée à Gênes même le 29 avril 1507, in-4* goth. Elle a été
réimprimée dans les Archives curieuses de Cimber, p. 15 et suiv.,
sous son titre la Conquesle de Gennes, et en partie dans le Ccrc-
monial français de Godefroy. Elle est, en outre, contenue dans
des opuscules de circonstance : la Bataille et assault de Gennes,
donné par le très crestien roy de France Loys XII de ce nom, atrc
la trayson que les Genevois ont cuydé faire; et aussi la complainte
desdilz Genevois, petit in-4° goth. de 4 feuillets, avec un bois sous le
titre, s. 1. n. d.; la Prinse du bastillon et la réduction de Gennes au
très chrcstien roy de France Loys douziesme de ce nom, petit in-4o
goth. de 2 feuillets (soit 3 p. de texte, un bois sur la l'"''), « impripaé
pour Guill. Vineaulx, > qui se compose d'une lettre de nouvelles,
datée du 27 avril au soir; l'Entrée du très chrestien roy de France
Louys douziesme de ce nom, en la ville de Gennes, petit in-4° goth. de
2 feuillets, « imprimé à Paris. » Un exemplaire de ces trois opus-
cules est relié dans le portefeuille Fontauieu 156.
Avril 1507] COMM» L'ARMÉE DU ROY PARTIT... DE BUZALLE. 187
de Montoison, et plusieurs autres capitaines et gen-
tishommes pencionnaires du Roy. Ausquelz dist mes-
sire Charles d'Amboise, lieutenant du Roy : « Mes-
seigneurs, vous savez assez le vouloir du Roy et la
cause de nostre affaire, qui est entièrement fondée
sur la prise et réduction de la cyté de Gennes, rebelle
et désobéissante audit seigneur. Or, summes nous a
tant venus qu'il ne reste, sur ce, que de mectre les
mains a l'œuvre, ce qui nous est mestier de faire, en
manière que se soit a nostre louenge, a l'onneur du
Roy et au profifict de la chose publicque. A ceste fin
vous ay je voulu icy appeller, affin que chascun de vous,
scelon ce que en pourrez savoir et entendre au plus
près, de loyal conseil m'en vueillez descouvrir vostre
advys, comme ceulx qui a plusieurs haultes entre-
prises et louables faictz avez esté. Vous savez, a suffire,
de la force et situation du lieu, et comme tout autour
de plus en plus fort elle est fortiffyée. Toutesfoys, il
n'est si forte chose, si cueur vertueux par vouloir la
désire, que de pouvoir ne l'obtienne; et sachez que
seigneurie gouvernée et soustenue par democracye,
qui est puissance popullaire, ne peut nullement durer
et longuement estre en pouvoir, car peuple effrenné,
comme est cestuy de Gennes, par envye de domyner
ou orgueil de seigneurye, se divisent facillement. Or,
ont ja eslu et faict ung duc d'ung taincturier et mecha-
nique, que longuement n'aprouveront les marchans
et ceulx du peuple gras. Par quoy nous fault vertueu-
sement les assaillir et donner dedans, au plus tost que
faire ce pourra, pour les prévenir, et ne leur donner
temps d'avitailler leur ville et pencer a leur besongnes.
Et me semble, sauf meilleur advys, que, demain au
188 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
matin, soit transmys aucun bon capitaine avecques
bonne puissance de gens d'armes, descouvrir la mon-
taigne et adviser leurs fors; car sur tout est requys,
avant que assaillir la ville, gaigner les montaignes et
les fors qui sont dessus et autour : autrement, si nostre
armée passe oultre, et les montaignes soyent occup-
pées par les Gennevoys, noz vivendiers, sans grosse
garde de gens d'armes mise en divers lieux (ce qui
amandriroit fort nostre armée), ne pourront passer,
et nuyt et jour seroit nostre armée de tous costez en-
nuyée et assaillye et sans repoux. Par quoy me semble
qu'il y fault envoyer quelque bon chief, et bien accom-
paigné, pour aller voir que c'est; et en queuhe faire
marcher toute l'armée pour rainforcer a besoing ceulx
qui monteront la montaigne; et ausi, pour donner sur
leurs fors et barrières, ferons la près et en lieux pro-
pices charryer et atiltrer quelques pièces de bonne
artillerye pour donner au travers. Et, en ce faisant,
m'est advys, si nous y allons de bonne voilhe, que
nous aurons part au logis. »
L'advys et oppinion du lieutenant du Roy fut, de
tous les capitaines qui furent la et autres gentishommes,
louhé et recommandé : auquel furent, par aucuns des-
dits capitaines, plusieurs autres moyens adjoutez et
faictes diverses ouvertures ; mais, a la conclusion, fut
dit que ladite montaigne seroit assaillye et gaignée,
qui pourroit, premier que passer oultre. Et dist la
messire Jacques de Ghabanes, seigneur de La Pallixe :
« Il me semble, dist il, que, quelque nombre que
soient ses villains, et quelques fors qu'ilz ayent aux
montaignes, si avecques eulx nous nous assemblons,
que peu de résistance feront, veu que ce n'est que
Avril 1507] COMM' L'ARMÉE DU ROY PARTIT... DE BUZALLE. 189
commune, qui n'a acoustumé la guerre ne n'est usitée
du mestier, et ausi qu'ilz ont leur ville au dos pour
retrecte, ou tousjours auront l'ueil, qui les chergera
roydement. Et, en oultre, si quelque paoureulx, dont
entre eulx y peut avoir quelqun, par craincte des orions
qui la se donneront a tour de bras, par avanture
prend la fuyte, Dieu scet quelle suyte des autres il
aura. Car la manière de commune tient tel desarroy
en bataille que le premier qui desloge actraict tous
les autres et a fuyr les convye ; ayant tel desordre au
surplus que, après esbranler, james ne se ralyent.
Dont mon oppinion est qu'ilz soyent tost assaillys et
chargez roidement. » Laquelle oppinion fut tenue de
tous, et ordonné par ledit messire Charles d'Amboise,
lieutenant du Roy, que celuy messire Jacques de Cha-
bannes, seigneur de La Palixe, auroit ceste charge;
et que avecques luy auroit troys mille hommes de pié
françoys et quelque nombre d'autres gens d'armes
qu'il vouldroit choisir par les compaignyes. L[a]quelle
charge printvoluntiers ledit seigneur de La Palixe. Et,
saichant celle entreprise, plusieurs seigneurs et autres
gentishommes qui la estoyent disrent que sans eulx
ne se feroit la menée, et que messir-e Jacques de Cha-
bannes, que chascun suyvoit voluluntiers (sic), n'yroit
a ladite montaigne qu'ilz ne fussent avecques luy, et
tant que chascun se convyoit a ce banquet ; dont se
délibérèrent plus de cent des pencionnayres et autres
gentishommes du Roy de ce trouver a cest affaire.
190 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
XXI.
Gommant le Roy partit d'Allixandrie pour s'en
ALLER joindre A SON ARMÉE, QUI MARGHOIT DROICT
A Gennes.
Le Roy, qui d'Allixandrie savoit a toute heure nou-
velles de son armée, se voullant joindre a elle, partit
de ladite ville d'Allixandrye, le kkiii"^^ du moys d'ap-
vril, sur les vu heures du matin ^ après la messe
ouye^, ayant disné légèrement et estant armé de toutes
pièces, monté sur ung coursier blanc bardé de blanc
avecques ung soye de mesme coulleur et broché d'or.
1. Une miniature du Voyage de Gênes (fol. 15 y°) représente la
sortie d'Alexandrie. Le roi est vêtu, comme le dit Jean d'Auton,
d'un sayon blanc (probablement de soie) brodé de ruches d'or et
d'abeilles d'or. Sur les bordures du vêtement royal et de la
housse pareille du coursier est brodée la devise : Non utilur
aculeo rex nosler. Le roi porte sur la tête sept grandes plumes
blanches. Le blanc (hermine de Bretagne) était la couleur de la
reine Anne. Louis XII portait toujours, en campagne, un très
haut panache blanc et son cheval de môme était empanaché. Ses
comptes de 1509 nous montrent qu'avec son économie habituelle
il portait ordinairement un vieux plumet soigneusement réparé
(KK. 86, LU v"). Mais, le jour de la bataille d'Agnadel, il arbora
un gra,nd panache tout neuf, composé de douze énormes plumes,
sortant de trente-deux plumes basses, fixées sur un bourrelet
avec une garniture de neuf petites plumes, le tout « chargé de
paillettes, branslans (d'orfèvrerie) et frangé de franges d'or »
(ibid., lu). Dans la mêlée, à laquelle Louis XII prit une part
active, toute l'armée pouvait voir ce grand panache blanc.
2. Cf. Desjardins, II, 238. Le registre de ses otl'randes est resté
en blanc pour ce jour-là.
Avril 1507] GOMMANT LE ROY PARTIT D'ALLIXANDRIE. 191
Et ainsi, avecques ses princes, seigneurs et gentis-
hommes de sa maison et archiers de la garde, tous
armez avecques luy, chevaucha de son iogis par la
grand rue et le long de la place, ou avoit la grant
nombre de dames et autres des seigneurs et du peuple
de la ville ; dont les dames disoyent a la passée : « Ha !
que grant dommage est de tant de grans princes et
seigneurs et beaulx gentishommes de France, qui s'en
vont prendre leur fin et mourir a Gennes ! Ja n'en res-
chappera ung tout seul ! » disoient ses pauvres dames;
et de vray pensoyent que Gennes, coustumiere d'ob-
tenir victoires, deust tout mectre a sac; ce que eussent
bien voulu aucuns d'Allixandrie, qui par avanture y
avoient de leurs frères ou voysins, comme fut dit par
après.
Or, s'en va le Roy, chevauchant tout armé, d'Allixan-
drie a ung lieu nommé le Boscq, mauvays françoys;
du Boscq* a Gavy^ et a Bourg de Buzalle, qui estoit
tout en feu. Audit lieu de Bourg arriva le Roy, le sap-
mady, que le lieutenant et les capitaines de son armée
avoyent tenu le conseil d'aller donner sur les villains
de la montaigne de Gennes; ce qui fut faict.
1. Il couche le 23 à Gavi, le 24 à « Bosq » ou « Vosque, » que
les Florentins appellent « Borgo di Fenari, » le 25 à Boschetto,
où il s'arrêta jusqu'à son entrée à Gênes (KK. 88 ; Desjardins,
II, 238).
2. Gavi était un château très fort appartenant à Bernardino
Guasco (Desimoni, Cronaca di Genova, da Aless. Salvago, p. 125).
192 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
XXII.
Gommant messire Jacques de Ghabbannes, seigneur
DE La Palixe, avecques plusieurs gentishommes
FRANÇOYS ET GENS DE PIÉ, FUT ASSAILLIR LA MON-
TAIGNE DE GeNNES ; ET DE LA PRISE d'uNG BASTION
ET AUTRES FORS, ET d'uNE BATAILLE FAICTE SUR
LADITE MONTAIGNE ^
Ung dimenche, xxiiiP^- jour du moys d'apvril, en
l'an mil cincq cens et vu, messire Jacques de Ghab-
bannes, seigneur de La Palixe, sur le point de v heures
du matin, après la messe ouye, partit du Pontedesme,
avecques m mille hommes de pié et aucuns gentis-
hommes armez et montez legierement, et se mict en
marche droict a Gennes. Lequel ne fut si tost party
que grant nombre de gentishommes de la maison et
des pencionnaires du Roy ne s'armassent pour aller
après, lesquelz disrent a messire Gharles d'Amboise,
lieutenant du Roy, qu'ilz yroient voluntiers après, en
luy pryant qu'il luy pleust que, sans eulx, ledit sei-
gneur de La Palixe ne montast ladicte montaigne ou
commainçast le hutin. A quoy différa le lieutenant du
Roy, disant : « Je n'ay pas transmys le seigneur de
La Palixe pour donner la bataille a noz ennemys, mais
seullement pour adviser la montée plus aisée et assail-
lir quelque maison au bas de ladicte montaigne, ou
1. Une miniature du Voyage de Gênes (fol. 17 v") représente la
prise du bastion.
2. 25 avril [la Gonqueste de Gennes) ; cette date résulte aussi do
ce qu'a dit Jean d'Auton lui-même au chapitre xx.
Avril 1507] GOMMANT MESSIRE J. DE CHABBANNES, ETC. 193
est quelque nombre de villains qui gardent ce passage ;
et ausi n'est heure ne lieu de leur donner ancores la
bataille, s'ilz ne descendent en plaine ; ce que ne feront,
car ilz ont sur nous l'avantage des montaignes. Par quoy
n'est mestier, pour ceste première foys, faire grant
effort, mais seullement veoir leur manière et espier
les lieux. » Sur ce, firent responce lesdits gentis-
hommes* : « Nous savons bien que les lieux des mon-
taignes sont difïicilles pour nous et adventageulx pour
les ennemys ; mais tant y a que, si le seigneur de La
Palixe, que avez la envoyé, les rancontre, quelque
puissance ou lieu avantageulx qu'ilz ayent , nous sum-
mes tous asseurez qu'il donnera au travers, quelque
chose qu'il en doye advenir. Dont est requis que,
avecques ses gens de pié, aye quelque nombre de
gens bien armez pour soustenir ung faix, s'il en est
besoing. » Et, pour ce, le prièrent de rechief qu'ilz y
allassent : « Or, allez doncques, dist il, et gardez sur
tout, a ceste première charge, de ne bazarder par
trop vostre affaire; car le lieu ou sont noz enne-
mys est moult avantageulx pour eulx. » A chief de ses
paroUes, grant nombre de gentishommes, bien armez
et montez sur bas chevaulx, se ipectent après a
course de cheval, et tant que, avecques le seigneur
de La Palixe et ses piétons, se trouvèrent au droict
d'ung petit bourg nommé Rivereu-, a ung mille près
de Gennes.
1. D'après Symphorien Ghampier, ce serait Bavard qui, avisant
le fort, aurait entraîné les gentilshommes à l'attaquer directement
à l'assaut. Le Loyal Serviteur en fait honneur entièrement à
Bayard, dont le roi aurait suivi les conseils.
2. Rivarolo, près S.-Pier d'Arena. Cf. Desjardins, II, 239.
IV 13
194 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
Et de la commainça le seigneur de La Palixe a regar-
der la montaigne et les fors qui dedans estoyent, et
tout le sommet et pendant de ladite montaigne, plains
de gens armez, qui de tous costez faisoyent criz et
tiroyent artillerye sur noz gens. Or, avoient iceulx
Gennevoys faict sur la cyme de leur montaigne ung
fort bastion, de terre percé a tous costez, et mys
dedans grant puissance de souldartz et force artillerye.
Et est assavoir que la dedans ceste montaigne sont
deux chemyns, qui, du bas de la grave et du pié de
ladite montaigne, montent droict audit bastyon et de
la descendent a Gennes vers le chasteau et a Besaigne ;
desquelz chemins, l'ung est près de l'issue du bourg
de Rivereu comme de demy gect d'arc ou environ,
regardant vers le chemin de Gennes, sur main senestre ;
l'autre, outre ledit Rivereu, loing de deux gectz d'arc,
tirant ausi vers Gennes, du costé de la grave ; entre
lesqueulx deux chemins estoit assis ledit bastyon, sur
le sommet du mont. Or y avoit, sur le bort et au tra-
vers d'iceulx chemins, barrières et maisons fortiffyées
et force gens d'armes pour les garder. De l'autre costé,
sur main destre, estoit une autre montaigne, de la
haulteur et pareille de ceste, qui pareillement estoit
toute plaine de gens armez.
Ainsi que messire Jacques de Chabbannes, avecques
ses gens, advisoit le lieu pour monter, messire Charles
d'Amboise fist a coup marcher toute l'armée et tira
celle part. Et, premier qu'elle fust la arrivée, ja com-
mainçoit le seigneur de La Palixe a monter avecques
ses gentishommes, les piétons ung peu a cartier, tirant
ledit seigneur de La Palixe, par le chemin plus pro-
chain de Rivereu, droict a une maison fortiffyé sur le
Avril 1507] GOMMANT MESSIRE J. DB CHABBANNES, ETC. 195
bort dudit chemin, hault en ladicte montaigne environ
deux gectz de pierre.
Au point que le seigneur de La Palixe comainçoit a
monter, toute l'armée de France arriva sur le lieu. La
furent tous les gens d'armes a cheval et les Allemans
et piétons françoys viz a viz dudit bastion^, dont tirè-
rent les Gennevoys coups d'artillerye a pierre perdue
au travers de l'armée et du camp sans faire que peu
de mal ; car la pluspart de leurs coups passoyent par
dessus, pour ce qu'ilz venoyent d'amont.
Messire Charles d'Amboise, lieutenant du Roy,
voyant monter le seigneur de La Palixe avecques ses
gens et adresser vers la maison fortiffyée sur le bort
du chemin et les montaignes couvertes d'ennemys,
comanda a messire Fol de Beusserailhe, maistre de
l'artillerye, que tout soubdainement il fist monter sur
la montaigne quatre faulcons et qu'ilz fussent mys en
lieu propice pour tirer contre la maison que le seigneur
de la Palixe alloit assaillir et au travers des villains
qui estoyent sur ladite montaigne a grosses trouppes.
Et, tout en l'eure, celuy maistre de l'artillerye, avec-
ques les commissaires d'icelle, qui estoient Estienne
de Ghampellays, Guerin Maugué, Perot d'Oignoiz et
Loys Benoist, firent monter quatre faulcons, dont le
premier fut monté par les pyonnyers, les autres troys
a force de chevaulx et de casbles, et furent mys au
pendant de ladite montaigne, entre le bourg de Rive-
reu et le chemin ou estoit ladite maison, et la tauldis-
1. Ce fort renfermait quatre faucons, deux canons de fonte et
une forte artillerie de fer : huit à dix pièces d'artillerie, d'après
la Bataille et assault. Il avait pour objet d'isoler l'armée assié-
geante du Gastelletlo {la Conqueste de Gennes).
196 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
sez et assix ; et, pour iceulx tirer, ung nommé Ferry
Utel et quatre autres cannoniers furent la mys et
ordonnez. Deux autres groux canons furent mys au
pié de la montaigne pour tirer contre le bastyon
d'amont ; et furent la ordonnez troys cannoniers,
nommez Jacques Daussel, Thibault Darchet et Pierre
de Sallenove.
A ceste mesme heure, messire Charles d'Amboise,
lieutenant gênerai de l'armée du Roy, fist chevallier
ung nommé maistre Thomas Bouyer, gênerai de Nor-
mandie^, lequel fut la au camp, armé de toutes pièces,
vestu d'ung soye de drap d'or et monté sur ung bon
courcier.
Le seigneur de La PaHxe, avecques grant nombre
de gentishommes armez, s'efforçoit a toute puissance
de gaigner la montaigne, laquelle estoit droicte a mer-
veilles et haulte d'une lieue de chemin ou de près. Et,
pour ce que j'estoye lors sur le lieu et viz iceulx gen-
tishommes monter et partie de leur exploict, aucuns
d'iceulx ay voulu nommer icy : premièrement, messire
Jacques de Ghabbannes, seigneur de La Palixe et chief
de la bende ; Jehan Stuart, duc d'Albanye; Jacques-
de Bourbon, comte de Roussillon ; Jacques de Rohan,
seigneur de Léon; René d'Anjou, seigneur de Mai-
zieres; Jehan de la Chambre, vicomte de Moryenne;
4. La Prinse du bastillon note aussi ce fait, pourtant assez
bizarre, étant donnée surtout l'animosité qui régnait contre les
gens de finance. Thomas Bohier, général des finances de Nor-
mandie, plus tard lieutenant général du roi en Italie, était un
homme de cour {Titres orig., Bohier), de la grande famille finan-
cière Bohier. De plus, il épousa Catherine Briçonnet (Breton-
neau, Histoire généalogique des Briçonnet).
2. Charles.
Avril 1507] GOMMANT MESSIRE J. DE CHABBANNES, ETC. 197
René de Bretaigne, comte de Pointhievrc ; le vicomte
de Rodez; Audet de Foix, seigneur de Barbazant;
Andrieu de Foix * ; messire Roger, baron de Beart ;
messire Mery de Rochechouart, seigneur de Mortemar ;
messire Germain de Bonneval, gouverneur de Limou-
sin; Loys de Janlys, seigneur de Monmor; Françoys
de Cresol, seigneur de Beaudisner; messire Jehan
Picart, bailliy (sic) d'Estellan ; Pierre de Bayart ; le sei-
gneur d'Arpajon- ; Marc du Fresne ; Ymbault de Roma-
nieu ; le Basque nommé Pierre de Tardes ; Adryen Tier-
cellin, seigneur de Brosses ; Jehan de Sainct Amadour;
ung nommé Gytain, et grant nombre d'autres, dont
la pluspart estoit a pié et les aultres sur petiz cour-
taulx, pour les mener jucques au lieu ou seroit besoing
de combatre ; et, ce pendant qu'ilz marchoyent, les
villains d'amont ruoyent grosses pierres le long de la
montaigne, tiroyent trect et artillerye et faisoyent du
sanglant pys qu'ilz pouvoyent et se monstroyent sur
ladite montaigne en nombre de plus de xxx mille
hommes^; dont messire Charles d'Amboise, ayant la
charge de toute l'armée, voyant si grosse puissance
d'ennemys, doubtant que le seigneur de La Palixe et
ses gens ne fussent assez pour soustetiir le faix de tant
d'ennemys, volut la faire monter troys mille AUemans.
Lesquelz refusèrent la haye, disant qu'ilz ne se depar-
tyroyent point, s'ilz ne montoyent tous ensemble, et
plusieurs foys refusèrent a monter^. Toutesfoys, par
1. Seigneur d'Asparrotz, frère du précédent.
2. Jean d'Arpajon, baron d'Arpajon.
3. 8,000, d'après la Conqueste, étaient renfermés dans le fort,
dont 6,000 sortirent; 6 à 8,000 étaient sur l'autre montagne. Sal-
vago dit 40,000, la Prinse du bastillon 24 à 25,000.
4. Ce refus est confirmé par le rapport des ambassadeurs flo-
198 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
belles remonstranses qu'il leur fist, et voyant tant de
drap d'or monter, heurent honte du reffus et commain-
cerent a sortir de leur rym ; mais, premier que vou-
loir monter, demandèrent des gens de cheval a leur
queuhe, pour arrester les ennemys, quant ce viendroit
a l'excution ; dont leur fut baillé le capitaine Fontrailles,
avecques cincquante hommes a cheval, lesquelz se
misrent a la queuhe d'iceulx Allemans. Et, ce faict,
regardèrent amont, et, voyant grosse bataille d'enne-
mys en ordre, en montant baisèrent la terre et croi-
sèrent les bras deux ou troys foys et firent longues
cerymonies, tant que, pour les achemyner, ledit lieu-
tenant du Roy fist marcher devant eulx, tout au droict
du bastion, Jacques d'Allègre, seigneur de Milho ; mis-
sire Yves de Malherbe ; Peralte , espaignol ; Pomme-
roul^ et quelques aultres capitaines de gens de pié,
avecques troys mille piétons^ ; aussi montèrent messire
Robert Stuart, avecques quatre vingtz de ses archiers,
tous a pié ; Mollart, allemant, capitaine de gens de
rentins, mais non par la Conqueste, d'après laquelle les Suisses
-ffécit officiel) n'auraient baissé leurs piques que pour baiser la
terre. Saint-Gelais place le refus des Suisses au commencement
de l'action : les Suisses auraient répondu qu'ils ne voulaient pas
« gravir de montaignes, » prétention singulière pour des gens de
leur pays. Devant ce refus, qui exaspéra l'armée française, les
gentilshommes du roi s'élancèrent seuls à l'assaut, comme on l'a
vu plus haut. C'est alors que Ghaumont parvint enfin à fléchir
les Suisses à force de promesses. La Prinse du baslillon dit sim-
plement que les Suisses firent « les serimonies acoustumées, pos-
teries en terre, les traictz en croix, et les picques baissées. »
1. Jean Pommereuil, seigneur du Plessis-Brion.
2. L'assaut, d'après la Conqueste, comprenait 1,800 Suisses,
2,000 hommes de pied, les Albanais et grand nombre de gentils-
hommes do la maison. Il y avait en tout 3,500 Suisses,
Avril 1507] GOMMANT MESSIRE J. DE CUABBANNES, ETC. 199
pié. Et a la queuhe de leurs gens estoient messire
Anthoine Marye de Sainct Severin, avecques quarante
arbalestiers. Ausi y estoit messire Phillebert de Gler-
mont, seigneur de Montoison, lequel menoit xv hommes
d'armes et xxx archiers a cheval, montez legierement
et armez a la bastarde.
Messire Jacques de Ghabbanes, seigneur de La Pahxe,
et les gens de sa bende approchèrent la maison, ou
grant nombre de Gennevoys s'estoyent fortiffiez; et,
pour savoir qu'ilz vouldroyent dire, leur transmist
XL arbalestiers a cheval pour escarmoucher, lesquelz
chargèrent bien a point, a grans coups de trect. Mais,
pour ce que le lieu estoit mal a main pour gens de
cheval, pour l'empeschement de la montaigne, qui
estoit droicte, ne leur sceurent gueres nuyre, et, a la
fin, a coups de trect et de main, furent repoussez
bientost. Ausi estoient aucuns de noz gens de pié mon-
tez si hault qu'ilz avoyent trouvé leurs ennemys en
barbe, qui pareillement les avoyent renvoyez bien
lourdement et se retiroyent ; dont le seigneur de La
Palixe, voyant aucuns d'iceulx recuUer, leur escrya :
« Tournez, dist il, ribaulx, tournez! car, s'il y en a
ung a qui je voye desmarcher ung seul pas, je le feray
tailler en pièces. » Et la fut ung gentilhomme nommé
Pierre de Bayart, lequel s'adressa a aucuns de ceulx
qui s'estoyent reculez, et a tour de bras commainça
a charger, et tant que ilz tournèrent en avant. Tantost
fut la maison ou les Gennevoys s'etoyent fortiffyez,
par le seigneur de La Palixe et ses gens, a grans coups,
assaillye et approchée jucques a combatre main a main.
La misrent pié a terre ceulx qui avoyent chevaulx, et
se joignirent tous ensemble. Geulx du dedans ne se
200 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
defîendirent longuement; car, ainsi qu'on les assailloit,
ung canonnier nommé Ferry Utel, provost de Tartil-
lerye, estant a ung rampar entre Rivereu et ladite
maison, adressa la ung coup d'ung gros canon, telle-
ment qu'il persa ladite maison tout au travers et tua
deux hommes gennevoys ; ce faicl, qui peut fuyr de la
ne fist autre demeure; ainsi habbandonnerent le fort,
et a mont. A ceste première rancontre, les villains qui
estoient en la montaigne tirèrent artillerye a toutes
mains, et tant de trect qu'il tumboyent menu comme
goûtes de pluye.
Grant challeur faisoit lors, dont a grant peine mon-
toyent les gentishommes et autres, qui estoient armez
de toutes pièces et a pié. Advint que, pour la force du
chault, le seigneur de La Palixe mist bas et avala sa
gorgerecte, laquelle estoit double et toute eschauffée
pour la challeur du souleil ; et, comme chascun s'ef-
forçoit de monter, ung trect vint d'amont donner
droict au deffault de la gorgerecte dudit seigneur de
La Palixe et luy entra en devallant bas dedans la gorge
bien quatre doiz; de quoy ne tint compte, mais mar-
cha encores en avant, disant : « Ce n'est rien, ce n'est
rien ! » et arracha le trect, dont incontinent grant force
de sang commainça a saillir de la gorge, et tant qu'il
ne peut plus tirer avant, car ja avoit perdu moult de
sang. Toutesfoys ne s'esbahist de rien, mais, tout en
riant, dist : « Je n'ay nul mal, si n'est que ma douleur
est seullement pour ce que je ne puys, a mon voulloir
et a ce besoing, servir le Roy et me trouver a la
bataille contre ses villains, lesquelz, sans faillir, a l'aide
de Dieu et des grans coups (|ue vous, messcigneurs,
donnerez aujourd'uy, seront defîaictz. Or, allez soubz
Avril 1507] GOMMANT MESSIRE J. DE CHABBANNES, ETC. 201
la main de Dieu, qui vous soit aujourd'uy secourable.
Monseigneur le duc d'Albanye, s'il vous plaist, dist il,
vous prendrez la charge de conduyre le demeurant de
ceste entreprise ; et vous, messeigneurs et aniys, je
vous supplye que aujourd'uy vous ayez vostre honneur
et les affaires du Roy sur toutes choses pour recom-
mandées. » Ce dit, se fist enmener par ung gentil-
homme nommé Anthoyne du Cartier, maistre d'ostel
de messire Charles d'Amboise, et se fist pencer en une
maison près de la.
Le duc d'Albanye, qui avoit la charge de ceste
menée, marcha hardyment avecques tous les autres
gentishommes et piétons qui chemynoient a Cartier
d'eulx; et tant marchèrent que, dedans une petite
plaine près d'une montaignette , et a ung gect de
pierre du sommet de la montaigne, trouvèrent bien
cincq cens Gennevoys la râliez ensemble. Le lieu estoit
assez aisé et propice pour combatre, mais avantai-
geulx pour les Gennevoys, car il failloit monter hault
pour gaigner ladicte place. La se rangèrent les Genne-
voys, et, a coups de haquebutes, de trect et de pierres,
chargèrent noz gens bien rudement et en blecerent
plusieurs; desquelz furent Audet dcFoix, lequel eut
ung coup de trect en la cuisse, mais pour ce ne s'ar-
resta. Ausi y fut blecé ung gentilhomme de Gascoigne,
nommé Estienne de Garnac ; et, ainsi que messire Ger-
main de Bonneval descendoit de dessus une petite
haquenée, pour vouloir combatre a pié, fut failly d'ung
cop de trect, lequel sadite hacquenée receupt. Longue-
ment fut a ce lieu combatu, et par force la place gai-
gnée et les Gennevoys chacez et suyvis jucques au
sommet de ladicte montaigne ; et est assavoir que pie-
202 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
tons françoys et allemans se misrent a la chace par les
montaignes en divers lieux, après les Gennevoys, dont
les Allemans en encloussirent , près du sommet de
ladite montaigne, bien deux cens, lesquelz furent tous
degoillez et despoillez en l'eure. La ausi est oient a che-
val Françoys de Maugyron, lieutenant de Mollart, alle-
mant; Jacques du Mas, seigneur de l'ïsle; Huguet
d'Asnieres ; Pierre de la Bouclierye ; ung nommé Tar-
tarin et vni hommes d'armes de ceulx de Fontrailles ;
messire Mercure avecques ses Albanoys ; lesquelz firent
une sanglante excution de Gennevoys, qui tousjours
se deffendoyent, en eulx retirant a la cyme de la mon-
taigne, et tant de trect tiroyent que bien iiii" de ceulx
des gens de pié, que françoys que allemans, y mou-
rurent, et y eut de blecez bien quatre cens ou plus,
car ausi estoyent ilz mal armez. Le seigneur deMilho,
Malherbe, Peralte et Pomeroul*, avecques quelques
aultres capitaines de leurs bendes, marchèrent tout au
droict de ladite montaigne au bastion. Les Allemans et
les autres gens de pié, avecques les chevaucheurs
qu'ilz avoyent en queuhe, marchèrent ausi rondement
droict amont. Et, voyant iceulx Gennevoys que de
toutes pars leur montaigne estoit assaillye et que les
Françoys approchoyent leur bastion, habandonnerent
leur fort et misrent le feu dedans leurs pouidres. La
monta des premiers Jacques d'Allègre et prist l'estan-
dart de sa bende, puys tout le premier entra dedans
ledit bastyon, tout plain de feu et de fumée de la
pouldre qui ja estoit bruslée, et mist son estandart
dessus celuy bastion''^. Les Allemens et autres gens de
1. « Mallarbe, Millaut et Pommereux b {la Bataille et assault).
2. La relation officielle s'accorde avec d'Autun sur ce point
Avril 1507] GOMMANT MESSIRE J. DE CHABBANNES, ETC. 203
pié f'rançoys tuèrent la tous les Gennevoys qu'il y trou-
vèrent^ et donnèrent la chace aux fuyons jucques contre
les portes de Gennes.
Ainsi que ce chaplys duroit et que les Françoys
gaignoyent la montaigne, au bas, a l'entrée du chemin
par lequel on monte droict au bastyon, avoit une forte
barrière sur le gravier, ou estoyent la pour la garde
d'icelle mille ou xii cens hommes de guerre genne-
voys, pensant que la venue des Françoys se feroit par
la. Et, ce pendant que ceulx qui alloyent en la bataille
montoyent a mont, ceulx de ladite barrière ennuyoient
moult les gens d'armes, tant de trect que d'artillerye
et des saillyes qu'ilz faisoyent sur le camp ; dont le
lieutenant du Roy y fist mener troys grosses coulle-
vrines et ung canon serpentin pour batre ladite bar-
rière et une maison qui estoit au dessus ; et aussi fist
marcher une bende de Suyces, lesquelz, voyant ladite
barrière, dont venoit le trect et artillerye sans cesser,
ne la voulurent assaillir, mais disrent qu'il yroyent
voluntiers a la bataille ou estoyent allez leurs compai-
gnons. Et lors ung nommé messire Rigault Doreille,
du pays d'Auvergne, maistre d'ostel du Roy, s'en alla
vers ladite barrierre, faignant escarmoucher, pour
icelle adviser et la manière des Gennevoys qui la gar-
doyent ; et, cela veu, en s'en retournant, trouva ung
nommé Guyon Le Roy, seigneur de Ghillou, auquel
qu'on occupa le fort presque sans coup férir. D'après Symphorien
Ghampier, Bayard occupa le fort après avoir solidement combattu
avec Maugiron. D'après la Bataille et assault, on tua 100 ou
120 hommes, on en perdit 30.
1. La perte des Génois fut en tout de 1,500 à 1,600 hommes
dans la journée, celle des Français minime {la Oonqueste).
204 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
dist : « Venez voir une barrierre que les Gennevoys
tiennent, laquelle me semble assez facille a gaigner, et
m'est advys, si quelque bonne bende de gens de pié
marchoit celle part, que bientost seroit gaignée ; et,
qui me vouldra bailler ranfort, je prendray sur mon
bonneur de l'emporter. » Geluy Guyon le Roy dist :
« Pour moy, ne tiendra qu'elle ne soit assaillye, et de
ma part m'y trouveray voluntiers avecques vous. »
Et, sur ce point, ledit messire Rigault s'en va hastive-
ment devers messire Gharles d'Amboise, lieutenant de
l'armée, lequel avoit l'ueil et la main a toute heure au
besoing de l'affaire ; auquel dist messire Rigault :
« Monseigneur, il y a icy près sur le gravier, a l'en-
trée d'ung chemin qui va droict au bastyon d'amont,
une forte barrière et grant nombre de Gennevoys qui
la gardent, et de la ennuyent fort l'armée du Roy a
coups de trect et d'artillerye ; par quoy me semble
qu'il est mestier de gaigner ladicte barrière, laquelle
n'abandonneront iceulx Gennevoys pour nostre artil-
lerye, car il ont des taudys ou se garantissent. Et
aussi les Allemans que avez la envoyez pour l'as-
saillir ne veullent coup donner, combien qu'elle soit
de prise et facille a emporter ; car j'ay veu et advisé
l'entrée, qui est gaignable pour gens de pié; pour ce,
s'il vous plaist m'en bailler quelque bonne bende, il
m'est advis, et me semble sans faillir, que je chaceray
les villains et gaigneray ladite barrière. » Messire
Gharles d'Amboise, oyant ce propos, luy bailla les
cinquante hommes d'armes et cent archiers de messire
Yves d' Allègre, lesquelz fist tous la marcher a pié.
Droict a ladite barrière adressa messire Rigault
Doreille, avecques luy ledit Guyon Le Roy et ung
Avril 1507] GOMMANT MESSIRE J. DE CHABBANNES, ETC. 205
autre, nommé Phillebert de Beaujeu, et les hommes
d'armes et archiers dudit seigneur d'Allègre. La fut
ung nommé Anthoyne de Sainct Nectaire \ capitaine
des archiers, lequel marcha droict avecques ses
archiers ; et a la queuhe d'iceulx estoit ung nommé
James de Saincte Golumbe, lieutenant de ladite com-
paignye, avecques ses hommes d'armes, tous a pié,
lesquelz marchèrent droict a la barrière, dont grans
coups de trect et haquebutes venoyent. Et, a l'appro-
cher, messire Rigault Doreille dist aux gens d'armes
qui le su y voient : « Marchez hardyment et seurement,
car j'ay veu l'entrée des barrières, laquelle est aisée,
et ja sont les villains esbranllez. » Ce dit, se met
devant l'espée au poing, et la, a grans patacz, char-
gèrent Françoys sur ceulx de la barrière. Les archiers
commaincerent a descocher flèches au travers de la
route des Gennevoys ; les hommes d'armes pareille-
ment se meslerent en la presse et chargèrent tous
ensemble, en manière que la barrière fut habandonnée
desdits Gennevoys et gaignée par les Françoys, les-
quelz leur donnèrent la chace jusques a une maison
estant sur le bort du chemin et fortiffyée de gens et
d'artillerye. James de Saincte Golumbe, avecques ses
gens d'armes, assaillit celle maison si très vivement
que les Gennevoys l'abandonnèrent et se misrent a
monter la montaigne par divers lieulx.
Alors que ses exploictz se faisoyent, les gentis-
hommes et autres, qui estoyent montez des premiers,
combatoyent en plusieurs lieux par ladite montaigne,
dont lesdits Gennevoys, qui s'enfuyoient de ladite
1. En Auvergne.
206 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
barrière a mont, furent la pluspart rancontrez des
Allemans et gens de pié françoys ; et Dieu scet quelle
composicion ilz eurent ! Jusques au sommet de ladite
montaigne montèrent les Françoys qui avoyent gaigné
la barrière d'embas, et la trouvèrent grant excution
de mors, dont il y en eut, scelon l'extimede plusieurs,
environ deux mille cinq cens Gennevoys, et des Fran-
çoys et Allemans bien cent, et de quatre a cinq cens
blecez.
Tandis que les Françoys donnoyent la chace et
tuoyent les Gennevoys par les montaignes, a l'autre
costé de la montaigne, sur main dextre, au dessus
d'une abbaye de sainct Benoist, avoit grant nombre
de Gennevoys armez. Et, ce voyant, le lieutenant du
Roy, qui avoit l'ueil par tout, appella ung nommé
Cossains, capitaine de cinq cens laquays, lequel fist
monter, avecques ses piétons, droict ou estoyent les
Gennevoys. La, sur le gravyer, estoit toute l'armée de
France en ordre sans se mouvoir nullement, dont
aucuns regardoyent monter ledit Cossains et ses pie-
tons, disant que sur la montaigne avoit moult grant
nombre de gens armez, et que c'estoit bien peu de
envoyer cinq cens hommes seuUement, et que bon
seroit de marcher après quelque nombre de gens a
cheval sur la queuhe pour les secourir si besoing en
estoit. Et, sur ce, ung nommé Guillaume GoufFyer, de
la maison de Boisi, lieutenant des cent hommes
d'armes du marquys de Mantoue, et aucuns autres
gens d'armes de diverses compaignyes, estant jusques
au nombre de xx hommes d'armes et archiers, sor-
tirent de leur ordre et lesserent leur enseigne, tirant
après ledit Cossains et ses piétons, qui s'estoit ja
Avril 1507] GOMMANT MESSIRE J. DE CHABBANNES, ETC. 207
assemblé avecques les Gennevoys, et donné dessus si
rudement que la place luy estoit demeurée. Les Gen-
nevoys, qui estoyent des villains de Poulcevre, se
misrent en fuyte par le bas de ladite montaigne, les-
quelz furent arrestez par les gens de cheval et recba-
cez amont. Les laquays de Gossains parreillement les
rambarrerent , en manière que grant partie d'iceulx
furent encloulx. Et eulx, cuydans gaigner ung chemin
au dessus d'une abbaye qui est au bas de ladite mon-
taigne pour tirer a Sainct Pierre d'Areine et a Gennes,
furent la arrestez, chapplez et assommez bien cinq
censS comme fut dit par aucuns de ceulx qui avoyent
esté a l'exploict.
Ainsi fut gaigné la montaigne nommée la montaigne
des Deux Frères^, pour une desconfîture que firent
la autres foys deux frères gennevoys sur leurs enne-
mys ; et ausi fut gaigné leur bastyon par Jacques d'Al-
lègre, seigneur de Milho. Ghascun de ceulx qui furent
a ce faict honnourable s'i aquicterent tellement que
pour eulx y aquirent louange inmortelle et renom flo-
rissant. Et entre autres fut donné le bruyt a messire
Jacques de Ghabbannes, conduyseur de la première
charge, et aux gentishommes de sa, bende, lesquelz
eurent le premier hurt, soustindrent le plus grant
faix et en portèrent plus de peine ; car eulx, armez de
toutes pièces et a pié la pluspart, monsterent ladite
montaigne haulte a merveilles et tant droicte qu'en
plusieurs endroictz d'icelle failloit gripper les buissons
et monter a quatre piedz. Somme, ce fut ung œuvre
1. Trois cents, d'après Guichardin.
2. Montagne au-dessus de Gênes, au revers de laquelle se trouve
l'aqueduc Due FrateUi.
208 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 4507
de merveilles a tous ceulx qui en ouyrent parler et
espouventable a tout le monde.
Jusques a celle heure ne sceurent ceulx du chasteau
le vray de leur secours, car, voyant paravant les vil-
lains sur les montaignes, pencoyent que de la veinssent
assiéger et assaillir le chasteau. Mais, voyant la croix
blanche et l'estandart des Françoys sur le bastyon et
la chace qu'on donnoit aux Gennevoys, lesquelz on
tuhoit a la veue du chasteau, cognurent qu'ilz avoyent
secours et que l'armée de France estoit au pié des
montaignes et dedans. Par lesquelles choses firent ung
cry de joie, comme s'ilz fussent ressuscitez de mort a
vye ; et ausi estoyent ilz en grant hazart, car leur vin
estoit failly et leurs autres vivres diminuez, et des
souldartz grant partye de mors et les autres affoliez.
Toutesfoys, ceulx qui furent sains montèrent sur les
murailles et la firent sonner trompettes et tabourins
en tyrant artillerye au travers de la ville, comme si
tout deust basir, et s'esbaudirent joyeusement. Messire
Gallaaz, voyant du chasteau sur le hault des murailles
du palais deux estandartz de sainct George, fist adres-
ser une grosse serpentine celle part et tirer si a droict
que d'ung coup rua par terre ung d'iceulx estandartz;
de quoy les Gennevoys furent moult esbahys et tant
plus ne s'essayèrent de dresser leur estandart.
Le Roy, qui estoit lors a Bourg de Buzalle, sceut
par postes, que couroyent aucuns de ses varletz de
chambre, les nouvelles de la prise des montaignes et
du bastyon et comme ses gens avoyent gaigné la
bataille; de quoy fut moult joyeulx et manda a messire
Charles d'Amboise, son lieutenant gênerai, que le len-
demain il seroit a son armée.
Avril 1507] GOMMANT MESSIRE J. DE CHABBANNES, ETC. 209
Apres toutes ses choses, gens d'armes furent mys
a garder le bastyon que le seigneur de Milho, avec-
ques quelques autres capitaines de gens de pie et troys
mille laquoys françoys, eut en garde. Ausi furent
ordoiuiez troys mille Allemans a garder la montaigne.
Car ancores tenoyent les Gennevoys le Castellatz qu'ilz
avoyent, au commancement du mutin, gaigné sur noz
gens. Lequel Castellatz est assis au pendant de la
montaigne, du costé de Gennes, contre le bastyon et
le chasteau a main senestre, en descendant du bas-
tyon a la ville, bien garny de gens et d'artillerye, pour
ancores tenir longuement et amuser l'armée. Mais
pour ce que ja estoit sur la vesprée et près de nuyt,
fut dit que pour ce jour ne seroit faict autre chose,
si n'est que gens d'armes furent mys autour de celuy
castellatz pour garder que celle nuyt ne fust ranforcé
de gens ou de vivres, pour celuy assaillir le lendemain
et approcher Gennes.
Ce faict, gens d'armes furent logez et mys chascun
a son Cartier ; l'avan garde fut myse près de Sainct
Pierre d'Areine, a la venue de Gennes ; la bataille, viz
a viz et tout autour d'ung gros bourg, nommé Rivereu ;
l'artillerye et toutes les gens de pié, eiître la bataille et
l'avan garde , tout au droict du bastyon ; l'arriére
garde, au dessoubz du bourg de Rivereu, a ung grand
gect d'arc loings en arrière de la bataille. La, sur les
coustez, et au pendans des montaignes, avoit grant
nombre de palais et beaulx logys a merveilles, qui
estoyent des seigneurs et marchantz de Gennes, ou la
dedans estoyent logez les capitaines et seigneurs qui
la estoyent. Dedans le bourg de Rivereu estoit logé
messire Charles d'Amboise, heutenant du Roy, et
IV 14
210 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
grant conipaignye de gentishommes du Roy, qui
repaissoyent tous a son logis. Ausi tenoit il maison
ouverte a tous venans, ou ce jour me trouvay a l'eure
du soupper pour en avoir ma part comme les autres.
Tout le logys, hault et bas, estoit plain de mordans.
La viz arriver plusieurs des gentishommes qui avoyent
esté a la bataille, dont aucuns n'estoyent ancores
desarmez de leur griefve et garde braz, tous lassez,
et barboillez le visage de pouldre et de sueur. Chas-
cun parloit la de l'affaire de la guerre, ou je ouys et
apris beaucoup de choses que j'ay cy mises par escript.
Sur le point du soupper, devant le logis du lieute-
nant du Roy, arriva grant flote d'Allemans, dont les
ungs portoient les autres a leurs coulz et sur des pic-
ques, tous blecez et sanglantz ; lesquelz fîst monter a
mont, et iceulx fist repaistre et pencer a ses despens
et tenir audit logis jusques ilz fussent guerys.
A toute heure luy survenoit nouvelles de la guerre
et des affaires du Roy ; et, entre autres, au comaince-
ment du souper, survint ung des capitaines des Alle-
mans qui avoit monté la montaigne, disant que iceulx
Allemans ne demeureroyent en ladite montaigne, si
leurs compaignons d'embas n'y alloyent, ou que on
leur envoyast quelque autre ramfort pour leur ayder
a garder ladite montaigne. Et, tout en l'eure, le lieu-
tenant du Roy laissa le soupper et a toute dilligence
s'en va au camp, ou prist gens d'armes et piétons
jusques au nombre de deux mille, et iceulx fist monter
pour aller la ou estoient les Allemans et garder la mon-
taigne avecques eulx ; puys s'en alla tout au long du
camp veoir l'ordre de ses gens. Et, comme celuy qui
avoit la charge du tout, estoit tousjours en piedz, en
Avril i507J GOMMANT MESSIRE J. DE CHABBANNES, ETC. 211
manière qu'il ne dormoit ne nuyt ne jour, mais estoit
tous temps par chemin de lieu en lieu pour luy mesmes
veoir asseoir le guect du soir, et de la mynuyt et du
matin. Et, avecques ce, a voit mys telle pollice et pro-
vision a l'affaire des vivres que toute la vallée de
Poulcevre, qui contenoit plus de xii mille de pays,
estoit tousjours plaine de vivendiers, et si bien estoit
l'ost garny de vivres que la aussi grant marché en
estoit que en la meilleur ville de France. Toute celle
nuyt fut mys gros guet et escoutes a force autour de
Gennes et sur les montaignes.
Ausi ne dormoyent pas les Gennevoys, de leur part,
combien que ilz eussent mal faict leurs besongnes le
jour de devant. La estoit leur duc, nommé Paule de
Nove, et ung autre pizan, nommé Jacobus Gorsus,
lesquelz avoyent la charge de l'armée de Gennes, et
avoyent conduyt ce jour l'armée a la montaigne et
perdu la bataille, comme j'ay dit. Lesquelz voyant le
commaincement de leur maie fortune, pour donner
confort et espérance au peuple, disrent devant tous :
« Mess''% sy nous avons aujourd'uy faicte quelque peu
de perte, demain recouvrerons le tout; car fortune,
qui oncques ne tourna le doulx a Gennes que a ceste
foys, nous sera a une autre secourable. Si noz enne-
mys, les Françoys, occupent partye de nostre mon-
taigne, ancores avons nous le castellatz et la montaigne
de nostre costé a délivre, par ou pouvons monter
sans leur danger jusques a mont, et la leur tenir bas-
tille et pied ferme. Reprenons doncques nouveau cou-
raige de vertueulx vouloir, et nous efforçons de leur
donner ung eschec. Autant de gens, et plus qu'ilz ne
sont, sommes ycy; ne reste plus que avoir bon vou-
212 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
loir de bien faire, et au besoing l'exécuter; pour ce,
est mestier que, demain au plus matin, tout homme
de Gennes qui pourra armes porter se treuve a la
montaigne, délibéré par armes deffendre nostre liberté
que nul homme de cueur vertueulx doit lesser perdre,
si n'est quant et la vye. Pour tant, nobles cueurs de
Gennevoys, trouvez vous a la montaigne des Deux
Frères, pour la vivre et mourir a la deffence de vostre
franchise et garder vostre cyté. Outre, est ad visé que,
pour noz ennemys admuser et surprendre, envoyrons
ambaxades devers le lieutenant du Roy de France,
faignant de vouloir parlamenter et rendre la ville ;
lesquelles ambaxades exploreront et adviseront l'ar-
mée des Françoys, les lieulx ou est assix leur camp et
la manière de leurs gens d'armes pour nous en adver-
tir, affin de donner dedans par le plus aisé; et ce pen-
dant nous monterons tous par le derrière de nostre
montaigne, affin qu'ilz ne voyent nostre puissance ; et
nous, ainsi montez, ferons faire une saillye de troys
ou quatre mille hommes vers le costé de la Lanterne,
comme pour leur vouloir donner de ce costé la bataille,
ou souldainement acourra toute l'armée ; et, elle ainsi
passée, devallerons de la montaigne, et a tour de bras
leur donnerons la charge sur la bataille ou arrière
garde, dont seront effrayez du bruyt et se desordon-
neront en manière que, sans faillir, si nous avons
cueur, nous gaignerons la bataille et mectrons tout a
sac. » La furent presens Paule Baptiste Justinian,
Demetrius Justinian, Manuel de Ganalle, Anthonius de
Giuully, des premiers mutins de Gennes, et deux capi-
taines, nommez Ternatin et Gambecourte, lesquelz,
devant tout le peuple de Gennes, louèrent et recom-
Avril 1507] GOMMANT MESSIRE J. DE CHABBANNES, ETC. 213
mandèrent l'oppinion susdite, disant que de meilleur
ni plus seur moyen ne sauroyent trouver pour deffaire
les Françoys; a quoy s'accorda tout le peuple, tant
que, toute la nuyt, ne firent autre œuvre par la ville
que armer gens, voire de tant, comme depuys je sceu
par mon hoste de Gennes, que en nombre se trou-
vèrent quarante mille hommes armez ou plus, les-
quelz, de l'aube du jour, se mirent a monter la plus-
part, et, eulx montez, se mirent entre les montaignes
hors la veue de noz gens; toutesfoys bien furent
advertys par ceulx de nostre guect que grant nombre
de Gennevoys estoyent montez.
Au plus matin, envoyèrent devers le lieutenant du
Roy leurs ambaxades, lesquelz passèrent par le Car-
tier de l'a van garde, regardant sa et la comme avoyent
charge de faire, disant a ceulx qui les enqueroyent
ou ilz alloyent : « Nous allons en ambaxade devers le
lieutenant du Roy pour parlamenter et faire composi-
cion, pour rendre la ville au Roy; » et, ainsi tous-
jours, en regardant l'ordre de l'armée, passèrent
oultre jusques au logis du lieutenant du Roy, auquel
disrent la charge qu'ilz avoyent de la ville. « Je ne
puys riens, dist il, conclure avecques vous, ne ne
povez avoir responce jusques a la venue du Roy, qui
sera icy dedans deux heures, comme il m'a mandé;
je m'en voys au devant de luy pour l'advertir de
tout. » Oyant lesdits Gennevoys que le Roy estoit si
près, furent tous esbahys, pencant qu'il ne viendroit
point, quelque chose qu'on en dist, ce que pareille-
ment ne croyeient ceulx de Gennes. En bonne garde
furent mys lesdits ambaxadeurs.
Ce faict, messire Charles d'Amboise prist grant
214 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
nombre de gens d'armes et s'en alla au devant du Roy,
qui estoit party bien matin de son logys et avoit che-
vauché, armé, et matin pour la frescheur.
XXIII.
Gommant le Roy se rendit a son armée devant
Gennes, et d'une bataille gaignée par les Fran-
ÇOYS, et comment la ville de Gennes se rendit
AU Roy*.
Le Roy, sur les ix heures du matin ^, arriva au
camp avecques grosse route de gens d'armes, et fut
le xxv""®^ jour du moys d'apvril, en l'an susdit mil
GGCCG et sept. Autour de luy, devant et derrière,
estoient ses deux cens gentishommes, tous en armes,
et leurs chevaulx bardez et acoustrez richement. Avec-
ques luy estoyent le duc de Bourbon, le duc de Cal-
labre, le duc de Longueville, le duc de Ferrare, le
conte de Nevers, le marquys de Mantoue, le marquis
de Monferrat, le seigneur Jehan Jourdan et plusieurs
autres grans seigneurs^, tous armez et vestus de soyes
de drap d'or et d'orfev[re]rie, montez sur grans cour-
ciers bardez moult richement. Le Roy, armé de pié en
cap, estoit au millieu des quatre cens archiers de sa
garde, les xxiiii du corps tout au joignant de luy; les-
1. Miniature au fol. lxxiii r» du texte, représentant une bataille :
la cavalerie exécute un mouvement tournant; dans un coin, les
piquiers, genou en terre. Le roi marche au milieu, l'épée à la
main, couronne en tête, suivi de ses archers.
2. Vers onze heures, d'après la Gonqueste.
3. 26 avril.
•'». Notamment Louis de la Trémoille, d'après Jean Bouchot.
Avril 1507] GOMMANT LE ROY SE RENDIT A SON ARMÉE. 215
quelz archiers estoient armez de leurs brigandines et sal-
lades, vestus de leurs hoquetons, les arcz tendus, et
faisoyent entre autres belle monstre en marchant moult
fièrement. Au derrière de luy avoit une escoardre de
gens d'armes semblant estre assez pour devoir sous-
tenir ung faix de grosse bataille. Somme, sa route
duroit une lieue de pais, ce que pouvoyent clerement
veoir les ennemys qui estoyent en la montaigne, dont
furent esbahys, ne se doubtant de sa venue. Les Alle-
mans de sa garde, tous enpennachez, armez de halle-
cretz et la picque au poing, marchoyent en poincte et
devant les archiers de la garde. De sa venue fut tout
l'ost rejouy. Les Allemans comaincerent a batre leurs
groux tabourins et marcher en ordre au devant de luy,
en luy faisant la révérence le genoil en terre. Ce faict,
après qu'il eut veu et advisé l'ordre de toute son
armée, qui la estoit toute en bataille, s'en alla loger a
ung monastère de sainct Benoist, au pié de la mon-
taigne, sur main destre, ou la avoit beau logis, et
dévote eglize et grans jardrins doux de bonnes mu-
railles; dedans lequel furent logez les quatre cens
archiers de la garde, les cent AUemens. Le cardinal
d'Amboise fut logé la dedans ledit monastère, avecques
partye de son train. Maistre René, cardinal de Prie,
estoit pareillement logé la près. Tristan de Salluzart,
arcevesque de Sens, suyvit ausi le Roy, et si avoit
avecques luy xx hommes a cheval, tous la brigandine
sur le doux, et luy son harnoys complet dedans ses
coffres et ung bon coursier pour le servir a besoing.
Tantost que le Roy fut arrivé, messire Charles d'Am-
boise, son lieutenant, luy mena les ambaxadeurs de
Gennes, qu'il ne voulut veoir ne ouyr; mais les envoya
216 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
au cardinal d'Amboise, pour les ouyr et savoir qu'ilz
vouldroyent dire, et, ce faict, adviser sur leur des-
pesche. Apres disner, les ambaxades furent ouyes tou-
chant leur charge, telle que le peuple et toute la ville
[de] Gennes disoient que voluntiers se rendroyent au
Roy et luy mectroyent ladite ville entre les mains, leurs
libertez, biens et vyes saulves ; priant ledit cardinal
d'Amboise très humblement de vouloir intercéder
pour la desollée cyté de Gennes, et qu'il fust le bon
plaisir du Roy, leur seigneur souverain , comme disoient,
de ne vouloir destruyre son mesme pays, et que ilz
amenderoyent partye au vouloir du seigneur : auquel
propos ne voulut entendre le Roy ne rendre autre
responce ^ .
Advint, ce pendant et durant ce parlement, sur les
troys heures après mydy, que ung allarme se fist sur
le camp, tellement que le bruyt fut incontinent par
tout l'ost, dont chascun courut aux armes. Les deux
cens gentishommes, les iiii cens archiers de la garde
et les cent AUemans du Roy furent armez, les gentis-
hommes a cheval et les archiers a pié, tous joygnant
le logys du Roy, avecques plusieurs de ses princes et
pencyonnaires. Le Roy, oyant le bruyt de son logys,
demanda que c'estoit. L'ung de ses chamberl'ans,
nommé messire Françoys de Rochechouart, senechal
de Touloze, luy dist : « Sire, c'est quelque allarme qui
est survenu au camp. & — « Gommant? dist le Roy;
ce n'est pas ce que les ambaxadeurs disoyent, qui
sont venus cy pour parlamenter et trecter de la
1. D'après la Conquesle cl assaull, cost (^.harles d'Amboise qui
les reçut; il les invita à livrer, avant tout, au rui leur doge et
douze notables.
Avril 1507] GOMMANT LE ROY SE RENDIT A SON ARMÉE. 217
paix*. Or allez, dist il, voir ce que c'est. » Et, sur ce,
ledit messire Françoys de Rochechouart sortit hors et vit
aucunes des trompettes courant parmy l'ost et cryant
l'alarme a toute force. Si s'en retourna devers le Roy
le plus tost qu'il peut, disant : « Sire, sans point de
faulte il y a bruyt, et me doubte que ce soit vers la
Lanterne et que par la les Gennevoys ont faict quelque
saillye. » Et tout a coup le Roy se fist armer^ et mon-
ter ses archiers de la garde tous a cheval, et trans-
mist messire Mercure, avecques ses cent Albanoys,
devers la Lanterne hastivement, pour aller savoir que
c'estoit, et retourner incontinent. Lequel, a course de
cheval, fut tantost près les portes de Gennes, dont
estoit sorty grant nombre de Gennevoys, et estoyent
entre leurs barrières et la tour de la Lanterne. Messire
Charles d'Amboise avoit faict mectre l'avan garde ja
en ordre, a l'issue du bourg de Sainct Pierre d'Areine,
pour les actendre : lesquelz ne marchoyent, mais
estoint arrestez pour admuser l'armée, comme avoyent
entrepris. Du costé des montaignes devers Gennes
commaincerent Gennevoys a monter a la foulle de tous
costez, et tant que lesdites montaignes estoyent cou-
vertes de Gennevoys armez. Les autres de ceulx qui
estoyent les premiers montez , lorsqu'ilz virent leurs
gens approcher, sortirent d'entre les montaignes, et
tous ensemble plantèrent amont leurs enseignes, les-
quelles se pouvoyent voir de abas ; et y en avoit deux
blanches et une rouge, et une my partye de rouge et
de blanc, et plusieurs autres, qui ne se pouvoyent
d'ambas clerement adviser, sur le hault de troys
1. Tout le camp français cria à la trahison {la Bataille et assauU).
2. Cf. Saint-Gelais, p. 193.
218 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
montaignes, comme a un gect d'arc près l'une de
l'autre. Sur ladite montaigne se misrent Gennevoys en
troys grosses routes, et tout le long du sommet de
ladite montaigne, venant de Pontedesme près du bas-
tion que les Françoys tenoyent, et en ung autre lieu,
a Cartier du Castellas, a main senestre entre les mon-
taignes, estoit la grande escoadre de leurs gens, ou
pouvoyent estre en tout quarante mille hommes ou
plus'; et la se misrent tous en bataille. Le seigneur
de Milho et autres capitaines qui gardoyent^ le bastyon,
et les capitaines des AUemans qui tenoyent la mon-
taigne de nostre costé, mirent toutes leurs gens en
deux batailles, ou estoyent de six a sept mille hommes
françoys et allemans, près les ungs des autres de six
vingtz pas ou envyron. Le maistre de l'artillerye avoit
faict monter a force de gens et de cables, des le soir
de devant, six grosses pièces d'artillerye et xxx coul-
levrines a croc sur chevalletz, portées par les pion-
niers; desquelles pièces, aucunes furent mises et
assises aux lieux ou estoyent les gens d'armes fran-
çoys et allemans, estans sur la montaigne ; et la icelles
pièces embouchées droictement contre les Gennevoys,
et, pour icelles tirer, montèrent la viii des canonnyers
du Roy.
En ce point, avoyent les ungs et les autres ordon-
nées leurs batailles et mys ordre en leur affaire. Les
Gennevoys doncques avoyent donné l'alarme sur le
Cartier de la Lanterne pour faire tirer la l'armée du
Roy, et mises sur les montaignes leur grosse puis-
1. 12 à 15,000 d'après la Conquestc. Le roi envoya conlrc eux.
4,000 hommes.
2. Le texte porte yrardoi/ent.
Avril 1507] GOMMANT LE ROY SE RENDIT A SON ARMÉE. 219
sance pour donner par le bas de ce costé sur les Fran-
çoys, qui tantost cognurent leur stragenye : a quoy
pourveust le Roy, qui ja estoit armé et monté sur ung
coursier, nommé Bay gracieulx, qui estoit moult adroict
pour les armes; et, hors de son logis, accompaigné
de plus de trente mille hommes armez, sans plus
actendre, marcha tout droict ou pensoit estre le
bruyt; mais, voyant la montaigne de tous costez plaine
de Gennevoys, et en troys ou quatre lieux avoit
grosses bat[a]illes, fîst arrester toute son armée et
mectre en bataille bas tout au droict du batyon.
Devers la Lanterne estoit l'avangarde en bataille, pour
la actendre les Gennevoys, lesquelz ne sortirent de
leurs barrières, mais se retirèrent : de quoy, messire
Mercure advertist le Roy, qui lors arrengeoit ses ba-
tailles et luy mesmes mectoit ses gens en ordre,
disant que luy mesmes monteroit a mont, pour se
trouver a la meslée; ce qui luy fut desconceillé par
tous ses capitaines. La fut tenu conseil qu'il estoit de
faire, et s'il estoit bon de leur donner la bataille. La
furent messire Charles d'Amboise, lieutenant du Roy,
messire Robinet de Framezelles, et plusieurs autres
capitaines de l'armée et sages chevaliers ; dont aucuns
furent d'avys que le lieu estoit moult advantageulx
pour leurs ennemys, disant : « Sire, vous voyez vos
ennemys a grosse puissance a merveilles, lesquelz ont
pris lieux avantageulx et choisi le plus a main de la
place; et ausi que, pour les combatre, sont amont peu
de nombre de voz gens, au regard de eulx ; et en oul-
tre, sire, vous voyez que l'eure est ja tarde ; » ausi
estoit il sur le point de cinq heures du soir. Par quoy
dirent aucuns capitaines : « Premier que ranfort peust
220 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
estre monté a mont, la nuyt seroit venue, et les vil-
lains, qui savent et cognoissent les segretz et des-
troictz des montaignes, pourront la nuyt avoir avan-
tage sur voz gens et leur donner quelque amorce.
— Rien, dist le Roy, il est ancores plus de deux
bonnes eures de souleil. Avecques ce, je voy mon
armée joyeuse et délibérée de combatre, et mes
gens d'amont près de comaincer le combat, et les
villains serrez et en craincte : et suys seur que tout
soubdain tourneront le doulx qui vivement les char-
gera. Ce say je, car autres foys les ay je veuz en
meslée, dont grosse route d'iceulx, a peu de Fran-
çoys, furent deffaictz. » Ce dit, appella messire Mer-
cure, capitaine de cent Albanoys, auquel dist : « Mon-
tez la sus avecques tous voz Albanoys, et sur la
bataille des Gennovoys, que voyez plus prochaine du
bastyon que tiennent mes gens, et faictes une legierc
escarmouche. Et ce pendant, au derrière de la mon-
taigne, faictes mectre quelque embûche de voz gens
et autres a cheval pour vous secourir, s'il en est
mestier. Et, après vostre escarmouche, faignez de
vous retirer, pour les actraire jusques a l'embusche,
et la leur donner quelque venue. Et ce pendant, je
feray monter grosse puissance de gens de pié et a
cheval, pour se joindre a ceulx d'amont et donner la
bataille. »
Ce dit, messire Mercure avecques ses cent Alba-
noys, tous bien montez, a tout leurs bannerolles, se
mectent a mont le long du chemin, tirant droict au
bastion. Plusieurs françoys a cheval, et autres, se
misrent après ; et entre autres, le marquys Francisque
de Gonsago, marquis de Mantoue, monté et armé a
Avril 1507J GOMMANT LE ROY SE RENDIT A SON ARMÉE. 221
l'albanoise avecques grant nombre d'autres. Pareille-
ment fist monter des AUemans, au nombre de troys
mille, desquelz troys de leurs capitaines fist la cheva-
liers ; puys fist ceulx monter, et autres de ses gens
de pié, jusques a nombre de six mille : lesqueulx
ne prindrent le chemin des Albanoys et autres gens
de cheval, pour ce que c'estoit le plus long; mais
des le pié de la montaigne, tout au droict du bastyon
se mirent a gri[m]pper, et monter comme escureulx.
Le Roy regardant ses gens aller ainsi allègrement, et
toute son armée délibérée, estoit moult joyeulx; et
si alloit de lieu en lieu, regardant son armée, avec-
ques face joyeuse et manière asseurée, l'espée en la
main, pour faire tenir chascun en son ordre. La son-
noyent trompettes et groux tabourins de Suyces, a
toutes mains. Autour de luy estoyent Charles, duc
de Bourbon; Anthoyne de Lorreine, duc de Gallabre;
Françoys d'Orléans, duc de Longueville ; Jehan Stuart,
duc d'Albanye ; Alphons d'Ast, duc de Ferrare ; Charles
de Cleuves, conte de Nevers; Jehan Guillerme, mar-
quys de Montferrat ; le conte de Vandosme*; Guy de
Laval; le conte de Poitievre; le prince de Talmont;
Jacques de Bourbon, conte de Roussillon; le seigneur
Jehan Jourdan ; messire Germain de Bonneval ; messire
Mery de Rochechouart , et plusieurs autres seigneurs
de France et de Bretaigne, et tous ses autres gentis-
hommes et pencionnaires, avecques tous ses hommes
d'armes, la lance sur la cuisse. Ausi se trouva a ceste
bataille Tristan de Salluzart, arcevesque de Sens, armé
de toutes pièces, et monté sur ung bon coursier, une
\. Charles de Bourbon, comte de Vendôme.
222 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
grosse javeline ou poing, disant, puysque le Roy y
estoit en personne, que tous ceulx des siens qui
avoyent pouvoir de le deffendre, ce devoyent la trou-
ver en armes. Et si avoit ledit arcevesque xx hommes
des siens, tous le harnoys sur le dos.
Les Gennevoys tenant bataille amont sur la mon-
taigne, voyant de tous costez monter Françoys et
AUemans, et marcher droict a eulx, furent tous asseu-
rez d'avoir la bataille, s'il actendoyent : ce que furent
tous délibérez de faire, et en bransle de charger sur
ceulx des Françoys et AUemans qui la estoyent des
premiers amont, premier que les autres qui mon-
toyent se fussent joingtz a eulx. Et ainsi qu'ilz vou-
loyent esbransler, pour marcher droict a eulx, messirc
Mercure ayant ja faict son embusche, avecques par-
tye de ses gens, sort par derrière d'une montaigne,
a la veue du Roy et de l'armée d'ambas, et luy
mesmes comainça l'escarmouche. Mais, a coup de
trect et de hacquebutes le receurent les Gennevoys,
dont aucuns d'iceulx sortirent en place, et a grans
coups de picques chargèrent les Albanoys, qui pareil-
lement, a course de cheval, qui estoient faictz et
duytz aux escarmouches des montaignes, a poincte
de lance les retournoyent bâtant jusques a leur
bataille. A ceste escarmouche estoit le marquis de
Mantoue, Françoys de Maugyron, et d'autres Ita-
liens et Françoys tout plain. Longuement dura l'es-
carmouche, ou six des Gennevoys furent tuhez, et
deux Albanoys blecez et ung mort. Les AUemans,
demeurez a bas avecques le Roy, voyant anioîit
comaincer l'escarmouche, se misrent tous a ge-
noulz et baisèrent la terre, les bras emcroisez; et
Avril 1507] GOMMANT LE ROY SE RENDIT A SON ARMÉE. 223
tant que dura ladite bataille, tousjours furent age-
noilez. Tandy s que celle escarmouche duroit, les
Françoys et Allemans montoyent la montaigne, et les
Gennevoys approchoyent leurs batailles. Et, lorsque
messire Mercure sceut que tous les Françoys et Alle-
mans que le Roy avoit commandé a monter furent
essemblez, après avoir donné une charge sur les Gen-
nevoys de la plus prochaine bataille, fist manière de
se retirer avecques ses gens : et tout en l'eure, toute
ceste brigade de Gennevoys lesserent leur montaigne
et se mirent après ; ceulx de leurs autres batailles,
pareillement le plain pas ; et les aucuns a course suy-
virent les Albanoys, en faisans grans huées et criz
orribles, disant : Acarnef acarnef amacef amacef La
demye lieue près n'eussez ouy tonner, pour le bruyt
des Gennevoys, qui pençoyent que les Françoys s'en-
fuissent. Mais tout soubdainement, lorsque iceulx Gen-
nevoys furent assez près, deux grosses pièces d'ar-
tillerye furent a travers d'eulx deschargées ; et ceulx
qui estoient en embusche sortirent avecques toutes
les deux batailles des Françoys et des Allemans, les
Albanoys et autres gens de cheval, ensemble, et
donnèrent sur ceste première bataille de Gennevoys
si rudement, que, sans résistance de gens vertueulx,
tournèrent le dos. Les autres qui estoyent au derrière
d'eulx, et venoyent a leur secours, voyant la pre-
mière de leurs batailles fuyr vers eulx, et les Fran-
çoys a leur dos, qui les tuhoyent a grans monceaulx,
furent effrayez, mesmement Paule de Nove, leur duc,
et Jacobus Gorsus, chiefz de leur armée, lesquelz ne
sceurent plus tenir en ordre leurs gens, ne rallier
ensemble; car chascun se mist a la fuyte : dont les
224 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
aucuns se lessoyent cheoir et rouller du liault en bas.
Grant occision en fut faicte, car les gens de cheval
les arrestoyent par les monlaignes, et les piétons
mectoyent tout a sac. La chace leur fut donnée plus
de deux mille par les montaignes : dont aucuns se
deffendoyent , les autres se laissoyent copper les
gorges comme moutons. Et me fut la conté que, a
ceste deffaicte, ung des Albanoys de messire Mercure,
a la rancontre de la première bataille, coucha sa lance
pour assenner ung gennevoys, jeune, fort et legier;
lequel gennevoys actendit l'albanoys, a tout une ron-
delle en la main, et une espée en l'autre, et de sadite
rondelle destourna le coup de celuy albanoys; puys
soubdainement s'aprocha de luy, et d'ung sault le
saisit au travers du corps, tellement qu'il le mist
hors la selle de son cheval, et le porta par terre :
lesquelz l'ung sur l'autre se tournoyèrent et voiltril-
lerent troys ou quatre tours. Le gennevoys ne se pou-
voit bien aider de son espée, qui estoit longue ; l'alba-
noys ne pouvoit rancontrer son poignault, qu'il avoit
derrière le doulx, couvert du panneau de sa longue
robbe. Mais a la partîn ledit albanoys, qui estoit en
grant danger de sa vye, fut secouru, en manière qu'il
eut loisir de trouver son poignault, de quoy trencha
la gorge audit gennevoys.
Toute la montaigne fut jonchée de mors et ensan-
glantée du sang de ses pouvres Gennevoys, qui furent
menez tuhant jusques dedans les portes de Gennes, et
plus de deux mille par les montaignes, tant que le
nombre des mors fut extimé a xiiii cens hommes \
1. 200, d'apn'is la Gonqueste et la Bataille et assaiilt.
Avril 1507] GOMMANT LE ROY SE RENDIT A SON ARMÉE. 225
et de Françoys environ xxxvi, mais grant nombre
de blecez.
Voyant le Roy que, a l'aide de Dieu, il avoit gai-
gné la bataille et defFaict ses ennemys, fist assoir son
camp et mectre ses gens d'armes autour de Gennes
pour y aller le lendemain mectre le siège et destruyre
tout, si elle^ ne se rendoit a sa mercy; et, premier
que faire autre œuvre, tout armé s'en alla en l'esglize
de l'abbaye ou il estoit logé, rendre grâces a nostre
Seigneur de sa victoire, puys se fist desarmer et se
mist a repos.
Le duc de Gennes, Paule de Nove, voyant de tous
poinctz les Gennevoys abatus et deffaictz, et son règne
prendre fin, ne sceut plus que faire ne a quel moyen
avoir recours, si n'est a la fuyte; dont prist de ses
bagues ce qu'il peut, et, avecques grant nombre
d'autres Gennevoys, sachant la estre le Roy en per-
sonne, tous espouventez s'enfuyrent. Ledit Paule de
Nove s'en alla avecques sa suyte embarcher au gouf-
fre- de Rappalle, de nuyt, pour la doubte des galleres
du Roy qui estoyent autour du moule de Gennes, et tira
droict en l'isle de Corse : aucuns des autres s'en allè-
rent en Barbarie; les autres, a Romrne; les autres,
dedans aucunes de leurs places estans autour de Gen-
nes. Jacobus Corsus, pizan, Tervatin, Gambecourte
et les autres capitaines estrangers, avecques le demeu-
rant de leurs soubdartz, s'enfuyrent par les montai-
gnes droict a leur cartier.
Dedans la ville de Gennes, lors n'avoit que pleurs,
criz et lamentacions de pauvres femmes désolées, qui
1. Le texte porte : sil elle.
2. Golfo.
IV 15
226 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
avoyent perdus aux batailles leurs maris, frères ou
enfans; pencent au surplus que le Roy les destruyroit
du tout et feroit mectre la ville a feu et a sang : dont
ne savoyent autre chose que faire, fors douloir leur
perte passée et actendre l'avenir; et, pour ne perdre
tout, au fons de leurs caves, citernes et roches,
musserent partye de leurs bagues et trésors, et por-
tèrent leur draps d'or et de soye, et partye de leur
chevance, par les eglizes et coUieges de la ville, et
délibérèrent envoyer de rechief ambaxades devers le
Roy et parlamenter pour rendre la ville a la meilleur
composicion que faire se pourroit.
Le mardy au matin, ambaxades furent transmises
devers le Roy^ ; qu'il fist ouyr par maistre Georges,
cardinal d'Amboise, lesquelles ambaxades disrent :
« Nous summes icy venus et envoyées devers le Roy,
nostre souverain seigneur, de par les cytadins et tout
le peuple de la desollée cyté de Gennes, pour au pre-
mier nous recommander tous très humblement a sa
bénigne grâce; et, au surplus, pour la composicion
de l'amende et satisfation du meffaict que sadite
pouvre cyté de Gennes, gouvernée soubz la main du
peuple deslyé et conseil de mutins desordonnez, a par
cy devant commys et perpétré contre sa ires haulte
seigneurie et sacrée magesté ; le supplyant très humble-
ment qu'il luy plaise prendre sadicte ville entre ses
mains et en sa sauvegarde, et son pouvre peuple a
mercy avecques la vie et biens sauves. » A quoy ne
voulut entendre le Roy, mais dist qu'il auroit la ville
\. D'après la Gonqueste, les Génois avaient envoyé, la veille au
matin, une ambassade pour masquer leur attaque. Ils en envoyè-
rent une seconde le soir.
Avril 1507] GOMMANT LE ROY SE RENDIT A SON ARMÉE. 227
et le peuple a sa volunté, ou qu'il mectroit tout au
feu et a l'espée ; sur quoy lesdites ambaxades firent
autres ouvertures, disant que, pour les fraiz et mises de
l'armée du Roy et pour l'amende proffîtable et honnou-
rable, ilz satisferont la pluspart au vouloir dudit sei-
gneur et ordonnance de son conseil : ce que ne voulut
le Roy, disant tousjours qu'il auroit le tout a sa volunté.
De laquelle responce lesdits ambaxadeurs advertirent
le peuple de ladite ville de Gennes : sur quoy tindrent
le conseil, ou plusieurs propos furent alléguez, et fina-
blement conclut, veu l'extrémité ou ilz estoyent; cog-
noissant ausi le Roy, entre les autres dons de ver-
tueuses grâces, estre tant humain que onques ne fist
mourir homme a qui il peust pardonner, et que leur
offence ne touchoit que a luy seul; ayant sur ce con-
fience de sa grâce, dirent le mot en se rendant la
corde au coul, c'est assavoir a sa volunté; luy man-
dant que, a toute heure que luy plairoit, il pouroit
entrer en sadite ville de Gennes et faire du peuple a
son plaisir.
Et, voyant le Roy que tout alloit a son vouloir, receut
lesdits Gennevoys a sa volunté^; de quoy sur le champ
en voulut advertir Françoys de Glermont, cardinal de
Nerbonne, lequel estoit devers le pape, a Romme,
orateur pour ledit seigneur, et luy escrivit lectres
contenant ladite composition : lesquelles montra ledit
1. Une miniature du Voyage de Gènes représente cette scène.
Le roi, à clieval, équipé comme à sa sortie d'Alexandrie, l'épée
à la main, devant une très brillante armée, reçoit les six ambas-
sadeurs vêtus de noir et à genoux. Sur le second plan, le bastion
qui tire. En haut, dans le fond, des Génois en déroute. Arrière-
plan de montagnes.
228 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
cardinal de Nerbonne a nostre Sainct Père le Pape,
qui pallist tout le visage en lisant lesdites lectres et
dist : « Je ne le croy pas! » Plusieurs Romains et
autres avoient faict gaigeures et misailles a plusieurs,
disant que le Roy ne prendroit point Gennes, ou
que de six moys n'y entreroit. Pareillement ledit car-
dinal de Nerbonne transmist lesdites lectres du Roy
a Naples, au seigneur de la Guiche', qui la estoit
pour le Roy, devers le Roy d'Arragon; qui ausi les
monstra audit Roy d'Arragon, lequel ausi ne le cuydoit
point croire; et dist Gonsalles en branlant la teste :
« Il n'est possible, a mon advys, que, en si peu de
temps, une si forte ville, comme est Gennes, fust si
tost rendue? » et est a croire que plusieurs eussent
bien voulu qu'elle n'eust esté prise par les Françoys-.
Mais tant en fut que, le mesme jour de ladite com-
posicion, le Roy transmist la a Gennes le seigneur du
Bouchage, messire Françoys de Rochechouart^ et mes-
sire Raoul de Lannay, et avecques eulx Anthoyne de
Pierrepont* et Pierre de Montalembert, mareschaulx
des logys avecques ses fourriers, pour prendre les
logys et départir les cartiers. Le lendemain tous les-
dits logys furent merchez, et la dedans entrèrent six
1. Jean de la Guiche.
2. D'après la Conqueste, les Génois avaient perdu en tout (à
Monaco et devant Gênes) 3,500 hommes, les Français 200. « Il y
a plus de deux cens ans que le Roy de France ne aultres princes
ne fist si grande conqueste,... a peu de despense et bien peu de
sang répandu. » Fleurange estime la perte des Génois, pour le
siège seul, à 18,000 hommes !
3. Salvago indique Du Bouchage, le bailU d'Amiens (de Lannoy)
et le sire de Piennes.
4. Dit d'Arisoles.
Avril 1507] DU NOMBRE DE L'ARTILLERIE, ETC. 229
cens hommes d'armes, qui furent logés vers le cartier
de Besaigne; et, ce pendant, le Roy se repousoit a
son logys.
XXIV.
Du NOMBRE DE l' ARTILLERIE, DE LA MUNICION d'iCELLE
ET DES NOMS d'aucuns DES CANNONNYERS ET AUTRES
OFFICIERS QUI ESTOINT A CEDIT VOYAGE.
Apres sesdites choses, que le Roy et chascun se
reposoit, en actendant l'entrée dudit seigneur a
Gennes, comme je fisse lors inquisicion, sur le lieu,
des exploictz de la guerre, pour iceulx rédiger en ma
cronique, je me trouvay une après disnée sur le gra-
vier, au lieu ou estoit l'artillerye, laquelle estoit entre
le logys du Roy et ung bourg nommé Rivereu, sur
le milheu du chemin dudit gravyer; et la m'enquys
et demanday [a] aucuns de ceulx qui gardoyent icelle
artillerye ou estoit le capitaine de ladite artillerye^,
lesquelz le me monstrerent; dont a luy m'adressay,
disant : « Capitaine, j'ay charge du Roy de m'enquerir
icy de toutes les choses qui se feront pour icelles
mectre et rédiger par escript. Et, pour ce que j'ay
sceu que estes le maistre de son artillerye, je me
suys adressé a vous pour vous prier qu'il vous plaise
me faire advertir du nombre et de la municion et de
l'exploict de ladite artillerye et des noms de ceulx
qui en ont la charge. » Lequel capitaine me fist mener
au logis du contreroUeur, ou la trouvay ledit contre-
rolleur, le trésorier, le prevost et les commissaires
1. Paul de Benserade, seigneur de Lespy (Relation contempo-
raine, dans le Cérémonial français, I, 712). Cf. plus loin.
230 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
de ladite artillerye, ausquelz dys ma charge et Gom-
mant ledit capitaine m'avoit la faict adresser pour
m'enquerir desdites choses ; desquelles iceulx m'aver-
tirent voluntiers et me baillèrent par escript ce que
j'en ay cy enregistré.
Pour commaincer doncques diray au premier du
nombre des pièces d'icelle artillerye. Premièrement,
y avoit six gros canons serpentins, merchez quatre
aux armes de France et de Millan et deux aux armes
de Luxembourg, que feu Loys, Mons"" comte de Ligny,
fist fondre en Ast; quatre couUevrines bastardes, neuf
moyennes, huyt faulcons, cinquante hacquebutes a
crochet sur chevaletz, bien aisées a manyer\ lesquelles
se portoyent sur le col des pyonniers, voire jusques
au sommet des plus haultes montaignes.
Apres, dirons des municions : ou avoit LX char-
rectes, chargées les xxvi a boulletz serpentins, quatre
de boulletz a couUevrines bastardes, quatre pour les
moyennes et faulcons, six charretes de pouldres ame-
nées de France, a chascune charrecte viii barilz de fil
de bote et de trect, deux charretes ou estoyent les
forges, troys chargées de pelles, picques et tranches,
deux chargées d'aisseaulx pour servir audites pièces,
une chargée de charbon pour les forges, une pour
les ostilz des charrons, deux pour porter les haque-
butes, une pour les charpentiers, une pour les cables
et poulyes, une pour les chargeurs et troys pour les
tentes. Et, oultre ce qui avoit esté apporté de France,
fut pris a Tourtonne xiiii charrectes a beufz, chargées
de boulletz, et xi de pouldre.
1. Les Mémoires de Fleurange, assez médiocrement véridiques,
parlent de 60 grosses pièces et de 500 hacquebuttes.
Avril 1507] GOMMANT LE ROY ENTRA ... A GENNES. 231
Et, pour tirer et mener tout le charroy susdit, avoit
quatre cens vi chevaulx, pris a Bourges, a Orléans et
a Troys en Champaigne. De laquelle artillerye estoit
capitaine ung nommé Paul de, Beusseraille, seigneur
d'Espic; le prevost estoit Ferry Utel, Bernardin Bo-
chetel, contreroUeur ; le trésorier, maistre Florimond
Frotier; les commissaires estoyent Garin Maugué,
Perot d'Oignoiz, Estienne de Ghampellays et Loys
Benoist. Audit lieu avoit l canonniers, desquelz
estoyent Jacques d'Aussel, Pierre de Salleneufve, Thi-
bault d'Archet, Lubin Foucault, Jehan Champion,
Guillaume de la Fontaine, capitaine des pyonniers,
Jehan de Layve, Bobinet Lescot, Robin Garneu, Jehan
Garnier, Jehan Guerin, Glaude Liger, Pierre de la
Rochelle et autres, jusques au nombre de l. Les con-
duyseurs du charroy estoyent Odille de Doyac, capi-
taine, Glaude de Salins et Jehan Bence.
Avecques le train de ladite artillerye, avoit deux
cens myneurs françoys et daulphynoys, soubz la
charge d'ung nommé Glaude du Port, leur capitaine,
lesquelz estoyent tous expertz au mestier de quoy ilz
servoyent.
XXV.
Gommant le Roy entra en armes en sa ville de
Gennes et gommant il fist apporter toutes les
armes de ladite ville dedans le palais''.
Les logis furent merchez et les cartiers départis
1. Miniature, au feuillet iiii^x v» du manuscrit, représentant le
roi en armes, à cheval et l'épée au poing, précédé de hallebar-
232 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
par les mareschaulx et fourriers desdits logis du Roy,
et six cens hommes d'armes mys en ladite ville de
Gennes. Et, ce faict, le jeudy, xxviii^ jour du moys
d'apvril, en l'an susdit mille CGCGC et sept^ le Roy,
sur les VIII heures du matin, partit de son logis du
camp 2, armé de toutes pièces, vestu d'ung riche soye
d'orfeverrye, l'armet sur la teste, tout enpennaché de
plumes blanches, monté sur ung coursier tout noir,
bardé de mesme acoustrement qu'estoit son soye; et
ainsi, avecques tous ses gens d'armes a cheval, se
mist a chemin, tirant droict a Gennes, ou ja avoit
faict mener son artillerye^.
diers aux couleurs jaune et rouge, entrant dans une porte
fortifiée, sur le toit de laquelle on lit, en lettres d'or, l'inscription
Gennes. Derrière le roi, des gens d'armes à cheval, avec des
fanions jaune et rouge à croix d'or; dans le fond, des arbalétriers.
Paysage de montagnes, couronnées de forts.
1. Deux gride, du 28 avril 1507, au nom du roi, proclamèrent
la loi martiale. La première défendait de sortir de la ville sous
peine de la vie, de mettre le feu, de voler, de laisser voler. Cette
proclamation, destinée aux troupes conquérantes, fut publiée en
italien et en français. La seconde, publiée en italien, ordonnait
d'ouvrir les boutiques, de circuler librement. Elle interdisait le
port des armes, sauf aux soldats, français ou autres, de se livrer
à aucune violence et de rien prendre sans paiement. Elle
déclarait l'entrée de Gênes libre et garantissait le libre apport des
denrées alimentaires (Bibl. de l'Université de Gênes, ms. Vc,
fol. 206, 208).
2. A un monastère de Seaint-Augustin, à une lieue de Gênes,
appelé Boschetto, « le Bousquet, » par Salvago (Busquete, dans
les Comptes). Il y entendit la messe le 26, le 27 et le 28.
3. D'après l'édition des Godefroy, le roi était précédé de
5,000 Suisses, musique en tête, 2,500 aventuriers, 1,000 Gas-
cons, 500 laquais, 600 lances, qui s'arrêtèrent à la porte; plus
300 lances, 1,500 arbalétriers, 22 chariots d'artillerie, qui entrè-
rent. D'après Cimber, 'i,500 aventuriers, -5,000 Gascons; les autres
chiffres pareils. Cf. l'Entrée du 1res chrestien.
Avril 1507J GOMMANT LE ROY ENTRA ... A GENNES. 233
Au devant de luy, jusques au bourg de Sainct Pierre
d'Araine, faulxbourgs de Gennes, luy vindrent trente
cytadins gennevoys, des plus sollempnelz de la ville,
lesquelz conduisoit ung nommé messire Galeas Vis-
conte, millannoys, estant a pié avecques eulx, vestu
d'ung soye de drap d'or. Lesquelz Gennevoys avoyent
leurs chiefz descouvers, et tous robes noires, habillez
en dueil, les testes raises et bien pesneuz. Lorsqu'ilz
arrivèrent en la présence du Roy, ilz misrent les deux
genoilz en terre, cryant miséricorde. Et, cefaict, après
avoir esté longue pièce a genoilz, se levèrent, et la
disrent plusieurs choses, en excusant le peuple de la
ville de Gennes.
A quoy le Roy n'entendit, mais se mist a chemin.
Au devant de luy et les premiers^ marchèrent les
cent Suyces de sa garde, tous armez de leurs allecretz
et empennachez, la hallebarde au poing, lesquelz
marchoyent en bon ordre : devant eulx estoit leur
capitaine a cheval. Apres marchoyent Anthoyne de
Lorrenne, duc de Gallabre, en armes et richement
accoustré, et Jehan Stuart, ducd'Albanye; après, René
1. Une miniature du Voyage de Gênes (fol. 22 \°) représente
l'entrée du roi dans Gênes. Le roi suit une rue, que borde, au
fond, un riche palais, dont les fenêtres sont garnies de person-
nages tristes ou résignés, sans enthousiasme : point de tapis aux
fenêtres. La rue est garnie de gens d'armes. Le roi, la tète cou-
verte de plumes blanches, est vêtu de rouge (probablement d'un
saye de satin cramoisi, passé sur son armure; voy. KK. 86, lv),
brodé d'A couronnés, en or, par compartiments d'or. Le cheval
noir porte une housse pareille. Sur sa tête, un vaste dais, jaune
et rouge, que portent quatre notables. Au premier plan, face au
roi, une file de jeunes filles en blanc, à genoux, les cheveux
blonds tombant dans le dos. A la suite du roi, les cardinaux, les
seigneurs, les gens d'armes.
234 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
de Bretaigne\ comte de Poinctievre; messire Berault
Stuart, Audet de Foix. Puys, assez loingnet, marchoit
Charles, duc de Bourbon, sur ung gros coursier bien
bardé, et luy armé et richement accoustré, lequel
estoit chief de tous les archiers de la garde du Roy.
Apres, estoit le seigneur de Laval, armé et monté a
l'avantage. Puys marchoyent les quatre cens archiers
de la garde, tous a pié, armez de leurs brigandines
et sallades, vestus de leurs hoquetons. Au derrière
d'eulx estoyent ausi a pié messire Jacques de Gressol
et messire Gabriel de la Ghastre, capitaines desdits
archiers. En après estoyent grant nombre de seigneurs
françoys et itallyens, comme Françoys d'Orléans, duc
deLongueville; Alphons d'Ast, duc de Ferrare; Fran-
cisque de Gonsagou, marquys de Mantoue; Jehan Guil-
lerme, marquis de Monferrat; le conte de Vandosme,
jeune entent; Jacques de Bourbon, conte de Rous-
sillon, et messire Robinet de Framezelles. Apres ceulx
la chemynoyent les xxx Gennevoys que messire Galeas
Visconte^ conduysoit^. En ensuyvant, marchoit le
grant escuyer^; puys les trompettes, qui sans cesser
sonnoyent a relays. Le Roy marchoit après, armé et
monté en la manière que j'ay dit. Apres luy, avoit
quatre cardinaulx, c'est assavoir : maistre Georges,
cardinal d'Amboise; maistre René, cardinal de Prye^;
1. René de Brosse.
2. Galeazzo Visconti, de Milan, pensionnaire, puis chambellan
(fr. 22276).
3. Puis les chantres du roi, maîtres d'hôtel, panetiers, les gens
de hnance, les pensionnaires, etc. [Cvrémonial français, I, 713).
Les princes venaient ensuite (l'Entrée du très chrcslien).
4. Galeazzo di S. Severino, nommé grand écuyer en 1505.
5. Les nouvelles données par Sanuto (VII, 69) mentionnent le
Avril 1507J GOMMANT LE ROY ENTRA ... A GENNES. 235
le cardinal d'Alby^ et le cardinal de Final. Messire
Charles d'Amboise nnarchoit après, monté sur ung
coursier bay, vestu, sur son harnoys, d'ung soye
blanc, couvert d'orfeverie moult riche, ayant l'espé
toute nue au poing, comme capitaine, dompteur et
vaincueur desdits Gennevoys, soubz la main du
Roy^. Apres, suyvoyent messire Loys de Brezé,
grant seneschal de Normendye, et messire Guy on
d'Amboise, seigneur de Ravel ^; et après eulx mar-
choyent les deux cens gentishommes de la maison du
Roy, desquelz ilz estoyent capitaines. Et puys grant
suyte de hommes d'armes^, la lance sur la cuisse,
avecques leurs archiers, et ung million de peuple. Ainsi
s'en alla le Roy passer par devant la Lanterne nommée
la tour de Godefa, et tirant droict a la ville, passant
devant le moulle^, ou avoit viii galleres armées, dont
les quatre estoyent fransoises, soubz ung capitaine
françoys, nommé Pregent le Bidoulx, et les autres
quatres estoyent du Roy d'Arragon, desquelles estoit
cardinal d'Auch au lieu du cardinal de Prie; l'Entrée du 1res
chrestien ajoute le cardinal de S. Severino.
1. Louis d'Amboise, évêque d'Albi, cardinal en 1509.
2. D'après la description publiée par lesjGodefroy, c'est le roi
lui-même qui tenait l'épée nue et droite. Guichardin, mal rensei-
gné à cet égard, prétend qu'il marchait à pied, l'épée à la main.
3. Précédés des ambassadeurs d'Espagne (l'Entrée du très
chrestien).
4. Notamment Mercure et ses 200 Albanais [l'Entrée).
5. Jean d'Auton fait sans doute une légère confusion. En quit-
tant San Pier d'Arena, le roi dut passer devant la lanterne élevée
sur la grève, puis le long du palais actuel Doria, entrer par la
porte San Tommaso, suivre les quais du port jusqu'au môle où
s'élevait la tour de Godefa et de là monter au palais (d'après le
plan de Gènes, dans Giulio Ballino, De' dise^ni délie piu illustri
città et fortezze del mondo. Venise, 1569, in-4').
236 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
capitaine ung espaignol nommé Miquel Pastour; les-
quelles galleres, a la passée du Roy, tirèrent si très
orriblement qu'il sembloii que tout deust abismer.
Messire Galaas, capitaine du chasteau, fist pareillement,
a l'arrivée du Roy, tirer toute l'artillerye du chasteau ;
tant que, tout autour des montaignes et sur la ville
de Gennes, sembloit que tout tramblast : car l'ung
coup n'actendoit l'autre, et si y avoit telle pièce qui
tout ensemble en tiroit, d'une traynée, xi ou xii; ce
qui pectoit groux comme le eu d'enfer^. Droict au
palais s'en alla descendre^, et monta tout armé jusques
en sa chambre, ou la se fist desarmer, en actendant a
couvrir^.
Tantost qu'il fut entré en la ville, les Allemans qui
le suyvoyent en queuhe aprocherent la porte, cuydant
illecques entrer en armes : ce que ne voulut le Roy,
doublant qu'ilz missent les mains au pillage : de quoy
avoyent moult grant envye et actente, comme ceulx
qui pensoyent que ladite ville leur deust estre haban-
donnée et butinée au gens d'armes, ce que ne fut;
car, pour le myeulx, fut advisé que le Roy, a qui elle
estoit, la devoit garder pour luy et deffendre contre
tout autre, ce qu'il fist; et, pour obvyer au vouloir
d'iceulx Allemans, les portes furent fermées sur eulx,
1. Saint-Gelais prétend que, pour mieux effrayer les Génois,
on avait élevé des gibets dans tous les carrefours.
2. « Aux fenestres de ladicte ville, avoit des draps d'or, veloux,
tapitz de Turquie et autres choses singulières, gectées par les
fenestres et garuiz de belles dames. Et aucungs coings de rue y
avoit aucuns escharffaulx ou y avoit de belles dames et belles
filles, autant belles qu'il est possible de veoir, bien parées et
acoustrées, crians audit seigneur Miséricorde » [l'Entrée. Cf. Géré'
monial françois, I, 714. Cf. Sanuto, VII, 69).
3. En attendant le couvre-feu.
Avril 1507] GOMMANT LE ROY ENTRA ... A GENNES. 237
et mys gens d'armes a grant nombre pour les garder,
et artillerye dedans le portai embouchée, droict a la
venue d'iceulx, lesquelz furent tout le long du jour
en armes, encontre lesdites portes ; et la se cuyderent
mutyner, et charger sur les coffres des seigneurs,
qui avoient tout leur sommage la dehors. Plusieurs
gentishommes, et moy avecques eulx, arresté dedans
une maison, près la porte, pour la regarder et enre-
gistrer a la passée l'ordre de l'entrée du Roy et de
ses gens d'armes, comme d'aventure demeurez hors
la ville avecques ceste ennuyeuse compaignye, pas-
sâmes ce jour. La nuyt venue, iceulx Allemans et
grant nombre d'aventuriers françoys s'en retournèrent
au lieu ou il avoyent tenu leur derrenier camp ; les-
quelz, après bien dringuer, s'entreprindrent de parolles
par les chemins et se bâtirent bien estroict, tant que
d'ung costé et d'autre en eut plusieurs de mors et de
blecez; et, n'eust esté que leurs capitaines a grans
coups de hallebardes les départirent, entre eulx eust
esté sanglante besoigne exploictée. Tousjours estoyent
en picque: et, la ou les Françoys les trouvoyent mal
apparentez, très mauvaise compaignye leur faisoyent,
et eulx de mesmes aux Françoys; en somme, les plus
fors estoyent tousjours les maistres des logis, et avan-
tageulx ; au surplus, et tant estoyent iceulx Allemans
outrecuydez que au regard de eulx estymoyent les
piétons françoys a si peu de chose que ung d'iceulx
en cuydoit valloir deux. Et a ce propos diray que, ce
mesme jour, comme iceulx Allemans et aucuns Fran-
çoys fussent devant la porte de Gennes, comme j'ay dit,
je vis la, entre iceulx Allemans, ung de eulx, n'ayant
sur son doz vaillant la valleur de troys soubz, lequel,
238 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [AvriH507
au prandre et départir du vin qui la se vendoit, eut
question avecques ung gros jenne varlet (sic) françoys,
ayant ung pot au poing pour avoir du vin : lequel
aliemant, combien qu'il vint après, voulut estre servy
le premier, pencent estre le plus homme de bien ; le
varlet, qui a voit soif, dist : « Dea, je suys icy premier
que vous, et premier seray servy, car les premiers
vont devant. » Et, ce dit, se voulut avancer de faire
emplir son pot. Mais l'allemant, qui avoit le sien au
poing et la hallebarde en l'autre, mist son baston
contre une muraille près de la, et tout soubdain, en
mauvais françoys, commainça a dire : « Ha ! velain,
velain, apartient il vous servy premier que moy? » Et,
ce disant, prinst le varlet par le collet et le voulut
faire reculer. Mais le varlet fut vert et se tint ferme;
et, voyant que l'allemant le vouloit gouspiller, lasche
son pot et happe ausi son homme au collet, et du
collet a la perrucque, ou bien a point se comaincerent
a pellauder et donner l'ung a l'autre groux coups de
poing sur la teste et par le visage. La s'assemblèrent
grant nombre d'autres Allemans et laquays françoys,
lesquelz, voyans ce combat, qui n'estoit que a coups
de poing, et a cause de débat de vin, se commaincerent
tous a rire et les lesserent batre longuement, jusques
a ce que l'allemant, qui avoit eu ung coup de poing
sur le nez jusques au sang, voulut mectre la main a
la hallebarde, et le varlet a l'espée : dont furent dépar-
tis parleurs compaignons, lesquelz, enquys du tort,
blasmerent l'allemant, combien que voluntiers eussent
eu ensemble, et de legier, question de plus; mais,
d'ung costé et d'autre, avoit grosse bende, par
quoy cessèrent, et firent boire les deux compaignons
Avril 1507] GOMMANT LE ROY ENTRA ... A GENNES. 239
ensemble et emplir leurs potz. Ainsi mesprisoyent,
iceulx Allemans les piétons françoys, disant que,
sans le secours de leurs Ligues, les gens d'armes a
cheval de France n'auroyent seur rainfort de leurs pie-
tons, car peu d'ordre tiennent en bataille, facillement
sont espartys et a grant peine ralyez. Et, de vray,
combien que prou de gens de pié soyent en France
bons combatans, hardys et legiers a la guerre, toutes-
foys les Allemans tiennent communément meilleur
ordre, et plus malaisez sont a rompre, et myeulx duytz
au ralyer; mais, tant y a que, au plus des foys, sont
difficilles au payement, souvant retifz a la besoigne
et tousjours promptz au pillage.
Pour rentrer en compte, le Roy estoit lors en son
palais de Gennes, ou la fist loger les seigneurs de son
sang, maistre Georges, cardinal d'Amboise, et grant
nombre des autres seigneurs de France, autour de
luy ; et voulut que tous les quatre cens archiers et les
cent Allemans de sa garde, avecques leurs capitaines,
fussent tous logez dedans le palais, qui estoit moult
grant et spacieulx, garny de grandes salles, belles
galleryes et bonnes chambres et a grant nombre : et
ausi fist, au dedans de la place dudit pallais, monter
sept grosses pièces d'artillerye, charger et atiltrer
droict a la passée et entrées d'iceluy, et la dedans
faire toutes les nuytz le guet a ses gardes.
Le mesme jour de son entrée^, fist despescher la
poste pour aller a Romme, ou escrivit a Françoys de
1. Aussitôt après l'entrée du roi, on imprima en France le récit
de son exploit, avec une ballade : les Regrez des Genevois. Pendant
trois jours, il y eut à Paris des processions et des réjouissances
{la Bataille et assault).
240 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
Clermont, cardinal de Nerbonne^ pour l'advertir de la
prise de Gennes et de son entrée, affin que le pape et
les Rommains, qui de ce ne croyoient riens, en fussent
clerement asseurez, et du tout advertys : ce qui ne
fut bien au plaisir du pape^; car, sitost qu'il eust
veues les lectres du Roy, escriptes dedans le palays
de Gennes, et sceu la manière de la prise d'icelle,
ledit Père Sainct (scelon le rapport d'aucuns qui lors
estoyent a Romme) fut troys jours en sa chambre,
sans vouloir parler que a peu de gens ; disant aucuns
que sa chère le pouvoit lors monstrer estre bon Gen-
nevoys : ausi estoit il né de Savonne, terre de Gennes.
Le double des lectres du Roy fut transmys, par ledit
' cardinal de Nerbonne, a Naples, au seigneur de la
Guiche^, qui la estoit ambaxadeur pour le Roy envers
le Roy d'Arragon, auquel présenta le double desdictes
lectres au Roy, et dist au capitaine Gonssalles Fer-
rande : « Signor capitaine, ne faictes plus de doubte
que le Roy mon maistre ne soit dedans Gennes; car
voyez cy le double des lectres escriptes dedans son
palays a Gennes, lesquelles il a envoyées a Romme,
a mons'^ le cardinal de Nerbonne, signées lesdites
lectres de sa propre main. » Lesquelles nouvelles
semblèrent estranges audit Roy d'Arragon et a Gons-
salles, tant que, après ce, furent long temps sans dire
mot. Je ne scay si le plaisir qu'ilz eurent des bonnes
1. Neveu du cardinal d'Amboise, ambassadeur près de Jules II
depuis l'année précédente (Sanuto, VI, 410).
2. « Corne il papa mandù a dir a l'oratori yspani et al noslro
questa nova di l'entrar il Roy in Zenoa, laquai cossa li è amara
per essor zenoese » (Sanuto, VII, 73) ; le cardinal de Narbonne
vint peu après voir le roi.
3. Pierre de la Guiche, seigneur de Chaumont.
Avril 1507 J GOMMANT LE ROY ENTRA ... A GENNES. 241
nouvelles, ou Tavancement de la gloire des Françoys,
leur imposa sillence; mais tant fut que, après quelque
temps, ledit Roy d'Arragon dist qu'il estoit bien
joyeulx de la victoire du Roy, qui, en si peu de
temps, avoit faict œuvre si grande et chose tant
louable.
Les nouvelles furent tantost publyées par toutes les
Ytalles et les Allemaignes et autres contrées de la cris-
tienté, voyre jusques en Turquye, ce qui sembla chose
non ouye a chascun et cas de merveilles a tous; veu
la soubdaineté de la prise et la force du lieu, qui sem-
bloit estre inexpugnable a tout le monde et sans
famyne, imprenable a jamais; dont plusieurs demeu-
rèrent en erreur de la vérité et en double du faict,
longtemps après.
Le Roy, qui lors estoit dedans son palais de Gennes^
sceut que hors la ville avoit ancores grant nombre de
ses gens, avecques tout le sommage ; commanda, le
lendemain de son entrée, que les portes fussent ou-
vertes et la mises grosses gardes, ce qui fut faict;
et ainsi sommiers et charroy entrèrent, et quelque
nombre d'AUemans et autres gens de pié pour aller
quérir vivres et autre provision poi^r les autres qui
estoyent hors la ville.
Ce mesme jour, qui fut ung vendredy, xxix*^ du
moys d'apvril, le Roy fist cryer a son de trompe,
dedans la place du palais, par troys crys de trompette,
1. A Gênes, le roi, comme toujours, assista chaque matin à la
messe, mais, contrairement à ses habitudes, il varia peu ses
visites. II se rendit le 29 avril, les 1, 2, 3, 4 et 5 mai aux Jaco-
bins, le 30 avril à San Stefano, les 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12 et 13 mai
au Dôme.
IV 16
242 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
en françoys et italyen, que tous ceulx de Gennes, de
quelque estât qu'ilz fussent, eussent, dedans le len-
demain au soir, a apporter toutes les armes qu'ilz
tenoyent en leurs logys et maisons de Gennes, comme
curasses, brigandines, sallades, hallebardes, picques,
partizanes, rondelles et pavoys, voulges, haches et
espées et, en somme, tous autres basions de guerre ;
et que tous ceulx qui, après le jour dict, aucunes
armes retiendroyent ou celleroyent, des ores estoyent
déclarez rebelles et desobeissans au Roy, leurs per-
sonnes et biens confisquez. Ce l'aict, commissaires
furent ordonnez pour faire enregistrer les noms de
ceulx qui rendroyent les armes et icelles recepvoir.
Ce qui fut moult ennuyeulx aux Gennevoys, qui, par
les places de la ville, a grousses turbes se pourme-
noyent, baissant le chief et haulssant les espaulles,
comme tristes et esbays, doublant ancores avoir pis ;
par quoy ne se firent plus pressera bailler leurs armes,
mais les firent porter toutes audit palais^ et mectre la
dedans une chappelle ou estoyent les commissaires
pour recepvoir icelles armes et avoir les noms de ceulx
qui les rendoyent ; car plusieurs riches gennevoys,
honteulx de rendre ainsi leurs armes, prièrent leurs
ostes françoys de les prendre pour nyent ; dont aucuns
en voulurent avoir quelques pièces qui leur semblèrent
belles et riches; mais cela fut deffendu de par le Roy,
a la peine de la hart, de non en prendre aucune chose ;
par quoy chascun des Gennevoys fut contrainct aller
au palays et la faire porter toutes ses armes, tant que,
ce jour et le lendemain, ne firent autre mestier, si que
1. D'après l'ambassadeur vénitien, la valeur des armes rendues
s'élevait à 50,000 ducats (Sanuto, VII, 72).
Avril 1507] GOMMANT LE ROY ENTRA ... A GENNES. 243
ladite chappelle, qui estoit grande et spacieuse, en fut
toute plaine et empeschée. Ce faict, le Roy commanda
que lesdites armes fussent habbandonnées aux gens
de pié françoys et allemans, desquelz avoit grant
nombre en la ville, qui départirent le butin, tout ainsi
que sans noise chascun en peut avoir, et puys misrent
leur paquet au coul. Tant d'armeures y avoit que la
ne se trouva page, ne varlet, ne autre, qui voulust
mectre la main au pillage, qui n'en fust tout chargé.
Et, voyant les Gennevoys ainsi emporter leurs armes,
Dieu scet quelle pacieuce ilz eurent ; mais autre chose
n'en peurent faire, fors que pencer ce qu'ilz vou-
lurent^.
Le Roy, voyant que de la force et traison des Gen-
nevoys n'avoit plus garde, envoya ses Allemans en leur
pays, lesquelz fist payer par messire Thomas Bouyer,
chevalier, gênerai de Normendye, en la présence de
messire Charles d'Amboise, son lieutenant; lesquelz
Allemans furent très malaisez a contanter, demandant
paye pour leurs varletz et porteurs de bagues et pour
leurs ribauldes, dont avoyent grant nombre ; leur paie-
ment faict, se misrent a chemin droict a Bourg de
Busalle. Aucuns de eulx demeurèrent derrière, pencent
que seurement pourroyent passer ; mais, entre Ponte-
desme et Busalle, leur sortirent en queuhe, des mon-
1. Le 30 avril, le roi écrivit au chancelier son entrée triom-
phale. En même temps, dans une lettre personnelle et pleine
d'ardeur adressée à Guillaume de Montmorency, il rendait grâces
à Dieu et il déclarait que cette victoire lui assurait gloire et grand
honneur dans toute l'Italie. Il se rendait parfaitement compte
qu'il pouvait maintenant aller bien plus avant, mais il n'en ferait
rien et voulait revenir « le plus tost possible » (Portef. Fonta-
nieu, i55).
244 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
taignes de Poulcevre, grant nombre de paisans qui les
chargèrent au derrière, bien estroit, en manière que
cinc d'iceulx Allemans furent, par lesdits villains de
Poulcevre, tuhez; les autres se ralyerent et, a coups
de picque, rechacerent iceulx villains jusques dedans
leurs montaignes, ou illecques se sauvèrent ; et, voyant
iceulx Allemans que autre mal ne leur povoyent faire,
misrent de rechief le feu par les maisons et villages de
la autour, qui ancores n'estoyent tous bruslez.
Au Roy fut dit lors et acertainé que, durant le
temps qu'il estoit devant Gennes, ceulx d'Allexandrye
semèrent nouvelles que son armée estoit deffaicte et
les Françoys tous mors; par quoy voulurent courir sus
a ceulx de France, qui la estoyent demourez, mesme-
ment a ceulx de sa chappelle, qu'il avoit la lessez au
partir dudit lieu d'Alixandrie; lesquelz, après la prise
de Gennes, s'en allèrent la devers le Roy et lui disrent
que lesdits villains d'AUixandrie, au moyen desdites
nouvelles, s'estoyent voulus revoulter et mectre en
armes pour aller garder les chemins d'entre Gennes
et Allexandrye, affin que les Françoys ne peussent
passer pour eulx retirer ni avoir par la secours, et
tant en firent que les lyecoulz de leurs chevaulx coppe-
rent et misrent leurs malles en la rue, près a les vou-
loir destrousser et tuher; et si grant peur leur firent,
entre autres a ung nommé Prioris, maistre de la chap-
pelle, qu'il cuydoit estre mort. Quoy plus? si n'est
qu'ilz eurent tous si belles affres qu'ilz deslogerent sans
trompette et s'enfuyrent en Ast, ou sceurent tantost
après que le Roy estoit avecques son armée dedans
Gennes ; auquel lieu s'en allèrent et luy contèrent les-
dites choses, de quoy le Roy fut très mal contant, tant
Avril 1507] COMMENT LE ROY ENVOYA A ROMME, ETC. 245
qu'il fut presque délibéré de la faire destruyre et
mectre le feu dedans ; mais dist que autrement les
pugnyroit, jusques du tout fust deuement assavanté.
Ce qu'il fist, car il manda aux Allemans, qui s'en
alloyent en leur pays, que troys mille de eulx séjour-
nassent dedans jusques ilz eussent de ses nouvelles ;
ausi y envoya troys mille cinq cens laquoys, lesquelz
tous ensemble y séjournèrent plus de six sepmaines,
et Dieu scet commant ilz payèrent la leur escot;
somme, ilz y firent tout le sanglant pys qu'ilz peurent,
tellement que a la parfin la ville leur demeura, que les
villains habandonnerent, jusques le Roy eust faict des-
loger leurs hostes, qui leur fut bien a tart.
XXVI.
Comment le Roy envoya a Romme, devers le pape,
DEUX de ses gentishommes.
Le Roy, qui lors avoit et savoit nouvelles de tous
pays, sceut par vray que le Roy des Rommains, mal
contant de la prise de Gennes, disoit et faisoit dire
publiquement par les AUemaignes que le pape luy
avoit mandé que le Roy n'entrepreneit le voyage de
delà les mons si n'est pour vouloir usurper le papat^
1 . Cette « ymaginacion » persistante du pape, au sujet de laquelle
on peut consulter la curieuse correspondance d'Albert Pio da Garpi,
que nous avons analysée en appendice du tome III de la Diplo-
matie au temps de Machiavel, était, il faut en convenir, alimentée
par les imprudents témoignages de pensées analogues en France.
C'est ainsi qu'en 1507 Symphorien Champier dédie son opuscule
De gallis summis pontificibus, non point, il est vrai, au cardinal
d'Amboise, qui ne s'y serait sans doute pas prêté, mais à l'évêque
de Rodez, François d'Estaing, lieutenant général du cardinal dans
sa légation du Gomtat-Venaissin et gouverneur d'Avignon.
246 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
et faire du Sainct Siège de Romme a sa volunté, et
ausi pour ce faire la couronner empereur et occupper
toutes les Italles, comme fist jadys Charlemaigne ; et
que, a ceste fin, voulant ledit Père Sainct obvier a ce,
s'en estoit allé de Boulongne a Romme. Dont pour
savoir la vérité de ses nouvelles, le Roy fist a Gennes
despescher deux de ses gentishommes, nommez, l'ung
messire Jehan de Sainctz, de ses eschansons, et l'autre
fut le seigneur de Gymel', lesquelz envoya a Romme
devers le pape avecques lectres, leur créance et instruc-
tions : desquelz gentishommes ledit seigneur de Gymel
alloit pour demeurer a Romme ambaxadeur et ledit
eschanson pour raporter au Roy ce qui seroit faict
envers le pape et la responce de son dire.
Leur despesche faicte, partirent de Gennes le
v*^ jour du moys de may. Et, pour avancer leur voyage,
le Roy les fist mener par mer, a deux des galleres
de Pregent et a ung capitaine espaignol nommé Miquel
Pastor, capitaine de quatre galleres que le Roy d'Ar-
ragon luy avoit envoyées pour le servir a sa guerre
de Gennes; lequel Pastor, avecques les autres Espai-
gnolz desdites galleres, contanta a leur plaisir et leur
fist riches presans et grans dons ; puys avecques eulx
fist embarcher sesdits gentishommes pour mener avec-
ques leurs galleres et celles dudit Pregent jusques a
Romme. Quatre jours furent sur mer, puys arrivèrent
a Civitaveiche, port de mer, a une journée près de
Romme par terre, ou ne voulut arrester ledit Miquel
1. Le 16 mars 1505, a. st. (1506), Antoine Gymel, destiné à la
résidence de Rome, avait souscrit à Blois un curieux engage-
ment, que nous avons publié, de n'accepter aucun don du pape
(la Diplomatie au temps de Machiavel, t. III, p. 394).
Avril 1507] COMMENT LE ROY ENVOYA A ROMME, ETC. 247
Pastor ne prendre port, mais avecques ses galleres
passa la route, tirant droict a Naples vers son maistre
le Roy d'Arragon. Les autres deux galleres de Pre-
gent demeurèrent la pour actendre se messire Jehan
de Sainctz s'en vouldroit retourner par mer.
Devers le pape s'en allèrent lesdits gentishommes
françoys, auquel présentèrent les lectres du Roy et
dirent leur créance, contenant, en somme, que le Roy
vouloit savoir commant la Saincteté du pape vouloit
vivre et demeurer avecques luy, comme estant doub-
teux et mal asseuré de l'intencion de son vouloir, et
ce pour ce qu'il pensoit a sa venue le trouver a Bou-
loigne, dont s'en estoit party et retiré a Romme sans
l'avoir actendu, comme luy avoit mandé ; et comme
par les Allemaignes estoit bruyt que le Roy des Rom-
mains disoit et faisoit publicquement dire que le pape
luy avoit mandé que le Roy ne prenoit ledit voyage,
si n'est pour s'efforcer de usurper le Sainct Siège
apostolique et en faire a son vouloir, et ausi pour se
faire par force couronner empereur et occuper toutes
les Italles. Lesquelles choses monstrerent par lectres
et disrent de bouche au pape, et en oultre luy dirent :
a Quant au regard de l'usurpacion ,du papat, a ce
point ne respondoit le Roy, disant que la chose d'elle
mesme se doit pencer impossible a faire par raison et
increable a entreprendre, veu que luy et ses prédé-
cesseurs ont tousjours esté protecteurs de l'Esglise et
deffenseurs de son droict ; ausi, quant a ce que ledit
seigneur se vouloit faire couronner empereur et occup-
per les Halles, que a ce n'avoit oncques pencé, mais
disoit estre ses choses controuvées et mises par l'in-
248 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
vencion du Roy des Romains; mais, pour respondre
du tout a la principalle cause qui le mouvoit, de pas-
ser les mons ; c'estoit mesmement pour vouloir veoir
la Saincteté du pape a Boulongne, comme ledit Père
Sainct luy avoit mandé , et pour conférer et trecter
avecques luy du bien de l'Eglize et prouffict de la
chrestienté, et ausi pour la cause de la rébellion de sa
ville de Gennes, qu'il vouloit remectre entre ses mains
et reduyre a la raison, comme il avoit ja par armes
faict, et estoit dedans, ayant le peuple et toute la ville
a sa mercy, pour en faire a son plaisir, et du tout a
son vouloir; dont, toutes sesdites choses considérées,
s'esmerveilloit grandement de ce que ledit Sainct Père
luy avoit mandé qu'il l'actendroit a Bouloigne (que
par armes luy avoit peu de jours devant soubmise et
rendue a sa Saincteté et obéissance et faict tout le
secours et service que bon filz doit faire au père), ledit
Père Sainct s'en estoit allé a Romme sans le vouloir
actendre, comme luy avoit promys; et ausi s'esmer-
veilloit de ce que le Roy des Rommains s'estoit jacté
touchant les paroUes susdites; mais, tout ce nonobs-
tant, le Roy, comme Roy Très Gristien et obbeissant
filz de l'Eglise, estoit délibéré de tousjours se mons-
trer par effect protecteur de la Saincteté apostolique
et vray deffenseur de l'Eglize ; et au surplus prioit le
Père Sainct, pour adverer la chose, que son plaisir
fust envoyer devers le Roy des Rommains message
exprès pour savoir dont lesdites parolles sont venues
et faire en manière qu'il puisse clerement cognoistre
le bon vouloir dudit Père Sainct. » A quoy fist ledit
Sainct l^ereresponce en disant : a Au regard des paroles
Avril 1507] COMMENT LE ROY ENVOYA A ROMME, ETC. 249
que Maximilien, Roy des Rommains, a faict publier
et semmer par les Allemaignes, je respons que onc-
ques ne les diz ne n'en sceu jamais riens. Et quant a
ce que le Très Grestien Roy de France s'esmerveille
de ce que ne l'ay actendu a Boulongne, comme je luy
avoye mandé, ne fault qu'il pence que pour sa venue
me soye retiré a Romme, mais fut pour ce que audit
lieu de Bouloigne me trouvay si mal de ma personne
que les médecins me deffendirent la demeure, disant,
si j'avoye ma sente pour recommandée, que besoing
m'estoit de changer l'air et me retirer icy, ce que je
fis. Et en oultre, de ma part, je veulx estre et demeu-
rer tous temps envers ledit très cristianissime Roy de
France tout ainsi que le bon père doit faire envers
l'obéissant filz, prest a toute heure a luy faire tout le
plaisir, secours et amytié que entièrement se pourra
estandre ma puissance. Et au surplus, tout en pré-
sent, despescheray messages pour mander au Roy des
Rommains qu'il me face assavoir dont sont procedées
et issues lesdites parolles, pour en advertir tout au
vray vostredit maistre cristianissime Roy de France. »
Et, ce dit, ledit messire Jehan de Sainctz prist congé
du pape et s'en revint en poste devers le Roy, lequel
advertist de toutes lesdites choses. Le seigneur de
Gymel demeura a Romme devers le pape pour le Roy,
et les deux galleres de Pregent s'en revindrent droict
a Gennes.
Le Roy, dedans sa ville de Gennes, estoit lors a
séjour, ou de jour en autre deliberoit de ses affaires,
en se enquerant de ceulx qui avoyent esté cause prin-
cipalle de la division et revoltement de Gennes et mys
250 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Avril 1507
le peuple en vouloir de prendre les armes et faire
rebellyon contre luy : de quoy fut tantost adverty, et
tant qu'il eut les noms de tous les mutinyers, des-
quelz l'une part estoit en la ville et les autres estoyent
fuytifz ; dont délibéra faire grâce et pardonner a ceulx
qui s'estoyent mys entre ses mains et rendus a sa
volunté et pugnir les absens comme criminelz de leze
magesté, rebelles a justice et deffyans de miséricorde ;
par quoy mist gens de toutes pars a chercher et
prendre iceulx qui, a sa venue, s'estoyent absentez;
et, entre autres, sceut que ung nommé Demetryus
Justynian, des plus gros de la ville et l'ung de ceulx
qui le plus avoit mys le peuple et celuy entretenu en
obstination de rébellion, estoit hors de Gennes dedans
une sienne place, sur la coste de la mer. Par quoy
transmist la ung nommé Pregent le Bidoulx, capitaine
de quatre galleres, et avecques luy ung autre nommé
MoUart SufPray, allemant, seigneur du Ryage, bien
accompaigné par mer, pour prendre ledit Demetry
Justinian, lesquelz s'en allèrent sans bruyt avecques
quelque guyde de Gennes, qui les mena droictement
par mer viz a viz du lieu ou estoit celuy Demetry :
lesquelz, le plus cellement qu'ilz peurent, gaignerent
terre et, deguysez, s'en allèrent segretement droict
audit logys, ou entrèrent soubdainement, leurs espées
au poing ; et, ce voyant, ledit Demetry voulut vuyder,
mais fut suyvy si tost qu'il n'eut loisir de trouver issue
seurc pour s'en fuyr ne lieu segret pour se cacher; si
fut pris et ramené a Gennes et mys en bonne garde
et seure main jusques le conseil eust veu en son affaire
et ordonné de son procès. Plusieurs autres fuytiz
Avril 1507] COMMENT LE ROY ENVOYA A ROMME, ETC. 251
furent priz et menez a Gennes, ou, après leur procès
faict, furent les ungs, par les places de la ville, tren-
chez les testes et escartellés, et les autres pendus a
potences par les cantons des rues, et les autres atachez
près de portes de ladite ville ; en manière que, par toutes
les rues, paroissoit a ses enseignes que justice avoit
manyé les rebelles si aigrement que tous ceulx de
leur secte, voyant le spectacle de sévérité, estoyent
trancys de peur et effrayez de craincte, comme acten-
dans d'eure en autre la venue des bourreaulx et la
corde au col. Mais le Roy, sur tous autres le plus
humain, ne voulut la mort de tous ceulx qui, contre
sa Majesté, l'avoyent justement deservye, mais seules
ment d'aucuns de ceulx qui, a la prise du Gastellas,
avoyent a ses gens usé de cruelle tyrannye, comme
est dit dessus, ou d'autres commisseurs de crimes tant
dampnables que de toute grâce fussent frustrez ou
forclux de miséricorde, dont l'excution de justice fut,
par le pouvoir de clémence, adoulcye. Toutesfoys
toute la ville de Gennes, n'ayant ancores planiere
grâce, estoit espouventée du chastyment des malfaic-
teurs et soubcieuse de sa doubteuse adventure; et,
pour y vouloir au mieulx pourvoir^ furent aucuns
gennevoys envoyez devers le Roy, de par la ville, le
prier que son plaisir fust de avoir pitié de son pouvre
peuple et prendre de chascun d'eulx le serment de
fidélité et l'amende honorable et proffitable, scelon sa
bonne ordonnance et l'advys de son conseil ; a quoy
voulut bien entendre, comme prince très humain, et,
pour ce, ordonna tantost après tenir siège royal et
mettre fin en ses affaires.
252 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
XXVII.
Comment le Roy tint en son palays de Gennes siège
ROYAL, ou LES GeNNEVOYS LUY FIRENT LE SERMENT
DE FIDELITE, ET d'uNE HARANGUE FAITTE EN ITALIEN
AVECQUES LA RESPONGE DE MESMES.
Dedans la grant court du palays de Gennes fut
dressé ung grant eschaffault^ touchant au degrez de
l'entrée de la porte, par ou l'on monte en la salle
dudit palays, et sur celluy eschafîault ung autre petit
eschaffault sur lequel estoit une haulte chaere, prépa-
rée pour le Roy et couverte de drap d'or, et le dessus
couvert d'ung poisle, semmé de fleurs de lys, et le bas
couvert d'ung drap pers, semé aussi de fleurs de lys.
Et la, aux deux costez, estoient bancz et chaires mises
pour asseoir les seigneurs du sang et les cardinaulx
qui la estoient. Aux deux costez estoient les gentis-
hommes et les archiers de la garde, a deux rancz,
prenant dudit eschaffault, en tirant jusques a la porte
de l'entré du palays, pour faire la entrer le peuple et
garder la presse. Lorsque tout fut prest, le Roy se
myst en chaire, et autour de luy tous les princes et
cardinaulx qui la estoyent, et tous ses chamberllans
avecques ses archiers du corps. Et, ce fait, ung Roy
d'armes, nommé Daulphin, fist la son criz, de par le
Roy, que chascun eust a faire sillence, a la peine d'estre
désobéissant audit seigneur.
Apres toutes ces cerimonyes, grant nombre de
1. « Tout tendu de belle et riche tapisserie » (Saint-Gelais).
Mai 1507] COMMENT LE ROY TINT EN SON PALAYS, ETC. 253
peuple de Gennes entra dedans le palaysS et entre
eulx fut ung docteur gennevoys, nommé messire
Johan de lllice^, lequel s'approcha de l'eschaffault du
Roy, et la dessus se mist les deux genoilz a bas^ et
les yeulx tenduz vers le ciel, portant piteuse et esba-
hie chiere; lequel, a voix basse et tramblant, dist en
langue italienne l'oraison qui s'ensuyt* :
Sequita la propositione fada per misère Joanne de llice, doc-
tore de Genua, al Christianissimo Re Luyse duodecimo, Re
di Franza, duca de Milano et signor di Genua, in nome del
populo Genoese^.
Christianissimo e invictissimo Re, unico e supremo Signor
nostro in terra. Questa vostra devotissima cita di Genoa et uni-
versalmenti li habitanti in quella veramenti ricognoscano li
infiniti meriti e beneficij delà Maiesta vostra, per il passato per
noi recevuti, esser tali, e tanti, che rendano tutti noi, e li posteri
nostri in perpetuum, obligatissirai a dover alla M'» vostra ren-
dere e referire non quelle gracie e laude che se converebono,
ma quai possiamo per le débile nostre faculta. Ma veramente,
Glementissimo re, li preteriti beneficij e gracie, al tutto, supera
et avanza questo ultimo singularissimo et preclarissimo dono
1. On avait convoqué le peuple en sonnant les cloches (Jean
Marot).
2. En italien de Lerici.
3. Il baisa trois fois la terre (Jean Marot).
4. Le texte qui suit a été transcrit après coup sur le manuscrit
par une main italienne. Des feuillets blancs avaient été réservés
à cet effet. Par suite d'un mauvais calcul, un feuillet et demi de
parchemin s'est trouvé en excédent et est resté en blanc à la
suite du texte itaUen.
5. Miniature (fol. mixxjx r° du ms.) représentant le roi sous un
dais, entouré de sa cour, avec cinq cardinaux à sa droite. Devant
lui, les envoyés de Gênes, tête nue, en noir, entre deux troupes
d'archers. Un des envoyés (Lerici), la barrette à la main, à genoux
sur le degré du trône.
254 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
cli Gleraentia, che dignata sia venir personalraente a liberarne
di tanta Servitù e captivila in quanta per colpa non percio di
grande numéro di homini di maie afare eravano reduti. Quali
essendi seguili da la vulgar e ceca gente, cum le arme e a forza
la Cita hano induta a errore. Ma la Glementia vostra infînita,
imitando il nostro Redemptori lesu, et non percio seguendo na
la infructuosa di luda, ma di Pietro, salutifera penitentia, e con-
siderato cum gli occhi al ciel levati che tarde non fur mai gra-
cie divine, e stata tanto superhabundantissima che, non rispec-
tato il dicto errore, ne venuto a Liberar et Redimere, in modo
tali, Ghristianissirao Re, che, cosi como per tuto il mondo la
M. V. a sua grande gloria e laude, e insignita e decorata Chri™*
meritissimamente se li po e deble adiungere il Iriumphal litulo
di Glementissima, se non superior, saltem non inferior, ma coe-
quale a li altri decorati tituli. E per che poi vostra summa
Glementia ne ha ricevuti a sua bona gracia e sotto il tutissimo
Glipeo di sua protectione, cessato e ogni maie, seguito ogni bene,
e Ghristo in croce sta, cum le bracie aperte, a dover pardonare
ad ogni uno che a luy si torna e il suo errato ricognosce. Per
cio tutti universalmente in virtu di questo novo e triumphal
titulo di Glementia, in terra prostrati, supplicamo la M. V. si
degni concedere le infrascritte gracie e Riqueste. Prima, che
vogli universalmente perdonare, secundo para e iudicara essa
summa Glementia. Secundo, remettre e canzellare la pena e
multa pecuniaria a la vostra cita inflita, per lo error predicto.
Tercio, anoi concedere e condonare li privilegij, gracie, exemp-
tione, immunita, e altri a questa cita consueli. Quarto, cosi
como descendendo la anima del glorioso Ghristo al limbo per
Redimere e Liberar le anime gia longo tempo captivate, cosi, in
memoria di Sua sanctissima passione e liberatione predicta, si
supplica, e humilmenti requere che degnar Si vogli la M. V. ,
per questo suo advenlo libcrare li soi Gitadini fin al présente
giorno nel Gastelleto retenuti e quelli graciosamente condonare
a le isconsolatc madré, a le aftlicte mogliere, a li tribulati parenti,
a perpétua laude e gloria delà M. V., et acio si po patisca il
iusto per lo iniusto.
Non obmettero, GlementissimoRe, laltro preclaro dono a noi
etiam condonato in constituire un regio gubernatore sotto il
Mai 1507] COMMENT LE ROY TINT EN SON PALAYS, ETC. 255
gouverno del quale, per sua virtu, summa prudentia, et inge-
nio, speramo questa Cila, cum luto il suo distretto, dover esser
lalmciUi rezuta e gubernata, che grande gloria ne résulte a la
M. V. e da noi utile pacifico, e stabilita perpétua. La quai Cita,
cum ogni sua pertinentia, non cum quai si de, ma cum quai si
po humilita, et genibus flexis, prostergato in terra, devotissi-
mamente se aricommanda, inducendo et allegando il dicto dal
Psalmista : « Cor contritum et humiliatum Rex ne despicies. »
Amen.
Sequita la risposta facta per missere Michèle Rizo, doctore,
consigner e, e maestro de requeste ordinario de la maison
del prefato Christianissimo Re, per commandamento de Soa
Maiestade.
E sentencia di philosophi, che perfidia noce tanto a la gene-
racione humana quanto giona [sic] la observantia de la bonna
fede : « Perfidia tantum incommodi humano generi affert quan-
tum salutis bona fides prestat. » Questa perfidia non solamente ha
submerso le citade, terre, e provincie, como si lege ne le historié
di Gapoa, Numantia e Garthagine e moite altre cita e provin-
cie : ma una parte delà natura angelica casco in ruyna per
quella irreparabilmente. El nostro padre Adam per la rebel-
lione e inobediencia verso el suo Signore fo condennato, luy e
la sua posterita, in perpetuo. E quantum che nostro signore e
redemptore lesus ne habia redempto col precioso sangue, non
dimeno nostra natura resta imbécile e inferma per la ditta
colpa. 0 popole Genoese, me se concedesse tanto ingenio, mémo-
ria e facundia, chio potesse condignamente considerare comme-
morare, e explicare la gravita de vostre exécrable perfidia ! Ma
la grandeza et enormita di quello offuscano l'intellecto, pertur-
bano la raemoria, e impediscono la lingua. Pero che quando
considero la perfidia de Gartaginesi verso Xantipo Lacedemonio
che e existimata gravissima ; Quelle de Hannibal verso li Noce-
rini et Acerani, Digneo Domicio contra Bituito, Re di Avernia,
de Servio Galba contra le tre Gita di Portugalo, tutte insieme
non sono a comparare a questa vostra usata e commissa verso
el Chris™" e pientissimo re nostro. E me dole che non la posse
256 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
bcne explicare a fine che se inlendesse meglio la summa Glemen-
lia e bonla de Soa Maesta Ghri"^*.
Me ricordo e credo molti di noi présente ne habiano memo-
ria che, in lanno de la nativita del nostro Signore raille qua-
trocento nonante nove, del mese de Octobrio, ricognoscendo
che nostro vero e natural signore era lo Ghri""" re di Franza
e che longo tempo la Cita vostra havea prosperato sotto lor
dominio e obediencia, e maximamente nel tempo del re Garlo
magno, e poi de récente e fresca memoria sotto el dominio del
re Garlo VI°, del re Garlo Septimo^ e se alcuno altro dapoi
havea gouvernato e dominato la cita vostra, era infaudato dal
re Ghri'"" de Franza, recognoscendo in dirrecto e supremo
signore : elegistivo, de vostra spontanea volunta e proprio moto,
Sedeci notabili citadini, ali quali per commune decreto de vos-
tro gran Gonsiglio, nemine discrepante^ donastivo commissione
e auctorita de mettere la Gita vostra e dislritto de quella a la
obediencia de soa Ghri""^ M'*, como a vero naturale e supremo
Signore, li fare et prestare lo debito sacramento de fidelita. Li
quali vostri ambassiatori se transferino a la Gita de Milano,
dove sua Maiesta era in quello tempo, e li fero solennemente la
ditta fideUta. E nel mese di Novembrio sequente, in la gran
Sala de questo palazo, me proponente^ tutti li capi di casa et
homini capaci de Rason ratiffîcando la ditta fidelita e luto
quanto per li ditti Ambassiatori era stato facto, de novo se
obligarono e iurarono la fidelita in raano de monsignor di
Ravastein, per soa M'^, Affirmando che la redutione de la Gita
vostra a la sua obediencia era reformare el Stato di esse Gita
che per alcun tempo era stato detorpato e deformato per la
tyrannia de alcuni, et vostre particulari odij et inimicicie
intestine.
« Sed quis furor, o populi, que tanta dementia, cives? »
Ghe e quello che ve ha induto a rebellione contra el re
Ghri="° nostro signore, el quai a fatto verso voi lutto quello
che era convenienle a iusto, pio c amorevol signore, inconti-
nenti che Seti venuto ala obediencia soa ? Ha fatto cessare tute
vostre parcialita, che erano causa spesso de ogni nostro maie.
Ha ordinato farve administrare iusticia cosi al richo como al
povero senza accepter personne. E se alcuno manchamento e
Mai 1507] COMMENT LE ROY TINT EN SON PALAYS, ETC. 257
stato in la iusticia, la colpa se po dare a voi, che non havete
advertito a Soa M'*. Ve ha difîesso de tute oppressione e vio-
lentie, favorite tuti vostri commercij e mercantie e, per tulo, vos-
tra navigatione-, cum le baynere e ensegne de la Soa IVl^*, seli
slati honorati c carezati. E quantum che tuta Italia habbia sen-
tito li danni e incommodi de la guerra, sola la vostra cita et lo
Genoese hano goduto de la pace. Ghe e quello che ve mosso, o
popul Genoese, a dismenticarve de tanti beneficij, etiam per voi
commemorati, et el tranquille e dolce stato nel quai voi eravo, e
venir contra el sacramento de la fidelita et metter la Cita vostra,
le personne, lo honore, e li béni in cosi évidente ruyna che, se
la summa Glemencia e pieta del Re Chri^'^nonhavesseobviato,
per voi non e rimasto di ruynare e sovertere perpetuamente
el tutto ? Ghe e quello che a possuto fare el re Ghri""" in vostro
beneficio che habbia lassato de farlo? E po dire, como dice il
nostro Signore : « Popule meus, quid feci tibi ? »
Longo tempo e che li predecessori vostri hano cognosciuto
non poder esser senza iusto signore. Et e sentencia di philoso-
phi quod « Sub iusto principe vivere summa est libertas. » Se voi
non havessivo Signore e volessivo elegere uno, a pena trovares-
sivo simile al re Ghri*"". Si consideramo la origine e genealogia,
e la piu antiqua e continuata de Ghristiani , pero che il re
Qjjf^mo g Iq Ginquanta uno descendente del primo Re. Se consi-
deramo la vertu sue, tuto e pieno de Religione, de Iusticia,
pieta, prudente, forte e temperato. E se la presencia de So[a]
M'a non me revocasse dal proposito, dubitando incorrere vicio
de adulations, io ve mostraria che, con tuti quelli che Sono lau-
dati, ne le anliche e moderne historié, de religione, de iusticia,
de pieta, de forteza e temperança, sua Ghri">* M'* se po compa-
rare. Lo sano e soi subditi. Lo sano e soi servitori, quale sono
continuamente presso di Soa M'^. Lo posseti per experiencia
cognoscere, Voi, popul Genoese, che havete novamente experto
sua magnanimita in havervi vinto con tanta celerita, e so[a]
gran bonta in volerve perdonare si gran colpa. E nientedi-
meno, obcecato populo, havete procurato meterve fore de la obe-
diencia de Sua M'^. Voi pigliastivi le arme nel principio, facendo
tumulto e sedicione, e poco commettendo crimen leze maiesta-
tis. E perpetrasti piu homicidij e robarie, e per violencia caças-
IV 17
258 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
tivo li Nobili, che sono luna de li pri[n]cipale de vostra Cita.
Donastivi ad intendere venir a venia e domandar gracia e
perdon, promettendo posar le arme e remettere el tulo al pris-
tino stato. El bono e clementissimo Re liberalmente vi pardono,
sperando che dovessivo recognoscere sua bonta e clemencia e
disponerve del tutto al Suo servicio, como fe el bon Cynna
Romano verso Octaviano Imperadore, poi che lui donna la vita
che li posseva giustamente logliere. Ma voi, cechi de furore e
ingrati, andando de mal in pegio, havete occupato le casleile e
terre se lenervano per soi capitanij , assegiate al[cune] allre, quale
soi gente darme con soi bandere deffendevano, impediti et depre-
dati le victualie e homini se mandavano a le sue forteze e Cas-
telle, presoel Gastellazo, e, sotto fede, crudelmente trocidate li
homini, assegiate e combatuto el suo Gastelletto. E, quel che e
pegio, ve havete monito e fortifficato per resistere a sua Maiesta,
la quai veniva in persona. Non considerando che la força vos-
tra verso quella de So[a] M'* e simile a quella dun pulice ad
uno Elephante.
0 damnata e detestabile perfîdia! o summa Dementia! E sio
volesse pesare la qualita e gravita di vostri delicti e excessi, e
commensurarli con digna pena, non solo li homini, maie mura
e la terra meritariano perpétua eversione. E tuti gli tormenti
exquisiti per Fallace [sic] , e Dyonisio, e altri tyranni , non sarebeno
sufficiente. lo so bene che vi despiace intendere exprobrare et
detestare lo errore vostre. Ma vi cognosco de tanto ingenio, che
cognosceti che e ditto, errore e piu grandi e meritar piu grave
reprehesione. lo cognosco nel vulto e nelo habito che seti
Genoesi, ma li fatti e le opère sono contrarie, e piu presto da
inimici, havendo exposta la patria a cosi gran pericolo. E son
certo, che quando voi considerati, li capilli se rlvoltano insuso et
le viscère se commovano.
« Sed respexit vos oculo pietatis Clementissimus rex, et miser-
tus est populi sui. » Non e minor la gloria di Soa M'* Ghristia-
nissima in haver lemperato la giusta indignalione sua verso
voi, che havervi viuto e redutaasoa obediencia. E quando con-
sidero li casi, per li quali Valerius Publicola, Furius Gamilius,
li doi Scipioni Alîricani, Marco iMarcello, Marco Galhone,
ArchiLa Tarenlino et li altri sono laudati de la vertu de lempe-
Mai 1507] COMMENT LE ROY TINT EN SON PALAYS, ETC. 259
rança, senza dubio, in questo caso, el Re Ghristianissimo e
digno di magior laude, e quai me a commandato rispondere a
la suppiicatione vostra :
Clie sua Maiesta perdona e remette a tutl U Genoesi 11 delicti,
lanlo de leza maiesta, nel primo o secundo capo, quanlo altri
quai se voglia, e de quai se vole gravita et importantia, in fino
al présente giorno, reservata la rasone del terzo, quale porra
prosequire civilmente e criminalmente como li placera. E intende
sua Maiesta Christianisslma che siano inclusi in la présente
gratia cosi li absenti como li présent!, dummodo ipsi absenti
infra uno mese dal présente di coraparano davanti el Governa-
tore e suo locotenente e iurano in soi mano la fidelita a sua
Maiesta Christianisslma ; laquai excettua, et exclude da la ditta
gracia solamente quelli che a facto particularmente nominare.
Et ultra, ex pienitudlne gracie, remette e dona la multa e
pena di cento mllla scudi, inclinando a essa vostra suppiica-
tione. Et ve restltuisse et reIntegra a li honori, dignita e béni
vostri.
E clrca lo artlculo di privllegij, quale sono qui in prompto,
sua M'*, per conservare la auctorita régla, ha ordlnato che siano
rotti actualmente, cancellati e brusati. E nientedlmeno, usando
de sua pleta e Glemencia, poi che gli barète fato et prestato lo
débite sacramento de fidelita, ve fara légère le concesslone,
privllegij e ordinatione, di 11 quall intendi che habiati.
E a lultima parte de vostra Suppiicatione, sua M** ha dep-
putato alcun per Intendere se sono presoni de bona guerra, ou
non. E in ognl caso, 11 fara cosl bene tract^re, che vol e loro
haveretl causa di contentarve.
0 summa bonta ! o inextimabile pletà ! o immensa magnani-
mita ! Doveti duncha, populo Genoese, recognoscere perpetual-
mente uno tanto beneficio e dono che sua Christianisslma
Maiesta vi ha fatto In questo di, restltuendovi La patrla, Lo
honore, La vita, donne, figlioli e benl. E lo doveti cum perpétua
memorla celebrare, afin che ne vol ne vostri successorl habiati
a incorrere mai piu in simile errore. Per o che como sua Maiesta
ha usato al présente de summa pleta e Glementia, recascando,
bisognarla usare de immenso rigore e summa severlta. La quai
dovesse cedere in exemplo perpetuo a tutti subditti.
260 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
Pour ce que tous n'entendent entièrement le langage
italien, et que dedans les susdites harangue et res-
ponce sont mainctes choses recommandables, dignes
de record, alléguées, affin que chascun en puisse avoir
cognoissance et entendre la substance, je diray cy
après de mot a mot le contenu en icelles, dont l'in-
troite de la proposicion dudit messire Jehan de lUice,
refferendaire du peuple de Gennes, fut telle :
« Très cristien et invictissime Roy, nostre souve-
rain et unique seigneur en terre, ceste vostre très
dévote cyté de Gennes, et universallement les habitans
en icelle, vrayement nous recognoissons les bénéfices
et mérites infinys de la Magesté vostre par vous faictz
et par nous receuz, estre telz et si grans que tous
nous et noz posteres rendent perpétuellement obligez
a devoir rendre et refferer a vostre Magesté, non telle
grâces et louanges comme nous devons, mais telles
que par nostre débile faculté pouvons. Mais vraye-
ment, Roy très benign, les preteritz biensfaictz et
grâces a tous surmontez et passez ce derrenier très
singulier et très noble don de clémence que soyez dai-
gné venir personnallement nous délivrer de si grande
servitute et captivité, et tant que, par la coulpe, non
pour ce de grande nombre, d'ommes de mal affaire,
estyons reduytz, lesquelz, estans ensuyvys de la vul-
gaire et aveillée gent, par armes et a force la cyté
avons esmeue a erreur. Mais vostre clémence infynie,
prenant doctrine en nostre rédempteur Jesu Crist, et
nous, pour tant, non ensuyvant l'obstination infruc-
tueuse de Judas, mais de Pierre la salutiffere péni-
tence, et les yeulx au ciel levez, considéré que tarde
ne fut jamais grâce divine, a esté tant supperabun-
Mai 1507] COMMENT LE ROY TINT EN SON PALAYS, ETC. 261
dantissime que, non regardé ledit erreur, nous estes
venu délivrer et rachapter en telle manière, Cristianis-
sime Roy, que, ainsi comme par tout le monde la
Magesté vostre, a sa grande gloire et louange, est
enseignée, nommée et décorée Cristianissime a bonne
et juste cause, si le triumphal tiltre Glementissime se
peut et doit a luy adjoxter, s'il n'est supérieur, au
moings non plus bas, mais coegal a l'autre honorable
tiltre. Et, pour ce que vostre souveraine clémence nous
a receuz a sa bonne grâce et soubz le très seur escu
de sa protection, tout mal cesse et tout bien ensuyt,
comme Jhesu Crist estant en la croix, les bras estan-
dus et ouvers, a devoir pardonner a tout homme qui
a luy se tourne et recognoist son erreur ; pour ce,
tous universellement, en vertu de ce nouveau tiltre de
clémence, en terre prosternez, supplions vostre Magesté
que nous daignez bailler et octroyer la grâce et requeste
qui s'ensuyt : Premièrement, que vueillez universal-
lement pardonner et juger scelon vostre souveraine
clémence. Secondement, remectre et canceller la
peine de grande pecune a vostre cyté afflicte par
l'erreur susdite. Tiercement, a nous octroyer et don-
ner les privilleges, grâces, exemptions, immunitez et
autres libertez a ceste cyté accostumées. Quartement,
ainsi, comme l'ame du glorieulx Jhesus Crist descendit
aux limbes pour rachapter et délivrer les âmes ja long
temps la captives, ainsi, en mémoire de sa très saincte
passion et délivrance susdite, chascun vous supplie et
humblement requiert, si vostre Magesté veust, que
daignez par cestuy vostre advenement délivrer voz cita-
dins jusques a ce présent jour dedans le Castellet rete-
nus, et gracieusement les donner a leurs mères incon-
262 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
sollées, a leurs femmes afflictes et a leurs troublez
parens, a la perpétuelle louange et gloire de la vostre
Magesté et affin que les justes ne seuffrent pour les
injustes.
« Je ne obmectray pas, Roy clementissime, l'autre
honnorable don a nous ausi a octroyer, pour constituer
ung royal gouverneur, soubz le gouvernement duquel,
par sa vertu souveraine, prudence et advys, espérons
ceste cyté, avecques toutes ses affaires, devoir estre
tellement regye et gouvernée que grande gloire en
résultera a la Magesté vostre, et de nous utillité pacif-
fique et stabilité perpétuelle. Laquelle cyté, avecques
toutes ses appartenences, non pas comme se doit, mais
comme se peut humilyer, et, genolz plyez, prosternée
en terre, très dévotement se recomande, en ramenant
et allegant celuy dit du psalmiste : <i Cueur contrict
« et humilyé, Roy, ne desdaigne pas. »
Et, ce disant, tout le peuple de Gennes se pros-
terna et coucha du ventre en terre, les testes des-
couvertes.
Ce faict, le cardinal d'Amboise et messire Michel
Rys aprocherent la chaire du Roy, et la parlèrent
assez long temps ensemble, comme par espace de
demy cart d'eure ; et puys ledit messire Michel Rys,
commys de par le Roy pour respondre a ce que les
Gennevoys avoyent faict devant proposer, fist sadite
responce en itallyen, scelon le contenu, comme est
cy dessoubz rédigé en françoys :
« Sentence est du philozophe que la rebellyon et
désobéissance autant nuyst au genrre humain que
l'observance de bonne foy luy donne d'ayde : Perfi-
dia tanttim ineommodi ,humano gcneri aff'ert, quantum
Mai 1507] COMMENT LE ROY TINT EN SON PALAYS, ETC. 263
salutis bona fides pr estât. Geste désobéissance non seul-
lement a submergé et destruyt les cytés, les terres
et provinces, comme se list en l'ystoire de Cappe,
Numance et Gartage, et mainctes autres cytés et pro-
vinces, mais une partye de la nature angelicque a mys
et chacé en ruyne, par elle, irréparablement. Nostre
père Adam, par la rebellyon et inobedience faicte vers
son Seigneur, fut, luy et sa postérité, a perpétuité con-
dempné ; et, combien que nostre Seigneur et Rédemp-
teur Jésus nous aye, par son precieulx sang, rachap-
tez, neautmains (sic) nostre nature en demeure imbecille
et enferme par ladite coulpe. 0 peuple gennevois,
je me vouldroye bien de si grant mémoire, savoir et
faconde, que je peusse condignement considérer, com-
mémorer et expliquer la gravité de vostre excecrable
desloyauté ; mais la grandeur et enormité d'icelle me
offusque l'entendement, me perturbe la mémoire et
m'empesche la langue; pour ce que, quant je con-
sidère la desloyauté des Gartagynoys vers Xamtipus
lacedemonien, qui est très griefve extimée, celle de
Hanibal vers les Nocerins et Acerains, Digneo Domicius
contre Bituite, Roy de Avernya, et de Servius Galba
contre les troys cytez de Portugal,-toutes ensemble ne
sont a comparer a ceste vostre, perpétrée et commise
vers le Très Gristien et très piteulx nostre Roy ; et me
dueil que je ne la puys bien declairer, affin que myeulx
s'entendist la souveraine bonté et clémence de sa cris-
tianissime Magesté.
« Je me recorde, et croy bien que mainctes de
vous presens avez bien mémoire, que, en l'an de la
nativité nostre Seigneur, mil quatre cens iiii"'' et xix,
ou moys d'octobre, recogneustes que vostre vray
264 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
et naturel seigneur estoit le Cristianissime Roy de
France ; et que long temps vostre cyté avoit prospéré
soubz leur seigneurye et obéissance, et mesmement
du temps du Roy Gharlemaigne ; et puys, de nouveau
et fresche mémoire, soubz la dominacion du Roy
Charles sixiesme et du Roy Charles VIP, et si aucun
autre depuys avoit dominé vostre cyté, ce seroit au
préjudice et fraude du Cristianissime Roy de France ;
et, en le recognoissant en vostre direct et souverain
seigneur, vous esleustes, de vostre franche et liberalle
volunté et propre mouvement, seze notables cytadins,
ausquelz, par commune ordonnance de vostre grant
conseil, nuly contraryant, donastes commission et auc-
iorité de mectre vostre cyté et despendences d'icelle
a l'obéissance de sa Cristianissime Magesté, comme a
vostre vray, naturel et souverain seigneur, luy faire
et bailler le deu serment de fidélité. Lesquelz vosdits
ambaxadeurs vers luy se transportèrent en la cyté de
Millan, ou sa magesté estoit lors, et la luy firent sol-
lempnellement ladite fidélité ; et, ou moys de novembre
ensuyvant, en la grande salle de ce palays, moy pré-
sent, tous les chiefz de maison et hommes capables
de raison, en ratiffyant ladite fidélité et tout ce que
par lesdits ambaxadeurs avoit esté faict, de nouveau
se obligèrent, et jurèrent la fidélité, en la main de
mons*^ de Ravestain, a la Magesté du Roy, affirmant
que la réduction de vostre cyté a son obéissance
estoit refformer les statutz et la cyté qui par aucun
temps avoit esté enlaydie et defformée par la tirannye
d'aucuns, et voz pa[r]ticulieres haynes et intestines
in imitiez.
Sed quis furor, opopuli, et que tanta demencia, cives?
Mai 1507] COMMENT LE ROY TINT EN SON PALAYS, ETC. 265
« Mais, G peuple et cytadins gennevoys, qui est celle
et la si très grande foulye et quelle chose vous a
induytz a rébellion contre le Cristianissime Roy
nostre seigneur, lequel a faict envers vous tout ce
qui estoit convenient et requis a juste, piteulx et
amyable seigneur, incontinent que estes venus a son
obéissance? Il a faict cesser toutes voz partialitez, qui
estoyent souvant cause de tout vostre mal ; ha ordonné
vous faire administrer justice, autant au riche comme
au pauvre, sans accepter personne, et, si aucun deffail-
lementaesté en la justice, lacoulpe s'en peut donner
a vous mesmes, qui n'en avez sa Magesté advertye;
vous a deffendus de toute oppression et vyollence,
favorizé toutes voz merceryes, changes et marchan-
dyes; et, par toute vostre navigacion, avecques la
baniere et enseigne de sa Magesté, avez estes hon-
nourez et cheriz; et, combien que toute Itallye ayc
sentu le dommage et perte de la guerre, vostre seulle
cyté et les Gennevoys avez jouy du bien de la paix.
Quoy ! et quelle chose est ce qui vous a meuz, o peuple
gennevoys, a oublier tant de bienffaictz par vous
mesmes commémorez, et le transquille et doulx estât
enquel vous estyez, et venir contre le serment de la
fidélité, et mectre la cyté, les personnes, l'onneur et
les biens en si évidente ruyne que, si la souveraine
clémence et pitié du Roy Cristianissime n'y eust
obvyé, par vous n'est demeuré de ruyner et subvertir
perpétuellement le tout? De ce et cela que le Roy
Cristianissime, pour vostre proffict et bien, a peu
faire, qu'a il laissé de le faire? II vous peut dire,
comme nostre Seigneur dist aux Juyfz : Popule meus,
quid feci tibi? « Mon peuple, qu'ay je faict a toy? »
266 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
« Long temps y a que voz prédécesseurs ont cogneu
ne pouvoir riens sans juste seigneur. Il est sentence
du phillozaphe que : Sub justo principe vivere summa
est libertas, qui est a dire que : « Vivre soubz juste
« prince est souveraine liberté. » Si vous, Gennevoys,
n'avyez seigneur, et vous en volussiez ung eslire, a
peine le trouveriez vous semblable au Roy Cristia-
nissime : si nous considérons l'origine et généalogie
de celuy, elle est la plus autentique et continuée des
crestiens, pour ce que le Gristianissime Roy est le
cinquante uniesme descendant du premier Roy de
France ; si nous considérons sa vertu, toute est plaine
de religion, de justice, de pytié, prudence, force et
temperence; et, si la présence de sa magesté ne me
revocast de propos, doublant encourir vice de adul-
lation, je vous monstreroye que, a tous ceulx qui
sont louez en l'antique et moderne hystoire, de reli-
gion, de justice, de pitié, de prudence, de force et de
temperence, sa Gristianissime magesté se peut com-
parer : cela scavent ses sugectz, cela scavent ses ser-
viteurs, lesquelz sont continuellement près de sa
Magesté; cela povez par expérience cognoistre, vous,
peuple gennevoys, qui avez nouvellement sa magna-
nimité expérimentée, en vous ayant si tost vaincus,
et sa grande bonté, en vous voulant si griefve coulpe
pardonner ; et neantmoings, peuple aveigle, avez pro-
curé vous mectre hors de sa Gristianissime Magesté :
vous avez au commaincement prises les armes, en
faisant tumulte et sedicion, et commectant cryme de
leze magesté ; et puys avez perpétré homicide et robe-
rye, et par violence chacez les nobles, qui sont
les ungs de principaulx de vostre cyté. Vous avez
Mai 1507] COMMENT LE ROY TINT EN SON PALAYS, ETC. 267
donné a entendre venir a raison et demander grâce
et pardon, promectant lesser les armes et remectre
le tout au premier estât; et le bon et tre[s] humain
Roy liberallement vous pardonna, espérant que
vous deussiez recoignoistre sa bonté et clémence,
et vous disposer du tout a son service, comme fist
le bon Gynna romain vers Octavyen empereur, pour
ce qu'il luy donna la vye que justement luy pouvoit
tollir; mais vous, aveiglez de fureur et ingratz, en
allant de mal en pys, avez occuppé le castellas et les
terres qui se tenoyent par ses capitaines, assiégées
aulcuncs autres que ses gens d'armes avecques leurs
bendes deffendoyent, empeschez et destrossez les
victualles et hommes qu'il envoyoit a ses forteresses
et chasteaulx, prins le castellas et, sur la foy, cruel-
lement occys les souldars qui dedans estoyent, assiégé
et combatu son chastellet; et, qui pys est, vous estez
munis tous et fortiffyez pour vouloir résister a sa
magesté, laquelle est venue en personne, non en con-
sidérant que vostre force envers celle de sa magesté
est semblable a celle d'ung vermet a ung éléphant.
« 0 dampnée et détestable perfidye ! o souveraine
foulye! si je vouloye peser la qualité et gravité de
vostre delict et excès et commesurer condigne
peine, non seullement les hommes, mes les murailles
et la terre merit[eroient^] par perpétuelle eversion ;
et tous les tormens exquys par Phalaris, Denys et
Perilus et autres tirans, n'y seroyent bien suffizans.
Je say bien qu'il vous desplaist entendre blasmer et
détester vostre erreur; mais je vous cognoys de tel
1. Le texte porte : Meritariane.
268 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
entendement que cognoissez bien que tant plus est
l'erreur grande et plus griefve reprehension mérite.
Je cognoys en vostre visage et habit qu'estes gen-
nevoys ; mais les faietz sont contraires , et plustost
œuvres d'ennemys, en ayant exposé le pays a si grant
perilh; je suys certain, quant vous le considérerez, que
les ch[e]veulx se révolteront en sus et les entrailles se
meuveront.
« Mais le Roy très humain vous a regardez de l'ueil
de sa pitié et a eu mercy de son peuple. Maindre
n'est la gloire de sa Gristianissime Magesté, en ayant
tempéré sa juste indignation vers vous, que de vous
avoir unys et reduys a son obbeissance ; et, quant je
considère les cas par lesquelz ValeriusPublicola, Furius
Gamillus, les deux Scipions afFricans, Marcus Marcel-
lus, Marchus Gatho, Archita Tarentinus et les autres,
sont louez de la vertu de temperence, sans doubte,
en cestuy cas, le Roy cristianissime est digne de plus
grande louange, lequel m'a commandé respondre a
vostre supplication :
« Que sa Magesté pardonne et remect a tous les
Gennevoys les delictz tant de leze magesté, au pre-
mier et second chief, comme autres delictz quoi qu'il
soyent et de quelque importance, jusques au jour pré-
sent, réservé le droict d'autruy, qu'il pourra, crimi-
nellement, civillement ou comme il luy plaira, pour-
suyvre; et entend sa Magesté Gristianissime que, en
la présente grâce, soyent inclus et comprins ainsi
les absentz comme les presens, pourveu que dedans
ung moys, de le jour d'uy, compareront devant le
gouverneur ou son lieutenant, et jureront la fidélité
entre ses mains a sa Magesté Gristianissime, lequel
Mai 1507] COMMENT LE ROY TINT EN SON PALAYS, ETC. 269
excepte et forclost de la grâce seullement ceulx qu'il
fera particullairement nommer^.
« Et en oultre, par grâce planiere, remect et donne
la tauxe et peine de cent mille escus, en obtempérant
1. La rémission fut promulguée le H mai (Bibl. de l'Université
de Gênes, ms. V», fol. 216). L'ordonnance de Louis XII, rendue
au palais de Gênes en mai 1507, contresignée, — par le roi seigneur
de Gênes, — des cardinaux d'Amboise, San Severino, de Final,
de Prie, d'Albi, des ducs de Bourbon, de Calabre, de Longue-
ville, des archevêques de Sens, d'Arles, des évêques de Paris, de
Vabres, de Tournai, de Sisteron, etc., de Michel Riz et autres,
comprend un préambule et trente-trois articles. Le préambule
expose l'ingratitude des Génois, les peines qu'ils ont encourues
(notamment la destruction de leurs privilèges), la clémence du
roi. — Article i<"". Amnistie pleine et entière, sauf pour les per-
sonnes réservées et pour celles qui refusent le serment. — Art. 2.
Le gouverneur sera un personnage prudent et vertueux, d'outre-
monts, habitué autant que possible aux idées des Génois. Il gou-
vernera selon les statuts, mais les Anciens ne pourront délibérer
hors de sa présence. Il prêtera serment d'obéir aux statuts et
règles ci-après. — Art. 3. Les potestats et officiers seront étran-
gers à Gênes et rendront la justice sans acception de personnes,
selon les lois et l'usage. Ils seront nommés annuellement. —
Art. 4. Tous citoyens et fonctionnaires prêteront serment de fidé-
lité au roi, à ses enfants des deux sexes et ses successeurs, quand
ils en seront requis. — Art. 5. Les vassaux, feudataires etconve?i-
tionati rendront hommage aux Anciens dans la forme accoutumée.
— Art. 6. Toute obéissance sera due par les' citoyens au gouver-
neur, sauf l'autorité du roi. — Art. 7. Le roi, en son nom et au
nom de ses successeurs, prend l'engagement de défendre le terri-
toire contre toute agression. Mais les châtelains préposés par l'Of-
fice de Saint-Georges prêteront au roi un serment de fidélité, dont
le texte est inclus. — Art. 8. Le roi déclare, pour lui et ses suc-
cesseurs, ne rien vouloir aliéner de Gênes, en tout ni en partie.
— Art. 9. Le roi n'établira aucun impôt nouveau, sauf en ^as
d'urgence et sur l'avis des Anciens, pour la défense de la ville et
la réparation des forts. — Art. 10. Les amendes appartiendront à
qui de droit, sauf dans les cas réservés au roi (hérésie, lèse-ma-
jesté, sédition, fausse monnaie, homicide). On ne changera pas
270 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
a vostre supplication, et vous restitue a voz honneurs,
biens et dignitez.
« Et, touchant l'article des privilleges, telz sont
que promptement sa Magesté, pour conserver l'octo-
les peines corporelles en peines pécuniaires. — Art. 11. Les terri-
toires génois qu'on recouvrerait seront réunis à Gênes. — Art. 12.
Les offices seront décernés au mérite et jamais vendus. — Art. 13.
La monnaie sera frappée à un coin nouveau, avec les armoiries
du roi jointes à celles de Gênes et le nom du roi, suivi de la
simple mention : « Dominus Janue. » — Art. Ik. Les Génois ne
pourront être cités hors de la ville ou de leur district; ils seront
jugés selon leurs lois. Dans le cas d'affaires d'État, le roi appré-
ciera. — Art. 15. Les Génois pourront commercer et circuler par-
tout, comme des sujets français. Toutefois, ils seront obligés de se
conformer aux règles générales de paix ou de guerre ordonnées
par le roi et ne pourront faire la paix ou la guerre pour leur propre
compte. — A?^. 16. Leurs vaisseaux porteront le pavillon de France
à la place d'honneur et le pavillon génois au second rang. —
Art. 17. Le sceau de la ville restera comme par le passé. —
Art. 18. Le roi n'entend faire aucune concession lésive des droits
de Gênes, des compères de Saint-Georges ou autres compères. —
Art. 19. Tout sauf-conduit pour dettes décerné par le gouverneur
sera nul s'il n'est approuvé par les Anciens. — Art. 20. Les Génois
seront, comme sujets du roi, compris dans tous ses traités de paix
ou de trêve. — Art. 21. Les Génois n'auront aucun droit d'ambas-
sade, sauf près du roi pour des réclamations administratives. —
Art. 22. Les dépenses extraordinaires ne dépasseront pas le chiffre
habituel, sauf les exceptions ci-dessus {art. 9). — Art. 23. Le roi
ne délivrera aucun sauf-conduit aux débiteurs de Gênes ou de
Saint-Georges. — Art. 24. Par mesure de contrôle et de sûreté
publique, le roi présentera les candidats aux bénéfices ecclésias-
tiques. Aucun titulaire de bénéfice de cent ducats ou au-dessus
ne pourra en prendre possession sans le placet du gouverneur. —
Art. 25. Le roi pourvoira ultérieurement aux différends de Gênes
et de Savone dans un esprit de concorde et de justice. — Art. 26.
Le gouverneur et les Anciens pourront affecter des maisons à la
réception du roi, de ses successeurs ou de ses amis ou confédérés.
— Art. 27. Tout cri est interdit sous peine de confiscation et de
mort, notamment les cris : Adorno, Freyoso, Populo; sauf les cris
Mai 1507] COMMENT LE ROY TINT EN SON PALAYS, ETC. 271
rite royal, ha ordonnez qu'ilz soyent rompus realle-
ment, cancellez et brûliez; et, mesmement en usant de
sa pityé et clémence, pour ce que luy avez faict et
baillé le deu serment de fidélité, vous fera lire les con-
cessions, privilleges et ordonnances, lesquelles entend
que vous ayez.
« Et, a la derreniere part de vostre supplication,
sa magesté a depputé aucun pour savoir si les pri-
sonniers du chastellet sont de bonne guerre ou non,
et, en tout cas, les fera si bien trecter que vous et les
leurs aurez cause de vous contanter.
« 0 souveraine bonté ! o inextimable pytié ! o im-
mense magnanimité ! Doncques devez, peuple genne-
voys, recognoistre perpétuellement ung si grant béné-
fice et don que sa Gristianissime Magesté vous a faict
en ceste cy, de vous restituer le pays, l'onneur, la
vye, donner les filz et les biens, dont le faict devez
de « Roi » ou « France. » — Art. 28. Les syndicats de métier
sont abolis. Toute réunion publique ou privée devra être autorisée
par le gouverneur; le tout sous peine de mort et de confiscation.
— Art. 29. Tous les privilèges quelconques de Saint-Georges,
pour l'île de Corse ou autres, sont confirmés. — Art. 30. Les
domaines actuels de Saint-Georges (nommément la Corse, Sar-
zana, Sarzanella, la Melia, Illice et autres)^ sont reconnus ; les
règlements intérieurs sont approuvés. — Art. 31. Tout ce qui
aurait pu être fait contrairement aux deux articles qui précèdent
est nuL — Art. 32. Les officiers royaux seront tenus de prêter
main-forte aux réquisitions de Saint-Georges pour ce qui précède.
— Art. 33. Les privilèges et grâces ci-dessus seront nuls, en cas
d'infidélité des Génois. — Suit la formule d'approbation, de per-
pétuité et de scellement. (Ordonnance en latin, sauf les articles 29
et suivants, rédigés en italien. Transcription italienne du temps,
ms. lat. 5902. La minute de cette ordonnance, avec les correc-
tions, avec les signatures autographes, se trouve au ms. Dupuy 159,
fol. 232-239.) — Jean Marot dit que le roi changea en croix blanche
(croix de France) la croix rouge de Gênes.
272 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
avecques perpétuelle mémoire cellebrer, affin que
vous ne voz successeurs ayez a encourir jamais plus
en semblable erreur; pource que sa Cristianissime
magesté a usé a présent de souveraine pitié et humaine
clémence, en recheant, besoing auroit user de immense
rigueur et souveraine sévérité, laquelle devroit céder
en exemple perpétuel a tous sugectz. »
La mesmes, en la présence du Roy, furent nom-
mez particulièrement tous ceulx qu'il ne vouloit estre
compris en la grâce dessu[s]dite, lesquelz furent en
audience, par ledit messire Michel Ris, declairez
commisseurs de cryme de leze magesté, rebelles
et desobeissans au Roy, et leurs biens confisquez.
En oultre, furent apportez, sur les eschauffaulx, les
livres ou estoyent escriptz et emregistrez leurs pri-
villeges, tant des doze ancyens, gouverneurs du faict
pollitique, des xii de l'office de la baillie, des viii de
l'office de la monnoye, que des viii de l'office Sainct
George ordonnez sur la recepte des isles, chasteaux,
terres et seigneuries de Gennes; et est assavoir que,
de chascun office, estoyent moytié des nobles et moy-
tié du peuple ; et la , voulant le Roy user de puis-
sance royal etauctorité seigneurieuse, volut et ordonna
lesdits privilleges estre en sa présence cancellez, rom-
pus et bruslez, ce qu'ilz furent sur lesdits eschauffaulx,
et mys en cendre, en retenant a luy et de son domaine
toute la souveraineté et seigneurye de ladite cyté
de Gennes^ De laquelle seigneurye, sont les isles et
1. Néanmoins, quelques jours après, les Génois demandèrent
(Instructions du 2 juin à leurs deux ambassadeurs. Atli délia
Società Ligure, t. XXIII, p. 6G7) et obtinrent quelques concessions
(20 juin 1507. Bibl. de l'Université de Gênes, ms. cité, fol. 212 et
Mai 1507] COMMENT LE ROY TINT EN SON PALAYS, ETC. 273
terres qui s'ensuyvent : premièrement, y est l'isle de
Corse, située en Levant, entre Gennes et Barbarye,
a cent milliaires de Gennes près Sardaigne, terre d'Es-
paigne; dedans laquelle sont villes et cytés, comme
Boniface, bonne cyté et grande, Calvy, Bastya; laquelle
isle a de tour cincq cens milliaires ou environ ; autres
fortes places y a sur la rive de la mer du Levant,
comme Sarzane, Spedya, Levanto et Granaro^, assises
sur rochiers et fortes advenues, distant de Gennes :
l'une desdites places, de xxx mille ; l'autre de qua-
rante, l'autre de cinquante et l'autre de soixante;
chascune a dix mille l'une près de l'autre, pour au
besoing donner secours d'eure en autre ou mestier
en seroit; ausi est, de ladite seigneurye de Gennes,
suiv.). Un mémoire fut rédigé aussi sur les améliorations à appor-
ter à la justice (Ibid., fol. 201-205). — Le 27 novembre, ils dépu-
tèrent encore près du roi J. de Illice et Oberto Spinola (Arch. de
Gênes, Istruzioni e relazioni politiche, filza 3, 2707 c). — Cf. la
réponse du roi aux ambassadeurs de Gênes, Valenza, le 11 août
1511 (Gênes, Archives de Saint-Georges, Lettere). Les envoyés de
Saint-Georges ne cessèrent aussi de presser le roi de leur prêter
main-forte contre les habitants de Ghiavari, auxquels ils récla-
maient une gabelle ; ils s'attachèrent aux pas de Louis XU pen-
dant son retour {Dépèche du H juin 1507. Ibid.). Louis XII, ne
voulant pas s'occuper de cette affaire toute locale et judiciaire,
poursuivi d'ailleurs par les réclamations inverses de Ghiavari,
avait renvoyé l'affaire aux Anciens de Gênes, avec ordre de laisser
les gens de Ghiavari provisoirement tranquilles (6 juin. Ibid.). Le
12 août, sur la production d'un ordre du roi par les gens de Ghia-
vari, R. de Lannoy confirma une ordonnance de son prédécesseur
Ravenstein, rendue le 12 juin 1505, et défendit aux collecteurs de
gabelles de rien percevoir à Ghiavari jusqu'au jugement du pro-
cès pendant (Ibid.). De là, une vive et nouvelle réclamation de la
banque de Saint-Georges et l'envoi d'une nouvelle ambassade en
France, au commencement de 1508 {Ibid.).
1. Sarzana, Spezia, Levanto, Ghiavari.
IV 18
274 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
une autre isle en Grèce, nommée Syo, de laquelle
isle possèdent grand partie les Justiniains de Gennes;
autres places et chasteaulx sont es parties d'Occidant
de ladite seigneurye, c'est assavoir : Savonne, Naule,
Albingue et Vintemille^, toutes cytez, le gouffre de
Rappalle et le port de Lespece, Sainct Petre d'Araine,
Rivereu, Bosseneau, Pontedesme^, Jugum, Vultabium,
Gavy, Nove, bourg Busalle, Monjardin, Cabella, Sainct
Gristofle, Arcora, Sarravalle^ et Monigue, avecques
plusieurs autres bonnes places et fors chasteaulx, des-
quelz je n'ay sceu les noms. Mais j'ay sceu par le
raport d'ung myen oste de Gennes, homme octorizé
et ancyen, que la bource de Sainct George est extimée
par chascun an a cent mille ducatz, lesquelz se lievent
seullement sur la vendition du pain, du vin, des
draps et des autres marchandises qui viennent hors
de Gennes en la cyté et qui sortent de la cyté pour
aller ailleurs. Lesquelles isles, villes, cytez, chasteaux
et domaines, le Roy mist entre ses mains, et retint a
sa seigneurie, ou mist et ordonna capitaines, lieute-
nans et gouverneurs soubz luy, pour icelles régir et
entretenir, et du tout a la manière et coustume de
France gouverner.
Apres, fut dit par celuy Michel Rys ausdits Genne-
voys que le Roy les avoit pourveuz d'ung gouver-
neur, lequel estoit en présence, nommé messire Raoul
de Lannay, bailly d'Amyens, homme d'aage, ver-
1. Savona, Noli, Albenga, Vintimiglia.
2. La Spezia, San Pier d'Arena, Rivarolo, Bolzaneto, Ponte-
decimo.
3. Ovada (?), Voltaggio, Gavi, Novi, borgo Busalla, Mongiar-
dino, Cabella, San Gristoforo, Arcola, Serravalle.
Mai 1507] COMMENT LE ROY TINT EN SON PALAYS, ETC. 275
tueulx, scient, noble et bon justicier^ lequel fist la
le serment, en mectant les mains sur les Evangilles,
jurant et promectant de bien et leallement servir le
Roy oudit office, de faire justice au grant et au petit,
sans acception avoir a personne, et de s'aquicter en
manière que a son pouvoir l'onneur du Roy y sera
gardé, le bien de la chose publicque entretenu et sa
conscience deschargée.
En ensuyvant, montèrent sur l'eschaufault les qua-
rante officiers susdits, et la, en la présence du Roy,
firent le serment de fidélité, en baisant la paterne
et mectant les mains sur les Evangilles. Et, après que
ceulx eurent faict leur serment, tout le peuple de
Gennes universallement leva les mains, en cryant a
liaulte voix : France! France! France! France^!
i. Raoul de Lannoy, seigneur de Morvilliers, ex-gouverneur du
royaume de Naples, où il avait fait ses preuves.
2. Le procès-verbal du serment des Génois, le 11 mai 1507,
après avoir rappelé leur crime et la bonté du roi, constate qu'en
présence du roi sur son trône, entouré de cinq cardinaux et d'une
nombreuse cour, au milieu de la place du palais débordante de
foule, les magistrats suivants ont prêté serment, la main levée,
en leur nom et au nom du peuple : les A7iciens, « Nicoiaus Spinula
quond. Franci, Lucas Justinianus, Stephanus de Monelia, Panta-
leo Italianus, Georgius de Zoalio, Petrus Franciscus Gataneus,
Franciscus de Arquata, Dominicus de Marinis, Francus de Flisco,
Lazarus Picbenotus, Augustinus de Ferrariis et Baptista Lomel-
linus; » les officiers de la Balia, « D. Lucas Spinola, miles,
D. Jobannes de Auria, miles, Johannes Baptista de Grimaldis,
Franciscus Lomellinus, Baptista de Rapallo, Franciscus de Carau-
lio, Melchion [sic) de Nigrono, Johannes Ambrosius de Flisco,
RaCfael de Furnariis, Stephanus Justinianus, Antonius Sauli et
Baptista Bottus; » les officiers de la Monnaie, au nombre de huit
(parmi lesquels Simone Bigna, Giov.-Giac. Doria, Giov.-B. Sauli) ;
les huit officiers de Saint-Georges (parmi lesquels Giov.-B. Spinola,
Giorg. de' Grimaldi, Pietro Gentile Ricio). !<> Ces officiers recon-
t>76 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
Et, tout ce faict, le Roy se mist hors de chaire et
s'en alla en sa chambre ; et chascun s'en va a son logis ^
Les Gennevoys ainsi mys a la raison, en oultre,
pour paciffier de l'amende proffitable de leur f'or-
faict, baillèrent au Roy cent mille escus^, et cent
mille pour le defFray de son armée ^, et quarante mille
naissent le roi pour leur maître et seigneur naturel et se déclarent
ses sujets; 2° ils s'engagent à ne participer à aucunes machinations
contre lui, spécialement contre son autorité à Gènes, et à les
dénoncer; 3° à l'aider, s'il a à se défendre, contre toute personne
vivante et mourante sans exception; 4° à donner leurs loyaux
avis, si on les leur demande ; 5° à ne communiquer à qui que ce
soit les secrets qu'on pourra leur confier; 6° à agir en tout comme
bons et loyaux sujets (Ms. lat. 5902; copie du temps, d'une main
italienne. Texte original en latin).
1. Le 12 mai, Louis XII ordonna de faire prêter serment aux
capitaines et châtelains des places fortes ou châteaux de l'État de
Gênes, et notamment aux capitaines de Sarzana et Sarzanella.
Galeazzo Pallavicini fut chargé de recevoir ces serments, dont le
texte fut arrêté par le roi lui-même (Minute originale de la formule
de ce serment, signée Loys, datée de Gênes le 12 mai 1507, sur un
simple feuillet de papier. Ms. Dupuy 45, fol. 76).
2. « Ils en eschapperent a bon marché d'estre quittes pour une
petite amende civile qui n'estoit pas suffisante pour deffrayer les
menus fraiz que avoit cousté l'armée » (Saint-Gelais). Un décret
du conseil des Anciens, réuni le 10 mai sous la présidence du
nouveau gouverneur, Raoul de Lannoy, remercia le roi de sa clé-
mence et souscrivit un engagement de 200,000 écus d'or, plus
l'engagement d'entretenir les troupes (Bibl. de l'Université de
Gênes, ms. Vc, fol. 210-211). Cf. Seysscl, les Louanges..., éd. Gode-
froy, p. 48.
3. Le 23 octobre 1507, Gênes se plaint de n'avoir pas encore
l'autorisation, qui lui avait été promise, de frapper 240,000 écus,
et elle accrédite Guirard Bonconte près du roi (Portefeuille Fon-
tanieu 156). Le 25 novembre 1507, la commune écrit au roi pour
le remercier de ses gracieuses lettres, datées de Blois le 15 no-
vembre, et l'aviser que les 50,000 écus qui vont échoir seront
payés selon ses ordres, non à Lyon, comme il était convenu, mais
à Milan, à Et. Grolier, délégué par lui (Ms. Dupuy 159, fol. 140).
Mai 1507] COMMENT LE ROY TINT EN SON PALAYS, ETC. 277
pour faire ung chasteau neuf au lieu ou est la tour de
Codefïa, nommée la Lanterne^ ; lequel devoit estre
foussoyé, en Roch enciz, de lx pas de large, et tant
de parfond que la mer, qui frape la, peust passer par
tout au tour. Pour lequel faire et fortiffier, le Roy
ordonna ung nommé Paule de Beusseraille, maistre
de son artillerye, et seigneur d'Espy. Oultre plus,
promisrent lesdits Gennevoys et furent tenus doresen-
avant de souldoyer quatre cens hommes de guerre au
chastellet, et cent au chasteau neuf, pour le Roy, et,
dedans leur port, entretenir pour ledit seigneur troys
galleres armées et equippées-.
4. On la surnomma, dit Guichardin, la Driglia, parce qu'elle
était bien placée pour brider la ville.
2. Le roi refusa d'emporter le Sacro Calino, comme on le lui
conseillait. Informé que les aventuriers de son armée avaient causé
des dégâts à S. Pier d'Arena, il fit faire à ce sujet une enquête
secrète et en paya plus que la valeur (Saint-Gelais). Cf. Giusti-
niani, Annales. Malheureusement, tout le monde n'imita pas sa
modération et sa justice; vers la fin de cette année, un incident
fâcheux mit en rumeur toute la ville. Le suaire et le pied de saint
Barthélémy, conservés dans le sanctuaire de Saint-Barthélémy
des Arméniens, furent subrepticement enlevés le 10 décembre
1507 par un voleur sacrilège, et l'on sut ensuite que Tristan de
Salazart, archevêque de Sens, s'était approprié ces insignes
reliques pour sa chapelle de Paris. Les Génois réclamèrent vive-
ment contre un si « atroce crime ; » Giov. da Lerici et Eberto
Spinola, ambassadeurs de la banque de Saint-Georges près de
Louis XII, en référèrent au cardinal d'Amboise, qui n'opposa
aucune difficulté (Dépêche des ambassadeurs, Blois, 30 janvier
1508. Gênes, Archives de Saint-Georges) et les fit rendre. Le con-
seil de Gènes, pour plus de sûreté, les fit placer dans la chapelle
Sainte-Croix, à la cathédrale. A la demande du peuple, il finit par
autoriser leur retour dans la chapelle primitive avec des précau-
tions multiples; il fallut désormais, pour ouvrir le sanctuaire,
sept clefs, qu'on répartit entre des mains sûres. La réintégration
278 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
XXVIII.
Gommant ung gennevoys, nommé Demetry Justiniân,
EUT LA TESTE TRENCHÉE A GenNES.
Dedans les prisons du Roy, estoit lors ung nommé
Demetry Justiniain, des plus gros du peuple gras de
la ville de Gennes; lequel, comme j'ay dit, avoit meu
le peuple a sedicion et entretenu en sa rébellion contre
le Roy, tant que ledit peuple, après la reducion de
Gennes, crioit contre luy a haulte voix, disant : « C'est
le traistre qui nous a seduytz par erreur, commeuz a
guerres civiles, diverty d'obéissance, et obstinez a
rébellion ! » Quoy plus? Son procès fut faict, sur lequel
fut, par le conseil, conclut et déterminé que, veu sa
désobéissance et rébellion, et l'erreur dampnable en
laquelle avoit mys et tenu le peuple de Gennes, qu'il
estoit digne d'encourir peine capitalle : a laquelle fut
jugé. Dont furent faictz les eschauffaulx, et les choses
aprestées pour luy trancher la teste, dedans une belle
place près du mouUe de Gennes, et dit que, le xif jour
dudit moys de may\ vigille de l'Ascencion Nostre Sei-
gneur, seroit exécuté. Chascun courut celle part, tant
que, depuys viii heures du matin, ladite pfece et les
maisons d'entour furent, jusques au soir, toutes plaines
de gens du Roy et du peuple de la ville, actendans
eut lieu en grande pompe le 2 avril 1509 (Bibl. de l'Université de
Gênes, ras. V^, fol. 218; procès-verbal du 2 avril).
1. Le 10 mai, le roi donna une gratiiication de dix sous à un
peintre génois, nommé dans les comptes « Tortenonon »> (KK. 48,
fol. 168 vo).
Mai 1507] GOMMANT UNG GENNEVOYS, ETC. 279
illecques la venue de l'eure de ladite despesche. Mais,
quant ce fut sur l'eure de vespres basses, fut dit sur
le lieu que ledit Demetry ne seroit pour l'eure exécuté ;
dont aucuns des villains de Gennes levèrent les espaules,
disant en leur langaige : « Je savoye bien qu'il n'en
mourroit point, car il est garny de denare. » Ausi
estoit il, car, lorsqu'il sceut que son procès estoit faict
et luy condempné a mourir, voulut donner au Roy
quarante mille ducatz pour estre respité de mort.
A quoy ne voulut entendre le Roy, disant : « Autre
chose n'en sera faict, si n'est ce que justice en a
ordonné ! » Ce qui fut faict a l'onneur du seigneur et
a la craincte de tous malfaicteurs. Et, si pour argent
en eust esté quicte, comme plusieurs disoyent et ce
que le Roy advisoit bien, quelque autre garny de
ducatz, pencent pour autant en estre absoult, en cas
pareil se fust peu mectre a l'avanture. Mais en advint
que le le[n]demain, qui fut le propre jour de l'Ascen-
cion Nostre Seigneur, sur le point de ix heures du
matin, fut par ung prevost des mareschaulx conduyt
jusques a ladite place et faict monter sur l'eschaufault,
ou la voulut parler et dire quelque chose au peuple
de Gennes, et comaincer quelque ^propos. Mais le
provost ne luy voulut donner temps de finir son dire,
disant : « Parle cum de, parle cum de*. » Et, voyant,
celuy. Demetry, qu'il ne seroit ouy, gecta ung grant
souppir a merveilles, en levant les yeulx amont, la face
toute palye et blesme, les bras encroisez, se tint coy
assez long temps. Et, ce faict, le boureau luy benda
les yeulx; puys, de luy mesmes se raist a genoilz et
1. Probablement « Parla con te. »
280 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
estandit le coul sur le chappus. Le boureau prinst
une corde, a laquelle tenoit actaché ung groux bloc,
a tout une doulouere tranchant, hantée dedans, venant
d'amont entre deux pousteaulx, et tire ladite corde,
en manière que le bloc tranchant a celuy gennevoys
tumba entre la teste et les espaules, si que la teste
s'en va d'ung cousté et le corps tumbe de l'autre*.
La teste fut mise au bout du fer d'une lance et portée
sur le sommet de la tour de la Lanterne, qui est a
touchant et au dedans du moule de Gennes, regardant
celle teste droictement sur la ville. Le corps demeura
mort sur ledit eschaufault tout le long de ce jour;
puys fut le soir, avecques le congé de la justice, de
la osté et porté enterrer.
Apres que lesdites choses furent mises a fin^, la
ville de Gennes fut de tous pointz accoisée, les pays
circunvoisins espouventez^, les Françoys tous rejouys
et le Roy tout a souhet. Dont je, qui lors estoye audit
lieu, voyant la grâce de Dieu si largement estandue
sur l'affaire des Françoys, la gloire du Roy prospérer
et son honneur accroistre, pour commaincer a luy
vouloir donner louange de son bienffaict et luy diver-
1. On remarquera que c'est exactement le système de la guil-
lotine.
2. Louis XII nomma Guillaume de Houdetot capitaine de Godefa
(Salvago).
3. A ce moment, dit Guichardin, Louis XII pouvait aller où il
voulait; il était maître de l'Italie. Il ne tenait qu'à lui, notamment,
de détrôner Jules IL Au contraire, il licencia partie de son armée
avec autant de bonne foi que de modération, 11 donna ainsi un
démenti aux eilbrts laits en Allemagne par Maximilien et Jules II
pour envenimer la situation et accuser le cardinal d'Amboise d'as-
pirer à la tiare.
Mai 1507] GOMMANT UNG GENNEVOYS, ETC. 281
cifier passe temps, luy presentay ce peu d'escript
comme s'ensuyt^ :
Or est Gennes la Supperbe soumise,
Qui oncquesmais ne fut au dessoubz mise
D'omme vivant, ne par force occuppée;
Ains a dompté le pouvoir de Venise,
Terre en la Grèce et oultre mer acquise,
Prins Sarrazins, et Turcz mys a l'espée,
Espaigne en mer vaincue et assouppée,
De Barbares exclavez grosse somme,
De victoires eue 2 plus d'une somme,
Et emporté par tout loz a grant erre :
Decheue puys par ung seuF, qui se nomme
Roy de la mer et seigneur de la terre.
Ayant ainsi '' usé de sa maistrise
Longue saison, sans trouver qui luy nuyse,
Cuydant tous temps estre si hault huppée :
Le Roy, voyant qu'elle a faulte commise,
A^ contre elle tant usé de main mise
Que par armes ^ l'a conquise et happée,
Sa puissance rompue et dissippée
En batailles, ou les siens prye et somme
De ruer coups ^, dont l'ung fiert, l'autre assomme;
Ghascun françoys son gennevoys acterre :
La est présent, pour en ordonner eomme
Roy de la mer et seigneur de la terre.
Apres ung chief de si haulte entreprise,
Ja n'est besoing que plus on loue ou^ prise
Gesar, Gilla^, Scipion et Pompée;
De Daire ausi, et Cyrus'**, vous suffize,
1. Cette pièce fut imprimée en 1509.
2. Variante dans le texte imprimé : Diverses. — 3. Par ung Roij.
— k. A tant aussi. — 5. En. — 6. Force. — 7. De bien faire. —
8. Et. — 9. Les faictz Gesar. — 10. De Dire, aussi de Cyon.
282 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
D'Alixender et Nynus, qui ' ont prise
Par long séjour la terre et usurpée :
Cestuy a faict conqueste anticipée,
La plus noble qu'onques flst jamais- homme,
Digne de tous les triumphes de Romme,
D'immorteP loz, qui par mort'' ne s'enterre,
Mais en memoyre eterne le renomme^
Roy de la mer et seigneur de la terre.
Prince, gardés bien Gennes et son domme ;
Puys reposez seurement vostre somme,
Et ne doubtez picque ne symelerre,
Ne que nuly vous deflace ou consomme^,
Car vous serez et demourrez en somme
Roy de la mer et seigneur de la terre ^.
1. Et Nymes, qu'ilz. — 2. Humain. — 3. D'un mortel los. —
4. Jamais. — 5. Par quoy, raison veult bien qu'on le renomme. —
6. Consumme.
7. A la suite de ce poème sont imprimées des pièces composées
par Jean d'Auton avant la prise de Gènes, qu'il n'a pas toutes
insérées dans sa Chronique : {" La ballade « Les Genevoys, de
leur propre nature... » (Ci-dessus, p. 176.) î» Rondeau complé-
mentaire. 3° Une ballade dont voici le début :
« Tant va le pot a l'eaue qu'il est cassé;
Faulx Gennevoys, je dictz cecy pour vous.
Si vous voulez que tout soit effacé,
Venez au roy gros licoz a vos colz... »
4° Rondeau complémentaire. — On y a ajouté une Épitaphe de
Guy de Rocbefort, traduite par Jean d'Auton en vers français.
Mai 1507] COMME LE ROY PARTIT DE GENNES, ETC. 283
XXIX.
Comme le Roy partit de Gennes pour s'en aller
A Millan et a ses autres villes de Lombar-
DYE ; et de son entrée de Pavye et de Millan,
AVEGQUES PLUSIEURS AUTRES NOUVELLETEZ.
Lorsque toutes ses choses furent, comme avez ouy,
ordonnées et mises a chief*, le Roy eut vouloir de
visiter sa duché de Millan et ses autres pays; mais,
premier que desemparer Gennes, fîst mectre man-
neuvres et maistres d'architecture a commaincer son
chasteau neuf, ou tantost furent embesoignez plus de
cinq cens ouvriers, sans les serviteurs, en sorte que
le commissaire se fîst bien fort de rendre ledit chas-
teau dedans six moys après ce, prest a mectre dedans
les garnisons au couvert ; et ausi, pendant ce que ledit
chasteau se feroit, affin que lé gennevoys, coustumiers
de mutynerye, n'empeschassent l'euvre, ordonna le
Roy demeurer a Gennes grant nombre de ses gens
d'armes et piétons, pour tousjours leur tenir la bride
raide et les garder de ruer^.
1. Avant de partir, le roi chargea, par ordre du 13 mai 1507,
son conseiller François Herpin, qui devait prendre possession des
places de la Rivière, de remettre au comte Giov.-L. Fieschi et
à son fils Geronimo tous leurs biens (Arch, de Gênes, Materie
Politiche, mazzo 15). Il rendit aussi des biens à Gabriel de la
Chastre.
2. L'ambassadeur florentin Pandolfini écrivait le 28 avril : « Gli
nomini di questa terra restano con quella disposizione che pos-
sono pensare le Signorie Vostre ; è credo saranno molti si leve-
ranno di qui. Dovrà questa loro mala disposizione multiplicare,
284 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
Et, ce faict, transmist les mareschaulx des logys
avecques les fourriers a bourg, a Busalle et a Gavy
mercher les logys; et, le lendemain de l'Ascencion^,
sur les troys heures du matin, deslogea de Gennes,
dont chascun se mist apres^. Toute celle nuyt, fîst ung
temps de pluye si très merveilleux que tous les che-
mins estoyent plains d'eau, et tous les fleuves desri-
vez, mesmement une petite rivière qui descent des
montaignes sur le gravier de Poulcevre, cheant en la
mer de GenUes ; laquelle rivière estoit, par la force de
la pluye, qui tousjours continuoit, tant royde et si
très impétueuse que c'estoit chose espouventable a
regarder, mais plus dangereuse a passer, mesmement
a gens de pié et a ceulx qui au desloger avoyent pris
basse monture : ce que le Roy n'avoit faict, ne les
vedendo si tagiieggiare de' danari per le spese dell' impresa fatta,
levare il governo di San Giorgio, è fare nuove fortezze ; che tutte
queste cose dovranno seguire. II perche io mi persuade che,
quando le occasioni nasceranno e lo comporteranno e tempi,
questa Maestà sarà manco sicura di Genova che prima » (Desjar-
dins, II, 245). La Conqueste de Gennes conclut ainsi : « Et pour ce
souloit on dire Gennes la Superbe, pour ce qu'elle ne fust jamais
prinse par force, sinon a ceste venue des Françoys ; et l'appellent on
maintenant Gennes l'Humiliade et non Gennes la Superbe, w
François l^r alla plus loin : « Et, au lieu de leur donner le tiltre
que le feu Roy Louys XIP dernier déceddé, que Dieu absoiile,
après qu'il les eut subjuguez et mys à son obéissance, qui est :
Superhe fuz et maintenant suys serve, fauldra mectre : Hic fuit Janua,
car aussy bien ne servent ils, sinon de piller Dieu et le monde »
[Prinse et délivrance de François 1^^, dans les Archives de Cimber,
II, 304).
1. 14 mai. Il entendit la messe à liusalla.
2. Il emmena avec lui quatorze jeunes génois, dont Pierre Sauli
et Gabriel Adorno, sur la foi d'une sauvegarde qui leur fut donnée
le 14 mai (Sanuto, VII, 79. Bibl. de l'Université de Gènes, ms. Vc,
fol. 216).
Mai 1507] COMME LE ROY PARTIT DE GENNES, ETC. ^85
autres, qui avoyent de quoy le faire et leur seurté
pour recommandée. Que fut ce? plusieurs mal mon-
tez et sommiers trop chargez s'en allèrent a vau l'eau.
Et tant advint que, combien que au desloger, et
jusques près de Pontedesme, qui est environ my voye
de Gennes et de Busalle, ladite rivière ne fust ancores
trop impétueuse, tant s'efforsa de pleuvoir que, avec-
ques l'impétuosité de l'eau, elle devint si très enflée
que elle couvroit toute la grave, si qu'on ne pouvoit
tenir voye ne aller droict. La, fallut a plusieurs mal
montez et autres demeurer contre les rochiers, pour
actendre a vuyder l'eau ou se mectre en péril de boire
d'autant. Je n'en diray plus, si n'est que je n'eu onc-
ques si grant peur; car j'en viz plusieurs, par ou me
failloit passer, estant a la mercy des vagues, et entre
autres ung nommé maistre Pierre Charron, des segre-
taires du Roy, lequel fut noyé entre Busalle et bourg,
sans ce que jamais homme le peust sauver; combien
que plusieurs des allemans du Roy, qui la estoyent
passez a grant danger, et autres a cheval, se missent
en leur devoir de le secourir, mais ne sceurent qu'il
ne fust mort.
Le Roy, qui s'estoit mys des premjers a chemin et
àvoit chevauché roydement, avoit gaigné le bourg de
Busalle, cuydant aller jusques a Gavy, six mille près
de la ; mais la rivière fut tant périlleuse a passer qu'il
demeura pour ce jour audit lieu de bourg. Les autres
qui peurent passer allèrent oultre. Sur le soir com-
mainça le beau temps, et dura toute nuyt, tant que les
fleuves furent du tout asséchez et escoullez. Par quoy,
le Roy deslogea lendemain, et prist son chemin a Gavy,
a Nove, a Tourtonne et a Voguere, tirant a Pavye,
286 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
dedans laquelle arriva le xviii™^ jour dudit moys de
may^.
Au devant de luy furent les seigneurs de la ville et
les docteurs de l'université, jusques a l'entrée du pont
du Tisin. Et la fut entre autres ung docteur, nommé
Jazon iVIaynus, docteur en tout droict^, estimé l'ung
des plus excellens de toute crestienté, lequel fist une
harangue au Roy en latin, tant retoric que tous ceulx
qui l'entendirent peurent bien cognoistre qu'elle pro-
cedoit du plus profond ruisseau de la fons caballine^;
auquel fut respondu par ung nommé maistre Jehan
Ponchier, evesque de Paris, qui pareillement en très
hault et retoric latin luy fist sa responce*.
Ausi sortirent de Pavye cent jeunes gentishommes
a pié, tous habillez de blanc et en pourpoint, lesquelz
se misrent le plus près du Roy qu'ilz peurent ; disant
que la costume estoit, quant leur prince venoit la pour
faire son entrée ou de quelque victoire, que les gentis-
hommes de Pavye devoyent estre tout autour de luy,
en tel habit qu'ilz estoyent, et ainsi le conduyre jusques
1. Il entendit la messe le 15 à « Luthaize » (Voltaggio?), le 16
à Tortona, le 17 à « l'église Saint-Laurent » (Pontecurone?), le 18
à Voghera.
2. Jurisconsulte célèbre, plusieurs fois ambassadeur sous les
Sforza.
3. La Fons Castalie, qui défraie les poètes du temps (consacrée
aux muses, Castalides).
4. Dans sa vie de Jason Maino, Paul Jovc, qui était présent à
la réception, raconte que Louis XII était entouré de cinq cardinaux
et de cent grands personnages. Il demanda à Jason Maino, devant
Paul Jove, pourquoi il ne s'était pas marié : « Ut te, commendante,
Julius pontitex ad purpureum galerum gestandum me habilcni
sciât, » répondit Maino avec beaucoup de saiig-froid. Maino mou-
rut fort âgé et fort riche ; il était fils d'une concubine ; il parlait
et écrivait très bien.
Mai 1507] COMME LE ROY PARTIT DE GENNES, ETC. 287
a son logis; a ceste fin se presentoyent a faire le devoir
qu'ilz estoyent tenus; a quoy le Roy les receupt.
La, devant l'entrée du pont du Tisin*, avoit ung
tabernacle de verdure, a l'entrée duquel estoyent
amont eslevées les armes du Roy ; et, au plus bas, a
costé destre, les armes du cardinal d'Amboise, et a
senestre les armes de messire Charles d'Amboise,
lieutenant du Roy delà les mons. Au dedans de celuy
tabernacle, estoit ataché ung rollet, ou avoit en escript
les deux mectres qui s'ensuyvent :
Non maris lonii sont lictora nostra Ticini,
Rex, tibi sed lelos porrigit unda sinus.
Ce qui est a entendre et a dire :
0 Roy, noz ryves et entrées ne sont pas tant impétueuses que
celles de la mer lonye, mais sont les undes doulces du Tisin,
qui te baillent sonjoyeulx port.
Des l'entrée de celuy fluve, tout au travers, jusques
a la porte de la ville, avoit ung pont couvert, long de
deux cens pas ou environ, au millieu duquel estoyent
actachez les mectres dessoubz escriptz :
Victor ad Eoum sic, Rex, tranabis Araxem,
Tigris et Euffrates sub tua castra fluent,
Roy très puissant., ainsi vaincueur, navigueras le fluve Araxe,
oriental, jusques aux parties du Levant; Tigris, avecques Euf-
frates, ainsi soubz tes fors ruycelleront.
A l'entrée de la porte de la ville, estoyent en escript
ses mètres :
Gonspice, Rex, proprias arces, qui celsa Capharei
Jam perfracta tuo cacumina (sic) marte tenes.
1. Pont du xive siècle.
288 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
Regarde, Roîj, tes propres forteresses, qui, après avoir le hault
sommet du mons Capharée brisé et dis[t]ruyt, par tes armes
paisiblement obtiens.
A l'entrée de la grant rue, nommé Rue nove', avoit
ung autre tabernacle, couvert d'ung drap pers, a la
cyme duquel estoyent les armes du Roy, et au des-
soubz estoyent escriptz ses mectres :
Ingredere, o Lacii splendor, spes, gloria, norma :
Gens tua victorem cernât ubique ducem.
0 lumière, espérance, gloire, et la reigle d'Itallye, entres icy;
toute la gent d'ung costé et d'autre te regarde comme duc vic-
torieulx.
Tout le long de ladite grande Rue couverte, est[o]yent
amont atachez les escus de France, de Rretaigne, du
cardinal d'Amboise et de messire Charles d'Amboise,
lieutenant du Roy ; et tout le dessus de la Rue couvert,
faict tout le bas, et au long, a pilliers de verdure :
et, des l'entrée d'icelle Rue jusques près l'entrée du
chasteau, estoyent atachez amont ses mectres, loings
l'ung de l'autre de quarante pas ou environ :
Rex Regum dominator adest, et rector, habenas
Gum Jove divisas qui tenet imperii.
Le Roy dominateur et recteur des Roys est présent, qui les
inclinations du monde et puissances divisées tient avecques
Jupiter.
Accipe populi [sic] plausus et corda frementis,
Qui patrem patrie presidiumque vocat.
Prens les cueurs, l'accueil et U admiracion de ton peuple, de
joye tressaillant, qui le vray secours et bon père du pays t'ap-
pelle.
1 . Via Nuova, actuellement Corso Vittorio Emanuele.
Mai 1507J COMME LE ROY PARTIT DE GENNES, ETC. 289
Alla triumphantem prospexit Roma Melellum,
Clara Ludovic! gesta Papia colit.
Rome excelse regarda lors Metellus le triumphant, mais
Pavye honoure les clers ges[t]es de Louys.
Non Appennini salebrosa cacumina montis
Es veritus, vallum, frigora, tella, mare.
Le sommet très aspre et chemin malaisé du mont Appeninée,
la froideur des glaces^ l'empeschement des foussez-, les coups
des dartz et les ondes de la mer ne font donné craincte.
Hanibal ardenli montem dirrupil aceto,
Agmina tu infracto vertice tuta locas.
Avecques ardent vinaigre Hanibal froissa la montaigne, et
toy, sans fracture, au plus hault des mons, tout a seur loge tes
gens d'armes.
Sola Ludovici Ligurem frenare superbum
Dextra valet, Ligurum sunt fréta, terra, lacus.
La seulle destre de Louys peut dompter Gennes la Superbe,
soubz qui sont mers, terres et fluves.
Plusieurs autres mectres estoyent la mys et faictz
a la louenge du Roy par ung escolier de Pavye, nommé
maistr[e] George de Gandye; lesquelz je lesse pour
eschever prolixité de compte, mais diray que le Roy
ainsi s'en alla droict au domme faire son oraison, et
puys au chasteau prendre repos, ou séjourna iiii jours.
Durant lequel temps, plusieurs banquetz et dances en
masques furent la faictes, ou estoyent grant nombre
de dames, belles a merveilles et habillées moult riche-
ment. Les princes et autres gentishommes françoys
qui la estoyent passèrent ses jours joyeusement ^
1. Le roi entendit la messe à Pavie, le 19 au couvent Saint-
Thomas, les 20 et 22 à Santa Maria Impartica, le 21 aux Carmes,
le 23 aux Augustins, le 24 à la Chartreuse.
IV 19
290 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
Et puys, le Roy adressa vers sa popuilouse cyté de
Millan : au devant de luy, a ung grant mille loings de
la ville, furent les seigneurs et cytadinstous a cheval,
et a grant nombre, avecques les médecins et docteurs,
et les enfans'' et armuriers de ladicte ville.
A l'entrée de la porte de la ville, appellée la porte
Tisenys^, estoit ung spectacle de verdure, faict a
beaulx arceaulx verdoyans, ou estoyent pendues les
armes du Roy au plus hault; et, au deux costez du bas,
celles du cardinal d'Amboise, et de messire Charles
d'Amboise lieutenant du Roy, et a touchant de ladicte
porte estoyent actachez les mectres qui cy dessoubz
sont escriptz :
In patriam succède tuam, dignissime Regum,
Que pridern est merilis facta beata tuis.
Hoc deerat, quod te incolumen spectaret, et hostis
Victorem : tribuunt hec quoque dona Del,
0 le plus digne des Roys, succède a ton pais, lequel jady s,
par tes mérites et bienjfaictz, est faict sur tous autres plus
eureulx, auquel ne deffailloit autre chose, si n'est que, sain et
en bon point, te peust veoir, et vainqueur de tes ennemys, ce
que la grâce de Dieu t'a donné.
Des l'entrée de la ville jusques au grant domme, et
des le domme en retournant jusques au chasteau,
estoyent les Rues tendues de hayes de verdure, et au
dessus couvertes de draps jaunes et rouges ; le devant
des murailles des maisons tout couvert de riche tap-
pisserye^; et, tant que duroient lesdites Rues, toutes
1. Il y avait des compagnies de jeunes gens habillés de soie
bleu céleste fleurdelisée (Sanuto, VII, 83).
2. Porta Ticinese.
3. Un ba7ino du 8 mai avait ordonné d'orner les rues. Cf. Mu-
ralto, Da PauUo, etc.
Mai 1507] CUMME LE ROY PARTIT DE GENNES, ETC. '291
les fenestres, portes et ouvrouers, et autres passées
et veues desdites maisons, estoyent plaines et empes-
chées de dames, toutes, ou presque, vestues et accous-
trées de draps d'or et veloux cramoisi, ou autres riches
soyes ; au surplus, tant belles qu'on sauroit a souhect
pencer, et le plus richement aournées de quoy se pou-
voyent adviser.
Sur le point de troys heures après mydi, le Roy
entra dedans sa ville de Millan, le xxiui"^ jour du moys
de may. Pour parler de l'ordre de son entrée de degré
en autre, diray ce que j'en ay peu voir. Premièrement,
trois cens des armuriers de ladite ville, tous armez a
blanc et tous emplumez, portans, les ungs demyes
picques, les autres hacquebutes, les autres parti-
zannes, rançons et grans espées a deux mains, mar-
chèrent les premiers, a deux rangz; lesquelz avoyent
troys capitaines a cheval, deux devant et ung derrière.
A la queuhe d'iceulx estoyent grant nombre de Lom-
bars, tous gorrierement montez et acoustrez. Puys
suyvoit le prevost de l'ostel et tous ses archiers. En
après, messire Berault Stuart, capitaine des escossoys
de la garde, messire Jacques de Gressol et messire
Gabriel de la Ghastre, capitaines des archiers de la
garde fransoise, lesquelz menoyent les quatre cens
archiers de la garde, tous a cheval et en armes. Au
derrière d'eulx estoyent grant nombre de gentis-
hommes a cheval , françoys et lombars. Puys mar-
choyent a pié quatre cens enfans de la ville, tous en
pourpoint de velous, satin et taffetas pers, semez tous
de fleurs de lys ; desquelz les aucuns portoyent deux a
deux, quatre a quatre, sur leurs espaules, avecques
perches propices a ce, grosses tours en faincte, villes
292 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
et chasteaux, glayves et armeures de diverses sortes,
pour demonstrer a ses enseignes l'effect de la victoire
du Roy et la despoille de ses ennemys vaincus. Apres
estoit ung grant curre triumphal a chevaulx, dedans
lequel estoyent assizes en chaire les quatre vertus
cardinalles; c'est assavoir : Justice et Prudence, au
devant de celuy curre; et Fortitude et Temperence
au derrière; et au millieu, sur une haulte chaire,
estoit assix le dieu Mars, dieu des batailles, tenant en
la main destre ung dart agu, et en la senestre main
tenoit une palme, en signe de victoire. Apres mar-
chèrent les médecins et docteurs de la ville; puys le
capitaine des cent allemans de la garde, lesquelz armez
de hallecretz, la picque au poing, et tous empennachez,
cinq a cinq marchèrent par ordre. Apres furent les
trompettes, qui sonnèrent sans cesser. Le Roy fut
après, lequel estoit soubz ung poisle que six des plus
grans seigneurs de Millan portoyent ; et, tout au tour
de luy, estoyent les xxiiii archiers escossoys du corps,
tousapié; et luy, ainsi accompaigné, estoit monté sur
ung coursier blanc, vestu d'une robe de drap d'or
trect frizé d'or, le chief couvert d'une toque de velloux
cramoisi , et dedans avoit une cornecte de taffetas
rouge. Apres luy, estoient les cardina[u]lx d'Amboise,
de Ferrare, de Sainct Severin, de la Trimolle, d'Alby
et de Final. Et après marchoit le duc de Bourbon, le
duc de Longueville, messire Charles d'Amboise, le
seigneur Jehan Jacques; messire Galeas de Sainct
Severin, grant escuycr; messire Loys de Brayzé, grant
senechal de Normendye, et messire Guy on d'Amboise,
capitaine des deux cens gentishommes de la maison
du Roy, lesquelz gentishommes estoyent après leurs-
Mai 1507] COMME LE ROY PARTIT DE GENNES, ETC. 293
dits capitaines, bien montez, leurs haches au poing,
et tous vestus de robes de vellours. Apres marchèrent
grant flote de gentishommes lombars, et tant de peuple
de la ville qu'on ne pouvoit passer par les Rues. Et
ainsi s'en alla le Roy descendre au grant dôme, ou
fist ses dévotes oraisons et offrit larges presens^ ; et,
ce faict, s'en ala droict a son chasteau, ou artillerye
tiroit si menu que l'ung n'entendoit parler l'autre :
la dedans trouva les mortes payes et gardes dudit
chasteau en bel ordre, tous en armes et arrangez a
double, depuis l'entrée du pont jusques a la porte de
la salle de son logis, lesquelz estoient en nombre de
cent hommes d'armes et deux cens archiers. La
estoyent deux capitaines, l'ung nommé messire Gilles^
de Louvain, françoys, capitaine du chasteau, et l'autre
Guillaume Greston, escossoys, capitaine de la roc-
quecte.
Pour descripre a plain toutes les choses qui la
furent faictes, grant prolixité s'en ensuyvroit, et par
avanture plustost enn[ujy que fin. Mais toutes les rues
estoyent plaines d'arcz triumphans et tabernacles de
verdure. Et, entre autres, entre le domme et le chas-
1. Il n'en est pas fait mention dans le registre de ses offrandes.
Disons de suite que, pendant son séjour à Milan, où il ne put
attirer Léonard de Vinci, Louis XII entendit la messe le 6 juin
à Sainte-Marie-des-Grâces; les 9, 10 et 11 au couvent des Anges;
le 3 à S.-Ambrogio; les 1er, 2, 4, 5, 7, 8 à S.-Agostino; le 31 mai
au dôme; les 27 et 29 à la chapelle du château; les 26 et 30 chez
les Franciscains; le 25 à Notre-Darae-de-la-Consolation; le 28 à
une Santa-Maria non spéciliée. — D'après Paul Jove, témoin
oculaire (cité par Tiraboschi, VII, 249), Louis XII était tellement
épris de la Cène de Léonard de Vinci qu'il aurait désiré la trans-
porter en France.
2. Nicolas.
294 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
teau, dedans une rue nommée la Rue du mons de
pitié ^, en laquelle sont les ostelz dieu et les hospitaulx
de la ville, avoit ung portai de verdure, tenant tout
le travers de la rue, faict a pilliers et arceaulx de
feuilles, et tout couvert de mesmes, le dedans semmé
de armes de France et de Bretaigne; et dessus avoit
ung mont artificiel, de la haulteur d'ung homme ou
environ, lequel estoit tout au tour environné a sixrangz
et semmé d'escus au souleil, ou pouvoit avoir mille
escus ou plus; et, dessus ledit portai, au plus hault,
estoit l'ymage de Nostre Seigneur, tout nu et flagellé ;
au deux boutz et dedans ung eschaffault qui la estoit,
avoit deux chaires, parées de drap d'or, dedans l'une
desquelles estoit l'ymage sainct Ambroise, patron
et protecteur de Millau, tenant ung fouhect en la
main; et, en l'autre chayre, estoit l'image du Roy,
ayant le ceptre au poing. Tout autour de celuy mons
d'or, avoit quatre petilz enfans habillez en angelotz,
tenant chascun une trompette en la main, garnye de
bannerolles semées de croix rouges ; et, au dessoubz
de ses angelotz, quatre autres petiz enfans, portant
chascun une faille ardant, en signe de feu de joye. Et
au pié de celuy mons estoyent escrips ses vers :
Exiguus qui coUis erat, nunc aureus est mons,
Hoc Lua Rex mirum dextera larga faciU
Ce lieu, qui loi's petit val soloit estre,
Est mainctenant ung grant mons d'or couvert.
Ce grant merveille a faict ta large désire,
Qui aux pauvres a son trésor ouvert.
\. Via Monte di Pietà, au nord du Dorae; le magniliquc « Ospo-
dale Maggiore, » élevé par Filarcto pour les Sforza, se trouvait
à l'opposé.
Mai 1507] COMME LE ROY PARTIT DE GENNES, ETC. 295
Tantost que le Roy fut en sa cyté de Millau, de
toutes pars y vindrent ambaxades^. Lé Venissiains,
voyant la me[r] veilleuse puissance du Roy et les excessiz
effors d'armes des Fransoys, eurent doubte sur leur
affaire ; mais, pour vouloir faire des bons varletz, trans-
mirent deux ambaxades en court, nommées messire
Jheronime Treviran et messire Paule de Pire, lesquelz
arrivèrent a Millan le xxvi® jour du moys de may, et
s'en allèrent au chasteau^, pour vouloir la faire et dire
leur charge. Le Roy, qui tantost sceut leur venue, entra
en salle, ou illecques lesdis Venissiains actendoyent
pour parler a luy, ausquelz dist qu'ilz dissent leur
affaire et ce qui les amenoit. Tantost se mist en chaire,
pour ouyr le dire d'iceulx Venissiains, qui s'appro-
chèrent et commaincerent leur harangue en latin,
disant : « Sire, toute la seigneurie de Venize, sachant
1. Le 21 avril, à l'hôtel de la Croix-Blanche, à Felizzano, Gor-
nelio Galanti, au nom de Pandolfo Petrucci, suivant pouvoirs du
13 avril, certifiés le 14, et de la commune de Sienne, avait sous-
crit, en présence d'Etienne Poncher, Geffroy Caries et autres, une
reconnaissance de 20,000 écus d'or soleil, payables par annuités
de 5,000 écus, le l^-" mai, à partir de 1508. En cas de retard,
l'annuité précédente était abandonnée. Galanti subdéléguait Louis
Robertet, secrétaire du roi, et quatre magistrats français ou mila-
nais. L'acte fut reçu par les notaires Jean Mayno, secrétaire du
roi, Jean Huart, prêtre de Péronne (Archives de Sienne, Archivi
dei imrticolari, Carte di Ser Antonio Vitelli ; communication de
M. le Directeur général du R. Archivio di Stato, in Siena). La
ratification expresse et le serment de P. Petrucci devaient être
envoyés, dans le mois, au cardinal d'Amboise ou à Florimond
Robertet. Ils furent libellés par cédule du 26 avril (mêmes Archives,
même fonds).
2. Une nouvelle ambassade spéciale de félicitations. Les ambas-
sadeurs qu'ils avaient envoyés à Gênes avaient déjà pris part à
l'entrée du roi à Milan.
296 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
la bonne prospérité de vostre Cristianissime Magesté et
la triumphale victoire que sur voz ennemys avez glori-
seusement (sic) obtenue, comme voz bons amys, loyaulx
serviteurs et entièrement confederez, se rejoissent
avecques vous, en vous donnant souveraine louange
des victoriosissimes elfectz de vostre invictissime
puissance, par laquelle avez la redoubtée en mer et
craincte en la terre Gennes la Superbe domptée et sub-
mise. Mais, Cristianissime Roy, si le hault guerdon
méritoire de glorieuse renommée avez par la victoire
deservy, maindres tiitres d'honneur par la vertu de
clémence n'avez aquys : dont toute la seigneurie de
Venize, en aclribuant loz immortel a vostre Cristia-
nissime Magesté, vous offre cueurs, corps et biens,
et vivres de leurs pays, si mestier en avez ; en recom-
mandant très humblement Testât de ladite seigneurie
de Venize a la bonne grâce de vostre Magesté Cris-
tianissime. » Et, ce dit, voyant le Roy que, sur ses-
dites recommandacions, jamais telles n'avoyent faictes,
finissoyent leur propos, leur fist faire responce par
maistre Estienne de^ Ponchier, evesque de Paris, lequel
leur dist, ausi en latin, que le Roy se rejoissoit de
leur bonne Visitation, laquelle il avoit très agréable,
disant que tousjours auroit leur seigneurie en sin-
gulière recommandacion comme de ses bons amys,
alyez et confederez; et que, si le Turc ou autre de ses
ennemys leur faisoit guerre, que sans faillir les secou-
riroit et aideroit de sa puissance; et, quant au regard
de la haulte louange et lionnourables tiitres que pour
1. Ces deux mots sont ajoutés; le texte primitif portail : Jehan
Ponchier.
Mai 1507] COMME LE ROY PARTIT DE GENNES, ETC. 297
sa victoire ilz luy actribuoyent, la lessoit a Dieu seul-
lement, de qui viennent toutes victoires et d'où pro-
cèdent toutes vertus.
Pareillement furent la les ambaxades de Flourence,
demandant au Roy secours pour soubmectre les
Pizains, disant : « Sire, vous savez que autresfoys
nous avez dit que nous donneriez rainfort et main armée
pour ce faire, et comme avons estez tousjours bons
françoys et loyaulx a vostre Gristianissime Magesté;
et en oultre de vous avez querelle contre eulx, veu
que voz ennemys ont contre vous par armes favorizez
et soustenuz, et donné a eulx toute l'ayde qu'ilz ont
peu; par quoy, si ne les chastyez a ceste foys, dore-
sennavant ne doubleront prendre alyence contre vous
et secourir voz autres ennemys : dont devez par rai-
son estre du tout enclin a leur faire cognoistre leur
deffault et reparer leur meffaict. » Le Roy, nonobstant
toutes les remonstrances des Florentins, ne se meut;
mais, comme sage, penca que le deffault des Pizans
n'esloit qu'il ne fussent a luy soubmys et que de
leur franche volunté et libéral vouloir s'estoyent plu-
sieurs foys donnez a luy, lesquelz, au moyen de
quelque biemvoUence qu'il avoit eue a iceulx Floren-
tins, ne les avoit voulus accepter ne recevoir soubz sa
main et sauvegarde ; et, tout ce considéré, dist : « Si
les Pizains ont priz party ou alyence contre moy, de
riens ne m'ont offencé, veu le reffuz que j'ay faict
d'eulx et de leur seigneurie, et que foy, hommage
ne promesse ne m'ont faict, voyant ausi que nécessité
les compelle et contrainct, et que, premier que les
Gennevoys meussent guerre contre moy, iceulx Pizans
estoyent leurs alyez et confederez : dont aucun deffault
298 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
n'ont contre moy commys, par quoy leur deusse faire
la guerre ne secourir autruy contre eulx. » Lesquelles
raisons par le Roy calculées et debatues, délibéra les
lesser en leur entier, ce qu'il fist. Et me fut dit que
les Florentins, devant le temps de la guerre de Gennes,
avoyent promys au Roy, s'il passoit les mons, de luy
bailler gent et argent et luy faire tout le secours qu'ilz
pourroyent, de quoy ne firent riens : ce qui peut estre,
entre autres choses, moyen de la paix des Pizans et
du reffuz de la demande d'iceulx Florentins; car le
droict veust que a celuy qui fault promesse que pro-
messe luy soit faillye.
De Gennes venoyent en court nouvelles ; disant les
aucuns que longuement ne tiendroyent leur foy et ser-
ment les Gennevoys, si n'est autant qu'il se sentiroyent
les plus feibles : ce qui estoit bien a croire, car plu-
sieurs foys en avoyent autant faict; mais, pour obvyer
a ce, le Roy avoit lessé dedans leur ville si forte main
armée qu'ilz n'eussent osé toussir. Les autres disoyent
que, si le Roy desemparoit Lombardye, que lesdits
Gennevoys ne demeureroyent gueres de temps après
sans faire quelque bruyt. Tout plain d'autres nouvelles
couroyent en court; et, entre autres, quelqun des
gentishommes du Roy, venant de Gennes, dist que,
depuys la prise et réduction d'icelle, s'estoit trouvé
la dedans, ou avoit ouy plusieurs des Gennevoys
parler, entre autres ung des principaulx : et, comme
ledit gentilhomme et celuy gennevoys fussent quelque-
foys ensemble, parlans de plusieurs choses touchant
la guerre et prise de Gennes, entrant de propos en
autre, ledit gentilhomme dist audit gennevoys : « Or
sa, dist il, seignor gennevoys, si fortune vous eust esté
Mai 1507] COMME LE ROY PARTIT DE GENNES, ETC. 299
si doulce qu'elle vous eust donné tel avantage sur les
Françoys comme elle a aux Françoys sur vous, par
vostre foy, quel party leur eussiez vous faict? — Par
ma foy! dist celuy gennevoys, puys que de ce me
voulez enquérir par serment, nous autres Gennevoys
estyons tous délibérez de mectre a l'espée et a saque-
ment toute vostre gent, avecques tous les princes et
cardinaulx et autres sans en excepter ung seul, réservé
la personne du Roy, que nous eussions gardé entre noz
mains pour en faire a la parfîn scelon l'ordonnance de
nostre conseil. — Et pour quoy, dist celuy gentilhomme,
heussiez vous tant mys a mort de grans princes, car-
dinaulx et autres personnages d'octorité, qui premier
que mourir eussent peu paier de ranson sept ou liuyt
cent mille escus ou plus, comme le duc de Bourbon,
le duc de Callabre, le conte de Foix et autres, qui pour
ung milion d'or ne fussent demeurez ; et le légat de
France et autres seigneurs d'eglize, qui eussent peu
payer moult grosse somme d'argent? — Tel exploict,
dist le gennevoys, voulyons ores faire, comme pour
cloure le pas de noz combatz des plus haultz faictz
d'armes qui furent onques faictz, et en ensuyvant
les grandes victoires et triumphalles oeuvres que par
cy devant ont faict noz prédécesseurs ; et ausi pour
arrondir noz croniques, et noz gestes magnifier d'une
gloire tant louable et si honnorable victoire que eust
esté ceste, disant que, après une telle victoire, nul
prince du monde eust osé nous assaillir ou présumé
faire guerre a nous, comme vaincueurs des vaincueurs
et dompteurs de la plus forte main du monde. »
300 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
XXX.
Gommant Paule de Nove, duc de Gennes, fut esgapité
DEDANS LE PALAIS DUDIT LIEU DE GeNNES.
Plusieurs des Gennevoys qui, a la venue du Roy,
s'estoyent absentez et fuyz de Gennes, sachant comme,
au jour que les autres Gennevoys avoyent faict le ser-
ment, leur grâce avoit esté declairée, s'en retour-
nèrent et firent le serment, comme avoit esté ordonné.
Les autres qui n'estoyent compriz en ladite remission
demeurèrent ou ilz peurent : dont les aucuns furent
priz, et, entre autres, le duc de Gennes, nommé Paule
de Nove, lequel s'en estoit fuy en l'isle de Corse,
cuydant estre la bien asseur. Mais le Roy, saichant qu'il
estoit la, avoit donné charge a ung nommé Pregent le
Ridoulx, capitaine de quatre de ses galleres, de s'en
aller vers ladite isle de Corse et prendre ledit Paule
de Nove, s'il le pouvoit trouver en lieu pour ce faire.
Lequel Pregent, avecques deux de ses galleres armées,
s'en alla vers ladite isle, le plus couvertement qu'il
peut. Or, avoit celuy Pregent cognoissance a ung dé
patrons d'aucunes barches de Gennes, son bien fami-
lyer et amy, qui souvant alloit de Gennes en Corse et
de Corse a Gennes mener vivres et marchandise ;
auquel parla ledit Pregent et luy descouvrit son entre-
prise, en luy disant : « Seignor, le Roy m'a donné
charge d'une chose, laquelle je vous diroye volunticrs,
pourveu que me promissiez ayder en mon affaire et
que tenissiez la chose segrecte ; et, en ce faysant,
feriez ung bon service au Roy, et a moy ung singulier
Mai 1507] COMM' PAULE DE NOVE ... FUT ESCAPITÉ, ETC. 301
plaisir, et a vous mesmes ung grant proffict ; car, si
vous m'aydez a parachever mon entreprise, j'en feray
tel rapport au Roy que tousjours serez envers luy
pour recomandé. Et, en oultre, j'ay deux cens escus,
tous prestz a vous bailler, si a ce me vouliez secourir. »
Lorsque ledit Gennevoys ouyt parler de deux cens
escus, aprocha l'oreille en disant : « Seignor Pregent,
vous savez que je suys tout au Roy et a vous. Et,
touchant ce que m'avez dit, s'il y a chose en quoy
je puisse servir le Roy, et a vous faire plaisir, soyez
tout seur, en me tenant promesse, que, a mon pou-
voir, tant seurement et a segret que faire se poura,
a ce m'emploiray. » Ce dit, ledit Pregent luy dist
son intencion, et commant il estoit la, par le com-
mandement du Roy, pour vouloir prandre Paule de
Nove, qui estoit dedans l'isle de Corse; ce qu'il ne
pouvoit bonnement faire sans l'ayde de quelqun,
disant : « S'il scet aucunement l'entreprise, il se
absentera ou mectra en lieu qu'on ne le pourra
trouver. — Taisez vous, dist le patron; si vous me
voulez bailler les deux cens escuz, je vous le mectray
entre les mains et, pour le moings, en lieu ou le
pourrez prendre sans faillir. » Ce dit, ledit Pregent
promist par sa foy bailler les deux cens escus, tout
incontinent qu'il auroit priz son homme. Tant fut que
ledit patron s'en ala en Corse, ou trouva ledit Paule
de Nove bien esbahy ; et a tant demanda audit patron,
qui venoit de Gennes, commant alloit du tout. « Non
gueres bien, dist le patron, car le Roy de France est
demeuré maistre, et a faict banyr plusieurs des nostres
et trencher la teste a Demetry Justiniain ; et croy que,
s'il vous tenoit, que très mauvaise compaignye vous
30-? CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
feroit. Mais, vous estes icy bien seurement, et croy
qu'il cuyde que soyez fui en Grèce. » Apres plusieurs
autres paroUes, ledit patron trouva manière de mener
ledit Paule de Nove, par manière de passe temps, sur
la rive de la marine, ou avoit plusieurs barches, naulx
et galleres de Gennes et d'ailleurs, et, entre autres,
estoynt celles de Pregent deguysées, ou ledit Pregent
estoit, lequel, si tost qu'il le vist, ses gens en si
beau gibier, mist hors quelque nombre de ses gens,
armez soubz leur mantes, et leur monstra ledit Paule
de Nove, disant que soubdainement le preinssent et
menassent a bort, ou seroit prest de le croquer et
mectre en sa gallere. Ce qui fut faict, car, tout en
l'eure, les gens dudit Pregent sortirent, comme pour
vouloir aller quérir eaues doulces ou autres pro-
visions, pour mectre en leurs vaisseaulx; et peu a
peu approchèrent tellement qu'il luy misrent la main
sur le collet, et a coup le guyderent devers Pregent,
qui le fist mectre en sa gallere et fist bailler l'argent
audit patron qui l'avoit faict prendre.
Le duc de Gennes, pauvre viellart, tout esbahy,
commainça a plourer et dire : a Helas ! or voy je
bien que je suys mort et que, pour la prise de mon
corps, ma teste payera la ranson, combien que je ne
l'aye deservy ; car ce que j'ay faict n'a esté de mon
mouvement, mais pour complaire au vouloir du peuple
et obvyer a sa fureur, car, si je l'eusse reffuzé, ausi
bien m'eussent ilz occys. Or bien face le Roy de moy
ce qu'il luy plaira ! » En faisant ses plainctz et regrectz,
fut mené a Gennes, et la faict son procès; tellement
qu'il fut dit et sentencyé qu'il devoit encourir peine
capitalle, comme commisseur de crime de leze magesté,
Mai 1507] LA MANIERE D'UNG TOURNA Y FAICT A MILLAN. 303
combien qu'il ne se trouvoit point qu'il eust prouchassé
le tiltre et honneur ducal, mais que, par le motif du
peuple, il eust esté esleu duc de Gennes, affin que,
avecques l'autre forfaict qu'il avoit perpétré, d'avoir
entretenu le peuple en sedicion et rébellion contre le
Roy, il fust exemple a tous autres futurs. Apres la
sentence par la justice donnée, le v™® jour du moys
de jung, dedans la place du palais de Gennes, fut
escapité, et partie de ses biens confisquez et partie
lessez a sa femme : laquelle ne fut jamais consentant
ne contente qu'il acceptast ledit office, mais luy avoit
tousjours desloué et deffendu a son pouvoir; par
quoy, le Roy voulut que sa maison et la pluspart
de ses biens luy demeurassent. Laquelle exécution
donna craincte a tous les Gennevoys et merveilles a
plusieurs autres^.
XXXI.
Des articles contenans la manière d'ung tournay
faict a millan ; faictz lesdits articles par ung
Roy d'armes françoys, nommé Daulphin.
« A l'onneur et louange de Dieu le créateur, de la
glorieuse vierge Marie, de monseigneur sainct Michel
l'ange, de sainct George et de toute la court celes-
tielle! Pour donner plaisir au Roy, et excecuter le
noble faict des armes, et pour esche ver oisiveté,
huyt chevaliers ou gentishommes de non et d'armes,
1. Le roi fit aussi raser à Gênes la maison de Paolo Batista
Giustiniano, un des chefs de l'insurrection (Sanuto, VII, 134).
304 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
serviteurs dudit seigneur, sont délibérez de tenir ung
pas dedans la cyté de Millan, contre tous gentishommes
de nonr et d'armes, a cheval et a pié, en la manière
qui s'en suit :
« Et, premièrement. Lesdits chevaliers ou gentis-
hommes tiendront a cheval en harnoys de guerre, a
quatre cources de lance a fer esmoulu, en lice. Et
fourniront lesdits tenans de lances, de quoy les
assaillans en auront le choix.
« Item. Apres avoir parfaict lesdites quatre cources
de lance, tiendront a une course de lance sans lice, a
fer esmoulu, et combatront a l'espée d'estoc et de
taille, sans nombre, tant que sera le bon plaisir
du Roy.
« Item. Tiendront lesdits tenans en harnoys de
joxte a VI cources de lance, a tous venans, a lances, a
rochet, et porteront, tant assaillans que deffandans,
telles lances que bon leur semblera, lesquelles seront
présentées a ung officier d'armes, pour estre mer-
chées et estre mises d'une longueur.
« Et, pour le combat de pié, se trouveront xii tenans,
c'est assavoir : viii tenans et un aydes, pour la pre-
mière foys seullemeni, a une barrière, a ung gect de
lance, et combatront a la picque d'allement, et a
l'espée, tant que sera le bon plaisir du Roy. Et,
le combat desdits xii parachevé, tiendront lesdits
VIII tenans, a ladite barrière, contre tous assaillans.
« Item. En ensuyvant lesdites armes de pié, tien-
dront sans barrière, a la picque et a l'espée de tail,
au bon plaisir du Roy.
« Item. En après, combatront a la hache sans bar-
rière, comme dessus.
Mai 1507] LA MANIERE D'UNG TOURNAT FAICT A MILLAN. 305
<ï Puys, combatront a l'espée a deux mains, sans
barrière, au plaisir du Roy; et fourniront lesdits
tenans tous bastons nécessaires pour lesdites armes
accomplir, fors seullement de lances a rochet.
« Item. Pour tenir ordre desdits combatz, tant de
cheval que de pié, il y aura deux escus pendus a ung
perron, gardez par ung officier d'armes : desquelz
escuz l'ung sera d'argent, auquel ceulx qui vouldront
accepter le combat de cheval viendront toucher ; et
l'autre escu sera d'or, auquel ceulx qui vouldront
accepter le combat de pié toucheront; et seront enrôl-
iez par ledit officier d'armes, affin de garder a chascun
son ordre et la manière du combat qu'ilz accepteront.
« Et, s'il en y a aucuns qui veullent toucher les
deux escus, pour parfaire les deux emprises, c'est
assavoir a cheval et a pié, en tout ou en partie, il
leur sera respondu, et seront* reçeuz par lesdits
tenans. Ausi seront tenus lesdits assaillans de porter
leurs escus, armoyez de leurs armes, audit officier
d'armes, pour les mectre audit perron ; autrement, ne
seront plus receuz.
« Item. A esté ordonné par le Roy, nostre sire,
depuys ses articles publiez, que le jour que com-
maincera le combat de cheval a iiii courses de lance,
a fer esmoulu, sera le premier jour de jung pro-
chainement venant, et la chascun sera receu selon
ordre, comme dessus est dit. »
Cesdits articles baillez et publiez, les lices furent
faites de deux cens pas de long, dedans la grant place
de devant le chasteau. En entrant dedans ladite place
1, Le texte porte : soront.
IV 20
306 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
pour aller au chasteau, sur main senestre, furent faictz
de la longueur des lices grans chaffaulx, pour la, au
bout d'iceulx, du costé dudit chasteau, estre le Roy
et les princes et seigneurs qui avecques luy estoyent.
Dedans iceulx eschafïaulx, tout du long, furent faictz
lieulx et places propices, regardans dedans les lices,
pour mectre et asseoir les dames qui la viendroyent.
De l'autre costé, fut faict ung eschaffault, pour
mectre les juges desdits combatz. Au bout desdites
lices, du costé du chasteau, avoit ung peron, hault de
dix toises, au bas duquel avoit ung petit eschaffault,
pour la estre le Roy d'armes ordonné pour recepvoir
les noms et escus de ceulx qui vouldroyent accepter
le combat. Encontre ledit peron, avoit actachez deux
escus, dont l'ung estoit d'or, auquel touchoyent ceulx
qui acceptoyent le combat a pié ; l'autre estoit d'argent,
ou ceulx qui vouloyent accepter le combat a cheval
touchoyent. Entre les lices et les eschafïaulx, avoit
une place de quarente pas de large et de la grandeur
des lices, toute garnye et semée de sabblon, pour
tenir a ferme les chevaulx et ceulx qui la combatroyent.
De ce tournoy et combat fut partout nouvelles ; si que,
de toutes les Italles, y vindrent dames a si grant
nombre que, scelon le rapport de plusieurs, y en
avoit plus de troys mille, toutes vestues de robes de
drap d'or.
XXXII.
D'aucuns grans banquetz et choses joyeuses
qui furent lors faictes a millan.
Tandis que les lices et eschaffaulx se faisoyent, et
Mai 1507] D'UNG BANQUET SUMPTUEULX, ETC. 307
qu'on s'apprestoit pour combatre, dances et banquelz
et autres joyeulx passe temps se mectoyent en avant
par la ville de Millan; tant que, pour commaincer,
ung nommé messire Galeas Visconte, grant seigneur
a Millan, fist ung banquet au Roy, ou princes et car-
dinaulx, avecques grant nombre de gentishommes et
dames, en triumphal estât se trouvèrent et toutes les
gardes du Roy. Celuy Galeas avoit ung sien filz, jeune
enfent, lequel fist la confirmer au cardinal de Ferrare,
arcevesque de Millan, et pria le Roy que son plaisir
fust que a son filz vousist donner en sa confirmation
son nom, ce qu'il fist voluntiers, et fut la nommé
Louys, et confirmé par ledit cardinal, qui, pour ce
faire, prist les habitz pontificaulx.
XXXIII.
D'UNG BANQUET SUMPTUEULX QUE LE SEIGNEUR JEHAN
Jacques fist au Roy a Millan*.
Apres celuy banquet, qui fut moult grant, le sei-
gneur Jehan Jacques prya le Roy que, a ung autre
banquet qu'il luy vouloit faire, fust s6n plaisir de ce
trouver; ce que le Roy luy promist. Dont ledit sei-
gneur Jehan Jacques, mareschal de France, fist pre-
1. 30 mai 1507. Sur cette fête, très fameuse, pour laquelle Jean
d'Auton donne de précieux détails, nous ne pouvons que ren-
voyer au récit curieux et circonstancié de M. Emilio Motta, dans
ses Nozze principesche del quattrocento, Corredi, inventari et des-
crisioni, con una canzone di Claudio Trivulzio (publiées pour les
noces de M. le marquis Luigi Alberico Trivulzio avec M"« la
comtesse Maddalena Gavazzi délia Somaglia, célébrées à la villa
del Gernetto, le 4 juin 1894), pages 11 et suiv.
308 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
parer ledit banquet dedans sa maison de Millan, ouquel
lieu estoyent grandes salles tapissées et galleries et
chambres parées, jardrins et lieux propices pour la
feste, tables garnyes et buffetz d'argent a tous costez.
Et, pour en savoir mieulx au vray reciter, le jour
dudit l3anquet, des l'eure du matin, m'en allay audit
lieu, ou, entre autres choses, je veiz la xi grandes
cuysines, plaines de broches, garnyes de toutes viandes
de vollaille et de venoison.
Pour ordonner du service et dresser les viandes et
asseoir les metz, estoyent députez a ce viii'"' maistres
d'ostelz, lesquelz portoyent chascun ung baston bleu,
couvert de fleurs de lys d'or. Doze cens serviteurs y
a voit, pour porter les vyandes et servir au bufFectz,
desquelz la pluspart estoyent en pourpoint de vellours
noir ; les autres estoyent en robe de taffetas et d'autre
soye, habillez legierement, pour dilHgenter l'aff'aire.
Pour recevoir les venans et donner lieu au com-
maincement de ladite feste, le seigneur Jehan Jacques
fist faire devant sa maison, le long de la rue, une
grande salle de vi'''' pas de long, a deux rangz de
pilliers de verdure, couverte de draps de bleu, tous
semez de fleurs de lys d'or et d'estoilles d'or. Tout le
long des deux costez, encontre les tapisseries, com-
mainçant a bas, estoyent sièges a quatre rangz, en
montant comme par degrez, pour la asseoir les sei-
gneurs et autres qui se trouveroint audit banqueta Et,
au plus hault desdits sièges, en entrant sur main
senestre, estoit ung eschaffault pour les menestriers,
1. Da Paullo estime la dépense de cette ornementation plus de
50,000 ducats d'or.
Mai 1507] D'UNG BANQUET SUMPTUEULX, ETC. 309
qui la furent des le matin, sonnant sans cesser de
leurs instrumens, dont y avoit trompettes, haulxboys,
tabourins, violles et autres manières de doulx ins-
trumens.
Au bout de ladite salle, avoit ung eschaffault grant
et spacieulx, sur lequel failloit monter par six degrez,
ou dessus avoit une chayre parée de drap d'or, laquelle
estoit la mise et ordonnée pour le Roy. Dessus celuy
eschaffault, duquel la place estoit couverte de tap-
pis vellu, avoit iiii ou v cens carreaulx de drap d'or
et de velloux cramoisi, pour asseoir les dames convyées
audit banquet.
Sur les X heures du matin, la marquise de Vigeve,
femme du seigneur Jehan Jacques, et la femme de
son filz, comtesse de Misot\ avecques grant suyte de
leurs dames, furent la assizes au pié de l'eschaffault
du Roy, pour recepvoir et recueillir les autres dames
qui viendroyent a ce banquet; et, comme aucunes
d'icelles venoyent, ladite marquize de Vigeve et la
comtesse de Misot se levoyent de leur siège et les
alloyent recueillir jusques a l'entrée de la porte de la
salle et puys les menoyent asseoir sur l'eschaffault
ou estoit la chayre du Roy; et ainsi recueilloyent par
ordre lesdites dames, qui la vindrent a plains chariotz^ ;
tant que, en moings de deux heures, furent en ladite
salle plus de xii cens dames, toutes vestues de draps
d'or ou de soye et toutes d'acoustremens neufz et tant
riches qu'elles sembloyent estre Roynes ou autres prin-
1. Paola Gonzaga, comtesse de Musocco.
2. « Il y avoit, dit Saint-Gelais, autant de dames avec leurs
panaches pour leur esventer le visaige que on pourroit veoir de
pluraeaulx en une compaignée de mille hommes d'armes. »
310 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
cesses. Les unes portoyent robes de drap d'or, my
party de velloux cramoisi ou de fin satin de diverses
couleurs; et plusieurs y en avoit portans robes toutes
de drap d'or frizé, les autres a grans souleilz d'or
traict my party de velloux et satin cramoisi. Leur
coeffure estoit telle que tout le front et la chevelleure
leur paroissoit, dont partye pendoit derrière entortillée
et l'autre leur couvroit la moityé de la jouhe, descen-
dant près des espaules, en retournant joindre a l'en-
tortilleure de derrière. Leurs robes, en plusieurs
endroictz, estoyent decoppées et fendues, par ou
paissoit la blanche chemise de fine toille de Hollande :
somme, en tous endroictz, y avoit adresse de voye
lubrique et enseignes de blandisses féminins. Quoy
plus? le seigneur Jehan Jacques avoit convyé et envoyé
quérir lesdites dames, mesmement celles de nom, et
les plus belles de Millan, de Pavye, d'Ast, de Plaisance
et des autres villes de la duché, ou avoit sceu trouver
femmes de feste et de bonne chiere.
Lorsque lesdites dames furent venues et mises en
place, instrumens sonnèrent a qui myeulx myeulx.
Plusieurs seigneurs et autres prindrent siège en acten-
dant le Roy a venir, lequel fut la sur l'eure du mydy.
Avecques luy estoynt Charles duc d'Allençon, Charles
duc de Bourbon, Charles duc de Savoye, Anthoyne de
Lorreine, duc de Callabre, Françoys d'Orléans, duc de
Longueville, Gaston conte de Foix, le conte de Van-
dosme, mons"" Jehan d'Albret, seigneur d'Orval, Guy de
Laval, seigneur de Laval, René de Bretaigne, conte de
Pointievre, Jacques de Bourbon, conte de Roussillon ;
lesquelz furent tous du banquet. Ausi furent a ccdit
banquet maistre George cardinal d'Amboise, le cardinal
Mai 1507] D'UNG BANQUET SUMPTUEULX, ETC. 311
de Ferrare, le cardinal de Nerboniie, le cardinal de Sainct
Severin, le cardinal de Final, les cardinaulx de la Tri-
moille, d'Albi et de Prie, l'arcevesque de Sens et grant
nombre de prelatz, les ambaxadeurs de Venise^, les
chamberlans et maistres d'ostelz du Roy, et en somme
toute la court, avecques les seigneurs de Lombardye
et autres, qui la estoyent avecques luy.
Tantost que le Roy fut la venu et mys en chaire 2,
les dances coramaincerent. Mais la y eut si grant presse
que, pour donner place aux dames et autres qui vou-
loyent dancer, faillut que le Roy mesmes, qui estoit
amont, descendis! pour faire faire place : ce qu'il fist,
et print la halbarde d'ung de ses archiers, puys, a tour
de bras, commainça a charger sur ceulx qui faysoyent
la presse, tellement que soubdainement la place fut
vuyde et desempeschée, tant que chascun eut lieu
pour dancer. Charles duc d'Alençon, Charles duc
de Bourbon, Charles duc de Savoye, Anthoyne duc
de Callabre, et les autres princes et seigneurs et gen-
tishommes de la maison du Roy, qui la furent, dan-
cerent : dont les aucuns dancerent en masque, por-
tans habillemens cou vers de fleurs de lys, sur leurs
chapeaulx grans plumes perses et jaunes faictes en
manière de fleurs de lys, les autres en habitz de cor-
deliers, et les autres en diverses manières et estranges
habillemens. Quoy plus? les dames dancerent a relays
1. Le duc de Savoie, ayant appris qu'on placerait avant lui les
ambassadeurs vénitiens, s'en alla, et les ambassadeurs vénitiens
en ûrent autant, d'après Sanuto (VII, 95). Jean d'Auton cepen-
dant contredit ce récit.
2. Le roi, en arrivant, baisa par courtoisie toutes les dames et
demoiselles, notamment la très julie marquise de Scaldasole,
qu'il admirait fort (Em. Motta).
312 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Mai 1507
les unes après les autres, toute la journée jucques sur
les vespre, que tables furent couvertes et le banquet
tout prest.
Puys, le Roy, avecques toute la noblece, s'en alla
soupper. La dedans estoyent salles, chambres, gabi-
netz, garde robes, galleryes ordonnées : les unes pour
le Roy, les autres pour les princes et ambaxades, les
autres pour les cardinaulx et les autres prelatz de
l'Eglize, les autres pour les chamberlans et maistres
d'ostelz de cheulx le Roy, les autres pour les gene-
raulx et trésoriers, les autres pour les gentishommes,
les autres pour les archiers, les autres pour les alle-
mans de la garde et les autres pour les varletz et ser-
viteurs des seigneurs qui la estoyent : lesquelz furent
tous servis de viandes exquises et de divers metz,
avecques très bons vins et de toutes sortes, sans ce
qu'il y eust faict service, tant de cuysine que de buf-
fect, que tout en vaisselle d'argent, toutes les pièces
merchées aux armes du seigneur Jehan Jacques, ce
qui estoit ung granttriumphe et merveilleuse richesse.
Les dames conviées au banquet furent toutes mises
ensemble, le marquys de Mantoue seul avecques elles,
si n'est que chascune avoit son escuyer, pour trancher
et servir a table ^ .
Apres soupper, le Roy et les princes, avecques
tout plain de seigneurs et gentishommes, furent voir
les dames, ou la devisèrent de plusieurs choses
1. Selon le Loyal serviteur, il y eut plus de 500 personnes assises
à ce banquet, sans compter la table des dames, lesquelles se trou-
vaient au nombre de cent ou cent vingt. Le même chroniqueur
exalte aussi la beauté du spectacle et la perfection de la chère,
qu'il déclare sans pareilles.
Juin 1507] D'UNG BASTYON QUE M"-" CH. D'AMBOISE, ETC. 313
joyeuses et plaisantes. Et, ce faict, chascun prist
congé ; puys le Roy s'en alla a son logis et la com-
paignye se départit.
XXXIV.
D'UNG BASTYON QUE MESSIRE CHARLES d'AmBOISE, LIEU-
TENANT DU Roy, fist tenir a Millan, ou le Roy
FUT PRESENT AVECQUES TOUS LES PRINCES ET SEI-
GNEURS QUI LA ESTOYENT ET GRANT NOMBRE DE
DAMES.
Pour tousjours donner divers passe temps au Roy
et rejouyr les dames, chascun des seigneurs s'efforçoit
de faire nouvelles choses : dont, après que le banquet
du seigneur Jehan Jacques fut faict, messire Charles
d'Amboise, deux jours ensuyvant, fist ung autre
banquet au Roy et a toute sa suyte, auquel, en lieu
de dances, fist faire ung bastyon, que luy mesmes
avecques autres de sa bende voulut tenir contre tous
venans. Lequel bastyon fist faire en ung jardin, près
de son logis de Millan, et celuy fossoyer tout autour,
et fermer de gros boys debout mys en terre et au
devant tout a l'environ fortiffyé de planchon a groux
doux et chevilles bien actachées; aux deux coings du
front de devant, avoit faict faire deux tours defïen-
sables, ou pouvoyent estre en chascune d'icelles xxv
ou XXX hommes armez, pour deffendre lesdites tours ;
le devant et les costez, avecques lesdites tours de
celuy bastion, estoyent de six piedz de haulteur, et
contre le derrière avoit ung hault eschaffault pour
assoir les juges du combat.
314 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
Le jour du banquet venu^, après que ledit messire
Charles d'Amboise eut faict publyer ledit combat, de
de sa bende furent Francisque de Gonsago, marquys
de Mantoue, Jacques de Bourbon, conte de Roussillon,
le conte de Poinctievre, le seigneur de Laval, messire
Jacques de Ghabanes, seigneur de la Palixe, messire
Guyon d'Amboise, seigneur de Ravel, messire Ger-
main de Bonneval, messire Mery de Rochechouart,
messire Jehan de Bessé, Louys de Janlys, seigneur
de Monmor, avecques plusieurs autres, jusques au
nombre de cent hommes d'armes, choisis entre les
gentishommes de la bende du seigneur de Ravel et
par les compaignyes : lesquelz se trouvèrent dedans
le bastyon, tous en armes, au jour ordonné; et, si
avoyent, pour deffendre leur fort, grous bastons
embourez et l'espée tranchant sans poincte ; et, avec-
ques ce, avoyent de grandes perches fourchées, pour
reposser ceulx d'embas, qui s'efforceroient pour
monter par eschelles ou sur pons. Et avoyent, la
dedans, larges tonneaulx, tous plains d'eau, et force
eclissoyres et artillerye a papier. Messire Loys de
Brezé^, grant senechal de Normendye, avecques les
cent gentishommes de sa bende, estoit des assaillans;
ausi estoit messire Robert Stuart, avecques ses cent
hommes d'armes escossoys, et messire Mercure, capi-
taine des Albanoys, et autres, jusques au nombre de
1. l«'' juin 1507.
2. Louis de Brézé, comte de Maulevrier, baron du Bec-Crespin
et de Mauny, seigneur d'Aurricher et de Nogent-le-Roi, maré-
chal hi'réditaire de Normandie, grand sénéchal du pays, pension-
naire du roi (K. 78, noS; fr. 22276; fr. 2G107, 194; fr. 26106, n* 5,
etc.). Son tombeau se trouve, comme on sait, dans la cathédrale
de Rouen.
Juin 1507] D'UNG BASTYON QUE W^ CH. D'AMBOISE, ETC. 315
quatre cens hommes d'armes : lesquelz, sur le point
de quatre heures après mydi, aporterent contre ledit
bastion pons et eschelles a tous costez et amenèrent
grant nombre de pyonniers pour combler les fossez.
Le Roy estoit au logys de messire Charles d'Am-
boise, avecques les seigneurs de sa suyte et grant
compaignye de dames, actendant l'eure de l'assault
dudit bastyon; et, pendant ce, le Roy commainda
aporter le sopper. Et, ainsi que le premier service se
faisoit, les trompettes du bastyon et des assaillans
sonnèrent a l'estandart et a l'assault. Ce faict, sans
plus actendre, le Roy se leva de table, et toutes les
dames, en lessant le soupper, pour courir voir assaillir
et deffendre ledit bastyon, et le Roy, ainsi levé,
avecques les gentishommes et dames qui la estoyent,
s'en alla ou estoit le bruyt. Ainsi demeurèrent tables
couvertes de vyandes, et buffectz garnys de vaisselle
d'argent et de bons vins a foison : la estoyent plu-
sieurs mordans, qui, des le matin jusques a celle heure,
avoyent esté leans, pour seullement vouloir voir le
combat, dont aucuns avoyent bon appétit; et eulx,
voyant que chascun avoit lessé le soupper, prindrent
leurs places et se misrent a despescher viandes, si a
point que en ung moment ne demeura que les nappes
deschargées et vaisselle vuyde; puys se torchèrent le
bec et coururent au bastyon, qui fut assailly moult
rudement et deffendu a toute force. Premièrement
assaillirent une tour, nommée la tour d'Auvergne;
et la, a grans coups de bastons embourez et a tail
d'espée, d'ung costé et d'autre longuement se bâtirent,
et tant que les bastons embourez furent tous rompus
et couppez, dont grans fourches, grosses perches et
316 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
levyers furent mys en besoigne. Messire Loys de
Brezé, voyant que sans eschelles ne feroyent riens,
les fîst dresser et combler les fossez : la se misrent
gens d'armes a monter de toutes pars, et ceulx du
dedans, a tout leurs fourches et levyers, les repos-
serent contrebas, en leurs gectant grans seaulx d'eau
et cercles attachez l'ung a l'autre, et coups a toutes
mains sur eulx, lesquelz assailloyent a grant effort;
mais a la longue furent moult foulez et batus de ceulx
d'amont, qui grant avantaige avoyent. Touteffoys, lors-
qu'i levoyent leur visière, pour regarder a bas, pour
prendre alaine, ceulx d'en bas leur gectoyent grans
pellées de terre moillée contre le visaige; et a coups
de perches rompues et grous boutz de boys leur don-
noyent la ou ilz les pouvoyent trouver au descouvert,
tant que plusieurs en blecerent. Et ainsi se commain-
cerent a picquer, tant que le bout de leurs espées
s'approchèrent contre les gorges : et est a pencer
que, s'il se fussent peu joindre, que mortellement se
fussent batus.
Messire Jacques de Ghabanes, seigneur de la Palixe,
qui estoit a l'autre tour, voyant ceulx d'embas fouller
et eulx revencher a l'oustrance, leur manda que, s'ilz
vouloyent aller assaillir la tour qu'il gardoit, que luy
et ses gens ne la deffendroyent que a coups de bas-
tons embourrez : lesquelz ne voulurent, mais n'enten-
doyent que a charger ceulx qui les avoyent repossez.
La estoyent les capitaines d'embas tous ennoirciz et
barbouillez de fange, pour l'eau que ceulx d'amont
gectoyent dedans les fossez : messire Mercure, qui
estoit a bas, avecques aucuns de ses Albanoys, tous
armez a blanc, s'essoya maintes foys de monter; mais,
Juin 1507] D'UNG BASTYON QUE M'^ CH. D'AMBOISE, ETC. 317
par ceulx de dessus, fut tousjours rué bas et tant batu
de coups de baston qu'il ne savoit a qui le dire, mais
il soustint moult grant faix. Les gentishommes de la
bende de messire Loys de Brezé estoyent tousjours
a l'assault, qui a coups de perches chergeoyent les
dessus, tellement que plusieurs de leurs espées et
basions firent voiler des mains a bas. Messire Robert
Stuart ne desempara jamais le pié du bastyon, ou la
donna et receupt maint pesant coup. Les Escossoys
de sa bende s'i portèrent très a point et maintes
foys s'essayèrent de monter : mais tousjours ceulx
de dessus les repossoyent. La soustindrent plus de
deux heures l'assault, et tant que d'ung costé et
d'autre le Roy leur commanda reprendre alaine. Qui
lors eut du vin mist le nés a la bouteille.
Et puys, de rechief, fut sonné ung autre assault, ou
fut apporté ung pont sur roes, de la haulteur dudit
bastyon, et a force de gens approché contre ledit bas-
tyon près a combatre main a main, ou dessus mon-
tèrent XX hommes d'armes, des gentishommes de la
bende de messire Loys de Brayzé et des escossoys de
messire Robert Stuart, lesquelz marchèrent jusques
sur le bort du pont et comaincerent a combatre main
a main, a coups d'espée. Et la fut ung escossoys, qui
mist le pié sur le bort du bastyon, cuydant entrer. Mais
ceulx du dedans, a grous leviers et longues perches,
les reposserent et chargèrent sur eulx et sur leur pont,
tellement que, pour le faix de ceulx qui estoyent
dessus et les coups que ceulx du dedans donnoyent,
la moytié de celuy pont tumba par terre et ceulx qui
estoyent sur celle part, lesquelz au cheoir s'aiïbllerent.
Sur l'autre partye dudit pont, demeurèrent deux escos-
318 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
soys, moult gaillars hommes, lesqiielz n'abandonnèrent
le bort du bastion, mais la, sur ceulx du dedans, a
grans coups d'espée frappoyent au désespéré, sans
vouloir jamais reculer; et la receurent tant de coups
de groux bâtons, et mesmement par aucuns desarmez
qui ruoyent coups au délivre, que iceulx escossoys
furent estonnez, lesquelz ne pouvoyent estre secourus,
pour ce que ledit pont estoit rompu, ou nul autre ne
pouvoit monter; mais, pour ce, ne desmarchoyent ung
pas; et si en y avoit ung d'iceulx, après qu'il estoit
estonné et hors d'alayne, se couchoit sur le pont, et,
lorsqu'il avoit repris alaine, recomainçoit l'assault et
chargeoit de plus en plus fort; et ainsi le fist par tant
de foys qu'il eut a la parfin d'ung levier sur la teste,
en manière qu'il fut assommé et emporté a son logis,
ou celle nuyt le cerveau luy tumba par le nez, et
mourut, dont fut dommage. L'autre, son compaignon,
tout estonné, fut mys a bas. Les autres de leurs com-
paignons, a grans perches, chargeoyent a tour de
bras sur ceulx d'amont, et, comme courroucez du
mal de leursdits compaignons, advisoyent ceulx du
dedans au descouvert; entre autres, en choisirent ung
qui avoit le chief desarmé, auquel ung escossoys donna
si a droict d'une longue perche qu'il avoit que le sang
luy fist couler de la teste sur le visage. Et, ce faict,
ceulx d'amont recomaincerent a charger embas et
gecter grosses tronces de boys, barres et planchons
et ce qu'ilz pouvoyent. Mais ceulx d'embas estoyent
tousjours bendez a trouver leurs gens au descouvert,
dont en blecerent plusieurs, et tous au visage, entre
autres le conte de Poinctievre, messire Jehan de
Bessé, gruyer de Bourgoigne , Pierre de Balsac,
Juin 1507] D'UNG TOURNOY ET COMBAT, ETC. 319
baron d'Entraigues^ et tout plain d'autres, dont je
n'ay sceu les noms. Mais , voyant le Roy que ses
gens se batoyent ainsi a l'oustrance, envoya ses archiers
pour les faire départir, ce que ne peurent : dont luy
mesmes descendit de son eschafïault et les alla départir
a grant peine. Car ja tant s'estoyent picquez et esmeuz
que ceulx qui se pouvoyent toucher se mectoyent les
espées contre les gorges ; et croy que, si entre eulx
n'eust eu barrière, que telle chose eust esté entre eulx
exploictée, que le Roy y eust eu plus de perte que
de plaisir; mais, par son commandement, tout fut
cessé.
XXXV.
D'uNG TOURNOY ET COMBAT TENU LORS A MiLLAN PAR
MESSIRE GALEAS DE SAINGT SeVERIN ET AUTRES
LOMBARS AVECQUES LUY.
Messire Galeas de Sainct Se vérin, grant escuyer de
France, avecques vu autres lombars, furent prestz de
tenir le pas en la place du chasteau de Millan, ou
estoyent faictes les lices, et ordonnée la place du
combat et la actendre tous venans en 'la manière que
par les articles dessusdits est contenu : ou se trou-
vèrent des françoys grant nombre, desquelz furent
Gaston conte de Foix, nepveu du Roy, Guy seigneur
de Laval, le jeune Gandalle, Françoys de Maugiron,
Jehan de Ghandieu, Guillaume de la Hite^, Loys Ler-
1, Sénéchal d'Agenois.
2. Guillaume Ducos, seigneur de la Hite, nommé ensuite com-
mandant de l'artillerie à Gènes.
320 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
mite* et tout plain d'autres gentishommes de la maison
du Roy et hommes d'armes des compagnies de delà
les mons ; ausi se trouva sur les rangz Jehan Guillerme,
marquis de Monferrat, et d'autres lombars grosse
roupte ; lesquelz commaincerent a ouvrir le pas, sur
le commaincement du moys de jung; et la coururent
a quatre courses de lance a fer esmoulu. Des pre-
miers coururent Gaston conte de Foix, lequel rompit,
aux quatres cources premières, troys de ses lances.
Le marquys de Monferrat courut ausi , lequel fut
servi de quatre grosses lances, painctes de rouge, et
courut moult rudement et droict, tellement qu'il rompit
son boys ; et a la tierce course plya son tenant jusques
sur la cruppe de son cheval et a peu qu'il n'allast par
terre. Les autres ausi coururent, chascun ses quatre
courses, et la v'' hors lice, ou furent rompus boys a
toutes mains ; puys combatirent a l'espée, ou furent
donnez plusieurs grans coups.
Le Roy estoit la présent en son eschaffault; lequel,
après que les combateurs avoyent faict leur devoir,
les faisoit départir. Les dames a plains eschaffaulx y
estoyent aussi, tant gorgiases que c'estoit une droicte
fayerye.
Dix jours entiers durèrent les joxtes et combatz :
ou fut l'ung jour combatu en lice, a cource de lance et
fer esmoulu; l'autre en harnoys de joxte, a lances a
rochet, et l'autre a la barrière, ou les tenans eurent
quatre aydes pour la première foys et la combatirent
a ung gect de lance, et a la picque de Suyce, et a
1. Ou Lhermite, fils du fameux Tristan Lhermite, prévôt des
maréchaux de Louis XI.
Juin 1507] D'UNG TOURNOY ET COMBAT, ETC. 321
l'espée d'estoc et de taile ; puys combatirent sans bar-
rière, a la picque et espée de tail et a la hache sans
barrière, et puis a l'espée a deux mains. La furent
faictes armes a merveilles ; chascun s'efforçoit de faire
tout ce qu'il pouvoit.
Messire Galeas, des tenans, combatit très bien a
cheval, a l'espée ; le marquys de Monferrat rompit la
force de lances. Le conte de Foix, jeune prince, fut
moult prisé et loué de ses coups de lance, dont en
rompit plusieurs. Ausi fut le sire de Laval. Le che-
val du s"^ de Gandalle eut d'une lance au travers
du col, ce qui enuya moult a son maistre, car ledit
cheval estoit fort puissant, moult viste et très a la
main et sondit maistre bon chevaucheur. Ung des
françoys, assaillant, nommé Loys Lermite, eut, a l'une
des courses, d'une lance au travers de l'espaulle,
dont en emporta le transon et fut fort blecé.
A la barrière et aux combatz de pié, eut grans armes
faictes. Et la, entre autres, firent merveilles deux fran-
çoys, nommez Jehan de Ghandiou, hommes d'armes de
la compaignye du conte de Ravestain, et Guillaume
de la Hyte, l'ung des archiers de la garde de la bende
de messire Gabriel de La Ghastre ; et tant que, a l'ung
des combatz de l'espée a deux mains, celuy de Ghan-
diou, jeune, grant et puissant a merveilles, se trouva
au combat contre messire Galeas de Sainct Severin,
tenant le pas et bien puissant et adroict chevalier :
lesquelz, a grans coups d'espée a deux mains se char-
gèrent rudement, et tant que chascun fut loué en ses
faictz; mais, a la parfin, celuy Ghandiou haulsa si
pesant coup d'espée sur la teste dudit messire Galeas,
en tirant le coup a soy, qu'il le mist des mains en
IV 21
322 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
terre, et, comme il voulust recouvrer pour l'aterrer,
le Roy dist : « Ho! ». Dont s'arresta celuy Ghandiou.
A la picque combatirent après, ou ledit Chandieu
fist merveilles; ausi estoit il puissant a l'avantaige.
Au combat de la picque, furent plusieurs Françoys
aux coups départir, entre autres ledit Guillaume de la
Hyte, lequel adressa a ung lombart, des tenans, bien
puissant et homme adroict, lesquelz, a coups de
picque, percèrent en plusieurs lieux leurs harnoys a
jour et jucques au sang ; tant en fut que celuy de la
Hite donna tant de coups de picque au lombart, et si
menu, que a la parfin le respossa tout le travers de
la place, en le menant bâtant jusques au bas de l'es-
chaffault du Roy : de quoy ses compaignons n'estoyent
bien contens, car il estoit l'ung des myeulx estimez
de leur bende. Mais autre chose n'en fut, si n'est que
le Roy, voyant celuy lombart en tel party, leur imposa
la paix.
Ung autre combat fut faict a la hache par les tenans.
Messire Galeas, qui tenoit le pas, voyant luy et ses
tenans ainsi oultrez, mist en place ung des plus puis-
sans et adroictz hommes de Lombardye, et le meilleur
joueur de la hache, qui plusieurs foys avoit faict armes,
comme se disoit. Le Roy voulut que Guillaume de la
Hyte, bon joueur de hache et très puissant, luy fust
mys en barbe, lequel fut la amené par son capitaine,
accompaigné d'archiers de la garde, a grosse puis-
sance. Le duc de Bourbon, le conte de Vandosme et
autres princes, avecques les capitaines des gentis-
hommes et gardes, estoyent tous a cheval, au dedans
des lices, pour icelles garder et depa[r]tir les combatans,
lorsqu'il plairoit au Roy. Le Roy estoit a son eschaf-
Juin 4507] D'UNG TOURNOY ET COMBAT, ETC. 323
fault avecques grande noblece. Les dames et tout plain
de seigneurs françoys et lombars estoyent la pour veoir
le combat de ses deux champions : tenans les aucuns
pour le lombart et les autres pour le françoys, qui
estoyent deus hommes de belle taille, jeunes et verdz.
Que fut ce? lorsque iceulx furent en place, trompettes
et gros tabourins comaincerent a sonner; et, lorsque
les deux champions marchèrent l'ung contre l'autre,
comme deux lyons, leurs haches d'armes au poing et
de première advenue, ruèrent grans coups et pesans,
en continuant longuement. Le lombart estoit moult bon
jouheur de hache et avoit tousjours l'ueil a la marche
de son homme, pour le vouloir prendre a pié levé ; de
quoy se donnoit très bien garde le françoys, en ruant
tousjours coups sur le lombart, qui bien se couvroit :
toutesfoys on n'oioit que coups sur le harnoys de l'ung
et de l'autre. Le Roy estoit la qui regardoit ruer les
coups, ou prenoit grant plaisir, car ilz se batoyent a
toute outrance. Les dames pareillement avoyent la
leur passe temps, dont plusieurs, pour l'onneur de la
nation, eussent bien voulu que le lombart eust eu du
meilleur. Et, lorsque le lombart donnoit quelque bon
coup, les autres monstroyent chère joyeuse ; et, quant
le françoys, qui frappoit a coups pesans, ruoit sur son
homme, iceulx lombars estraignoyent les dens et fai-
soyent macte chère. Plus d'une heure dura celuy com-
bat, que on ne savoit qui auroit du meilleur ; et tant
se donnèrent de coups que plusieurs pièces de leur
harnoys furent percées et desclouées . Que diray je
plus? ainsi que chascun des combatans mectoit dilli-
gence de mectre son homme a oultrance, le fransoys
advisa son coup et de toute sa force embarre la
324 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
hache a deux mains et la rua droict sur la teste du
lombart, de telle force que tout plat s'en va par
terre ; en manière que, au cheoir, les pièces de son ba-
tecu luy renversèrent sur le dos, tellement qu'il eut le
derrière tout descouvert. Et, voyant le françoys son
lombart ainsi tumbé, et qu'il mectoit peine a se
reliever, luy voulut donner ung autre coup, pour le
macter du tout : ce que le Roy ne voulut, mais les fist
départir par les gardes des Hces. Et, voyant le Roy et
autres seigneurs estans la les armes des deux cham-
pions et le grant coup que avoit donné celuy françoys
au lombart, extimerent grandement la valleur des
deux et plus celle du vaincueur, combien que autres
lombars n'en fussent bien contans*.
Ainsi s'estoyent continuez les combatz et tournoys
dedans la ville de Millan, et tant que, aux courses
des lances mesmement, plusieurs furent blecés, et le
plus au rompre des lances, qui furent froissées a
droict la pongnée : dont furent blecez en la main
dextre le marquis de Monferrat, Françoys de Mau-
giron, Jehan de Chandiou et tout plain d'autres. La
furent faictes, par les Françoys et Lombars, armes
très louables, sans autre bruyt que de toute joyeuse
entreprise et amyables combatz.
Toutes ses belles choses mises a chief, les dames
venues la se disposèrent en aller; mais, premier, le
Roy leur dist qu'il leur vouloit faire son banquet, ce
qui ancores les aresta.
En ce mesmes temps, vint a Millan le cardinal
1. « Gueres de gens n'ont veu faire de plus belles armes a plai-
sance que celles la furent » (Saint-Gelais).
Juin 1507] D'UNG TOURNOY ET COMBAT, ETC. 325
Saincte Praxede^ que le pape avoit envoyé légat en
Lombardye^. Au devant de luy envoya le Roy le car-
dinal d'Amboise, légat en France, les cardinaulx de
Ferrare, de Bouloigne, de Saint Severin, de Glermont,
de Final, de la Trimoille, de Prye et d'Albi, le duc
d'Alençon, le duc de Bourbon, le duc de Savoye, le
duc de Longueville, le conte de Vandosme, le conte
de Foix, et grande suyte d'autres princes et seigneurs
et gentishommes de sa maison et de prelatz, l'ar-
cevesque de Sens, l'arcevesque d'Aiz, l'evesque de
Paris, l'evesque de Perigueulx^, l'evesque de Sues-
sons ^, l'evesque de Lodeve ^, l'evesque de Mar-
1. Antoniotto Pallavicini, patricien génois, évêque de Pales-
trina depuis 1503, créé cardinal en 1489 par Innocent VIII au titre
de Sainte-Anastasie, qu'il échangea ensuite contre celui de Sainte-
Praxède, protecteur de Savoie en cour de Rome (ms. lat. 5164,
fol. 332, 362), etc., était un génois, ardent ennemi des Vénitiens,
comme Jules II. Sanuto cite de lui un mot typique : lorsque la
prise de Modon par les Turcs vint ébranler la puissance véni-
tienne et retentir douloureusement dans toute la chrétienté,
Sainte-Praxède s'écria : « Enfin, les Génois vont pouvoir com-
mencer ! » Il accompagnait en dernier lieu Jules II à Bologne
(Sanuto, VI, 495). Jules II, en l'envoyant comme légat à Savone,
espérait se tenir au courant des événements et travailler à la
ligue contre Venise. Mais Louis XII, méçcintent du pape et de
ses sympathies trop avouées pour les Génois, tint strictement le
légat à l'écart. Les Vénitiens l'accusèrent d'avoir voulu s'entre-
mettre entre les Génois et les Français et d'y avoir échoué
(Sanuto, VII, 133), mais rien ne confirme cette imputation fort
invraisemblable.
2. Sur cet envoi, v. Paris de Grassis (v. ms. lat. 5165, fol. 329).
3. Geoffroy de Pompadour, aumônier du roi.
4. Claude de Louvain.
5. Guillaume Briçonnet, évêque de Lodève, puis de Meaux,
ambassadeur à Rome, le célèbre ami de Marguerite de Valois.
Il était fils aine de Guillaume Briçonnet, général des finances,
puis cardinal et premier ministre de Charles VIII. Il eut pour
326 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
seille* , l'abbé de Fescan^ et tout plain d'autres. Lesquelz
furent au devant dudit légat jusques hors la ville, et ainsi
l'amenèrent, estant soubz son poisle^, jusques au grant
domme, ou la descendit et fist ses oraisons; puys tout
a pié, s'en alla avecques lesdits seigneurs loger au
palais, assez près de l'issue dudit domme ; et, le len-
demain, s'en alla au chasteau devers le Roy, ou la luy
fist les recommandacions du pape^ et luy dist plusieurs
nouvelles que chascun ne sceut.
Aussi, durant ce temps, les docteurs en médecine
de Millan, tous ensemble dedans le chasteau en la
grande salle, ou le Roy se trouva, s'assemblèrent ; et,
eulx ainsi assemblez, ung d'iceulx, nommé Ambrosius
Rosatus, s'aprocha du Roy et la luy fist une oraison
en langaige itallien, que le Roy entendoit assez,
lequel dist :
frères Nicolas, contrôleur général de Bretagne, Denis, évêque de
Toulon, puis de Lodève, puis de Saint-Malo, et pour sœur Cathe-
rine, qui avait épousé Tiiomas Bohier, général des finances, que
nous avons vu créer chevalier.
1. Antoine du Four.
2. Antoine Bohier, cousin germain d'Antoine Duprat, abbé de
Fécamp et de Saint -Ouen de Rouen, de la famille financière
des Bohier. Le H novembre 1503, à Lyon, le roi lui fait donner
1,000 livres (TU. orig., Bohier, n° 20).
3. Sous un poêle de damas blanc (Sanuto, VII, 98). A chaque
entrée, le légat gardait le poêle et le donnait à ses gens (v. le
Journal de son voyage, rédigé par le maître des cérémonies Bal-
dassar Nicolai, de Viterbe, aux Archives du Vatican, reg. Pio 61 ,
fol. 117 v° et suiv., analysé dans notre ouvrage la Diplomatie au
temps de Machiavel, t. II, p. 164 et suiv.). C'est sans doute ce qui
fait dire ironiquement par Jean d'Auton : son poêle.
4. « Qui feyt toutes les congratulations que ceulx de ceste
nation la ont bien accoustumé de faire aux princes qui ont la
force entre leurs mains, » dit Saint-Gelais.
Juin 1507J D'UNG TOURNOY ET COMBAT, ETC. 327
a Cristianissime magesté et invictissime Roy, nostre
souverain seigneur, en ensuyvant les honnorables
faietz et œuvres immortelles de voz feuz prédécesseurs,
vivans ores en mémoire et en gestes reluysans, mes-
mement des triumphans Roys, qui jadis par plusieurs
foys secoururent et remirent sus le Sainct Siège apos-
tolicque, et grandes victoires obtindrent contre les
Lombars, que par armes submirent, comme le Roy
Desiderius, Roy des Lombars, ennemy de l'Eglize, que
le preux Roy Gharlemaine vainquit en bataille mortelle
et enmena prisonnier en France, et autres faietz très
recomandables ; vous , sire , comme imictateur de
leurs biensfaictz, en adjoxtant a iceulx titres de glo-
rieuse renomée, avez par armes submys les Lombars
et par deux foys a force conquestez, et les orguilleux
Gennevoys en bataille vaincus et domptez, qui onques
par autres n'avoyent estez abbatus ne soumarchez;
et, par la force inmoderée de vostre redoubté excer-
cite, avez toutes les Italles soumises, desquelles
choses nous nous rejoissons et louons Dieu, comme
très eureulx d'estre soubz la main et en la seigneurie
de tant excellant seigneur et si redoubté prince ;
en suppliant très humblement vostre christianissime
magesté que vostre bon plaisir soit d'avoir tousjours
pour recommandé nostre coUiege et congregacion,
ou a présent sont cinquante docteurs en l'art de
médecine. »
Ce dit, le Roy dist a maistre Jehan Ponchier,
evesque de Paris, qui la estoit présent, l'intencion et
substance de sa responce; lequel Ponchier leur dist
en latin le vouloir du Roy, qui se rejoissoit de leur
bonne visitacion et qui moult agréable avoit le hault
et bon excercice de médecine, et que tousjours les
328 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
auroit pour recomandez, en recognoissant leur grant
savoir, seure expérience et bonne fidélité.
Mainctes bonnes chères et joieulx passetemps furent
lors faictz a Millan, ou chascun s'efforçoit de faire
a qui myeulx myeulx; et, pour cloure le pas, le
Roy fist son banquet après les autres, et ordonna
faire la feste dedans la Roquecte du chasteau, ou les
princes et les cardinaulx, avecques toutes les dames
de feste qui la estoyent, se trouvèrent. Le Roy s'ef-
força de festyer les dames, lesquelles pour luy com-
plaire firent si bonne chère qu'elles burent d'autant et
a toutes mains.
Apres soupper, les dances vindrent en place, ou le
Roy mesmes voulut dancer, qui très bien s'en savoit
ayder ; toutesfoys ne dança guère ; et, comme fut dit,
il dança la marquise de Mantoue, belle dame a mer-
veilles, et puys fist dancer les princes et seigneurs
qui la estoyent, voire les cardinaulx de Nerbonne et
de Sainct Severin, et aucuns autres, qui s'en aqui-
terent comme ilz sceurent.
Apres les dances, le Roy, pour donner nouveau
plaisir aux dames, envoya quérir ses lucteurs, entre
autres deux, dont l'ung estoit breton, et des someil-
liers de sa chappelle, l'autre estoit ung nommé OUi-
vier, des gentishommes du duc de Gallabre, lesquelz
estoyent les meilleurs et les plus fors luyteurs qu'on
sceust trouver nulle part ; et la, devant le Roy et les
dames, se donnèrent actrapes, trousses et grans saulx.
Tant d'autres plaisans deduys et divers esbas furent
la faictz que ce fut merveilles, et tout a l'onneur du
Roy et au plaisir de dames, lesquelles, les unes bien
maries de desemparer si tost, et les autres bien
joyeuses de la veue de tant de belles choses, prindrent
Juin 1507] GOMMANT LE ROY CATHOLIQUE FERRAND, ETC. 329
congé du Roy et s'en allèrent a leur hostelz, ou,
longs jours après, tindrent entre elles parolles des-
dites choses.
Entre ses bonnes chieres et banquetz, le cardinal
de Ferrare, arcevesque de Millan\ fist le sien dedans
son logys de Millan, ou furent conviez le cardinal
d'Amboise, de Nerbonne, de Saint Severin, de la Tri-
moille et les autres qui estoyent lors a Millan, et la
servys et entretenus honnorablement. Et tantost après
ce, le cardinal de la Trimoille^ fut griefvement ma-
lade, et tant que dedans huyt jours après il mourut.
Dont plusieurs en parlèrent comme ilz voulurent, sans
dire pourtant que a ce banquet eust trop mengé de
saulce; mais, toutesfoys, s'il eust esté servy par la
main de ses bons serviteurs, myeulx a l'aventure s'en
fusl trouvé. On dit voluntiers qu'il ne fut oncqu[e]s si
bonne feste ou il n'y eust quelqun mal digne ^.
XXXVI.
Gommant le Roy catholique Ferrand, Roy d'Arra-
GON, ESTANT A NAPLES, MANDA AU ROY Qu'iL S'en
VOULOIT ALLER EN SONDIT PAYS d'ArRAGON, ET QUE
TRES VOLUNTIERS LE VOIRROIT EN PASSANT, S'iL
ESTOIT SON PLAISIR.
Le catholique Roy Ferrand d'Arragon, estant lors en
1. Beau-frère de Ludovic le More.
2. Jean de la Trémoille, frère de Louis, archevêque d'Auch,
évêque de Poitiers, titulaire de 50,000 livres de bénéfices, récem-
ment fait cardinal.
3. Jean Bouchet, à portée d'être bien renseigné, attribue sim-
plement sa mort à une fièvre « continue. » Son coeur fut laissé
330 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
son Royaume de Naples avecquessa femme, Anne (sic)
Germaine de Foix, nyepce du Roy, sachant tout au
vray les honnorables victoires obtenues par le Roy et
les louables triumphes, dist qu'il s'en vouloit aller en
son pays d'Espaigne, et qu'il s'en iroitpar mer ou luy
failloit passer par le plus court et assez près des pays
du Roy en mer; sur quoy advisa et se délibéra de
veoir le Roy a la passée, non seuUement pour l'envye
qu'il avoit de le voir, mais pour craincte qu'il avoit
de sa puissance, qui lors occupoit la mer et la terre
par ou il luy failloit passer ; par quoy luy envoya mes-
sages audit lieu de Millau et lectres contenant com-
mant il estoit sur son parlement pour s'en aller en
ses pays d'Espaigne, et qu'il desiroit surtout a le
veoir et parler a luy a Gennes ou a Savonne ou en
quelque autre lieu qu'il luy plairoit. De quoy le Roy
fut très joyeulx, disant ausdits messagiers que, s'il
venoit, qu'il s'essayeroit de le recueillir honnorable-
ment et le trecter a plaisir, et que le très bien fust il
venu ; et, au surplus, penceroit le lieu plus a main et
pour l'aise dudit Roy d'Arragon; ce qu'il fîst, con-
cluant que a Savonne, ville sur port de mer, de sa
seigneurie de Gennes, le recevroit, et que la parleroint
ensemble; et, des lors, envoya Gaston, conte de Foix,
frère de la Royne d'Arragon, avecques luy James
l'infent de Foix, et autres seigneurs de France pour
aller au devant dudit Roy d'Arragon et accompaigner
le conte de Foix, auquel dist le Roy : « Allez vous
embarcher a Savonne et prenez galleres et brigandins
à Milan, dans l'église des Frères Mineurs, et son corps rapporté
à Thouars.
Juin 1507] GOMMANT LE ROY CATHOLIQUE FERRAND, ETC. 331
pour VOUS mener jusques la, ou sera le Roy d'Arragon,
et luy dictes que audit lieu de Savonne me trouvera
lorsque je sauray sa venue, et me mandez incontinent
par voz cursoires toutes nouvelles, et le plus tost que
pourez. » Ce dit, le conte de Foix et ses gens s'en
allèrent embarcher et se misrent sur mer, tirant vers
le chemin ou pençoyent passer le Roy d'Arragon.
Apres qu'ilz eurent navigué deux journées, le conte
de Foix, qui estoit bien jeune et n'avoit accostumé la
marine, se sentit malade de fieuvres; par quoy falut
prendre terre et se reposer quelque temps, et ce pen-
dant envoya cursoires en mer pour savoir si ledit
d'Arragon estoit prest, lesquelz sceurent que tantost
monteroit en mer, et que, vers la feste de sainct
Jehan Baptiste, seroit a Savonne, ou le Roy luy avoit
ja mandé qu'il se trouveroit.
Le Roy envoya ausi a Savonne ung des mareschaulx
des logis, nommé Anthoyne de Pierrepont, dit d'Ari-
zolles^ avecques partye des fourriers, auquel com-
manda expressément loger ledit Roy d'Arragon dedans
son chasteau de Savonne, ou avoit très beau logis et
fort, assix sur la mer d'ung costé, et d'autre avoit le
domme et la ville, ouquel failloit' monter par une
droicte montée et assez haulte. Ausi voulut que les
gens dudit Roy d'Arragon fussent myeulx logez que
les siens propres, et, actendu que, sans sauf conduyt,
oustaiges ne autre seureté que de sa bonne fyence et
vraye fidélité, il se mectoit franchement entre ses
mains et en sa seigneurie et dangier, voulut et ordonna
1. D'Arizolles mourut en 1510 ambassadeur en Angleterre
(cf. La Mure, Histoire des ducs de Bourbon, III, 226).
332 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
qu'il fust honnouré, logé et trectétout ainsi ou myeulx
que sa personne, et, a ceste cause, transmist a Savonne
deux de ses maistres d'ostelz, nommez l'ung d'iceulx
Jehan Guerin, seigneur de Columbiers, et messire
Rigault Doreille, chevalier, seigneur de Villeneuve ^
ausquelz commanda aller audit lieu de Savonne pour
la faire le préparatoire et appareil de toutes choses
nécessaires pour recueillir, trecter et festyer ledit Roy
d'Arragon ; ausi envoya avecques lesdits maistres
d'ostelz partye de ses officiers pour les servir en cest
affaire ; lesquelz firent telle dilligence que, tout a coup,
eurent vins de Languedoc, de Corse, de Provence et
autres, a plaines caves et celiers, et telle provision de
voUaile, comme pouletz, pigeons, cailles, tourtres et
autres gibier que, en actendant ledit Roy d'Arragon,
plus de mille et cinq cens pièces se perdirent, com-
bien qu'il eussent grandes salles et greniers et autres
lieux a ce propices pour nourir ledit gibier. Pareille-
ment les cytadins de Savonne apresterent les choses
nécessaires et ordonnèrent leur affaire pour recevoir
le Roy et ledit Roy d'Arragon, disant que plus d'hon-
neur ne si haulte gloire sauroint jamais avoir que
d'avoir dedans leur ville l'onneur des Roys terriens et
les plus puissans princes du monde.
Le Roy des Romains , ennemy du Roy et envyeulx
de sa prospérité, estoit lors aux Allemaignes, bien
courrocé de la prise de Gennes et fort dolant de la
gloire des Françoys, disant que ancores, s'il peult,
leur donnera ung allarme, et, pour ce faire, fist asa-
voir a tous les électeurs de l'Empire et a tous les
\. En Auvergne, et de Golombines. V. plus loin.
Juin 1507] GOMMANT LE ROY CATHOLIQUE FERRAND, ETC. 333
tenus et sugeetz au courronnement qu'il estoit déli-
béré et prest de s'en aller a Romme faire la couron-
ner empereur, en les sommant et requérant, comme
obligez et tenuz a ce, de le vouloir accompaigner et
servir; et, pour délibérer de la manière de son voyage
et tenir sur ce conseil, manda les princes et aucuns
prelatz des AUemaignes et seigneurs des cantons et
ligues des Suyces, sugeetz audit couronnement : les-
quelz, assemblez, furent prestz de ouyr le propos et
entendre le vouloir dudit Roy des Romains, lequel
dist en audience :
« Seigneurs et amys, la cause pour quoy vous ay
cy assemblez touche plusieurs choses concernant le
proffict du bien public et l'onneur de nostre impérial
Magesté. Vous savez, premièrement, commant, en toute
la chrestienté, n'a que ung seul Empire temporel, que
noz prédécesseurs, princes alemans, ont longuement
obtenu et possidé, lequel Empire ne fut oncques
vacant si longuement que de noz temps les voyez,
combien que, par la voix des électeurs et vouloir du
peuple, j'en aye par la grâce de Dieu obtenu la plus-
part du tiltre, et ne reste seullement plus que de m'en
aller a Romme la prendre par les mains du Saint
Père le pape la couronne impérial,' laquelle, a l'ayde
de Dieu et par vostre bon secours, j'espère de brief
aller prendre et recevoir. Et, après, assez a cler pou-
vez estre advertys comme le Roy de France, nostre
ennemy, nous a par cy devant oultragé, et de fresche
mémoire, combien que luy eussions mandé qu'il n'en-
treprinst surprendre sur les droictz de la seigneurie
de nostre empire, toutesfoys par armes et a force s'est
emparé de la forte cyté de Gennes, chambre d'Em-
334 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
pire, et icelle soumise du tout a son obéissance et
reduyte a son domaine, pris la foy et serment de
fidélité des seigneurs et du peuple de Gennes, mise
entre ses mains toute la seigneurie d'icelle, cancellez
et anullez ses status et privilleges, cassez les coings
de la monnoye ou nostre ymage estoit inscultée et
escripte, faict trancher testes a plusieurs, faict faire
forteresses et chasteaulx, et, en somme, ladite cyté,
au grant préjudice de nostre Empire, détenue et usur-
pée. Et ancores foys doubte qu'il ne vueille du tout
occupper les Italles et nous contredire le couronne-
ment impérial. Par quoy, a ceste cause, vous ay
mandé, affin que chascun de vous, comme estes tenus
et obligez, me vousissiez donner sur ce conseil, con-
fort et aide. »
Les princes et seigneurs de l'Empire, oyant le dire
et propose du Roy des Rommains, dirent tous qu'ilz
estoyent prestz et appareillez de toute leur puissance
le servir a ses despens envers tous et contre tous, et
que, si son argent estoit prest, que, lorsqu'il voul-
droit, auroit cinquante mille Allemans\ ou plus, si
besoing en avoit. Mais, entre autres, les seigneurs des
Ligues luy remonstrerent comment le Roy de France
et eulx estoyent confederez, et comment ilz avoyent
eu souvant et esperoient ancores avoir grant nombre
de ses deniers, au moyen des guerres qu'il avoit eues
en Lombardye et ailleurs delà les mons; par quoy
n'estoyent délibérez de eulx declairer ses ennemys ne
de servir homme vivant contre luy, si ce n'estoit que
1. 8,000 chevaux et 22,000 hommes de pied, payés pour six
mois, selon Guichardin. La diète de Constance se sépara le
20 août.
Juin 1507] GOMMANT LE ROY CATHOLIQUE FERRAND, ETC. 335
au couronnement du Roy des Rommains voulust con-
tredire ; mais, sur celle querelle, encontre tous autres,
servyroint voluntiers ledit Roy des Rommains. « Or
bien, dist il, soyez prestz au nombre de dix mille
lorsque je vous manderay, pourveu que me veillez
servir envers tous et contre tous. » Les seigneurs des
Ligues et cantons, après se[s]dites choses, envoyèrent
ambaxades devers le Roy pour luy dire et remonstrer
comment ilz estoyent sugetz a l'Empire, mesmement
a servir l'empereur au voyage de son couronnement,
ce qu'il failloit que ilz fissent, comme sommez et
requys de ce faire; mais, si de sa part en vouloit
avoir quelque nombre, que vouluntiers luy en baille-
royent. Ausquelz fist le Roy responce que, s'ilz vou-
loyent servir contre luy le Roy des Rommains, de la
en avant se passeroit d'eulx, en manière que jamais a
sa poye ne seroyent ne n'auroyent gages de luy,
disant : « J'ay en mes pays de France assez hommes
pour me deffendre, o l'ayde de Dieu, du pouvoir du
Roy des Rommains et de tous ses alyez ! » Sur
laquelle responce tindrent conseil les seigneurs des
Ligues et cantons, ou alléguèrent, les aucuns, com-
ment ilz estoyent tenuz de servir l'empereur, mes-
mement au couronnement; les autres disrent que ilz
estoyent tenus ausi de servir le Roy de France, par plu-
sieurs raisons : premièrement, car avoyent aliénée et
confederacion avecques luy; secondement, avoyent
aucuns d'eulx gages et pencions de luy; tiercement,
que cent hommes de leurs pays tenoit tousjours a gages
et a la garde de son corps, qui estoit a eulx moult
grant honneur et proffict; quartement, que en si
bonne extime les avoit tousjours eu, et que, a toutes
336 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
ses guerres, tant en France comme hors France, les
avoit euz a sa soulde et a groux nombre, ce qui de
moult avoit enrichiz et entretenus leurs pays; « et,
quant au regart du Roy des Rommains, oncques ne
nous fist gaigner denier; et si, par avanture, a ce
besoing nous souldoye deux ou troys moys, ce sera
tout ce que de luy pourrons jamais avoir, et perdrons
pencions et gages et souldes et la bienveillance du Roy
de France. Pour ce, est le meilleur de dire au Roy des
Rommains que voluntiers le servirons envers tous et
contre tous, réservé contre le Roy de France. j> Et
ainsi envoyèrent devers ledit Roy des Rommains pour
luy dire le vouloir dé seigneurs des ligues et cantons
des Suyces, de quoy ne fut content ; mais autre chose
n'en fut, si n'est que iceulx Suyces furent devers le
Roy luy dire que, contre luy, ne serviroyent le Roy
des Rommains, mais estoyent tous prestz de le servir,
comme avoyent accoustumé.
Voyant, le Roy, comment le Roy des Rommains
s'aprestoit pour passer, disant qu'il passeroit par la
duché de Millau par force, et que moult grant nombre
avoit de gens d'armes, comme se disoit ; car il estoit
bruyt qu'il avoit dix mille chevaulx et quarente mille
hommes de pié tous près a marcher, ce qui fist demeu-
rer le Roy ancores long temps delà les mons, délibé-
rant, si ledit Roy des Rommains veust passer par
force, de luy donner la bataille et luy garder le pas-
sage, en manière que, premier qu'il le gaigne, cous-
tera la vye de cent mille hommes armez. Et tant ne se
fya au dire et secours des Suyces qu'il n'envoyast en
France quérir dix mille hommes de pié, et y trans-
myst le capitaine Audet Desye, Guillaume de la Hite
Juin 1507] COMME LE ROY PARTIT DE MILLAN, ETC. 337
et aultres, et manda a ung nommé Georges de Duref-
fort, cadet de Duras, et autres capitaines en France,
que a toute dilligence luy amenassent dix mille Gas-
cons, qui, tantost après le mandement du Roy, furent
près et mys a chemin.
XXXVII.
Comme le Roy partit de Millan pour s'en aller
EN AsT ET A Savonne, ou se devoit rendre le
Roy d'Arragon.
Le x^^ jour du moys de jung, le Roy partit de Mil-
lan\ ou de la s'en alla disner a Binasque, dix mille
loings dudit lieu de Millan ; de la s'en alla droict a
Lumel, a Valence, a Felissant et en Ast, ou se repousa
VIII jours ^ en actendant nouvelles du Roy d'Arragon,
qui ancores n'estoit sur mer.
Le Roy, estant en Ast, voulant tousjours pourveoir
a ses affaires, manda venir par devers luy tous ses
capitaines de delà les mons, ausquelz dist : « Vous
scavez que ja long temps a que je suys deçà les mons,
et les exploictz d'armes que, a l'ayde de Dieu, nous
avons faictz sur noz ennemys, lesquelz sont, comme
savez, soumys a la raison et domptez en obéissance,
et, en oultre, comme il a esté bruyt de la venue du
Roy des Romains, ce que ja long temps m'a détenu
de par deçà, me cuydant trouver au devant de luy ;
1. Il y était encore le 11 au matin; il alla le 11 couchera Bere-
guardo. Arch. nat., KK 88, fol. 162.
2. Il en repartit le septième jour au matin; il n'y passa que six
jours. Arch. nat., KK 88, fol. 162 v».
IV 22
338 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
mais est bon a savoir, veu sa longue demeure, qu'il
n'est prest a passer. Or, a toutes fins, j'ay transmys
quérir dix mille hommes de pié en France et x mille
ou plus, qui sont de par deçà, avecques xiiii cens
hommes d'armes, mes deux cens gentishommes et les
deux cens archiers de messire Jacques de Gressol
pour luy mectre en barbe, s'il en est besoing. Je m'en
voys a Savonne, la ou le Roy d'Aragon se doit trou-
ver, comme il m'a mandé, et la esté quelque temps,
je suys dehberé de m'en aller jusques a Lyon. Et, affin
que, si le Roy des Rommains marche, a sa venue me
puisse trouver, et que on ne face doubte de mon
retour, je laisse icy mon escuyrie, mon harnoys, mes
gentishommes et archiers et tout mon sommage, espé-
rant que, s'il marche, d'estre icy vi jours après que
j'en auray sceu vrayes nouvelles. Et, au surplus, vous
veulx a tous pryer et commander, en tant comme je
puys et que vous craignez a m'offencer et desobeyr,
que vous ayez a obeyr au commandement de messire
Charles d'Amboise, mon lieutenant gênerai, tout ainsi
que a ma propre personne, et qu'il n'y ait faulte ; et,
en ce faisant, cognoistrez au besoing que vostre ser-
vice sera par moy guerdonné et voz biensfaictz reco-
gneuz. » Ce propos ainsi fyny, tous les capitaines
françoys luy promisrent, tous a une voix, de ainsi le
faire.
Apres ce, le Roy sceut par ses coureurs que le Roy
Ferrande d'Arragon estoit près a partir de Naples
pour se rendre a Savonne, comme entre eulx avoit ja
esté ordonné, et qu'il auroit avecques luy la Royne sa
femme et grant nombre de dames et bien xiiii cens
gentishommes de ses gens ; sur quoy advisa que dedans
Juin 1507] COMME LE ROY PARTIT DE MILLAN, ETC. 339
Savonne avoit peu de logis pour recullir tout son train
et ceîuy dudit Roy d'Arragon ; par quoy, fist ung rolle
de ses gentishommes et autres, a peu de nombre, les-
quelz ordonna aller avecques luy, et lessa le surplus
en l'Astizanne et en la duché de Millan. Puys s'en par-
tit d'Ast et se mist a chemin, tirant droit a Savonne,
ou ariva le jour de la feste sainct Jehan Baptiste ^ , et
la trouva, au dehors de ladite ville, les seigneurs et
citadins, les processions et le populaire pour le recueil-
lir et honnourer ; lesquelz le convoyèrent en bel ordre
tout le long d'une grande rue parrée jusques a la porte
de son logis, qui estoit ung peu au dessoubz du chas-
teau, le domme entre deulx, et estoit sondit logis la
maison de l'evesque de Savonne, moult belle et bien
apropriée. La dedans s'en entra, ou trouva sa chambre
toute dressée et les officiers de sa maison pour le ser-
vir, chascun en son office. Temps fut de prendre
refreschissement, car lors la challeur estoit audit lieu
tant extremme que les plus legierement vestus a poine
la pouvoyent supporter, et, avecques ce, tant de
petites mouches, picantes comme aguillons, y cou-
royent que chascun en portoit la merche, car la nuyt
sortoyent des fentes et trouz des chambres des mai-
sons, et ceulx qui la dormoyent nudz et descouvers
en estoyent actainctz et piquez, en manière que plu-
sieurs en avoyent corps et visaiges tous bosselez et
rougeollez; mais, en ceste pestillence ennuyeuse, chas-
cun passa le temps comme il peut, en chassant les
mouches, lesquelles couroyent mesmement, et le plus,
a ceulx qui estoyent logez près la marine. A quoy
1. 24 juin.
340 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
tenir se sceut bien le Roy mesmes, qui vers ladite
marine estoit logé.
XXXVIII.
De la venue et entrée du Roy d'Arragon a Savonne,
et du recueil et tregtement que le roy luy fist,
et de la familiarité qu'llz eurent ensemble ^
Le Roy Ferrand d'Arragon estoit ja party de Gayete
et monté en mer pour s'en revenir en Espaigne et
passer par Savonne, comme avoit mandé au Roy. De
quoy le pape adverty s'en alla a Hostie, ung port de
mer, terre d'Eglize, sur la passée dudit Roy d'Arra-
gon, et la fist faire grandes provisions et gros appa-
reil pour le cuyder illecques recueillir et trecter. Mais,
saichant lors, celuy Roy d'Arragon, que le pape n'avoit
eu a gré le voyage du Roy a l'occasion de la prise de
Gennes, dont estoit mal contant, comme se disoit,
pour ne donner occasion au Roy de pencer quelque
chose, et ausi qu'il luy failloit passer par ses dangiers,
ne voulut parler a luy ne descendre a Hostie, mais
luy manda qu'il avoit haste de s'en aller, et le vent a
1. Miniature au fol. cxxiui r" dums., représentant l'arrivée du
roi d'Aragon. A droite, une porte fortifiée avec l'inscription
Savonne, encombrée des archers du roi. En avant de cette porte,
une petite estacade de bois, sur laquelle Louis XII, suivi de trois
ou quatre personnages, reçoit dans ses bras Ferdinand. Ferdi-
nand, sur une passerelle en bois, sort d'une barque aux couleurs
de Louis XII (jaune et rouge), dans laquelle on voit la reine, des
dames, deux cardinaux, divers personnages. Une jetée arrondie,
derrière la porte, est couverte d'une foule bigarrée. La mer est
bleue et semée de barques aux couleurs du roi.
Juin 1507] DE LA VENUE ... DU ROY D'ARRAGON, ETC. 341
gré pour ce faire, par quoy ne pouvoit pour l'eure
arrester, et ainsi passa oiiltre. Le conte de Foix luy
fut au devant, par mer, avecques grande noblece de
France, qui luy dist nouvelles du Roy et commant il
estoit ja a Savonne, pour la le recueillir et festoyer.
Dont s'avança et fist singler a plaines voisles, tant que
bientost fust oultre le havre de Gennes et a la veue
de Savonne, et de la tran[s]mist devers le Roy ung
nommé domp James Darbyon* pour l'advertir de sa
venue, et ausi transmist a Savonne le mareschal de
ses logis avecques ses a pousantadours », qui sont ses
fourriers, pour la mercher ses logis. Ausquelz le Roy
bailla ung nommé Anthoyne de Pierrepont, dit d'Ari-
zolles, mareschal des logys, pour leur monstrer leurs
cartiers et les conduyre partout; ce qu'il fist, et leur
bailla leur cartier près du chasteau, ou estoit ordonné
le logis du Roy d'Arragon.
Le Roy sceut, par ledit domp James Darbyon, que
le Roy d'Arragon estoit près et que a ce jour seroit a
Savonne, dont fut le Roy bien joyeulx, et dist a celuy
domp James Darbyon : « Puys qu'il plest au Roy
d'Arragon, vostre maistre, de me venir veoir en mes
pays, je metray peine de le trecter a ^on vouloir et de
le recueillir joyeusement. » Et, ce dit, luy transmist
au devant maistre Georges, cardinal d'Amboise, les
cardinaulx de Nerbonne, de Sainct Severin, de Final,
d'Alby et de ses princes et seigneurs grousse route,
lesquelz luy furent au devant troys lieues en mer, et
la luy dirent commant le Roy l'avoit ja actendu quatre
jours, et que moult luy tardoit l'eure qu'il ne le veist.
1. Jaime d'Albion, ambassadeur en France.
342 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
Ausquelz fist le Roy d'Arragon joyeuse chère et bon
recueil, disant : « J'ay tant honnourable louenge ouye
du Roy de France, et par expérience tant vertueuses
œuvres en luy cognues que, a ceste cause, raison m'a
meu d'entreprendre le venir jusques en ses pays veoir,
honnourer et visiter, désirant, sur toutes choses, luy
faire compaignye fraternelle et amyable, et prendre
avecques luy familière cognoissance et aliénée perpé-
tuelle, et moy, confyant de son nom christianissime et
très excellente renomée, sans autre seureté que de sa
seulle fidélité, mettre entre ses mains et en ses dan-
giers, disant que plus grant eur ne plus noble com-
paignye ne pourroye au monde rancontrer. »
Ce dit, fist naviguer vers Savonne, duquel lieu se
pouvoyent ja choisir et adviser tout a cler les galleres
et fustes, qui estoyent tendues et tapissées, et avoyent
estandars amont. Pour veoir la venue et arrivée dudit
Roy d'Arragon, qui a voisle tendue approchoit, chas-
cun sortit de Savonne et print place autour du mouUe,
sur la marine et sur les tours et murailles de la ville,
au droict de la venue, en manière que tout estoit plain
de peuple.
A la rive du moulle, par ou le Roy d'Arragon devoit
descendre, le Roy fist faire ung pont de boys, entrant
en mer environ xii pas large, a passer troys hommes
de front, faict a gardes et assix sur pillotiz, et sur la
fousseure couvert d'ung drap rouge actaché a petitz
clouz pour faire la aborder la gallere du Roy d'Arra-
gon et sortir par la do la mer pour entrer en la ville.
Et, lorsqu'il fut environ ung mille près de la ville, le
Roy, avecques tous ses princes, gentishommes et
archiers de sa garde, se trouva au bort du pont.
Juin 1507] DE LA VENUE ... DU ROY D'ARRAGON, ETC. 343
encontre lequel avoit ung hault boulouart, ou je,
avecques plusieurs, montay pour veoir tout a cler la
rencontre des Roys.
Or est a entendre que, dedans les fustes et galleres
du Roy d'Arragon, n'avoit nulz chevaulx : par quoy le
Roy avoit faict la mener en main une mulle richement
harnachée, pour monter ledict Roy d'Arragon; et
avoit commandé aux autres de ses princes qui la
estoyent, et a ses autres gentishommes, qu'ilz eussent
la mulles et haquenées pour bailler aux gentishommes
d'Espaigne et porter en crouppe les dames de la Royne
d'Arragon, dont elle en avoit moult grant nombre
richement accoutrées, et toutes a l'espaignolle, com-
bien que plusieurs d'icelles fussent fransoyses.
En ceste manière, actendoit, le Roy, le Roy d'Arra-
gon, qui tant approcha qu'il entra dedans le moule de
Savonne, ou avoit, pour le Roy, grousse route de navires
armez et artillez, lesquelz commaincerent a tirer artil-
lerie a toutes mains. Pareillement les galleres et fustes
du Roy d'Arragon firent, a l'entrer dudit moulle,
telle meute d'artillerie qu'on n'eust oy la tonner. Le
capitaine Pregent le Bidoulx, avecques ses quatre gal-
leres, couvertes de fleurs de lys, et toutes ensemble,
estoit entré dedans le moulle comme le Roy d'Arra-
gon; et la, après les autres, fîst descharger son artil-
lerie, dont il avoit grousses coulevrines a roe et canons
serpentins, tellement qu'il sembloit que tout basist.
Des tours de la ville et du chasteau pectoit artillerie
comme tonnerre; sur la marine, n'apparroissoit que
feu et fumée ; fin, plus d'une heure continua ce bruyt,
tel que s'estoit chose espouventable a ouyr et merveil-
344 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
leuse a veoir. Aussi estoyent la trompectes et haulx-
boys, qui soufïloyent sans cesser.
Cepandant, le Roy d'Arragon fist mectre de fil ses
galleres, et la sienne, en laquelle il estoit, tirer devant,
laquelle estoit toute couverte et parée de draps de la
couUeur et livrée du Roy, c'est, assavoir de jaune et
rouge; et tous les mathelotz et rameurs vestus de
jaune et rouge, avecques cappetes de mesmes. Ses
autres galleres et fustes estoyent richement accous-
trées et parées de mesmes. Quoy plus? le Roy d'Ar-
ragon fist adresser sa gallere droict au pont, ou le Roy
estoit : lequel, lorsqu'il vit approcher la gallere du
Roy d'Arragon, comme d'ung demy gect de pierre
près, descendit de sa mulle et s'en alla sur le pont,
ou ja abordoit la gallere, et si près que l'escalle de
ladite gallere, premier que le Roy fust au bort dudit
pont, fut dessus avalle. Ce faict, le Roy marche celle
part, et s'en entra dedans ladite gallere, avecques luy
deux de ses gens seullement, c'est assavoir messire
Charles d'Amboise, son lieutenant delà les mons et
grant maistre de France, lequel fist entrer dedans, et
messire Galeas de Sainct Severin, grant escuyer de
France, lequel entra après îuy.
Le Roy d'Arragon fut auprès du bort de l'escalle,
lequel, tout en l'eure que le Roy fut entré, mist le
bonnet au poing et le genoil en terre, et le Roy après,
en eulx embrassant assez longuement. Ce faict, le Roy
fist bailler les clefz de la ville au Roy d'Arragon, lequel
les receut amyablement, et puys les fist retourner
entre les mains du Roy, lequel dist au Roy d'Arra-
gon : a Allez vous en devant, je m'en voys amener la
Juin 1507] DE LA VENUE ... DU ROY D'ARRAGON, ETC. 345
Royne ; » laquelle fut la présentée au Roy par le car-
dinal d'Amboise, et icelle, le genoil en terre, fist la
révérence au Roy, lequel auxi la baisa et la prist par
la main pour la enmener. Cependant le Roy d'Arra-
gon et le cardinal d'Amboise, viz a viz de luy, chemi-
nèrent le pont. Le Roy d'Arragon descendit le pont,
ou la atouchant luy fut présentée la muUe que le Roy
luy avoit ordonnée, sur laquelle il monta, et actendit
la a venir le Roy, qui amena la Royne sa nyepce jusques
sur le pont ; puys se mist devant et dist de loings au
Roy d'Arragon, qui l'actendoit : « Marchez, marchez,
je meneray la Royne après; » ce que ne voulut le Roy
d'Arragon, mais, le bonnet au poing, disoit qu'il n'yroit
point. Et tandis le Roy monta sur sa mulle et fîst mon-
ter derrière luy la Royne ; puys, dist au Roy d'Arra-
gon : « Allez devant, car la costume de France n'est
pas que les femmes tiennent le rang de leurs maris ; b
et adonc se mist devant, jusques a l'entrée du portai
de la ville, près dudit pont de xx pas ou environ.
A l'entrée dudit portai furent les seigneurs de la
ville, tenant ung large poisle soubz lequel se misrent
les Roys et la Royne d'Arragon. Le cardinal d'Amboise
et Gonsalles Ferrande, duc de Terrenove, marchoient
les premiers après les Roys. D'autres princes estoyent
la du party du Roy : le duc d'Allençon, le duc de
Rourbon, le duc de Longueville, le duc d'Albanye, le
conte de Foix, le conte de Vandosme, le marquys de
Mantoue, le marquys de Monferrat, et d'autres grande
baronnye, avecques les cardinaulx susdits. Avecques
le Roy d'Arragon estoyent des principaulx : Gonsalles
Ferrande, duc de Terrenove en Callabre, le duc de
346 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
VilleformoseS le conte d'Arande^, le marquys de
Suye, domp Jehan d'Arragon^ domp Ferrande de
Tholedo, domp Anthoine de Gardonne, filz du duc de
Gardonne; le conte de Gapache*, dit Villemarin, capi-
taine de toutes les galleres du Roy d'Arragon, et grant
nombre d'autres seigneurs et gentishommes espai-
gnolz, lesquelz eurent la chevaulx tous près pour les
mener jusques a leurs logis. Ausi furent montées toutes
les dames en cruppe et menées par les Françoys
jusques au chasteau.
Depuys l'entrée de la porte de la ville jusques a
l'entrée dudit chasteau, au[x] deux costez de la rue ten-
due, estoient les archiers de la garde et les Allemans
du Roy, tous en ordre et a pié, la hallebarde au poing,
entre lesquelz passèrent les Roys : ce que, entre autres
choses, regarda voluntiers le Roy d'Arragon et ses
Espaignolz.
Toute ceste rue estoit tendue et couverte de ver-
dure, et, en approchant du chasteau, avoit au travers
de ladite rue ung arceau de verdure, ou avoit en
escript ses mectres :
Quis me felicera, qui me neget esse beatam ?
Ecce habeo Regum, leta Saona, decus.
Qui veult nyer qu'en tout eur je riabhonde,
Quant en moij est Vonneur des Boys du inonde ?
\ . Probablement de Yilla-Hermosa.
2. Aranda.
3. Le bâtard don César d'Aragon était pensionnaire de la cour
de Franco jjour 4,000 livres (quittance du 20 février 1502, a. st.
TU. orig., Aragon, n» 3).
4. Capaccio.
Juin 1507] DE LA VENUE ... DU ROY D'ARRAGON, ETC. 347
Le Roy doncques, en la manière susdite, convoya
le Roy d'Arragon jusques au dedans du chasteau et,
eulx descendus de cheval, le mena jusques en la salle,
et puys conduyt la Royne jusques en sa chambre ; et,
après quelque joyeulx propos tenus entre eulx , le
Roy avecques ses gens s'en alla a son logis, et chascun
des autres se retirèrent en caze.
Et n'est a oublyer que le Roy d'Arragon, voulant
monstrer la grande seureté et singulière fience qu'il
avoit du Roy, ne voulut menger d'autres viandes que
celles qu'il luy avoit faict aprester, sans vouloir estre
servy que par la main des officiers du Roy et en sa
vaisselle, dont il y en eut d'or a grant quantité, et
d'argent a places couvertes. Ausi, pour sa personne
et pour la Royne, ne voulut avoir autres lictz, ne dor-
mir ailleurs que dedans les lictz de camp et le linge
que le Roy avoit faict aprester pour eulx au chasteau .
Ce soir, les Roys soupperent chascun a son logys,
l'ung et l'autre servis d'une sorte de vin, de pareilles
viandes et par mesmes officiers, c'est assavoir par les
officiers du Roy, qui misrent extrême dilligence et
toute cure pour bien servir et honnorablement trecter
le Roy d'Arragon, car ainsi le vouloit le Roy.
Apres soupper, les varletz de chambre du Roy
furent dresser la chambre et parer le lict du Roy d'Ar-
ragon, lequel ne voult que aucuns des siens y tou-
chassent; ains, premier que nul desdits officiers du
Roy sortissent de la chambre, voulut estre couché.
Et ce faict chascun se retira.
Au dedans du chasteau et tout autour de la chambre
du Roy d'Arragon estoient les princes d'Espaigne qui
la estoyent, comme Gonsalles Ferrande, duc de Terre-
348 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
nove, et sa femme^ le duc de Villeformose, le conte
d'Arande, le marquys de Suye et aucuns autres, pour
lesquelz les princes et seigneurs de France avoyent la
faict porter et dresser de leurs lictz de camp ce qu'il
y en failloit, et ausi pour les dames de la Royne, tant
que chascun fut illecques ausi bien couché, ou myeulx
par avanture, qu'il n'eust esté en sa propre case.
Le Roy, tantost après soupper, voulut reposer,
comme celuy qui toute jour n'avoit eu passetemps
que de presse et de bruyt, dont estoit tout ennuyé et
fatigué, par quoy se mist au lict pour prendre repos.
Les seigneurs et autres gentishommes espaignolz,
qui estoient logez par la ville, trouvèrent leurs cham-
bres tandues et lictz de camp dressez que les Fran-
çoys leur avoyent la faict apprester, et le banquet
partout, ou messire Jacques de Ghabbanes, seigneur
de La Palixe, et plusieurs des capitaines françoys et
autres gentishommes de la maison et des pencionnaires
du Roy se trouvèrent pour accueillir, trecter et fes-
tyer les Espaignolz, combien que, peu de temps
devant ce, eussent entre eulx eu mortelle guerre et a
la deffortune des Françoys. Mais d'autre chose n'es-
toit lors nouvelles que de bien festyer lesdits Espai-
gnolz ; ausi estoit ce le plaisir du Roy et courtoisie
des siens : de quoy lesdits Espaignolz, de ce rejoys et
contantz, s'esmerveillerent, en recommandant de
moult la mode liberalle de France.
Le cardinal Saincte Praxede, légat lors en Lombar-
die, estoit a Savonne ; lequel délibéra le lendemain,
jour de la feste sainct Pierre et sainct Pol, de chanter
1. Duna Maria Manrique de Hito-Banos.
Juin 1507] DE LA VENUE ... DU ROY D'ARRAGON, ETC. 349
messe en note au grant domme de Savonne, pour
l'onneur du prince des apostres, duquel estoit la grande
sollempnité, et des deux plus grans Roys de la chres-
tienté, qui la estoyent presens; et pour ce, au matin,
sur le point de viii heures, avecques plusieurs des
autres cardinaulx qui la estoyent, et tout plain d'eves-
ques et autres prelatz, fut prest a dire la messe, a
laquelle se voulurent ensemble trouver les Roys.
Le Roy d'Arragon, sachant que le Roy vouloit aller
a ceste messe, luy voulut tenir compaignye; et luy,
avecques grant nombre des princes et seigneurs d'Es-
paigne, descendit du chasteau et s'en alla au logis du
Roy, qui ja estoit prest et l'actendoit pour aller a
l'eglize. Les archiers de la garde et les Allemans
estoyent arrengez a deux rangz, depuys la porte de
la chambre du Roy jusques devant le grant autel du
domme, pour la faire faire place et départir la presse,
qui estoit moult grande. Les deux Roys furent ensemble
par l'espace d'une bonne heure, ou ung peu plus, et
la parlèrent de toute joyeuseté.
Et, lorsqu'il fut temps d'aller a la messe, le Roy,
voyant la franchise et hberalité du Roy d'Arragon,
qui, sans autres hostages que de la seulle fience qu'il
avoit en luy, s'estoit ainsi mys entre ses mains, se
délibéra luy faire tout l'onneur qu'il pourroit, et luy
dist qu'il se mist devant : lequel ne voulut, disant
qu'il ne luy appartenoit, et qu'il n'yroit point. Et
voyant, le Roy, qu'il ne vouloit marcher, dist de
rechief : « Marchez devant, car si j'estoye cheux vous
et en voz pays, sachez que je feroye ce de quoy me
prieriez ; et, pour ce qu'estes en mes pays, vous en
ferez ainsi, car je le veulx, et si vous en prie. » Et, ce
350 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
dit, le Roy d'Arragon se mist devant, et le Roy après.
A l'issue de la porte du logys du Roy, a luy se vint
présenter ung nommé Miquel Pastor, cathellan^, capi-
taine de quatre galleres que le Roy d'Arragon avoit
transmises au Roy a Gennes ; lequel Pastor demanda
chevallerye au Roy, et qu'il luy pleust le faire cheva-
lier de sa main : ce qu'il fist voluntiers, en luy baillant
l'accollée, ou nom du bon chevalier Sainct George.
Et, ce faict, la fut ung foui, qui estoit au Roy d'Arra-
gon, lequel commainça a crier a plaine teste : « 0 sei-
gneur Miquel Pastor, le très eureulx, qui est ores faict
chevalier de la main du plus noble et du plus grant
Roy de tout le monde ! »
Tout cela faict, les Roys cheminèrent vers l'eglize ;
a leur queue, grant suyte de princes et prelatz. Ainsi
cheminèrent jusques a la porte de ladite esglize, et la
se prindrent les deux Roys par les mains, le Roy
d'Arragon a la haulte main, et cheminèrent jusques
devant le grant autel, ou avoit deux chaires parées,
desquelles l'une estoit pour le Roy et l'autre pour le
Roy d'Arragon, atouchant l'une de l'autre et d'une
mesme haulteur; et, au devant desdites chaires, ung
banc couvert de drap d'or, de la haulteur du siège
desdites chaires, ou ung peu plus hault, pour la des-
sus appuyer les Roys et eulx agenoiller devant; et
estoyent assises icelles chaires sur main destre, en
montant audit grant autel. A main senestre, avoit une
autre chaire plus haulte, viz a viz de celle des Roys,
ordonnée pour le légat, cardinal Saincte Praxede.
Les Roys furent en leurs chaires, et la messe comain-
1. Catalan.
Juin 1507] DE LA VENUE ... DU ROY D'ARRAGON, ETC. 351
cée par les chantres du Roy d'Arragon et aucuns de
ceulx du Roy, qui la n'avoit mené tous les chantres
de sa chappelle, pour la presse^. Or, s'en alla ledit
cardinal Saincte Praxede, en ses pontificaulx habitz,
devant le grant autel, ou illecques, tout environné de
prelatz, fist l'introite de sa messe et puys se retira en
sa chaire, tournant la face vers les Roy s ; et la, tout
assix, chanta la messe, jusques au Per omnia.
Du costé des Roys, fut mys ung grant banc de long
entre le grant autel et les chaires, ou furent assix,
premièrement et au plus hault, Charles, duc d'Alençon ;
après, GonsallesFerrande, puys le conte de Vandosme ;
Francisque de Gonsago, marquys de Mantoue ; Jehan
Guillerme, marquys de Monferrat, et quelques autres
des seigneurs d'Espaigne. De l'autre costé, estoyent
assix sur ung autre banc les cardinaulx d'Amboise,
de Nerbonne, de Sainct Severin, de Final, de Bayeulx
et d'Alby, avecques tout plain d'arcevesques et eves-
ques, qui estoyent la tous droictz. Tout auprès du Roy,
estoit debout Françoys d'Orléans, duc de Longueville,
lequel estoit au derrière de la chaire, appuyé tout
encontre; ausi estoyent la tout autour Jehan Stuart,
duc d'Albanye, Loys d'Orléans, marquys de Routhe-
lin, messire Charles d'Amboise, grant maistre de
France, le seigneur Jehan Jourdan, Jacques de Bour-
bon, conte de Roussillon, messire Jacques de Cha-
1. Louis XII aimait fort la musique (voy. l'Épître de Marie
d'Angleterre dans les Épitres familières de Bouchet). De Savone
même, il écrivit, le 27 juin, aux Florentins pour leur demander
la grâce d'un détenu, le frère Alexandre « Gopin, » tant comme
religieux que « aussi pour les vertu et sciencez de musique qui
sont en sa persone » (GhampoUion-Figeac, Documents historiques
inédits, I, 676).
352 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
bannes, seigneur de La Palixe, et tous ses chamber-
lans, avecques grant nombre de ses gentishommes
et pencionnaires. Autour du Roy d'Arragon, estoyent
ausi grant nombre de princes et seigneurs d'Espaigne.
C'estoit, a bien le prendre, une assemblée digne d'ami-
ration et de triumphe souverain.
Que fut ce ? l'evangille de la messe fut dict par ung
evesque, qui faisoit le dyacre, lequel, après ce, prinst
le livre ouvert au droict de l'evangille et le porta aux
Roys qui estoient apuyez sur le banc, et joignant l'ung
de l'autre; et, premièrement, présenta l'evangille a
baiser au Roy, lequel l'adressa au Roy d'Arragon, qui
ausi la reffusa ; et, ce voyant, l'evesque arresta le livre
ouvert entre eulx deux; lesquelz tout a la foys bai-
sèrent l'evangille, l'ung d'ung costé et l'autre d'autre.
La paix fut pareillement portée aux Roys par ledit
evesque, lequel ausi la présenta premièrement au Roy.
Mais en fut faict comme de l'evangille : car tous deux
a la foys la baisèrent au pié, qui estoit une croix, ayant
le bas en la façon et largeur d'ung pié de calice.
La messe dicte, la bénédiction fut donnée par ledit
cardinal Saincte Praxede, qui avoit la toute la puis-
sance du pape : a laquelle les Roys et toute la sei-
gneurie plyerent les genolz et joignirent les mains.
Et, après la benedicion donnée, le cardinal d'Am-
boise se leva et approcha les Roys, en leur disant qu'il
failloit aller a l'autel pour avoir le baiser de paix ;
lesquelz se misrent a marcher vers l'autel ; et le cardi-
nal Saincte Praxede avança le pas vers eulx, pour
leur donner osculum pacis; et la, eut refus a l'onneur
d'ung costé et d'autre. Mais le Roy, sachant honneur
estre réciproque et retourner a qui le faict, et comme
Juin 1507] DE LA VENUE ... DU ROY D'ARRAGON, ETC. 353
estant cheux luy, voulut tousjours faire l'onneur au
Roy d'Arragon; par quoy fîst signe audit cardinal
qu'il s'adressast premier a luy : ce qu'il fist, puys au
Roy. Ce qui sembloit a plusieurs prejudicier a l'on-
neur de France, disant que la prééminence d'onneur
sur tous les Roys cristiens appartient au Roy de France
comme au plus noble des humains, et que, entre autres,
est dit seul et intitulé, par prérogative et excellence,
le Roy Ghristianissime. Mais d'a[u]cune chose ne peult
prejudicier au Roy l'onneur par luy faict a autruy
libéralement et non accepté par auctorité, comme fist
tousjours le Roy d'Arragon, qui, a tous honneurs,
refussa l'avantaige, premier que l'accepter, sachant
ausi que, par le maistre des cerimonies, a Romme,
sur et devant tous autres Roys chrestiens, le Roy de
France est le premier aux honneurs^.
Pour entrer en propos, après la messe dicte, les
Roys s'en allèrent ensemble, comme devant; et, a
l'issue du domme, montèrent sur leurs mulles et tirè-
rent vers le logis du Roy, jusques devant la porte, ou
illecques se départirent. Le Roy s'en entra en son
logis, et le Roy d'Arragon s'en alla disner au chasteau.
Apres que les Roys eurent disné chascun a son logis,
lesquelz ancores n'avoyent ensemble f^enu propos que
de joyeulx passetemps, pour dire de plus, sur le point
de XII heures du matin, le Roy, accompaigné d'au-
l. Rome était, en effet, la grande régulatrice du cérémonial.
Le roi de France y passait immédiatement après l'empereur,
avant les autres rois (voy. la Diplomatie au temps de Machiavel.
Cf. Mémoires concernans la préséance des roys de France sur les
roys d'Espaigne, par T. Godefroy, advocat en parlement. Paris,
Chevalier, 1612, in-A".
IV 23
354 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
cuns de ses princes et du cardinal d'Amboise, s'en
alla au chasteau voir le Roy d'Arragon, lequel luy
vint, a bas, au devant. Et eulx ensemble remontèrent
et parlèrent en chambre, touchant aucunes choses
segretes entre eulx ; pour lesquelles communiquer et
deduyre, et que l'affaire d'entre eulx requeroit quelque
peu de prolixité de langage, le Roy voulut que le car-
dinal d'Amboise, en qui se fyoit de moult, eust ceste
charge a mener et a trecter, en son lieu, avecques le
Roy d'Arragon, de la menée entre eulx entreprise.
Et, pour ce, ledit Roy d'Arragon et le cardinal d'Am-
boise se retirèrent dedans une chambre a part ; et la
furent eulx deux ensemble par l'espace de troys grosses
heures ou plus. Et je, qui lors estoye la dedans une
salle avecques plusieurs, et près de la porte de la
chambre ou se tenoit le conseil, combien que j'eusse
bonne envye de savoir du trecté quelque chose, toutes-
foys, ce fut pour moy ung segret escript en lectres
fermées et ung conseil célébré a porte close. Mais l'op-
pinion de chascun estoit que la se trectoit quelque
amour fraternelle, perdurable paix et seure ahence.
Que fut ce? ledit Roy d'Arragon et ledit cardinal
d'Amboise, après leur conclusion faicte, sortirent de
la chambre et s'en allèrent en la chambre ou estoit le
Roy, lequel advertirent de tout ce qu'ilz avoyent trecté
et conclut. Et la firent les deux Roys, entre eulx, les
promesses qu'ilz voulurent et parlèrent en segret, et
premièrement de leurs affaires.
Et après ce, le Roy fut deviser avecques la Royne
d'Arragon, sa nyepce, laquelle puys en enmena soup-
per a son logis, avecques grant nombre de ses dames
et des seigneurs d'Espaigne pour la convoyer, laquelle,
Juin 1507] DE LA VENUE ... DU ROY D'ARRAGON, ETC. 355
après soupper, renmena jusques au chasteau. Et la
parlèrent, luy et le Roy d'Arragon, assez long temps;
puys s'en retourna a son logis, ou ledit Roy d'Arra-
gon le voulut reconduyre ; mais ne le voulut souffrir.
Tantost que le Roy fut retourné a son logis, les capi-
taines des gardes furent, avecques les quatre cens
archiers et les cent Allemans, devant et tout autour
du logis du Roy ; et la assirent leurs guectz, ou toutes
les gardes estoyent tousjours : ce que le Roy d'Arra-
gon et les seigneurs d'Espaigne regardoyent volun-
tiers, et se mectoyent aux creneaulx du chasteau tous
les soirs, pour veoir de la asseoir le guect, ce qui fai-
soit beau a regarder : car, sceion commun dire, il n'y
avoit prince en toute chrestienté qui eust telle garde
et si bien ordonnée.
Nouvelles vindrent lors au Roy que la Royne estoit
grosse ; lesquelles nouvelles apporta ung nommé mes-
sire Jehan Le Roux, seigneur de la Tour, des gentis-
hommes de la Royne, auquel le Roy fist très joyeuse
chère, et fist publier les nouvelles par tous ses pays
de delà les mons ; dont furent faictz partout les feuz
de joye.
La Royne, qui lors estoit a Grenoble, ou Daulphiné,
d'eure en heure avoit nouvelles du Roy et si grant
envye de le veoir que a toute heure luy escripvoit
qu'il s'en retournast en France ; et ausi Madame Claude
luy prioit, par tous messagiers, qu'il s'en revint en
ses pays : par quoy luy tardoit qu'il n'estoit a chemin,
disant que, tout en l'eure que le Roy d'Arragon seroit
deslogé, que sans séjour se mectroit en voye.
Pour continuer propos, doncques le lendemain de
la feste Sainct Pierre et Sainct Pol, qui fut le derre-
356 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
nier jour du moys de jung, les Roys ouyrent messe a
part et disnerent chascun a son logis.
Et, après disner, le Roy, avecques grosse suyte de
seigneurye de France, fui veoir le Roy d'Arragon au
chasteau, ou la divisèrent longuement ensemble.
Puys la Royne et ses dames furent en place pour
dancer. Les Roys dancerent chascun son tour ; et puys
les princes estans la presens et autres gentishommes
françoys et espaignolz ranforcerent les dances. La me-
nèrent les Roys et autres de leurs suyte[s] très joyeuse
vye et plaisant passetemps, qui dura jusques sur l'eure
de vespres. Et, lorsque fut temps de soupper, le Roy en
enmena a son logis le Roy et la Royne d'Arragon pour
soupper avecques luy ; et, lorsque tables furent cou-
vertes, les Roys et la Royne lavèrent^ ensemble, et
après fut baillé a laver a Gonssalles Ferrande . L'acciepte
fut telle que le Roy fist mectre a l'onneur le Roy d'Arra-
gon, puys se assist après, et la Royne ^ en enssuyvant ;
et au bas bout du banc fist assoir Gonssalles Ferrande.
Auprès du banc, ou estoyent assix les Roys et Gons-
salles^, du costé du bas bout, fut mys ung autre
banc et une petite table ; et la fut assize une dame d'Es-
paigne, dame d'honneur de la Royne. Durant le soup-
per, furent la tenus maintz plaisans propos et divisé
de choses joyeuses, et les Roys très haultement ser-
viz, car chascun mectoit dilligence a ce faire. Apres
1. Se lavèrent les mains.
2. Les Français trouvèrent à la reine une « merveilleuse
audace » et l'accusèrent de peu de courtoisie, même envers son
propre frère Gaston de Foix {le Loyal sej^viteur).
3. On remarqua extrêmement l'honneur rendu par Louis XII
à Gonsalve de Gordoue (Guichardin).
Juin 1507] DE LA VENUE ... DU ROY D'ARRAGON, ETC. 357
soupper, l'eau fut apportée pour laver les mains : si
se lavèrent les Roys et la Royne ensemble ; et puys
fut baillé a laver audit Gonssalles Ferrande, qui tenoit
grosse gravité. Or, furent les Roys a diviser la long
temps ; et après sortirent du banc, ou tousjours avoit
demeuré ledit Gonssalles quant et eulx.
Le Roy d'Arragon s'enquist lors ou estoit messire
Hérault Stuart, seigneur d'Aubigny, disant qu'il le
verroit voluntiers, pour ce qu'il le cognoissoit moult
bon chevalier et sage, et que autres foys l'avoit veu en
Espaigne et en Grenade a son secours contre les Mores,
et la faire maintes proesses ; dont avoit grant envye
de le veoir. Lequel seigneur d'Aulbigny estoit en la
ville malade de goûte a son logis. De quoy fut adverty
le Roy d'Arragon, lequel dist : « Et vrayement, puys-
qu'il est malade et qu'il ne peut venir icy, je l'iray
veoir jusques a son logis. — Or, allez, dist le Roy, et
ce pandant, je meneray la Royne a l'esbat. » Et dist
a messire Gabriel de La Ghastre : « Allez avecques
voz cent archiers conduyre le Roy d'Arragon jusques
au logis de mons"" d'Aulbigny. » Et ce dit, le Roy
d'Arragon et Gonssalles Ferrande, avecques grousse
suyte de barronnye d'Espaigne et de France, et mes-
sire Gabriel de La Ghastre avecques ses cent archiers
pour le conduyre, s'en alla droict au logis du seigneur
d'Aulbigny : lequel estoit tant pris de goûte qu'il ne
se pouvoit lever sans ayde ; et, lorsqu'il sceut que le
Roy d'Arragon luy faisoit l'onneur de le venir veoir
jusques a son logis, se fist lever et porter en une
chaire jusques a la porte de sa chambre, ou le Roy
d'Arragon le trouva, comme il se faisoit porter au
358 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juin 1507
devant de luy jusques dehors ; ou, si tost qu'il apper-
ceut le Roy d'Arragon, se fîst mectre bas, le genoil
en terre, et dist : « Ha ! sire, et commant pourray je
a suffire rendre grâces a vostre catliolicque magesté,
d'avoir pour moy prise la peine a venir jusques cy
quant je plustost me devoye a piedz et a mains ache-
miner que vous veoir prendre ce travail. Mais plaise
vous savoir, sire, que l'empeschement de mon mal
(qui tant ne me griefve que l'ennuy de vostre peine)
m'a defFendu la voye et coppé le chemin et mys en
Testât que chascun me peut veoir. Toutesfoys, sire,
pour le boneur de vostre joyeuse Visitation, mon mal
est tout alliegé, et moy tout sain, ce me semble. »
Lors le Roy d'Arragon approcha le seigneur d'Aulbi-
gny et mist pié a terre, puys l'embrassa, en luy fai-
sant moult bonne chère et joyeulx visage. Gonssalles
Ferrande, pareillement, et les autres seigneurs d'Es-
paigne, qui la estoyent, luy firent grant honneur; et
puys le Roy d'Arragon le fist retourner en sa chambre
et remectre au lict, ou s'assist auprès de luy. La fut
apporté la collacion, ou beurent ensemble, et ceulx
qui la furent presens.
Le Roy d'Arragon et le seigneur d'Aulbigny divi-
sèrent longuement, en parlant de leurs vieilles guerres
de Grenade et de plusieurs autres bons propos et
joyeuses choses ; et, ce faict, ledit Roy d'Arragon dist
adieu audit seigneur d'Aulbigny et s'en retourna au
chasteau, les archiers du Roy, a pié, autour de luy, et
messire Gabriel de La Ghaslre, auquel parla tout le
long de la rue jusques au chasteau, et luy demanda
du faict et de Testai des gardes du Roy et de ses
Juin 1507] DE LA VENUE ... DU ROY D'ARRAGON, ETC. 359
gentishommes, qu'il reputoit a grande chose et trium-
phalle ordonnance^.
Tandis que le Roy d'Arragon fut au logis du
s"" d'Aulbigny, le Roy avoit mené la Royne d'Ar-
ragon sur la marine a l'esbat, ou, des navires et
galleres de France et d'Espaigne qui la estoyent,
furent tirez coups d'artillerye a l'envyz, et la dedans les
mathellotz se gecterent d'amont en bas et donnèrent
au Roy divers passetemps ; et puys le Roy, qui avoit
la Royne d'Arragon en crouppe derrière luy, l'en rem-
mena au chasteau, ou ja estoit le Roy d'Arragon, qui
se trouva en la basse court au devant du Roy ; et la
firent collacion et parlèrent quelque temps ensemble,
puys chascun s'en retira.
Dedans les galleres du Roy d'Arragon estoient lors
plusieurs Françoys tenus par force, lesquelz avoyent
esté priz durant le temps des guerres de Naples et
mys en galiere : dont les aucuns furent cognuz et leur
cas remonstré au Roy, qui les demanda audit Roy
d'Arragon ; lequel les promist a faire délivrer, ce qu'il
fist depuys.
Apres que le Roy et le Roy d'Arragon furent dépar-
tis du chasteau, comme j'ay dit, le, Roy d'Arragon
transmist a Gaston, conte de Foix, son beau frère,
deux colliers d'or, jusques a son logis, avecques une
raspiere et la saincture pour mectre en escherpe, le
tout riche a merveilles : car les deux chaynes pesoyent
chascune mille escus, desquelles l'une estoit faicte a
quatre groux chaynons doubles, et l'autre a menu
ouvraige, laquelle pouvoit faire plusieurs tours au-
1 . D'après le Loyal serviteur, le roi d'Aragon témoigna, de son
côté, beaucoup de considération à Louis d'Ars et à Bayard.
360 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juillet 1507
tour du coul, et toutes garnyes de riche pierrerye.
Lorsque le Roy fut retiré en sa chambre, les capi-
taines de gardes assirent leurs guectz tout autour de
sa chambre et de son logis, en manière qu'il se pou-
voit dormir tout seurement.
Ausi fut faict comandement de par le Roy, a la peine
de grosse amende, par toute la ville de Savonne, que,
incontinent le jour couché, chascun chief d'oustel eust
a mectre devant sa fenestre, sur la rue, une torche
ou chandelle ardant jusques au jour, affin que, de
nuyt, par les rues, n'y eust nulle brigue, et que nul
ne peust aller ne sortir en rue qui ne fust cognu et
ad visé : ce qui fut faict continuellement durant le temps
que le Roy d'Arragon fut audit lieu de Savonne, et
tellement que par la ville faisoit la nuyt ausi cler, ou
a peu près, que de jour.
La n'eut, entre les Françoys et Espaignolz, une
seule question ne parolle que d'amytié. Ausi avoit faict
le Roy deffendre a tous Françoys, a peine de la hart,
de ne prendre débat ne dire parolles injurieuses aus-
dits Espaignolz, et comandé que chascun mist toute
peine de les bien trecter et accueillir : ce que chascun
fist a son pouvoir.
Le premier jour du moys de juillet, les Roys, après
leur messe ouye'', disnerent chascun a son logis; et,
le vespre venu, le Roy et la Royne d'Arragon furent
soupper au logis du Roy, ou, comme devant, mist ledit
Roy d'Arragon a l'onneur, combien que tousjours le
refusast, le bonnet au poing, mais ainsi le failloit faire
pour le mieulx. A ce soupper, furent les Roys servys
1. Louis XII l'entendait tous les jours (Arch. nat., KK. 88,
fol. 171 v).
Juillet 1507] DE LA VENUE ... DU ROY D'ARRAGON, ETC. 361
par les officiers du Roy, qui très appoinct s'en acqui-
terent, comme costumiers de ce faire. Viandes exquises
et vins delicieulx furent a largece la mys en avant, et
faict entre les Roys vie privée et familière, et chère
joyeuse et amyable.
Messire Charles d'Amboise, grand maistre de France
et lieutenant du Roy delà les mons, fîst a celuy soir son
banquet a Gonsalles Ferrande, ou furent plusieurs des
autres princes et seigneurs d'Espaigne : pour lesquelz
festyer et entretenir furent la des Françoys ceulx les-
quelz on extimoit plus sollempnelz et gens de feste ;
et entre autres y estoit messire Jacques de Chabbanes,
seigneur de La Palixe, lequel estoit moult beau che-
valier et grant, et l'ung des plus hardis et adroictz,
et des myeulx extimez qu'on sceust, que plusieurs des
Espaignolz qui la estoyent cogneurent bien, car autres
foys l'avoyent veu en la Poille et en des lieulx ou plus
le doubtoyent a rancontrer que audit banquet, ou
ledit seigneur de La Palixe et les autres Françoys qui
la estoyent mectoyent toute dilligence a bien trecter
et entretenir ledit Gonssalles et les autres seigneurs
d'Espaigne. Ausi messire Charles d'Amboise, qui fai-
soit le banquet, leur faisoit la meilleur chère de quoy
se pouvoit adviser, et de l'onneur ce qu'il pouvoit.
A toutes ses bonnes chères estoyent gentishommes
atitrez pour quaqueter a plaisir et dire choses nou-
velles et plaisantes; desquelz estoyent messire Mery
de Rochechouart, seigneur de Mortemar, qui disoit
merveilles, messire Germain de Ronneval, gouverneur
de Limosin, le seigneur de Janlys et tout plain d'autres
gentishommes, lesquelz a l'envy dirent estranges nou-
velles, et firent nouveaulx comptes, et donnèrent a
362 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juillet 1507
iceulx Espaignolz tant de divers passetemps que, après
ce, disoyent que oneques n'avoyent trouvé meilleur
compaignye ne si plaisante.
Or eurent souppé les Roys et la Royne, et après
s'en allèrent dedans ung beau jardrin la dedans bien
cloz a grosses murailles crenellées et fenestrées au bas
par ou l'on regardoit sur la mer, qui batoit de ce costé.
Le Roy et la Royne d'Arragon, sa nyepce, s'assirent
dedans leurs chaires, encontre une des fenestres qui
regardoit en la mer, et la divisèrent longtemps en-
semble. Le Roy d'Arragon et le cardinal d'Amboise
estoyent ausi assix sur leurs chaires, contre une des
autres fenestres regardant sur mer, lesquelz pareille-
ment divisèrent de plusieurs choses et longuement :
ou estoyent assistans les cardinaulx de Nerbonne, de
Sainct Severin, de Final et d'Alby, l'arcevesque de
Sens, l'arcevesque d'Ays, l'evesque de Paris, l'evesque
de Lodeve, l'evesque de Marseille, l'evesque de Gis-
teron* et d'autres prelas et seigneurs d'Eglize, a grant
nombre; pareillement y estoyent le duc de Longue-
ville, le duc d'Albanye, le conte de Foix, le conte de
Vandosme, le marquis de Mantoe, le marquys de Mon-
ferrat; ou ausi se trouvèrent Gonssalles Ferrande,
messire Charles d'Amboise, messire Jacques de Ghab-
banes, et tous les autres espaignolz et françoys qui
avoyent estez au banquet que avoit faict ledit messire
Charles d'Amboise. Et ainsi, dedans celuy jardrin,
fut la joyeusement passé la serée et plusieurs bons
propos mys sus.
Et, lorsqu'il lut heure de se retirer, le Roy dist au
1. François de Dinteville.
Juillet 1507] DE LA VENUE ... DU ROY D'ARRAGON, ETC. 363
Roy d'Arragon qu'il allast devant, disant : « Je mene-
ray la Royne après; allez, dist-il, vous et mons' le
cardinal. » Ce qu'il fist, ledit cardinal d'Amboise
main a main ; et le Roy prist la Royne d'Arragon a
la haulte main et dist a Gonssalles : « Prenez la Royne
a l'autre costé, seignor Gonssalles? » Lequel, le bon-
net au poing et le genoil bas, approcha la Royne et
la prinst a l'autre main ; et ainsi s'en allèrent avecques
grande suyte de noblece, en marchant jusques hors la
porte du logis. La furent mules et haquenées prestes
pour monter les Roys, les seigneurs et les dames qui
estoient la. Le Roy d'Arragon fut monté, et le Roy
ausi, lequel fist monter la Royne, sa nyepce, en
cruppe derrière luy. Les dames de la Royne, et quel-
ques autres des princes et prelatz et autres gentis-
hommes qui la furent, montèrent a cheval. Et, ce faict,
le Roy et le Roy d'Arragon, tous deux de front, mar-
chèrent droict au chasteau et toute la seigneurie après ;
et, eulx montez amont, s'arresterent au pié des degrez
de l'eschelle par ou l'on monte en la salle du chasteau,
ou le Roy d'Arragon descendit de sa mulle, et luy
mesmes ayda a la Royne sa femme a descendre, et
puys osta son bonnet de dessus le chief, en remercyant
le Roy de l'onneur que a luy et a la Royne luy avoit
pieu de faire.
Quelque peu de temps parlèrent et divisèrent illec-
ques ensemble, et conclurent de tout leur affaire ; et,
comme fut dit, promirent l'ung a l'autre d'eulx
secourir et ayder envers tous et contre tous, tant que,
pour comaincer, le Roy d'Arragon, sachant que le
Roy des Rommains se deliberoit de vouloir faire la
guerre au Roy et entrer en Lombardie, donna la charge
364 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juillet 1507
a Gonssalles Ferrande d'envoyer a Naples quérir six
mille Espaignolz qu'il avoit la lessez, pour venir en
Lombardye au secours du Roy, si besoing en avoit ^.
Ausi dist le Roy d'Arragon au Roy que le lende-
main, au vouloir de Dieu, se mectroit sur mer pour
s'en aller en Espaigne : de quoy le Roy adverty, com-
manda a ses maistres d'ostelz qu'ilz fissent advitailler
de pain, de vins et de chairs toutes les galleres et
fustes dudit Roy d'Arragon, si appoinct que ce fust
pour le conduyre et defFrayer tout son train jusques
a ses pays, et que, par toute la ville de Savonne,
fussent tous les Espaignolz ausi deffrayez.
Le Roy, revenu a son logis, s'en alla prendre
repoux. Et chascun print le chemin de son Cartier et
se retira en caze.
XXXIX.
Des noms d'aucuns des officiers de la maison du
Roy, lesquelz se trouvèrent et servirent a ce
VOYAGE.
Tandis que les Roys, que j'ay lessez en leurs cham-
1. Le secret des délibérations fut très bien gardé, et les histo-
riens, réduits comme le public aux conjectures, ont cru à des
pactes qui n'existèrent pas (voy. Razzi, Vita di Piero Soderini,
p. 27). Le cardinal de Sainte-Praxède, tenu à l'écart, fit seul
quelques confidences, qui ne sont pas exactes (Filippi, il Convegno
in Savona tra Liiigi XII e Ferdinando il cattolico. Savona, 1890,
in-S"). En réalité, les rois convinrent seulement du statu quo.
Nous avons dit le dernier mot de cette remarquable entrevue,
d'après l'engagement signé par Louis XII le 30 juin 1507, enga-
gement qui se trouve aux archives de Simancas, dans notre
mémoire rE7}trevuc de Savone, 1507 (Paris, Leroux, 1890, in-8o).
Juillet 1507] D'AUCUNS OFFICIERS DE LA MAISON DU ROY. 365
bres, reposèrent, en continuant propos, et a celle fin
ausi que tous ceulx qui, a ce très heureux et reco-
mandable voyage de Gennes, ont, a la guerre et la
paix, accompaigné et servy le Roy, ne soyent, par def-
fault de mémoire, frustrez de loyer de l'onneur de
l'affaire, et que leurs biensfaictz ne soyent ores mes-
cogneuz ne en l'avenir oublyez ; après avoir faict récit
des noms et description des faictz de ceulx que j'ay
peu veoir a l'ueil en besongne, et ouy le vray dire
des ungs sur l'affaire des autres, pour parler de tout,
ay voulu cy nommer, des officiers et domestiques de
la maison du Roy, ceulx qui s'ensuyvent :
Premièrement, de la chapelle du Roy.
Maistre René, cardinal de Prye, maistre de ladite
chappelle ; l'evesque de Perigueulx , aumosnier du
Roy; frère Anthoine de Furno, confesseur du Roy*,
avecques tous les chappellains^ et chantres de sadite
chappelle.
Les chambellans.
Françoys d'Orléans, duc de Longueville; messire
Loys d'Albih, seigneur de Piennes^; messire Jehan
d'Amboise, seigneur de Rucy ; messire Berault Stuart,
seigneur d'Aulbigny; messire Françoys de Roche-
chouart, seigneur de Champdenyer ; messire Robinet
1. Évêque de Marseille.
2. Parmi lesquels Jean d'Auton, qui s'omet modestement. II
convient de dire qu'il omet aussi la présence de Jean Marot.
3. Louis de Hallwyn, seigneur de Piennes, chevalier de l'ordre
{TU. orig., Hallwyn, n^^ 11-16). Son héritier, Jean de Hallwyn,
bâtard de Piennes, fut reçu dans la compagnie des cent gentils-
hommes du roi (commandant, le duc de Longueville) (fr. 26113,
1331).
366 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juillet 1507
de Fremezelles ; le seigneur du Bouchage ; le seigneur
du Gouidray ^ .
Les maistres (Vosteh.
Messire Charles d'Amboise, grant maistrede France ;
Jehan Guerin, seigneur de Goulumbiers; messire Ri-
gault Doreille, seigneur de Villeneufve^; le seigneur
de Ghasteaudreulx ; le seigneur de Luppé ; le seigneur
Sourdon ; le gouverneur de Goussy, Georges d'Aucy ;
le seigneur de Beaumont; le seigneur de Gongres-
sault; Loys Herpin; le seigneur de Brillac.
Pannetiers et varlets tranchans.
René de Gossé, premier pannetier; messire Jehan
de Sainctz, seigneur de Marigny ; le seigneur de Pal-
luau ; le bailly de Gaen ; le seigneur d'Urtebiz% et Brillac .
Les varletz de chambre.
Gharles de Rochechouart, seigneur de Monpipeau,
premier varlet de chambre ; Françoys de Grussol, sei-
gneur de Beaudigner; Pierre de Tardes; Guyot''^ de
la Baulme ; Jehan de la Loue ; maistre Jacques le cirur-
gien ; Macé de Villebreme ; Guillemin le barbier ; Per-
rinet Tenot ; Nantier ; Rifflart ; Oudin de Mondousset ;
Bigue^.
Maistre Anthoyne Tavart ; Guillemin de Marques ;
1. Jean du Puy, seigneur du Coudray et de Dames en Berry,
grand maitre des eaux et forêts (ms. Glairamb. 782).
2. Et de Golombines, sénéchal d'Agen et de Gascogne (1511.
Ms. Glairamb. 782).
3. Louis de Hurtebye, seigneur dudit lieu, au pays de Gou-
tances (fr. 26107, n» 248).
4. D'Apchier, seigneur de la Baume.
5. Jean de la Bigue, ou de Bigue, poète.
Juillet 1507] D'UNG PETIT TRECTÉ BAILLÉ LORS AU ROY. 367
Françoys Planchete ; Andrieu de Paule, maistre de la
fouriere.
De la garde robbe.
Guillaume Gaspart, maistre de la garde roble (sic) ;
Symon Billou, porte manteau.
Les médecins.
Maistre Salmon ; maistre André*. Maistre Guillaume
de Sauzay, libraire du Roy.
Les hussiers de salle.
Allabre de Saulle, premier hussier ; Phelippe de
Pomperye, dict Popo; Guillaume Furet; Jehan d'Or-
léans ; Jannot.
Les mareschaulx des logis et les fourriers.
Anthoyne de Pierrepont, dict d'Arizolles, et Pierre
de Montallembert, seigneur de Granzay, mareschaulx
des logis.
Les fourriers.
Jehan de Foville ; Henry de Mauville ; Bernard Pel-
letan ; Guillaume Pailler ; Georges GifFart ; Mathurin
Richart, dict Bazoges ; Jehan Goppin ; Jehan Roux ;
Estienne Durant ; Charles Ganche : Pierre de Gordon ;
Hamellot; Girouart; Louys Gharnyer^
Lesquelz furent audit voyage de Gennes.
XL.
D'UNG PETIT TRECTÉ, SUR l'eXIL DE GeNNES, FAICT PAR
BALLADES, BAILLÉ LORS AU ROY.
Durant les triumphes et entrées du Roy en ses villes
1. André Buau.
368 CHRONIQUES Ï)E LOUIS XII. [Juillet 1507
de Lombardye, et l'assemblée de luy et du Roy d'Ar-
ragon après la prise et réduction de Gennes la sup-
perbe, je, lors suyvant la court partout, avecques mes
tablettes, pour enregistrer les faictz de ce temps, en
tous lieulx ou pouvoye trouver estrangiers, me reti-
roye pour savoir nouvelles, et tant m'en enquys aux
Gennevoys, aux Romipetes, aux Allemans et Venis-
siains, desquelz avoit tousjours en court, que je sceu
comment Gennes se complaignoit de Romme, d'Alle-
maigne et de Venise, pencent devoir avoir eu d'icelles
secours, et commant Romme, mal contente de la prise
de Gennes et de son servaige, la consolloit de ce
qu'elle pou voit, comme sa confédérée amye et de
nouveau alyée; pareillement fuz adverty commant
Allemaigne a ceste cause estoit très mutinée et marrie,
preste a luy donner secours contre France, si elle
eust peu ; mais deffault d'argent l'arrestoit, et gardoit
d'aller avant ^, et aussi comme Venise, tirant au plus
apparant, comme non asseurée de France, calloit la
voisle, et, pource qu'elle ne luy pouvoit nuyre, se tenoit
de son party, comme du party des plus fors. Dont
toutes ses choses ouyes et sceues au vray, sur ce, le
trecté qui s'ensuyt, pour bailler au Roy audit lieu de
Savonne, composay, et l'atachay a ma cronicque- :
Mars, ascendant en la clere maison
1. Cf. le discours adressé par l'évêque de Lodève, Guillaume
Briçonnet, à Jules II (plaq, contemp. : Bretonneau, Histoire de
la maison de Briçonnet) .
2. Cette pièce fut imprimée à la suite de les Triumphes de
France, de Jehan d'Ivry, pour Guillaume Eustace, petit in-4",
en 1509, sous ce titre : « Lexil de Gennes la superbe, faict par
frère Jehan Danton, historiographe du Roy. » Elle est suivie de
« Lepitaphe de maistre Guy de Rochefort, feu chancellier de
Juillet 1507] D'UNO PETIT TRECTÉ BAILLÉ LORS AU ROY. 369
Du Scorpion exploictant< sa saison
Par les degrez a son cours ^ ordonnez-,
Ses yeulx ardans, a fureur inclinez,
Et la forme de sa rude figure
Gecla sa bas sur les fins de Ligure,
Pour esmouvoir a guerres et contemps
Sa région et tous les habitans.
Lors Neptunus, gouverneur de la mer,
Fist grosses nefz et carraques armer.
Et desplyer3 leurs trinquetz et leurs voisles,
Dont Eolus mist ses vens sur les belles
Pour avancer le veslan et conduyre;
La-* vint Aquille artique en la mer bruyre;
Vulturne ausi, du gouffre oriental,
Et Gercius^, le vent occidental.
Le pestiffere Auster vint du mydy
Sur les ondes soufflant a l'estourdy ;
La furent tous les autres vens en trouppe^,
L'ung en prore'^, l'aultre en rate et en pouppe,
Ghascun au lieulx ordonnez et prefix ;
Pallinurus, Amiclas et Tephis
Issirent lors des paludz^ infernaulx
Pour gouverner barques, fustes et naulx,
Et a leur port mener le navigage.
Près Acheron, sur le bort du rivage
De Flegyas, en profondes cavernes^
Les Gicloppes, mareschaulx des Avernes,
Martellerent glayves, escuz et armes-,
Puys, Vulcanus, en forgant ses allarmes,
Gros tonnerres^ vomist a plaine gorge;
France, translaté de latin eu françois par le dessusdit. » Nous
indiquons en note les principales variantes de l'imprimé, posté-
rieures au manuscrit.
1. Var. imprimée Expletant. — 2. Corps. — 3. Desploiant. —
4. Lors. — 5. Cercinus. — 6. Trompe. — 7. Présent. — 8. Palays.
— 9. Tonnoires.
IV 24
370 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juillet 1507
Yris ausi picques et noises^ forge,
Hayne et discors, en lieu de poignans darlz,
Pour convoyer 2 en guerre les souldartz;
Apres survint EriLhoine tout presl,
Qui de curres avoit faict grant appresl
Pour charyer au besoing le sommage,
Et aux vainqueurs faire honneur^ et hommage;
Puys^ Bellona fist corner sa bucyne,
Tant que Hercules fut quérir Proserpine
Et délivrer des ongles de Pluto,
Gerberus, Mort, Megere et Aletho;
Du Laberinthe yssit le Mynostaure,
Accompaigné de Nesus^ le centaure
Et de Millon, actendant sur les stades
Les griefz effors des mons Olimpiades,
Ge^ qui a cler signifye et demonstre
Que la guerre veult la faire sa monstre.
Que fut ce lors?^ sedicions civilles,
Les Liures eurent emmy ^ leurs villes,
Tant que les ungs les autres exillerent
Et les maisons Tung a l'autre pillèrent;
Puys voulurent les Gaules debeller
Et contre tous^ de faict se rebeller,
Combien que au Roy eussent devant promys
D'estre a jamais ^'^ ses subgectz et amys ;
Par quoy fut dit et par luy arresté
Qu'il assauldroit la superbe cyté.
Si s'adressa avecques son effort
Vers celle part, ou se trouva si fort
Qu'il s'en alla devant Gennes loger.
Que" fist par mer et par terre assiéger,
Prinst sur ses mons, mallgré tous les rainfors
\. Haches. — 2. Esmouvoir. — 3. Foy. — 4. Ce vers et les trois
vers qui suivent manquent dans le texte imprimé. — 5. Nephus.
— 6. Ce vers et le suivant manquent clans l'imprimô. — 7. Tout
cela faict. — 8. Dedens. — 9. Iceutx. — 10. De demourer. — H. Qu'il,
Juillet 1507] D'UNG PETIT TRECTÉ BÂILLÉ LORS AU ROY. 371
Des Gennevoys, leurs bastions et fors',
Et par deux foys, arangée bataille 2,
Ses ennemys vainquist et raist a taille;
Dont se rendit a luy Gennes crainctive,
La hart au coul, comme pouvre captive,
Laquelle prist a mercy soubz sa main,
En luy monstrant son vouloir très humain.
Sans la vouloir subvertir ne^ destruyre,
Mais doulcement la soubraectre et reduyre.
Combien qu'elle eust faulte commise telle
Que deservist pugnicion mortelle;
Pour ce, luy fîst toutes ses armes rendre,
Et puys voulut'» hommage d'elle prendre
En son palais, assix en royal siège,
Ou fist brusler son premier privillege;
Apres soubmist a son royal pouvoir
Son dommaine, seigneurie et devoir.
Et si la fîst si bien fortiffyer^
Que d'elle plus ne se deust deffyer.
Ce faict, tous ceulx dont estoit alyée,
En la voyant ainsi prise et liée,
Gomme tristes et douUans de l'affaire,
Chascun a part en voulut^ son dueil faire;
Romme en parloit comme très courroussée;
AUemaigne s'en douUoit en pencée ;
Venize avoit, sur ce, parolles fainctes;
Autres terres et seigneuryes mainctes
Des Italles et estranges pays
Furent, de ce, poureulx et esbays.
Dont je, qui lors les gestes escrivoye
De noz Françoys, ainsy que j'en savoye,
Suyvant le Roy toute part, a l'aller
Et au venir, escoutant a parler
1. Et leurs fors. — 2. En ragée bataille. — 3. Exiller ou. —
4. Voulant. — 5. Fructifier. — 6. Voulant.
372 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juillet 1507
L'ung et Tautre pour nouvelles savoir,
Ce que yen. peu entendre, oyr et veoir
Et recueillir au plus près de Teffect,
J'ay mys icy^ en mémoire du faicl.
GENNES.
Apres le bruyt d'eureuse renommée
Par moy aquys, et louange estimée
D'honneur de priz et œuvre méritoire,
Ayant soubmys maincte ville fermée,
Mainct dur effort et maincte grosse ^ armée,
Et obtenir contre tous la victoire ;
France a marché dedans mon territoire,
Et par armes m'a vaincue et forcée
Tant que je suys, par contraincte, pressée
Luy obbeyr, et fault que je la serve;
Or est du tout ma^ gloire rabbessée.
Supperbe fuz et maintenant suys serve.
De ce meschief seras par moy blasmée,
Romme ingrate, veu que je t'ay sommée
De me donner secourable adjutoire,
Pencent ausi estre la tienne amée,
Et soubz le* loz de^ ta gloire palmée,
DefTendue par main gladiatoire.
Et toutesfoys ton rainfort senatoire ^
M'a deffailly au besoing et lessée,
Dont j'ay esté tant batue et blecée
Qu'il n'est moyen qui d'exiF me conserve;
Ainsi déchoit^ chose trop exaulcée.
Superbe fuz et mainctenant suys serve.
0 Allemaigne, es tu morte ou pasmée?
Ta promesse n'est que vent et fumée,
1. Moy. — 2. Dure. — 3. Ma grand. — 4. Toti. — 5. Et. —
6. Servatoire. — 1. De pys. — 8. Dechiet.
Juillet 1507] D'UNG PETIT TRECTÉ BAILLÉ LORS AU ROY. 373
Chascun le voit^ c'est ung poinct peremptoire;
L'on m'eust d'assault bien prise ou affamée
Et mise a sac^, pillée et emflamée,
Sans ton secours, le cas est tout notoire.
Venize, ausi, qui savoye l'istoire^,
Et riens, pour ce, ne t'en es efforcée,
Mais telle est ore en pouvoir '> rainforcée,
Qui pour autruy son domaine reserve,
Par moy seras en ce cas adressée.
Superbe fuz et mainctenant suys serve.
Prince, je suys decheue en ma pencée,
Voulant trop hault monter comme incencée,
Dont raison veult que chasty^ j'en deserve;
Or, suys je a bas pour trop m'estre avancée.
Vêla comant j'en suys recompencée !
Superbe fuz et mainctenant suys serve.
ROMME.
Oyant le cry de ta piteuse plaincte
Et la forme de ta dure complaincte,
Touchant le grief et ennuyeulx servaige
Ou tu es mise et détenue en craincte,
Comme exillée a^ force et par contraincte,
Dont tu soustiens trop excessif oultrage,
Triste en pencée et doulante en courage
Suys de ton mal, veu la nostre alyence
Et amytié, et que n'ay eu puissance
De te donner a temps ayde et secours ;
Par quoy te fault avoir la pacience.
Toutes choses viennent a leur decours.
Babilloyne est ruyneuse et estaincte,
Nynive ausi et autre cyté maincte,
\. Scait. — 2. Sang. — 3. Geste histoire. — 4. Puissante et. —
5. Chastoy. — 6. Par.
374 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juillet 1507
Comme Thebes, Arges, Troye et Gartage;
Assirye première eut son actaincte,
Puys Perse, et Mede et Grèce eurent Testraincte,
Ghascune autour sucedant au partage ;
Puys, moy, qui eu sur toutes l'avantage,
Fuz destruicte, roupie ' et mise a l'oustrance
Par moy mesmes et les effors de France,
Qui mainctes foys ont sur moy faict leurs cours,
Sans y pouvoir faire de résistance.
Toutes choses viennent a leur decours.
Tu 2 fuz jadys de richesses enceincte^,
De mons et mers avironnée et ceincte,
SeuUe dicte Royne de navigage ;
Ore es a bas, et pour avoir enfraincte
Ta foy petite et ta promesse faincte,
Dont tu avoye a France faict hommage,
G^est le moyen de ta perte et dommage.
Et la cause de ta peine et suffrance,
Affîn ausi qu'il n'y eust différence
D'autres a toy, et que toutes noz cours
Sachent n'avoir de durée asseurence.
Toutes choses viennent a leurs decours.
Prince, on ne doibt avoir seure esperence
En ce règne, veu, par clere apparence.
Son temps faillir et ses jours estre cours;
Il ne se peut, par armes ou chevance,
Perpétuer; tousjours sa fin avance.
Toutes choses viennent a leurs decours.
ALLEMAIGNE.
Pour empescher France et mectre a reffaire
Tant qu'elle n'eust'' seurté de te meffaire,
Sachant par vray que lu es dcssoubz l'aigle,
1. Toute. — 2. Je. — 3. Ensainte. — 4. Tant qu'elle eust.
Juillet 1507] D'UNG PETIT TRECTÉ BAILLÉ LORS AU ROY. 375
Au cas qu'elle ne se voulust retraire
De son propos, son adverse el contraire
Me declairay, en quelque lieu qu'elle aille,
Ce nonobstant, a d'estoc et de taille
Si droictement poursuyvye< sa queste
Qu'elle a de toy faict sa prise et conqueste;
De quoy je suys doullante bien souvant;
Mais a tant fault que j'en demeure en reste.
Qui n'a de quoy ne peult aller avant.
Combien que j'eusse envye de parfaire
Une armée pour combatre ou deffaire
Tes ennemys^ et leur donner bataille,
Si n'ay je sceu a mon pouvoir tant faire
Que j'aye a temps pourveu a ton affaire 3,
En manière qu'il te profficte ou vaille,
Et si ne tient a moy que je ne saille
A ton secours ; mais, lorsque je suys preste,
Deffault d'argent mon entreprise arreste-,
Car, si la croix ne va tousjours devant,
Homme des myens de marcher ne s'appreste.
Qui n'a de quoy ne peut aller avant.
Pour te vouloir rejoyr et complaire.
Et a la France ennuyer et-* desplaire,
Ta[n]t que a plain champ on l'oppresse^ ou assaille,
Vers mes vassaulx me suys allé'' retraire
Pour les sommer, requérir et actnaire
A ce^ besoing, affm que homme n'y faille :
L'ung diffère, l'autre promesse baille,
L'ung veust avoir», l'autre dit qp'on luy preste,
Et l'autre faict du payement enqueste,
Qui est plus loings^ que le souleil levant;
De riens n'y sert ta prière ou requeste.
Qui n'a de quoy ne peut aller avant.
\. Tant poursuivyt sa conqueste. — 2. Telles advenues. — 3. A
ton faire. — A. Et luy. — b. Tant que en la fin on le presse. —
6. Voulu. — 7. Au f/rand. — 8. L'ung n'avoir rien. — 9. Long.
376 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juillet 1507
Prince indigent ne peult faire grant feste
Ne par dessus autres lever la teste,
Tant soit hardy, vertueulx ou savant,
S'il s'efforce pour nyent se tempeste;
Par quoy luy fault soy taire au plus honneste.
Qui n'a de quoy ne peult aller avant.
VENISE.
J'ay bien ouy et entendu le dire
De toy, Gennes, marrye et plaine d'ire,
De la douleur qui t'est ore advenue,
Dont ne me peulz tant rejoyr ne rire
Que sur ce n'aye a pencer a suffire,
Doubtant avoir une telle venue,
Pencent commant France t'a prévenue
Si très souldain, et' par armes ^ soubmise,
Je ne me suys raeslée ou entremise
De ton secours, voyant ses grans effors,
Mais au vouloir d'elle me suys commise.
Tousjours me tiens avecques les plus fors.
Ores, as tu a ceste foys du pyre ;
Mais ne pences pourtant que je souppire,
Si ta force déchoit 3 ou dimynue,
Car de long temps je souhecte et désire
Que ton pouvoir -^ amaindrisse et empire,
Pour ce que trop m'as au court détenue.
Qui t'eust pillée et mise toute nue.
Sans te lesser ne robe ne chemise,
J'eusse lors faict par la^ mer a ma guise;
Mais ancores doublé je tes rainfors.
Et, au surplus, pour garder ma franchise,
Tousjours me tiens avecques les plus fors.
Si ton secours fust venu de l'Empire,
1. Suppr. et. — 2. Par armes et. — 3. Descroist. — 4. Ta valeur.
— 5. En la.
Juillet 1507] D'UNG PETIT TRECTÉ BAILLÉ LORS AU ROY. 377
De tant que France eusse peu desconfîre,
J'eusse pour toy alors la main tenue;
Ou si quelqu'un eust dit : « Je me retire I »
J'eusse couru a celuy tout de tire,
Et la despoille en eusse retenue;
Mais, quant je viz l'armée survenue
En tes destroiclz, qui tout rompt et debrise,
Soubdainement je pourpence et m'avise
Qu'il fault garder mes bastilles et fors,
A celle fin que ne soye surprise.
Tousjours me tiens avecques les plus fors.
Prince, qui faict sur mes fins entreprise,
Si je ne suys butiniere a la prise ' ,
S'il est foible, je le chace d'efîors,
S'il est puissant, je le loue et le prise ^
Et l'entretiens par cautelle et faintise.
Tousjours me tiens avecques les plus fors.
FRANGE.
En ensuyvant les œuvres magnifîcques
Et dignes faictz de louanges publicques
Que firent lors mes eureulx possesseurs.
Pour adjoxter aux triumphes auten tiques^
Nouveaulx tiltres de vertus autentiques.
A l'exemple des bons prédécesseurs,
Louis XII'"% ung des myens'' sucesseurs,
Apres avoir maincte force domptée,
La superbe Gennes a surmontée,
Par son pouvoir faict esclater et fendre
Mons et rochiers, et la faict sa montée,
L'espée au poing, pour le bon droict deffendre.
Romme et Gennes en ont faict leurs répliques.
Et contre moy leurs accors pacifiques,
1. En la prime. — 2. Et prise. — 3. Aux louenges antiques. —
4. De mes.
378 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juillet 1507
Confederez ' comme amyes et seurs ;
AUemaigne ra'eust faict ennuys et picques,
Et mys sur moy hallebardes et picques,
Si elle eust sceu trouver les moyens seurs ;
Venise ausi m'a mys ses advenceurs,
Qui de leur ritz d'hosstelier m'ont trectée^;
Mais, veuz leurs ditz et manière escoulée^,
Si quelqun veust contre moy son arc tendre,
Tantost seray en armes apprestée,
L'espée au poing, pour le bon droict deffendre.
Or, en say je, par mes ars et pratiques,
Tant des estatz nobles que pollitiques,
Et des plus grans magistres et censeurs''.
Qui, au dedans de leurs closes boutiques,
En demeurent asséchez^ et hetiques,
Plus estonnez ^ que pouvres ramasseurs,
Qui m'aplaudent et usent de doulceurs,
Me désirant outre mer transportée ;
Mais ja, pour ce, ne seray desgostée
Tant que si nul entreprend de m'offendre,
Que tout souldain ne soye remontée,
L'espée au poing, pour le bon droict deffendre.
Prince, je tiens force tant redoubtée
Que j'ay soubmys Gennes et conquestée,
Ce que n'oza oncques nul entreprendre,
Et n'ay pas peur qu'elle me soit ostée.
Car nuyt et jour par moy sera guetée,
L'espée au poing, pour le bon droict deffendre^.
1. Considères. — 2. Ce vers manque. — 3. Suppl. à la suite de
ce vers : Je qui suis France en tous lieux redoublée. — 4. Causeurs.
— 5. Tous a sec. — 6. Esbahys.
7. La victoire de Gênes réjouit d'autant plus les Français
qu'elle effaçait les fâcheux souvenirs de la campagne de Naples
qu'on aurait voulu rayer de l'histoire. Elio fut chantée par André
de la Vigne, par Jean Le Maire. Symphorien Ghampier com-
posa à ce propos l'opusculo Expeditio in Gcnuenses, que nous avons
Juillet 1507] GOMMANT LE ROY DARRAGON S'EN ALLA. 379
XLI.
Gommant le Roy d'Arragon s'en alla de Savonne
EN ESPAIGNE, ET LE ROY S'eN REVINT EN FRANCE.
Comme avez ouy cy devant, le Roy et le Roy d'Ar-
ragon, par l'espace de im jours entiers, furent ensemble
cité déjà, où il passe en revue les plus grands conquérants con-
nus de l'antiquité : César, Alexandre, Miltiade, Alcibiade, Thra-
sibule, etc., pour les comparer à Louis XII. Ce dithyrambe
classique se termine par les distiques suivants :
« Parthenopem cursim victam (première conquête de Naples)
Parmeque labores (Fornoue)
Desine mirari, Gallia : majus habes.
Indomitos Ligures, Genuam Ludovicus et urbem
Fracta jubet solo frena referre die.
Discite jam quid sit Ludovicum offendere gentes.
Vincere scit : victos et retinere docet. »
Nous avons déjà cité les Triumphes de France de Jean d'Ivry.
Voy. aussi le Carmen de expugnatione genuensi cum multis ad gai-
licam historiam pertinentibus, paru en 1508 (Paris, 1507, 7 kal.
martii), avec des dédicaces de l'auteur (Valerand de Varanis) à
Adrien de Hanencourt, doyen d'Amiens {ex domo nosira Chole-
torum, Ghaillot, près Paris, 7 id. febr. 1507), à Raoul de Lannoy,
« dulcis mî Mecenas » (Paris, 7 id. febr. 1507) : grand poème
épique latin, chantant les exploits des Français dans le monde,
l'arrivée des Furies à Gênes, etc., la modération du roi, qui n'a
toléré notamment aucun excès contre les femmes. Ce poème est
suivi de pièces latines à François de Melun, prévôt de Saint-
Omer; à Geoffroy Buisardi (Bussardus), théologien, qui revient
d'Italie; à Gilles « Delphi » (sans doute Dauphin), théologien et
poète insigne; à Fabre d'Étaples, illustre philosophe; à Jacques
« Pape» (Le père?), poète; au prieur de Ghaillot. André de la Vigne,
secrétaire de la reine, publia l'Atolite portas de Gennes (plaq. goth.
petit in-4o de 4 feuillets, s. d.), qui contient un chant de gloire et
cinq rondeaux, le tout en vers français. Jean Marot écrivit pour
la reine son grand poème épique le Voiage de Gènes (voy. ci-des-
380 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juillet 1507
en la ville de Savonne, pays du Roy, ou, après leurs
bonnes chères et aliénées faictes entre eulx, fut ques-
tion de desloger. Et combien que plus longue demeure
eust esté au gré de l'ung et de l'autre, toutesfoys les
affaires de leurs pays naturelz leur commandoient le
départir. Dont le Roy d'Arragon, qui long temps
devant ce n'avoit esté en ses pays d'Espaigne, aiant
tout son appareil prest pour monter en mer, le Roy
et luy, estant lors au chasteau de Savonne, le second
jour du moys de jullet, sur les troys heures après
mydy, voulut desloger et la prendre congé du Roy ;
ce que le Roy ne voulut, disant : « Puysque départir
se fault, et que au venir vous ay trouvé sain sur la
mer, a l'aller vous rendray en tel estât et mesme lieu,
si je puys. »
Ce dit, les Roys montèrent sur leurs mules ; et puys
le Roy fist monter la Royne d'Arragon en cruppe der-
sus. Ce poème a été publié par Cl. Marot; voy. encore le poème
latin pompeux de Fauste Andrelin : P. Faiisti, de regia in Genuen-
ses Victoria libri très, in quibus depolytico statu, de Régis clxmcntia,
et in urbem genuensem ingressu multa scitu dignissima comperias.
Prxmisso excultissimo Germani de Ganay epigrammate. Ex sedibus
Ascensianis, ad nonas julias M DIX). Ce poème est dédié par
l'auteur à Germain de Ganay, son Mécène. Une cause notable
de satisfaction pour les Français fut aussi que, pour faire face à
l'expédition, le roi avait dû leur demander un supplément de
taille, que les États lui accordèrent : la rapidité de la victoire et
les indemnités de guerre (bien que diminuées) permirent, à force
d'économie, et en réduisant le train personnel de la maison du
roi, de ne pas recourir à cet impôt, et le roi y renonça, malgré
le vote des Etats, fait extraordinaire, qui ne s'était pas vu, dit-on,
depuis saint Louis (Cl. de Seyssel, les Louanges du bon Roy...,
p. 106). Rappelons que, sous le règne de Louis XII, les tailles
s'élevaient en moyenne à environ 1,550,000 livres. Sous Fran-
çois ler, elles montèrent à 5,000,000, dont la maison du roi, à
elle seule, absorbait 1,500,000 livres.
Juillet ISOTJ GOMMANT LE ROY D'ARRAGON S'EN ALLA. 381
riere luy, comme tousjours avoit faict par avant. La
furent grant nombre de gentishommes l'rançoys, les-
quelz eurent clievaulx et haquenées, pour porter en
cruppe les dames, et autres monteures pour les gen-
tishommes d'Espaigne qui la estoyent, lesquelz tan-
tost furent montez. Lé quatre cens archiers et les
cent Suyces de la garde furent la tous a pié, la hal-
barde au poing. Et, lorsque tout fut mys en ordre, les
Roy s descendirent du chasteau, et avecques leur estât
marchèrent ensemble tout le long de la rue, divisant
tousjours de plusieurs choses, et tant qu'ilz ariverent
jusques sur la marine, ou estoyent les galleres du Roy
d'Arragon : la misrent pié a terre ; et, ce faict, le Roy
conduyt le Roy et la Roy ne d'Arragon jusques dedans
leur gallere, ou la prindrent congé l'ung de l'autre,
et très amyablement s'entre accollerent; puys la Royne,
le genoil en terre, dist son adieu au Roy, lequel ausi
luy dist adieu et la baisa. Et, a chief de ses faictz, le
Roy, avecques sa noblece, se mist a retour vers son
logis ; et le Roy d'Arragon fist singler voisles vers son
pays d'Espaigne.
Tantost après le départ du Roy d'Arragon, le Roy
transmist a Naples, avecques lectres dudit Roy d'Ar-
ragon, ung espaignol nommé Peralte, pour illecques
prendre et lever troys mille cinq cens hommes, et
iceulx faire venir en Lombardye pour ranforcer son
armée et se trouver au devant du Roy des Rommains.
Lequel Peralte fut en poste au Royaume de Naples,
et fist incontinent son amas, puys s'en revint, a tout
ses gens, en Lombardye, joindre avecques les Fran-
çoys pour servir le Roy contre ledit Roy des Rom-
mains.
382 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Juillet 1507
Le Roy, voyant lors son entreprise du tout a son
vouloir mise a fin, et toutes ses affaires de delà les
mons en bon ordre, se disp[o]sa de retourner en
France et desloger le lendemain, par quoy les mares-
chaulx des logis et les fourriers furent devant. Le len-
demain, iif jour de juUet, sur le point de troys heures
après mynuit, le Roy fut a cheval, avecques peu de
nombre de ses gens, et, a la lumière des torches, se
mist en voye, tirant par les montaignes droict a Suze.
Ses gens, a la fille, se misrent après, chascun au plus
tost qu'il peut, car il chevauchoit roidement, et tant
que, sur les viii heures, fut arrivé a ung groux bourg
nommé Mallegiste^, a l'entrée du Piémont, devers
Savonne. De la s'en alla par le Piemond droict a Suze,
et, par le Daulphiné, droict au mont Genève, a Rrian-
son, a Ambrun, a Gap, a Grenoble et a Lyon 2, ou
trouva la Royne, laquelle fut moult joyeuse de sa
venue, et tant qu'elle ne pouvoit plus. La fut le Roy
le surplus du moys de jullet^ et tout le moys d'aost'^,
1. A Millesimo, a Milesme » (Arch. nat., KK. 88, fol. 172).
2. Il traversa, en effet, le mont Genèvre à petites journées et
arriva le soir du 16 juillet à Lyon ; il était parti le matin d'Hey-
rieux (Arch. nat., KK. 88, fol. 174 et 174 V).
3. Le samedi 17 juillet 1507, à huit heures du matin, il fit à
Lyon une entrée pompeuse par la porte du Rhône. Il fut reçu
par les corps de la ville. Les rues étaient entièrement tendues,
sur son passage, en drap jaune et rouge et en tapisseries; le pont
était garni de bannières, la porte ornée d'un poêle fleurdelisé. A
la porte, rue Grenette, à la place de l'Herberie, aux Changes, il
y avait des eschaffaxdts, avec autant de représentations morales
et des jeunes personnes richement habillées, qui débitaient des
compliments (Relation des entrées solemnelles dans la ville de Lyon,
de 710S rois..., imp. pour messieurs du Consulat. Lyon, Delaroche,
1752, in-4»).
4. C'est une erreur. Le roi s'installa à Blois au miUeu du mois
Juillet 1507] GOMMANT LE ROY D'ARRAGON S'EN ALLA. 383
en actendant si le Roy des Rommains marcheroit,
comme se disoit lors, pour entrer en Lombardye, ou
se vouloit trouver le Roy pour luy donner la bataille,
comme avoit promys a ses gens d'armes de delà les
mons, a son département.
Le Roy, estant lors a Lyon, ayant nouvelles de jour
en autre comme le Roy des Rommains estoit en bransle
de marcher, fist haster ses gens de pié, qu'il avoit
envoyé quérir en Gascongne, desquelz l'une partie
d'icelz s'en allèrent par mer descendre a Gennes, et
les autres, par la Savoye, droict a Millan.
Le Roy pareillement [estoit] tousjours en delibera-
cion et prest de retourner delà les mons, si ledit Roy
des Rommains marchoit en avant, auquel avoit trans-
mys en ambaxade ung docteur, chappellain du cardi-
nal d'Amboise, lequel chappelain n'avoit voulu ouyr,
mais le detenoit comme prisonnier : de quoy le Roy
adverty, aucuns autres ambaxadeurs des Allemaignes,
estant lors en court, fist pareillement détenir et mectre
au chasteau de Pierre Encise a Lyon, et garder jus-
ques a ce que ledit docteur détenu en Allemaigne fust
délivré. Laquelle chose sachant, le Roy des Rommains
en envoya celuy docteur, et ausi furent lesdits Alle-
mans despeschez.
En ce mesme temps, le Roy fist despescher deux
ambaxadeurs, c'est assavoir ung nommé messire Jehan
de Sainctz, pour aller en Angleterre, et ung autre,
nommé Gabriel Fourestier, Roy d'armes de Normen-
dye, lequel envoya en Allemaigne : ausquelz demanday
d'août (Arch. nat., KK. 88, fol. 175, 185 et 185 v»). Du reste,
Jean d'Auton corrige plus loin cette erreur par les renseigne-
ments très exacts qu'il donne lui-même.
384 CHRONIOUES DE LOUIS XII. [Juillet 1507
de leur charge, pour en savoir dire quelque chose par
ma cronique ; mais autre chose n'en peu, si n'est que
ledit messire Jehan de Sainctz me dist que a son
retour en pourroye savoir quelque chose, et ledit Fou-
restier me dist ausi : « J'ay une charge, en laquelle peu
de gens prandroyent plaisir a porter ; car, aux Alle-
maignes, a ores pour nous peu de seureté. Toutesfoys,
pour le service du Roy, n'est adventure que je ne
pregne. » Et sur ce s'en allèrent lesdits ambaxadeurs.
La Royne, estant lors avecques le Roy a Lyon,
voyant qu'il estoit en bransle de respasser les mons,
ne faisoit pas bonne chère et mectoit toute peine de
le vouloir faire mectre a chemin pour s'en aller a Bloys
veoir Madame Glaude leur fille, disant qu'elle s'es-
moyoit et avoit moult grant soubcy de luy. A quoy
dissimula le Roy, disant : « Je suis délibéré, sans point
de faulte, de m'en retourner bientost ; mais ancores
est mestier, pour donner craincte a mes ennemys et
asseurer mes gens, que je demeure icy quelque temps.
Et pour le myeulx me semble que vous devez vous
en aller devant a Bloiz, pour la vous reposer et faire
voz couches ; et tantost après je m'en iray sans fail-
lir. » La Royne, voyant que c'estoit le plaisir du Roy
et le myeulx pour sa personne, fut contente de s'en
aller devant. Et, pour s'en aller plus a son aise, le Roy
advisa qu'il la feroit porter en une legiere lictiere au
coul, par ses AUemans ; desquelz en ordonna xxiiii des
plus fors, VIII a la foys et a relaiz. En ceste manière,
le xxvii® jour du moys de jullet*, la Royne, estant ja
1. Date et itinéraire fort exacts (voy. Arch. nat., KK. 88, fol. 175
et 175 \o).
Août 1507] COMMENT ... MAISTRE RENÉ DE PRYE, ETC. 385
bien fort enseincte, partit de Lyon, tirant droict a la
Bresle et a Tarare, ou le Roy fut avecques elle, et de
Tarare s'en retourna a Lion, en luy promectant estre
bientost a Bloiz : par quoy elle s'en alla plus joyeuse-
ment jusques audit lieu de Bloiz.
XLIL
Comment, audit lieu de Lyon, maistre René de Prye,
EVESQUE DE BAYEULX, RECEUT LE CHAPPEAU ROUGE
PAR LA MAIN DE MAISTRE GEORGES, CARDINAL d'Am-
BOISE, LEGAT EN FRANCE ET DELEGUE A CE PAR LE
PAPE.
Le v""^ jour d'aoust, le Roy fut ouyr messe a Nostre
Dame de Confort, colliege de Sainct Dominique, a
Lyon, ou le chappeau Rouge, pour bailler a maistre
René de Prye, evesque de Bayeulx, fut la apporté
avecques les bulles du pape adroissantes a maistre
Georges, cardinal d'Amboise, pour bailler ledit chap-
peau. La fut ung docteur en théologie suyvant la court,
nommé frère Anthoyne de Furno, evesque de Mar-
ceille, de l'ordre des Jacoppins, lequel dist la messe
en note, chantée par les chantres de la chappelle du
Roy. Et après la messe dicte, celuy de Furno fîst ung
sermon en latin, ou le Roy estoit présent et toute la
court ; par lequel sermon élucida et esclarcist la gé-
néalogie d'Amboise et de Prye, dont ceulx desdites
maisons estoient entre eulx proches parens et alyez,
et monstra commant plusieurs, issus jadis desdites
maisons d'Amboise et de Prye, avoyent lors faictz
grans secours et loyaulx services au Royaume de
IV 25
386 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Août 1507
France ; en déclarant ausi le souverain honneur apos-
tolicque et de cardinalité, ramenant au propos les
quatre vertus cardinales, c'est assavoir Prudence,
Magnanimité, Continence et Justice ; en remonstrant
comme tout honneur mondain et toute vye humaine,
tandant au bien souverain, doyvent estre regiz et gou-
vernez scelon la moralité de ses vertus, lesquelles sont
de telle efficace, que tous ceulx qui d'elles sont armez
ne peuvent estre de vice soubmarchez, ne vaincus par
fortune. Plusieurs autres bonnes choses au propos
afférentes furent la dictes par la bouche du docteur
excellant. Et, ce faict, ledit maistre René de Prye
receupt Nostre Seigneur très dévotement. Puys luy
fut mys sur la teste le chappeau Rouge, par la main
dudit maistre Georges, cardinal d'Amboise et légat en
France. A chief de ses soUempnelles choses, le Roy,
avecques grande suyte de princes, de cardinaulx,
arcevesques et evesques, et toute sa maison, s'en alla
disner leans, ou le cardinal nouveau fist le banquet,
auquel chascun fut trecté a souhect et honnorablement
servy.
XLIII.
Gommant le Roy des Rommains retira son armée,
ET gommant le Roy s'en retourna a Bloiz.
Le Roy des Rommains, qui lors estoit avecques son
armée près a marcher, voyant que ses gens despen-
doyent son argent sans riens faire, dist qu'il yroit en
avant ; et, de faict, se mist au champs, comme pour
vouloir marcher et tenir camp. Or, advint que le
terme du payement fut venu, dont les AUemans firent
Août 1507] GOMMANT LE ROY DES ROMMAINS, ETC. 387
question, de quoy ne fut nouvelles. Mais voyant, ledit
Roy des Rommains, que sans argent ne passeroyent
oultre, les voulant par promesses acheminer, assem-
bla les seigneurs des Allemaignes et les capitaines qui
la estoient, ausquelz dist : « Messeigneurs et amys,
vous voyez les grans injures et tors faictz par cy devant
que nous ont faict les Françoys, qui, malgré nous,
tiennent la Lombardye et la forte ville de Gennes, qui
est terre d'Empire, comme savez ; et commant ilz sont
en armes en la duché de Millan, pour nous garder le
passage et nous contredire le voyage de noslre impé-
rial couronnement. Par quoy, a la peine d'estre repu-
tez lâches et meschantz, nous est besoing les aller
assaillir et combatre. Pour ce, je vous pry que chas-
cun de nous y face loyal devoir et deu acquict. Si l'ar-
gent nous est ores court, saichez que, sans faillir,
assez en conquesterons sur noz ennemys ; et avecques
ce, eulx vaincus, je vous promectz que, a chascun de
vous, scelon voz seigneuries et estatz, je donneray
villes et chasteaulx et autres seigneuries de la duché
de Millan, et tant de chevance qu'il n'y aura celuy qui
a largesse n'en soit pourveu. » A chief de propos, les
AUemans voulurent sur ce prendre, conseil, lequel
tindrent entre eulx, disant, tous d'une voix, que sans
argent ne marcheroyent. « Gommant, dirent les au-
cuns, l'entend le Roy? Il cuyde, a l'oyr parler, que
les Françoys soyent desja deffaictz, et la Lombardye
prise. Autrement, a ce que pouvons entendre, en
va; car, dedans la ville de Millan et par les places
de la duché, sont plus de xviii cens hommes d'armes
françoys, avecques les gentishommes et archiers de la
garde du Roy de France, et plus de xx mille hommes
388 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [Août 1507
de pié. Et, avecques ce, ledit Roy de France est a
Lion, sur le Rosne, prest a retourner a Millan, comme
il est bruyt, avecques grosse armée. Noz ennemys
tiennent les places et ont force argent. Nous n'avons
pas ung blanc et summes aux champs a l'aventure.
Quoy plus ? l'yver s'aproche, qui sera moult contraire
au mal vestus; somme, en ceste emprise, ne pouvons
pour ceste heure avoir honneur ne proffict : car la
meilleure et plus seure pièce de nostre harnoys, qui
est argent, nous deffault. Par quoy est impossible de
marcher en avant. » Et ainsi firent leur responce au
Roy des Rommains : de quoy fut très mal content, et,
sans autre chose faire, s'en retire et son armée se
despart*.
Desquelles choses fut le Roy tost adverty par ses
gens de la duché de Millan, qui ja estoient en armes
et aux champs pour garder le passage audit Roy des
Rommains. Par quoy le Roy, ainsi adverty de celle
départie, le lendemain de la Nostre Dame de my aost,
s'en partit de Lyon et s'en alla a Bloiz, ou trouva
la Royne et Madame Glaude sa fille, laquelle il avoit
grant désir de veoir et trouver en bon point : ce qu'il
fist ; et la, a toute joye et lyesse, passa son yver.
XLIV.
Gommant, durant le temps que le Roy estoit delà
LES MONS, MESSIRE JeHAN ChAPPERON ET UNG NOMMÉ
Anthoyne d'Auton, seigneur dudit lieu, se mis-
1. On peut voir dans Sanuto (VII, 173, 174) les sonnets iro-
niques faits en Italie sur ce système d'avortement perpétuel des
projets du roi des Romains.
1507J GOMMANT ... MESSIRE JEHAN CHAPPERON, ETC. 389
RENT SUR MER, OU FIRENT PLUSIEURS COURGES, DE
QUOY LE Roy fut mal content.
Lorsque le Roy estoit a son voyage de delà les mons,
comme j'ay dit, le Roy des Rommains et les Flamens,
sachant son esloing, et luy et son armée hors le royaume
de France, recommaincerent la guerre au duc de
Gueldres, parent du Roy, et donnèrent sur ses pays :
lequel, avecques l'ayde des gens de sa terre et d'au-
cuns Françoys qui a luy s'estoyent retirez, lors très
vigoureusement se deffendit ; mais, pour longuement
soustenir grosse charge de guerre et souldoyer grant
nombre de gens d'armes, ne pouvoit, combien qu'il
eust le vouloir asseuré et le cueur vertueulx.
Tantost furent semmées les nouvelles de ceste guerre
en France, dont aucuns gens d'armes françoys, estant
lors en garnison en Bourgongne, oyant ce bruyt, dirent
que voluntiers se trouveroint au secours de ce pouvre
prince, duc de Gueldres, tant pour vouloir faire ser-
vice au Roy, de qui il estoit parent, que pour exécu-
ter la guerre et soustenir la querelle des foulez. Dont,
entre autres, deux gentishommes de la compaignye
de messire Aymar de Prye, nommez, l'ung, messire
Jehan Chapperon, très hardy chevalier, seigneur de
Couhé de Vache en Aulnys, et l'autre Anthoyne d'Au-
ton, seigneur dudit lieu d'Auton en Xantonge, jeune
et bien gailla[r]d homme d'armes, dirent que passer
par terre estoit chose difficille a faire pour les ambus-
ches des Flamens, qui gardoyent lors les passages.
Voulant y aller par mer, firent provision, ledit Chap-
peron, d'une nef de im cens tonneaux, et, le seigneur
d'Auton, d'une barche de lx tonneaux. Et, ce pendant
390 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [1507
qu'ilz armèrent et équipèrent leurs vaisseaulx, mes-
sire Jehan Ghapperon transmist devers le duc de
Gueldres ung homme d'armes de ceulx de messire
Aymar de Prye, nommé le Chevalier Vert, pour avoir
son adveu pour luy et pour ledit seigneur d'Auton, et
ausi pour en rescripre au Roy, qui estoit lors delà
les mons. Celuy Chevalier Vert fist son message en
manière qu'il passa jusques en Gueldres, et la bailla
les lectres de Ghapperon au duc de Gueldres, lequel
les receut voluntiers, et, par icelles cognoissant le bon
vouloir dudit Ghapperon et du seigneur d'Auton,
acepta leur service et leur despescha et envoya par
ledit Ghevalier Vert lectres d'aveu, et en rescrivit au
Roy. Advint que ledit Ghevalier, en retournant, fut
cognu par les Flamans estre françoys; et, pour ce,
le prindrent et aresterent, et luy trouvèrent les
lectres du duc de Gueldres, dont le detindrent prison-
nier par l'espace de six moys. Par quoy ledit Ghappe-
ron ne peut avoir son adveu ne autres nouvelles du
duc de Gueldres, si n'est que, par aucuns venans
dudit pays de Gueldres, ouyt dire que ledit duc avoit
despesché son messagier auquel avoit baillé son adveu
et lectres, pour adresser au Roy, touchant l'affaire,
qui fut tel que, après les nouvelles ouyes de l'adveu,
messire Jehan Ghapperon et ledit seigneur d'Auton
mirent cinq cens hommes de guerre en leurs vais-
seaulx, c'est assavoir iiii cens dedans la nau dudit
Ghapperon, et cent dedans la barche du seigneur
d'Auton, et se mirent sur mer, a Queuhe de vache,
lesqueulx s'en allèrent a une rade sur mer, nommée
La Palixe, près La Rochelle, pour la faire advitailler
leurs vaisseaulx, ou demeurèrent ung moys. Et, comme
1507J GOMMANT ... MESSIRE JEHAN CHAPPERON, ETC. 391
ilz fussent la pour faire leur prochas de vivres, deux
autres navires marchans angloys, chargez de drap et
de saumons d'estaing, passèrent près desdits navires
de guerre sans vouloir faire révérence, comme mar-
chans doyvent, scelon les ordonnances de mer ; mais,
par leur fierté, voulurent aller au dessus du vent. Ce
que voyant le capitaine Ghapperon, estant en sa nef
de guerre, leur fist tirer deux coups d'artillerie pour
les arrester, lesquelz sans autre bruyt s'arresterent
et ancrèrent près la nef dudit Ghapperon. Apres qu'ilz
furent la actachez, le seigneur d'Auton s'en alla dedans
la nef de son comp[a]ignon et laissa en la barche ung
nommé Gombault, son lieutenant. Ge faict, le capitaine
Ghapperon et ledit seigneur d'Auton soupperent en-
semble et couchèrent celle nuyt dedans la nef dudit
Ghapperon.
Celle nuyt, les mathelotz de la barche du seigneur
d'Auton, après bien dringuer, disrent aux gens de
guerre qui estoient la dedans : « Que voulez vous dire,
mess""*? vous estes gens de guerre, cherchant vostre
adventure sur mer, laquelle avez icy en veue rancon-
trée et belle prise. Et sachez que ses navires d' An-
gloys que voyez icy près sont de bonne guerre et
loyalle prise, car ce sont cursoires contrefaisant mar-
chans, lesquelz, s'ilz vous tenoyent ausi près de Lon-
dres que ilz sont près de La Rochelle, vous prendroyent
prisonniers et destrousseroient. Pour ce, leur devez
allerdonner ung allarme et nous irons avecques vous. »
Et, ce dit, sur la mynuyt, que le capitaine Gombault
se fut retiré en sa chambre, ung nommé Perot d'Au-
jac, et ung autre nommé Aulbert de Massoignes, jeunes
gentishommes , avecques les mariniers, jusques au
392 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [1507
nombre de doze, entreprindrent, a la suasion desdits
mathelotz, d'aller ravager les navires desdils Angloys;
et, de faict, sortirent de la barche et se mirent dedans
ung esquif, sur l'eure de mynuyt, et s'en allèrent
gecter dedans l'ung des navires d'iceulx marchans,
ou se bâtirent bien estroict a l'entrée, car les Angloys,
dont aucuns d'eulx oyrent venir les Françoys, crièrent
allarme, tellement que chascun se mist en deffence;
ou furent d'ung costé et d'autre plusieurs blecez. Mais,
a la parfîn, les Françoys entrèrent par force et prin-
drent la dedans quatre pièces de draps avecques les
mantes et habillemens des Angloys. Ce bruyt fut grant,
tellement que le capitaine Ghapperon et le seigneur
d'Auton, qui assez près de la estoyent, oyrent le hutin,
qui gueres ne dura ; car les Françoys firent a coup
leur prise et s'en retournèrent a leur barche. Mais,
par lesdits capitaines, tout en l'eure, fut envoyé ung
gentilhomme nommé René Balan, seigneur de Maule-
vrier en Anjou, devers le maistre des navires engloys,
pour savoir quel bruyt c'estoit. « Ce sont, dist il,
aucuns de voz Françoys qui, par force et d'emblée,
sont venus assaillir noz navires et entrer dedans, et
ont iceulx pillez en seureté et emporté ce qu'ilz ont
voulu et blecez mes gens, sans ce qu'il y ait guerre
ne division entre le Roy de France et le Roy d'An-
gleterre, mon maistre, au moings de quoy je soye
adverty ne que je sache. — Or, vous en venez parler
au capitaine Ghapperon, dist celuy René Balan, et
soyez seur que se quelque extorcion ou grief vous a
esté faict par ses gens ou autres de son adveu, que
telle raison vous en sera faicte cjue deverez estre
contant. » Et, ce dit, le maistre d'iceulx navires
1507] GOMMANT ... MESSIRE JEHAN CHAPPERON, ETC. 393
angloys s'en alla parler au capitaine Chapperon, auquel
dist Gommant ses gens Festoient venu piller de nuyt
et par force entrer en ses navires, ou avoyent prins
et emporté ce qu'ilz avoyent peu. Sur quoy ledit
Chapperon fist inquisicion et trouva que ceulx de la
barche du seigneur d'Auton avoyent faict l'exploict :
pour lequel avérer, ledit seigneur [d'Auton], tout en
l'eure, transmist quérir Andrieu Gombault, son lieute-
nant en la barche, et ceulx qui avoyent esté au ravage,
ausquelz dist : « Etcommant va cecy, Gombault? Qui
vous a meu d'envoyer ou souffrir aller mes gens faire
ce bruyt de nuyt et piller les navires de ce marchant
angloys qui, a la seureté du capitaine Chapperon et
de moy, s'est ycy arresté comme en nostre sauve-
garde et fyence, sachant que, entre le Roy nostre
maistre et le Roy d'Angleterre, n'a guerre ne division,
mais paix, amitié et concorde ? Dont, nous autres Fran-
çoys, n'avons droict ne querelle contre les Angloys, ne
marque sur les marchans d'Angleterre. Par quoy fault
que vous respondez de cest affaire et reparez le mef-
faict. » Sur quoy ledit Gombault s'excusa, disant qu'il
ne savoit aucune chose de l'entreprise, et que, pen-
dant ce qu'il estoit en sa chambre, ladite cource avoit
esté faicte, de quoy n'en avoit jamais riens sceu,
jusques a celle heure. Voyant, le seigneur d'Auton,
l'excuse de son heutenant, demanda a ung nommé
Perot d'Aujac et es autres qui avoient esté audit
ravage, qui les avoit meuz de ce faire, disant : « Si
nous sommes ores gens de guerre et sur mer, si n'est
il pas dit pourtant ne permys que nous, en manière
de pirates ou larrons de mer, devions faire la guerre
a autres que aux ennemys du Roy et du duc de
394 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [1507
Gueldres, duquel nous disons avoir l'adveu, ne que
tout nous soit de prise. A ceste fin vous fault res-
pondre, pour quoy ne en quelle querelle avez esté
courir sur les navires des Angloys, ausquelz n'avons
nulle question ne defïy de guerre. » Geluy d'Aujac et
ung autre nommé Aulbert de Massoignes, jeunes gen-
tishommes, firent responce que les mathellotz de leur
barche leur avoyent mys en teste et dit que iceulx
Angloys estoyent de bonne guerre et de droicte prise ;
disant que c'estoyent escumeurs de mer, et qu'il leur
pouvoyent courir sus sans danger : par quoy, comme
non usitez de la mer et nouvelliers en icelle, pencent
avoir bon droict et bien faire, avoyent creuz iceulx
mathelotz, et, a leur suasion, faicte ladite course, et
ainsi s'en excusèrent. Dont ledit d'Auton fist rendre
le pillage et bailler tout audit marchant angloys ; et,
pour faire droict du tout, furent lesdits mathelotz
envoyez prisonniers a ung nommé Pierre Langloys,
vis admirai, estant lors a La Rochelle, pour en faire
justice, comme de raison; et puys renvoyez lesdits
Angloys tout a seureté.
XLV.
D'aucunes courses et prises que messire Jehan
Chapperon et le seigneur d'Auton firent en mer
SUR LES FlAMENS, ENNEMYS DU DUC DE GUELDRES,
DUQUEL S'AVOUOYENT ICEULX GhAPPERON ET d'Au-
TON.
Tantost après que les navires d'Angleterre curent
pris le vent pour eulx retirer, ung autre navire espai-
1507] D'AUCUNES COURSES ET PRISES, ETC. 395
gnol, de Sainct Sebastien d'Espaigne, du port de
III cens tonneaulx, chargé de marchandise, passa près
de la, a une heue desdits navires du capitaine Ghap-
peron et du seigneur d'Auton, et s'en alla ancrer a
ung lieu nommé Ghief de Boys, près La Rochelle, pour
illecques faire change de marchandise : lequel, après
avoir mys ancre a fons, pour ce qu'il estoit nouvelle-
ment arrivé, le seigneur d'Auton voulant savoir qu'il
estoit, se mist après avecques sa barche. Et luy, appro-
ché jusques a pouvoir parler ensemble, demanda a
ceulx qui la dedans estoyent d'où estoit celuy navire :
lesquelx dirent qu'il estoit d'Espaigne. « Et bien ! dist
le seigneur d'Auton, tout ung, tout ung, noz maistres
sont bons amys, dont nous devons l'ung l'autre secou-
rir. » Puys dist au maistre du navire espaignol :
fi Seignor, je vous veulx bien advertir que ung myen
compaignon, nommé Ghapperon, et moy, sommes
nouvellement mys sur mer pour servir le Roy nostre
maistre et aucuns de ses alyez. Mais noz navires sont
ung peu mal garnyes d'artillerye ; par quoy nous est
mestier en recouvrer : pour ce, si vous en avez
davantage, nous vous voulons bien prier de nous en
prester ou vendre a crédit, pour nous ayder a faire
nostre navigage, et nous vous donnerons bonne seu-
reté de voz pièces. » Ge que ne voulut ledit espaignol,
disant qu'il n'estoit point tenu de les en fournir, et
qu'il n'en avoit pièce qui besoing ne luy fist ; par quoy
n'en auroyent, s'ilz ne l'avoyent par force. « Sy par
amour, dist le seigneur d'Auton, n'en voulez vendre ou
prester, sachez que autrement en aurons. » Et, se dit,
s'en retourna devers le capitaine Ghapperon, auquel
fist rapport du reffus dudit espaignol : de quoy se
396 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [1507
mal contanta, disant qu'il en aura s'il se peult joindre
avecques luy ; et en l'eure fist lever ancre. Et, ce faict,
tirèrent vers Chief de Boys, a voisle tendue, adres-
sant vers le navire de celuy espaignol, lequel, voyant
l'escarmouche dressée contre luy, dist qu'il se ostera
de la voye : dont fist hastivement lever ses appareilz
et se mist a la fuyte, et eulx après, et tant les suy-
virent que, environ la mynuyt, l'actaignirent près
d'une isle nommée l'isle Dieulx'^. L'espaignol, qui
estoit artilhé bien a point et garny de gens de main a
suffire, voyant qu'il estoit actainct, dist a ses gens :
« Sus, compaignons ! il nous est besoing de deffendre
le navire pour garentir noz vyes et sauver noz biens ;
car la fuyte ne nous peut plus de riens servir. Pour ce,
chascun mecte la main a la deffence, car mestier en
est. » Et, ce dit, fist charger son artillerie et armer
ses gens, et iceulx mectre a la deffence de son navire.
Le capitaine Chapperon et son compaignon commain-
cerent a donner dessus coups d'artillerie, et le vou-
lurent mectre entre eulx deux pour l'assaillir de tous
costez : lequel se deff'endit a coups d'artillerye, et
tant que plus d'une grosse eure se bâtirent, ou plu-
sieurs d'ung costé et d'autre furent blecez ; et eust
esté pris ledit espaignol, mais en se deffendant ad visa
le vent et se mist au dessus, et, pour fuyr plus tost,
mist la mizenne soubz l'estouyn, qui est une voisle
tenant a ung des boutz de l'antenne, pendant hors
sur le bort du navire, mise la pour faire hastive fuyte
ou viste chace. Ainsi se mist l'espaignol a fuyr; le
capitaine Chapperon se mist après et le suyvit jusques
\. L'île d'Yeu.
1507] D'AUCUNES COURSES ET PRISES, ETC. 397
au jour, mais le perdit, sans le pouvoir approcher
d'ung gect de canon près : par quoy le lessa et se
mist au retour vers ou estoit demeuré la barche du
seigneur d'Auton, qui n'estoit la ; car, ainsi que ledit
Chapperon suyvoit l'espaignol, quatre urques^ de Fla-
mans passèrent par la, que avoit suyvy ledit seigneur
d'Auton vers les raz Sainct Mahé ^ ; et avecques sa
seuUe barche les prist tous et garda jusques a la venue
de son compaignon, lequel, en revenant de la chace
dudit espaignol, rencontra une autre urque de Fla-
mans et la prist, puys se rendit deux jours après et se
rassembla avecques le seigneur d'Auton, qui avoit sa
prise en une rade en Bretaigne près le Gonquet, ou
séjournèrent viii jours ; et la, durant ce temps, firent
composicion avecques leurs prisonniers flamens, les-
quelx promirent a payer mille escus, pour laquelle
rançon assigner baillèrent deux ostages ; et fut ap-
poincté par lesdits capitaines françoys que iceulx Fla-
mens porteroyent leur rançon au duc de Gueldres,
maistre d'iceulx Françoys, et, la rançon payée, en
envoyant certification et descharge de ce, leur envoy-
royent leurs ostages : ce que ne firent lesdits Flamens,
mais s'en allèrent en leur pays s^s payer leurdite
rançon, et lesserent leurs ostages, que lesdits Fran-
çoys retindrent en actendant tousjours nouvelles de
leurs prisonniers, qui ancores sont a revenir.
Tantost après ce partirent du Gonquet, et adres-
sèrent vers la coste d'Angleterre, ou, entour la my
oust, eulx estans la, trouvèrent ung cursoire flament,
1. Urque ou orque, grand bateau.
2. Saint-Mathieu.
398 CHRONIQUES DE LOUIS XII. [1507
lequel estoit d'Arnemue', qui est une ville de Flandres.
Or estoit ledit cursoire bien equippé et du port de
quatre cens tonneaulx, accompaigné d'une grosse
barche d'Espaigne. Et eulx, a une veue l'ung de l'autre,
s'entre adviserent et cogneurent qu'ilz estoyent tous
gens de guerre : si se mirent en ordre chascun pour
assaillir son ennemy et defFendre sa pièce, et tant que
sur l'eure de vespres commaincerent a eulx entre
approcher. Dont les capitaines françoys dirent a leurs
souldartz qu'ilz avoyent trouvé jeu party, disant :
a Nous avons une nef et une barche de guerre, et
autant en avons en barbe rancontré qui nous présen-
tent l'escarmouche que nous leur devons première-
ment donner, telle que ce soit a nostre honneur et
adventage. Or sus, que chascun de nous monstre ce
qu'il saura faire, car besoing en est. » Et, sur ce pro-
pos, chascun dist que pour mourir ne fauldra a ce
hutin. Le flament et espaignol pareillement, voyant
qu'ilz avoyent trouvé a qui besoigner, se délibérèrent
de faire leur devoir au coups départir. Et, pour aviser
la manière des Françoys, la barche espaignolle aloit
devant le navi